
Le détruire (2)
Torielle
- Allez maintenant au lit !
La petite riait aux éclats tout en se débattant tandis que sa grand mère la portait à bout de bras pour la mettre au lit.
- Non, non pas tout de suite !
Elle battait des pieds, euphorique, ses petites roues rebondies étirées par son sourire.
- Tes parents seront rentrés que tu ne seras même pas couchée.
Le couple Bettcheller avait décidé de passer une soirée en amoureux, laissant Torielle aux mains attentionnées de sa grand mère. Depuis sa naissance, elles passaient souvent des moments rien que toutes les deux. Elle s'aimaient tendrement. Torielle n'oublierait jamais son regard sévère mais si attendri lorsqu'elle posait les yeux sur sa petite fille. Ses cheveux toujours tirés en arrière, les rides aux coins de ses yeux bleus.
- Mais je veux encore jouer avec toi !
Elles avaient abandonné leur partie de cache cache au profit d'une bonne nuit de sommeil.
- Demain Sauna, demain.
La petite fille fronça les sourcils. Résignée, elle tira l'élastique qui retenait ses cheveux noirs en queue de cheval et le posa sur sa petite table de chevet. Torielle partageait la même chambre que ses parents, faute de place. Maïsie occupait celle d'à côté. A sa naissance, il avait fallu revoir l'agencement de la chambre pour pouvoir y placer un nouveau petit lit. La maison n'était pas grande, mais tout le monde s'y plaisait.
- Bonne nuit mamie, chuchota Torielle en se blottissant sous ses couvertures.
Maïsie la borda en souriant mais les coins de sa bouche se ressérèrent alors qu'elle toisait Torielle de toute sa hauteur.
- Tu t'es bien lavé les dents ?
- Oui ! s'exclama la petite en cachant la moitié de son visage sous sa couverture avec un regard espiègle.
- Et tu n'as pas intérêt à te relever. Tu dors maintenant.
- Oui !
Elle agita ses pieds sous la couette et Maïsie lui déposa un baiser furtif sur le front.
- Qu'est ce que ce sera quand elle sera plus grande...murmura-t-elle pour elle même.
Mais Torielle avait entendu.
Quand je serai grande j'aurais plein d'argent et j'achèterais une grande maison pour papa, maman et mamie.
Après que la lumière eût été éteinte, elle resta un long moment à se tourner et se retourner sur son matelas. Elle n'avait pas sommeil. Elle voulait encore être avec sa grand mère. L'écouter parler, jouer avec ses cheveux argentés.
Soudain un bruit sourd. Une exclamation de voix, une masse qui s'écrase au sol. Des bruits de pas.
- Mamie ?
Torielle avait bondi du lit, effrayée par les bruits. La nuit était sombre et froide, la lune était voilée. Peluche à la main, Torielle leva le bras pour atteindre la poignée de la porte de sa chambre. Elle déboucha directement dans la salle à manger. A droite le salon, à gauche la cuisine prêt de l'entrée. Tout était condensé dans un petit espace. Ce qui le rendait d'autant plus chaleureux. Mais pas ce soir.
Les parents de Torielle n'étaient toujours pas rentrées. La petite sentit un courant d'air. Pourtant il y avait le chauffage. Comme si quelqu'un avait ouvert une fenêtre.
- Mamie ? répéta-t-elle.
Le silence était terrifiant.
Le bruit de ses pas nus sur le carrelage sonnait comme le tic tac régulier d'une horloge. Elle serra sa peluche plus fort contre elle. Avec cela, elle avait moins peur. Mais elle avait besoin de sa mamie.
Elle était là. Étendue sur le sol devant la porte d'entrée, entre le plan de travail de la cuisine et la table de la salle à manger. Il y avait du sang, une ouverture béante sur son cou. La flaque grandissait s'élargissait, glissait vicieusement sur le parquet. Elle s'étirait pour toucher les pieds de Torielle qui recula. Un pas, deux pas.
Elle retourna dans son lit. Muette, yeux fuyants. Elle se recroquevilla sur son matelas, pieds gelés, mais elle ne pensa pas à remettre sa couverture. Elle ne pensait à rien. Elle colla sa peluche en forme de lapin contre son nez.
Et dans le froid glacial elle attendit.
Elle entendit la porte s'ouvrir doucement. Des méchants ? Non. Elle reconnu vite la voix de son père.
- Maman ! Maman !
- Qu'est ce qu'il s'est passé ? hurlait la jeune femme par dessus les plaintes déchirantes de son mari.
- Appelle la police !
