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(5) Où elle arrive.

Nous remontons fissa à l'appartement, et Tom rassemble mes affaires en suivant scrupuleusement la liste pendant que je me change et que j'enfile une tenue plus confortable. Ma première impression est la bonne, le liquide amniotique goutte doucement, mais sans discontinuer. Sur le trajet du centre-ville à chez nous, nous avons appelé le numéro d'urgence qui nous a confirmé qu'il fallait venir sans trop tarder. L'accouchement n'est pas forcément imminent, mais le bébé n'est plus protégé contre les infections, je devrai rester à l'hôpital jusqu'à la naissance. J'ai quelques contractions, mais pas plus qu'avant, ni régulières et ni douloureuses. Nous prenons tout de même le temps de dîner, notre dernier repas à deux avant un petit moment. Mon amoureux allume même des bougies, même si nous avalons notre assiette en un quart d'heure, avant de partir.

— Tu te rends compte que la prochaine fois que je passerai la porte de cet appartement, nous serons trois ? demandé-je à Tom, au moment de sortir. Quand on reviendra, notre vie ne sera plus jamais la même.

Tom ne répond pas. Il sourit, prend mon visage dans ses mains, et m'embrasse. Puis, il se penche sur mon ventre, murmure très bas quelques mots en anglais à notre fille, si bas que je ne comprends rien, puis il se redresse, et, sa canne dans une main, les sacs dans l'autre, nous quittons notre appartement.

Il ne nous faut pas plus de quinze minutes pour arriver à la maternité. Nous sonnons aux urgences obstétricales et sommes directement pris en charge par une sage-femme qui m'installe dans une salle d'examen. Je n'ai pas mal, comme je le répète toutes les cinq minutes à mon mari, mais je me sens bizarre, dans un état second. J'ai du mal à croire que nous y sommes, que dans quelques heures nous aurons notre bébé, notre fille, dans les bras. Tom n'est pas dans son état normal non plus, oscillant entre inquiétude, excitation et euphorie.

La sage-femme commence par vérifier, à l'aide d'une bandelette de PH, qu'il s'agit bien d'une fissure de la poche des eaux, puis, une fois le diagnostic confirmé, consulte mon dossier, que j'ai apporté avec moi, me pose quelques questions sur la thalassémie. Hormis le diabète, je n'ai pas eu de problème lié à la maladie durant ma grossesse, et n'ai eu à subir aucun examen supplémentaire, ni transfusion, ni traitement chélateur de fer. Elle prend ma tension, mon pouls, palpe mon ventre, puis effectue l'examen clinique pour vérifier l'ouverture du col avant de me poser un monitoring.

— Un centimètre... le travail n'a pas encore vraiment commencé. Ça ne va pas être pour tout de suite, constate-t-elle.

S'en suit un contrôle des urines et du liquide amniotique, ainsi qu'un bilan infectieux. La praticienne m'explique que si le travail ne se met pas en route dans les douze prochaines heures, il faudra que je prenne un traitement antibiotique préventif. Et s'il n'y a toujours rien de plus, je serai déclenchée dans 24 à 48 heures. Ce n'est pas du tout ce que j'avais prévu : je ne me vois pas rester deux jours ici, à attendre d'avoir enfin des contractions, surtout pas après avoir passé plus de deux mois à les redouter.

— On va vous faire monter en chambre. Essayez de bien vous reposer cette nuit, la prochaine pourrait être plus mouvementée. Monsieur, vous pouvez rentrer chez vous.

— Mais...

— Gardez votre portable près de vous, on vous appellera tout de suite s'il y a du changement. Et sinon, vous pouvez revenir à partir de sept heures, directement en maternité.

Tom a l'air malheureux comme les pierres, mais pas le choix, et lui aussi doit se reposer ; ce serait ridicule de passer la nuit sur une chaise alors que je dors à côté de lui.

Il m'accompagne avec la sage-femme qui nous a accueilli jusqu'à ma chambre, et de désagréables frissons me traversent l'échinent quand je passe dans le couloir. Les souvenirs d'hôpitaux, quand il était dans le coma. Lui ne s'en rend pas compte, trop occupé à bouder. Cela fait des mois qu'on n'a pas passé une nuit séparée, et le moment n'est pas le mieux choisi, alors qu'à cet instant, nous avons tant besoin l'un de l'autre, tant besoin d'être ensemble.

Il m'aide à m'installer, dans cet endroit de quelques mètres carrés où je vais vivre les quatre ou cinq prochains jours. J'avais visité le service il y a trois semaines, dans le cadre des séances de préparation à la naissance, mais Tom n'était pas là. Avec son perpétuel enthousiasme, il oublie de râler en découvrant la chambre et s'extasie devant la petite pouponnière, avec baignoire intégrée et table à langer. Il tire une couche de l'emballage posé sur le plan de travail et la déplie, impressionné.

— C'est fou, je trouve cela à la fois minuscule, et immense...

— Et elle a commencé comme une petite fourmi, maintenant, elle va rentrer là-dedans.

Une fois mes vêtements et ceux de notre fille rangés dans le placard intégré dans le mur, ma trousse de toilette dans la salle de bains, les livres et magazines disposés sur la table de chevet, Tom tente bien de traîner un peu, mais une sage-femme du service vient le chercher par la peau des fesses, et l'escorte presque vers la sortie. Il consent enfin à m'abandonner ici et il sort après un dernier baiser déchirant, en me faisant promettre de l'appeler à la première contraction. Je sens que cette nuit va compter parmi les plus longues de ma vie.

Je prends une douche et enfile une des chemises de nuit que j'ai apportées, tant que je ne suis pas obligée de porter une de ces blouses d'hôpital. Il n'est même pas vingt-trois heures quand je me couche.

Je n'essaie pas de lire, je sais que je n'y arriverai pas. Allongée, les mains sur mon ventre, je câline ma petite, en pensant à tout le chemin parcouru depuis que j'ai appris ma grossesse. Le parc avec les enfants, ce petit Adam dans le landau. L'annonce à Tom et son émotion. Notre voyage de Noces, celui en Afrique. Montolo, et ces horribles vingt-quatre heures qui m'ont semblé durer une semaine. La première échographie, la première fois où je l'ai sentie bouger, le jour où on a su qu'on allait avoir une fille.

Elle le sent, je pense, parce qu'elle vient à la rencontre de mes gestes. Ce ne sont pas vraiment des coups, mais quand je pose la main, elle vient pousser avec son pied, comme une manière de me dire qu'elle est là, qu'elle ressent mes caresses. Une vague nostalgie m'étreint, même si je ne crois pas que la grossesse me manquera, même si j'ai hâte de tenir ma fille dans mes bras. Mais c'est peut-être la dernière fois que l'on communique de cette manière, alors je mets mon téléphone en silencieux, éteins la lumière et ne me concentre que sur elle. Sur elle et moi.

Ça ne dure pas bien longtemps ; au bout d'une heure, je reçois une première visite pour un contrôle et quand je consulte mon mobile, j'ai trois sms et deux appels en absence de Tom ; je le rassure et lui souhaite bonne nuit, bien décidée à jouir de ces derniers moments tranquillement et sereinement.

💫💫💫

« Profitez-en pour vous reposer ». Mais laissez-moi rire. Dans la chambre qui jouxte la mienne, le bébé ne cesse de pleurer. Je me demande si ma fille aussi fera ça, la nuit prochaine. Est-ce qu'elle va hurler ainsi, pendant des heures ? J'ai tellement hâte qu'elle soit là que ça ne m'inquiète même pas. J'entends les voix et les bruits de pas dans le couloir, les portes qui s'ouvrent et se ferment, les charriots qui roulent. Toutes les heures, on passe dans ma chambre pour le triptyque fièvre, pouls, tension, et l'examen vaginal en bonus. Mes contractions s'intensifient, mais restent espacées, pas vraiment douloureuses, et le col n'a pas bougé. Trois fois dans la nuit, j'ai le droit à un monitoring pour contrôler le cœur du bébé. Pour le moment, tout va bien, et je reste confiante, même quand la sage-femme de garde m'explique que si le rythme du bébé faiblit et que le travail ne se met pas en route ou si une infection se déclare, il faudra peut-être procéder à une césarienne. Je fais confiance à mon corps et à mon mental, parce que jusqu'ici, ils ne m'ont jamais lâchée.