- Shauna ! Sauna !
La porte de la chambre claqua et dans la vive lumière jaune se détacha la fine silhouette de Mila Bettcheller.
- Shauna !
La mère se précipita au chevet de son enfant et la serra dans ses bras. Elle versa des larmes bruyantes en balbutiant :
- Tu vas bien... Tu vas bien... Mon bébé...
Torielle ne bougeait pas. Dans les bras de sa mère, elle n'entendait que des pleurs et des hurlements. Elle n'avait pas lâché sa précieuse amie en peluche.
L'affaire fut classée comme un meurtre. Apparemment, l'assassin fut retrouvé et arrêté, bien qu'il clamât son innocence jusqu'au bout.
Deux jours plus tard, le président faisait une déclaration évoquant l'importance du retour de la paix à Algore, faisant donc par la même occasion une promotion de son tout nouveau système. Avec les hôtes, la population n'aurait plus à subir de nouvelles pertes tragique de ce genre. Et bien sûr les images horribles de cet égorgement à l'arme blanche firent le tour des médias, histoire de susciter encore plus de terreur chez la population.
Ce meurtre fut comme par hasard une aubaine pour le président.
*
- On part maintenant.
- Quoi ?
La jeune fille avait les yeux écarquillés et sa mâchoire manqua de se décrocher.
- Je sais que ça fait beaucoup à accumuler, mais on doit partir.
Mila Bettcheller se leva, le visage grave, laissant sa fille abasourdie sur le bord de son lit.
- Mais je ne me suis pas préparée ! Je n'ai pas dit au revoir à mes amis et...
- Je sais, Shauna, je sais. J'ai décidé de tout te dire maintenant. Pour ne pas que tu aies à réfléchir ou à regretter. C'est une décision que j'ai prise avec ton père. On part maintenant.
Torielle sentit sa mâchoire trembler.
- Alors c'est pour ça que mamie a été assassinée quand j'étais petite...
Elle sentit les larmes monter. Elle aurait pu s'attendre à ce que sa mère la serre dans ses bras. Au lieu de sa elle resta debout plantée face à sa fille.
- Et maintenant c'est nous qui sommes en danger.
- Pourquoi ne pas m'avoir tout dit avant ? Pourquoi ne pas être partis juste après la mort de mamie ?
Torielle était au bord de la crise de nerf. Mila tremblait d'angoisse et d'impatience, pourtant son regard était plus froid que la glace.
- Parce que nous ne savions pas encore l'ampleur qu'allait prendre ce projet. Et nous n'avions pas assez d'argent pour la traversé.
Mais aujourd'hui, Connor Bettcheller avait amassé assez d'argent pour payer le bateau qui les emmènerait de l'autre côté de l'océan.
- On va vraiment sur le continent ?
- Oui.
Torielle plongea sa tête dans ses genoux. C'était trop. Elle ne pouvait plus se retenir. Elle pleura malgré tous ses efforts pour retenir ses larmes. Ses muscles étaient crispés par la tension, elle n'arrivait même plus à réfléchir.
- Ils ne nous accepteront jamais...
Mila posa une main sur le bras que Torielle avait entouré autour de ses genoux repliés contre sa poitrine.
- Ce n'est qu'une idée reçue. Nous restons des êtres humains comme eux et aucun de nous trois n'a fusionné.
Torielle n'en était pas convaincue. A l'école, on lui rabâchait qu'après le référendum, les élections et la déclaration d'indépendance, le continent avait commencé à vouer une haine noire envers Algore et ses habitants. Elle n'était pas rassurée.
L'école... Elle s'apprêtait à laisser quinze ans de vie derrière elle. Des souvenirs s'étaient construits sur cette île. Bons ou mauvais, elle ne voulait pas les quitter.
- Je ne veux pas partir...
- Je sais que tu rêvais de fusionner. Cette idée nous a fait mal avec ton père pendant très longtemps. Maintenant tu comprends enfin mes véritables enjeux derrière ce système. Crois moi, le mieux est de partir.
- Vous ne faites ça que pour sauver votre peau ! Vous n'avez qu'à partir, moi je reste.
La gifle fusa aussi rapidement qu'un courant d'air. Torielle passa une main sur sa joue brûlante. Les yeux de sa mère lançaient à présent des éclairs. La jeune fille remarqua alors à quel point ils étaient creusés. Si elle ne côtoyait pas sa mère, elle aurait pu croire qu'elle était malade.
- On part maintenant.
Torielle n'avait jamais vu sa mère aussi violente. Et aussi inquiète.
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