Quand le jour se lève, je fais moins la fière. Je n'ai presque pas fermé l'œil de la nuit, je n'ai pas le droit de manger à cause de la future anesthésie et si les contractions restent espacées, je souffre davantage à chacune d'entre elles. Et pour compléter le tableau, mon col stagne à un centimètre de dilatation, ce qui me promet encore de longues heures de réjouissance. Tom arrive tôt, et à sa mine, je vois qu'il n'a pas mieux dormi que moi. Mais peu importe, ce n'est plus qu'une question d'heures maintenant, et malgré la douleur et la fatigue, ce que nous ressentons surtout c'est l'impatience, la joie et l'excitation.

— Allez, madame Lartigue, m'encourage Yasmina, la sage-femme de l'équipe de jour. C'est normal quand on est primipare. Dans quelques heures, on pourra vous poser une péridurale, et en attendant, on peut vous faire couler un bain dans la salle physio si vous le souhaitez, ou vous proposer un gros ballon pour faire diminuer les douleurs pendant les contractions, je vais vous montrer comment l'utiliser. N'hésitez pas à marcher, à bouger, à danser, tout ce qui peut accélérer le travail.

— Je veux bien sortir prendre l'air, si je peux...

— D'accord, mais ne vous éloignez pas. Restez bien dans la cour de l'hôpital, et on se revoit ici dans une demi-heure pour un monito.

Tom et moi sortons faire quelques pas, et si je commence par savourer l'air vif de février sur mon visage, je me rends vite compte que ce n'est pas l'idée du siècle. Je n'ai rien avalé depuis plus de douze heures, ce qui n'est plus dans mes habitudes, je me sens épuisée, et suis obligée de m'arrêter deux fois, pliée en deux par les contractions. Les gens sur le parking me regardent bizarrement, a priori plus gênés que je me donne ainsi en spectacle qu'inquiets pour moi. Tom est en panique, comme si j'allais accoucher entre deux voitures, alors nous regagnons le service de maternité plus tôt que prévu.

Le monitoring montre des signes encourageants. Notre petite va bien et supporte bien les contractions, mieux que moi en tout cas, d'autant qu'elles ne sont pas efficaces et n'agissent toujours pas sur le col ; je commence à stresser, en me demandant combien de temps je vais devoir subir ça. La seule chose que je veux, c'est une péridurale, et j'en suis encore loin. Si loin qu'une aide-soignante m'apporte même un plateau de petit déjeuner frugal, avec un thé au citron, un yaourt nature et deux biscottes, me recommandant de prendre un peu de force pour les prochaines heures.

Je me sens un peu mieux après avoir mangé, et je tente de me reposer un peu sous le regard de Tom qui ne sait pas quoi faire pour m'aider, mais peine perdue, dès que je commence à sombrer, une contraction me sort de ma torpeur. Je repense aux paroles de Solène, et c'est vrai que c'est long trente secondes. Je n'ai pas vraiment mal au ventre, mais au dos, et chaque spasme me donne l'impression qu'on m'enfonce un long poignard dans les reins.

­C'est ce que j'explique à Tom, penché sur moi, qui serre mes mains dans les siennes.

— Tu as dû avoir tellement mal quand ils t'ont... ce soir-là...

— C'est allé très vite, tu sais.

— Mais quand tu t'es fait poignarder, ça a dû être horrible.

— Ce n'était pas une partie de plaisir, c'est vrai, sourit-il.

— Et ensuite, quand je t'ai trouvé dans le jardin... tu avais mal, aussi, n'est-ce pas ?

Ma douleur, la sienne, tout se mélange. Je ne peux pas m'empêcher de pleurer, je ne sais même pas pourquoi, si c'est à cause de la fatigue, parce que j'ai mal, que j'imagine ce que lui a ressenti, si c'est parce que je me souviens la souffrance intense de ces moments.

— Lou... arrête... murmure-t-il en essuyant mes larmes.

— Ça m'aide, tu sais. J'essaie d'être courageuse comme toi, mais c'est dur, là.

— Ça ne peut pas continuer comme ça, articule-t-il entre ses dents serrées, avant de se lever. J'arrive tout de suite.

Il quitte la pièce, sourcils froncés, aussi vite qu'il le peut, et revient quelques instants plus tard avec une sage-femme, pas Yasmina, une autre, une blonde d'un certain âge, Sylvie. Celle-ci m'ausculte, mais le discours ne varie pas plus que l'ouverture de mon satané col de l'utérus. Le service est plein à craquer, l'équipe est débordée, toutes les baignoires et salles physio sont occupées. La seule chose que je puisse faire, c'est prendre mon mal en patience.

— Primipare, ce n'est pas facile, m'explique-t-elle, elle aussi, avec une moue de justification, comme si ça pouvait me consoler. C'est souvent comme ça, un premier accouchement, c'est long, mais ne vous en faites pas, elle va bien finir par sortir, cette petite puce. Je vous apporte un ballon, c'est mieux que rien, et on revient dès que possible.

Elle sort, sous les yeux dépités de mon mari. Une aide-soignante passe quelques minutes plus tard nous apporter un gros ballon que nous avait présenté madame Humbert lors de la dernière séance de préparation à la naissance.

La femme m'aide à m'installer dessus, me montre comment faire des mouvements de bassin pour diminuer la douleur à chaque contraction. Tom l'observe attentivement, puis, dès son départ, s'assoit sur le fauteuil de la chambre et me place sur le ballon entre ses jambes. Ses mains sur mes hanches accompagnent le mouvement et je parviens, pour la première fois en plus de huit heures à me détendre un peu, à me relaxer. Je ne sais pas si c'est l'exercice en lui-même qui me soulage, l'investissement de Tom, ou simplement la résignation, mais ça va mieux, vraiment mieux, et je retrouve un peu d'énergie. Encouragé par mon attitude, mon amoureux sort de la léthargie où le spectacle de ma souffrance l'avait plongé, et prend toutes sortes d'initiatives plus heureuses les unes que les autres. Il commence par mettre de la musique, une des playlists qu'il avait composées cette nuit spécialement pour l'accouchement, et complètement oubliées dès son arrivée ici.

­— J'en ai préparé plusieurs, m'explique-t-il. Là, avec toutes tes chansons préférées, celle-ci avec des morceaux calmes si tu veux te reposer, et celle-ci avec des chansons qui bougent, parce que c'est bon pour faire avancer le travail. Ça te dit d'essayer ? propose-t-il, presque timidement.

Non, vraiment pas. J'ai vu, sur Internet, ces vidéos de filles avec leur ventre énorme qui dansent la salsa en salle de travail. Moi, je ne me sens pas capable de faire la même chose, et, en réalité, la seule chose dont j'ai vraiment envie, c'est de me rouler en boule. Sauf que ce n'est pas ça qui va faire avancer les choses, et je suis tellement touchée par la démarche de Tom que j'acquiesce avec un rictus que je tente de faire ressembler à un sourire. Peut-être parce qu'il lit en moi comme dans un livre ouvert, il hésite une seconde, avant de se redresser. Je secoue alors la tête en signe de dénégation : c'est hors de question, mais il est décidé. On souffrira ensemble, ce sera dur pour nous deux. Je ne sais pas si je trouve ça stupide ou incroyablement romantique, mais quoi qu'il en soit, c'est ça qui me décide, et nous dansons ensemble, sur Starlight de Muse, Feeling Good de Gorillaz et l'Aventurier, d'Indochine, juste entrecoupés de pauses à chaque contraction, et je tombe dans ses bras.

­— Je vois que ça va mieux ici, s'amuse Yasmina, en passant la tête par la porte au milieu de nos chorégraphies. Je repasse plus tard !

Tom m'aide ensuite à reprendre une douche et encore une fois, l'eau chaude apaise la douleur qui me paraît de plus en plus supportable. Probablement qu'on s'habitue à tout. En tout cas, grâce à lui, j'ai la sensation d'avoir en quelque sorte apprivoisé les vagues de spasmes qui traversent mon dos.

Sylvie, la seconde sage-femme, vient effectuer un contrôle en fin d'après-midi. Deux centimètres. Elle commence par faire la moue, ça n'avance pas assez vite, mais le monitoring la rassure. Le bébé va bien. L'obstétricienne de garde vient me voir à son tour, et confirme que tout est normal : certes, c'est long, mais je suis primipare après tout. Le prochain qui me dit ça, je ne réponds plus de rien. En tout cas, pour le moment, pas question de médicaliser, et on laisse encore la nuit au travail pour avancer vraiment. Elle m'explique que néanmoins, si le rythme ne s'accélère pas, il faudra prendre une décision demain matin, déclenchement artificiel ou césarienne. En attendant, je reste en permanence sous monitoring et surveillance étroite.

Le temps s'égrène lentement ; Tom sort quelques minutes, le temps d'avaler un sandwich, et revient vite auprès de moi ; nous prenons le temps de répondre aux sms des copains aussi, j'envoie un petit message à ma mère. Personne ne sait que nous sommes là, c'était important pour nous deux de garder le secret, de ne pas être harcelés pour avoir des nouvelles. Alors, pour éviter d'éveiller les soupçons, nous essayons de faire comme si de rien n'était, réponses aux messages, commentaires sur Facebook, like sur Instagram. La vie sociale, quoi. Le reste du temps, nous reprenons les mouvements sur le ballon, ou je m'étire en avant et Tom me masse le bas du dos. Les contractions sont globalement bien plus supportables, et lors de celles un peu plus puissantes, Tom compte avec moi, à rebours, les trente secondes, parfois un peu plus, tout en serrant fort ma main, ses doigts entrelacés dans les miens.

En fin de journée, je sens que les contractions s'espacent et perdent en intensité. Comme si mon corps avait compris que j'avais besoin de souffler. Je ne sais pas si c'est normal, mais je suis tellement soulagée, que je préfère encore faire l'autruche et profiter de cette légère accalmie. J'en ai bien besoin. Je me sens épuisée, à bout de force, échouée sur le lit comme une baleine hors de l'eau. Je souffre finalement bien plus de la fatigue physique et nerveuse que de la douleur des contractions, et la seule chose qui me fait tenir c'est de me dire que chaque minute de passée me rapproche de la péridurale. Tom tente de me distraire en continuant la lecture à voix haute de « En attendant Bojangle » :

« Devant notre terrasse, à une dizaine de mètres en contrebas, se trouvait un immense pin qui avait toujours été là. Quand parfois, nous passions les fêtes d'hiver en Espagne, c'était cet arbre qui servait de sapin de Noël. Avec mes parents, nous passions une journée entière à le décorer. Avec une échelle on l'habillait de guirlandes étincelantes, de lumières clignotantes, on le saupoudrait de nuages de coton, et au sommet on mettait une étoile géante. C'était un très beau pin, c'était toujours une très belle journée. Mais, comme tout le monde, il avait grandi, et depuis le début de notre planque, Maman n'arrêtait pas de pester contre cet arbre qui nous gâchait la vue, elle disait qu'à cause de lui, on ne voyait plus le lac, qu'il faisait de l'ombre sur la terrasse, et que si un jour il y avait une tempête, il détruirait la maison en tombant sur nos têtes, que l'air de rien, un beau matin, ce pin allait se transformer en assassin. »

— Tom... tu veux pas venir te coucher avec moi ?

— Hein ? ici ? Mais le lit est tout petit...

— J'ai besoin d'un câlin, de te sentir contre moi... s'il te plaît...

Il hésite, mais ce n'est pas facile de me refuser quoique ce soit aujourd'hui, alors il consent à se déshabiller et me rejoint au lit. Il s'assoit, dos contre l'oreiller, et je m'allonge à demi entre ses jambes. Je soupire de contentement, je me sens presque bien dans cette position. Ses mains sont posées sur mon ventre qui durcit à intervalles réguliers, et mon dos douloureux appuie sur son propre abdomen. De cette manière, c'est comme s'il accompagnait les contractions, partageait mon tourment sans fin. Je sens son souffle se ralentir, il s'endort, et je parviens à faire de même, pour une petite sieste réparatrice et tellement nécessaire.

Je suis réveillée en sursaut par une contraction d'une violence qui me coupe le souffle. Immédiatement, je sens que celle-ci est différente, que quelque chose ne va pas. Je n'ai plus mal qu'au dos, j'ai mal... partout. J'ai la sensation que les os de mon bassin vont se rompre. Je serre les dents, incapable de compter, de maîtriser la vague de douleur qui me laboure le corps. Dès la fin de la contraction, paniquée, je sonne les sage-femmes pour appeler à l'aide et réveille Tom qui tombe presque du lit de surprise. Groggy, il renfile son pantalon avant de comprendre qu'il y a un problème.

Babe, qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiète-t-il d'une voix déjà tout à fait réveillée.

­— Je ne sais pas, je sens... comme un truc étrange... et j'ai très mal d'un coup.

Tom pâlit, sans un mot, et sort pour aller chercher du personnel au plus vite, mais Yasmina arrive au même moment.

— Madame Lartigue, vous nous avez appelés ? Que se passe-t-il ?

Je lui répète ce que je viens d'expliquer à Tom, et elle vérifie le tracé du monitoring. Elle fronce les sourcils tout en me rassurant pourtant, de son ton tranquille :

— C'est bon signe, c'est juste que ça avance. Allez, on vérifie où ça en est et on croise les doigts pour que celle-ci soit la bonne et qu'on puisse enfin faire venir l'anesthésiste.

Elle enfile ses gants, me fait plier les genoux pour m'examiner. Je ne vois pas son visage, mais sa voix est plus aiguë d'un coup.

— Ouh là, vous avez bien bossé ! On est à huit, madame Lartigue. Hop, on file en salle d'acc' !

Avant même que nous ne puissions réagir, elle sort en courant, appelle pour avoir un brancard qu'on lui apporte à toute vitesse.

Une autre contraction me plie en deux et j'ai l'impression que la douleur irradie mon corps entier.

— Mais... mais... elle va accoucher ? bégaye Tom, à côté de moi.

— Ça, on le savait déjà, plaisante Yasmina. Mais la nouveauté, c'est que c'est pour très bientôt !

— Comment elle a pu passer de deux à huit en si peu de t...

Mais je le coupe, je m'en fous. Il n'y a qu'une chose qui m'intéresse :

— Et la péri ? ânonné-je, dès que je peux sortir un mot.

— Je bipe l'anesthésiste, mais j'ai peur que le bébé ne soit déjà engagé dans le bassin. Je pense que c'est trop tard... répond Yasmina avec une grimace.

À cet instant, c'est comme si le sol s'ouvrait sous mes pieds, alors que je suis allongée. Je n'y arriverai pas. Je suis au bout de ce que je peux endurer en terme de fatigue et de souffrance. Je ne tenais qu'avec la perspective d'être bientôt soulagée. Clairement, je ne me sens pas capable d'affronter la suite.

Je vis les minutes suivantes comme dans un nuage de coton, dans le flou, détachée de ma propre enveloppe ; la seule chose qui me raccroche à mon corps, ce sont les contractions, bien réelles, comme un assaut implacable. On traverse des couloirs, nous descendons d'un étage, je vois qu'on habille Tom avec une blouse en papier et des sur-chaussures. Je suis déposée sur un lit, on relève mes pieds, une autre personne, en blanc, vient m'examiner. Les voix résonnent, loin de moi.

— On est à neuf, il arrive, le petit bout.

— Yasmina, rentre, c'est l'heure pour toi, ta garde est finie.

— Non, je reste encore un peu. J'ai envie de la voir, cette petite frimousse qui s'est tant fait attendre.

J'entends Tom, qui s'entretient avec un des membres du personnel. Son épouse est à bout de force, elle comptait sur la péridurale pour l'aider. C'est trop tard monsieur. Il faut vingt minutes pour la poser, encore vingt pour qu'elle agisse, c'est trop tard, allez, ça va aller, ce ne sera ni la première ni la dernière à accoucher sans.

Je sens une larme couler sur ma joue, je n'ai plus de force, plus de courage non plus. Une autre contraction arrive et me terrasse, je lutte de toutes mes forces pour ne pas hurler, parce que ma dignité, c'est tout ce qui me reste à cet instant. Dignité toute relative étant donné que j'ai les jambes écartées devant quatre parfaits inconnus.

Une femme en rose que je ne connais pas se penche vers moi, tente de m'aider, un peu maladroitement, et Yasmina la remplace.

— Soufflez, madame Lartigue, criez si vous en avez besoin. Il faut évacuer ce que vous gardez...

— Tom... je veux mon mari...

— Il est là, tout près de vous, ne vous en faites pas.

— Je veux lui parler.

Tom s'avance alors et s'assoit près de ma tête. Il semble défait, complètement décomposé d'être spectateur impuissant, de ne rien pouvoir faire pour m'aider.

— Ça va aller, mon amour, ça va aller, murmure-t-il en passant sa main sur mon front trempé. C'est bientôt terminé, je te le promets.

— Je n'y arrive plus, Tom... C'est trop dur.

Il reste silencieux quelques instants, et sa seconde main broie la mienne. Puis il plante son regard outremer dans le mien. Un regard déterminé.

— Je sais, Babe. Mais tu vas y arriver. Ferme les yeux... souviens-toi de ce que tu m'as raconté, dans ta maison à Casalnuovo, le soir où les associés de Montolo sont venus et qu'ils t'ont tabassée... tu n'as rien lâché malgré tout. Et le soir où tu l'as fait arrêter, quand il a essayé de t'étrangler puis que tu as failli te faire égorger par Domenico, tu n'as rien lâché non plus. Parce que tu étais près du but, comme maintenant. Je sais que c'est difficile, et je donnerai tout pour prendre ta douleur, pour pouvoir t'aider, mais je ne peux pas, Lou. Ça doit venir de toi, de toi seule, et tu en es capable. Pense à notre fille ; elle est là, elle descend, elle est tout près. Il faut que tu l'aides, mon amour... Pense à elle. Tu es tout près du but... et moi, je suis là, avec toi. Je sais que tu vas y arriver.

Il conclut son discours par un baiser, et je retrouve un peu de courage. Comme toujours, ses paroles me donnent la force nécessaire. Celle de puiser dans mes dernières réserves.

— Elle est à complète, on s'installe. Madame Lartigue, il va falloir y aller. Posez vos pieds dans les étriers... vous êtes bien, comme ça ? Vous pouvez aussi vous mettre sur le côté si vous préférez, ou vous suspendre...

— Non, non, ça va...

— Attention, la contraction arrive, annonce Yasmina. Madame Lartigue, je veux que vous poussiez le plus fort et le plus longtemps possible, c'est d'accord ? Allez, elle est là, on y va... C'est bien ! Allez encore, encore, encore... on tient... Allez-y ! Plus fort...

Je retombe sur le matelas, en nage, vidée.

— C'est pas mal. On reprend de l'air, on souffle, et on récupère. On essaie d'y aller plus fort à la suivante.

­— Bravo, Babe, tu as été géniale, m'encourage Tom.

Je l'entends à peine, j'ai du mal à respirer, et la souffrance est telle que j'ai l'impression qu'elle va me tuer sur cette table.

— J'ai mal... j'ai trop mal... ça brûle tellement fort...

— Je sais, madame Lartigue. Courage. Allez, on repart !

Je n'y arrive plus. Mes poussées ne sont pas efficaces, j'aurais dû être plus appliquée lors de la dernière séance de préparation à la naissance. Ça s'agite autour de moi, j'entends ce mot qui me fait peur. Césarienne. Je dois me ressaisir, trouver la force. Des yeux, je cherche Yasmina.

— Mon mari... est-ce qu'il peut se mettre derrière moi... s'il vous plaît ?

— Quoi, sur le lit ?

— Oui... ça m'aiderait beaucoup.

— Ok, ok. Pourquoi pas. Allez, on aide le papa à grimper. Hop, on ne traîne pas, la prochaine contraction va arriver, et là, madame Lartigue, je veux que vous me donniez tout ce que vous avez !

Je ne sais pas combien de temps ça dure, peut-être vingt minutes, jusqu'à ce que j'entende la voix de Yasmina s'écrier : « je vois la tête, la tête est là. Allez, deux poussées, une pour la tête, une pour les épaules, et c'est fini ! »

C'est un véritable feu d'artifice. Mais plus fort que la douleur, il y a la détermination, l'envie, le besoin d'en finir et d'enfin, enfin, tenir ma fille contre moi. Comme plus tôt dans la journée, la présence de Tom, la sensation de son corps contre le mien, son menton sur mon épaule, m'aide au-delà de ce que j'aurais pu imaginer. Il a passé les mains sous mes cuisses, et à chaque poussée, c'est comme s'il participait, c'est comme si ce travail, on le faisait à deux. Et cela me soulage incroyablement.

— Allez la dernière, madame Lartigue, on y est, on y est ! Bravo, vous poussez comme une championne, c'est génial ce que vous faites... arrêtez... stop ! Penchez-vous en avant... donnez-moi vos mains !

Sans comprendre, dans un état second, je tends les bras et entends Yasmina murmurer, beaucoup plus doucement.

— Attrapez votre fille et tirez-la doucement... Voilà...

C'est moi qui termine de sortir mon bébé, aidée de Yasmina, qui la pose sur mon ventre vide, et nous recouvre tout de suite d'un champ de papier.

Il y a comme un instant de flottement, comme une bulle qui volette, avant d'éclater. Le temps de comprendre, et c'est mon cœur qui éclate, en un milliard de particules d'amour. Une déflagration. Derrière moi, Tom m'embrasse l'épaule, renifle.

— Elle est magnifique. Bravo mon amour, tu as été... awesome.

Le premier cri de notre fille se fait entendre et les larmes me montent aux yeux, comme si je réalisais seulement. Elle est là. Elle est là.

— Alors, le papa, il veut couper le cordon ?

— Évidemment, s'écrie Tom, retrouvant un peu de vigueur.

On l'aide à descendre, et fier comme Artaban, il coupe ce qui nous relie, notre fille et moi. Puis, il vient s'agenouiller près de moi, près de nous, les yeux pleins de larmes, et m'embrasse, un baiser long, profond, un baiser qui signifie plus que tant de mots.

— Merci, mon amour, merci... Si tu savais combien je t'aime, combien je suis fier de toi...

Puis, il caresse de l'index la joue du merveilleux bébé qui tente difficilement d'ouvrir les yeux contre ma poitrine.

— Bonjour mon second amour... Bonjour Sasha.



Eh voilà... On n'a jamais été si proche de la fin...

Elle a assuré, notre Lou, non ?

Dernier chapitre (mouvementé ) dimanche, avec un court épilogue en prime !

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