Le danger des sentiments
Torielle
- Bellamy je peux t'emprunter un pull et un pantalon ?
- Tu es plus grande que moi.
- Ça fera l'affaire.
Ils avaient convenu qu'Athéna continuerait de se reposer avant de leur expliquer tout ce qu'elle savait. En attendant, Torielle avait décidé de faire un petit tour.
- Où est ce que tu vas ?
- Me promener.
Bellamy était sceptique, sans surprise. Il comprendrait, plus tard. Elle se changea dans la salle de bain et revint avec son sweat blanc à capuche sur les épaule et un jean un peu large, mais qui épousait finalement à merveille ses jambes musclées.
- Tu ne veux pas attendre ? Il fait un temps désastreux.
En effet, la pluie martelait le toit et les baies vitrées de Bellamy depuis un moment déjà.
- Je raserai les murs.
Sa voiture était restée chez elle. Bien loin d'ici.
- Vous ne voulez vraiment pas me dire ce que tu vas faire ?
- J'ai des affaires à régler.
Elle claqua alors la porte derrière elle, sans un regard en arrière. Elle mit sa capuche sur sa tête, dissimulant sa queue de cheval à l'intérieur. Les mains enfoncées dans ses poches et tête basse, elle se mit à progresser rapidement sous le temps pluvieux.
Elle arriva au Service de Protection complètement trempée. Elle pria pour ne pas croiser le lieutenant.
C'est justement sur lui qu'elle tomba à l'accueil.
- Agent Perkins ! Où étiez vous passée ?
Il mit fin à la discussion qu'il avait entamée avec le secrétaire et quitta le large bureau pour se tourner vers Torielle.
- Je travaille, se défendit-elle d'un ton morne.
- Ce n'est pas une raison ! Tout le monde vous cherchait pour entendre votre témoignage quant au suicide de Judith Livier.
- Je n'ai rien à dire, coupa Torielle.
Rien à part "Judith ne se serait jamais suicidée, Domoto l'a assassinée". Elle décida de garder ça pour elle.
Sur ces mots, elle dépassa Richard sans rien ajouter.
- Où allez vous ? s'écria-t-il.
Il ne savait plus quoi dire.
- Me retirer de ma mission, j'aurais plus de temps à vous accorder ainsi.
- Que...
Il resta sans voix tandis que Torielle s'engouffrait dans l'ascenseur à gauche de l'accueil. Il s'arrêta au premier étage, à son plus grand désespoir, Steve y entra.
- Perkins, quelle surprise.
Il allait au troisième lui aussi.
Elle était adossée contre le mur du fond de la cage métallique et soupira.
- Bonjour Blake.
- Qu'est ce qui vous amène ici ?
- Ça vous regarde ?
- Oui puisque tout le monde vous cherche depuis des jours.
Il la toisait avec suffisance de son regard de glace, sous ses mèches blondes. Il aurait pu être beau, sans ce regard haineux et cette attitude hautaine.
- Le président est ici ?
- Il vient d'arriver. Un problème Perkins ?
Elle sourit. Il allait enfin avoir l'occasion s'exprimer sa supériorité sans faille.
- Je jette l'éponge.
Elle avait toute son attention.
- Vous ?
- Oui. Je n'ai pas réussi à mener à bien la mission qui m'a été confiée.
L'ascenseur arriva au troisième.
- Après vous, l'incita Torielle en tendant sa main vers les portes ouvertes.
Ils sortirent l'un derrière l'autre.
- Je ne vous croyais pas capable d'abandonner une mission.
- Ne faites pas semblant Steve, vous allez peut être pouvoir me remplacer. Vous qui en rêvez.
Il se faisaient face dans le couloir. Torielle dos au mur. Steve plaqua alors sa main contre la paroi froide au dessus de l'épaule de la policière. Il était bien plus grand qu'elle, il la surplombait, mais elle n'en était nullement impressionnée.
- À quoi vous jouez ?
- Je n'ai pas à vous répondre.
Elle voulu l'esquiver, mais il tendit alors son autre bras, l'emprisonnant entre lui et le mur.
- Je vous retourne la question, à quoi vous jouez ?
Elle croisa les bras et arqua un sourcil. Steve bouillonnait.
- Vous n'auriez pas abandonné sans une bonne raison. Vous avez encore un plan pour m'humilier c'est ça ?
Elle secoua la tête, le regard rempli de dégoût.
- Vous ne pensez donc toujours qu'à vous. C'est désolant.
- Ne m'insultez pas.
Il avait son corps désormais proche de celui de Torielle.
- Laissez moi.
Il serra la mâchoire, mais ferma les yeux, sûrement en train de se retenir de lui coller son poing dans la figure.
- Depuis que je suis arrivé, et que j'ai obtenu le poste d'officier, vous n'arrêtez pas de me mettre des bâtons dans les roues. C'est à se demander si je vous ai fait quelque chose.
- Vos compétences sont tout simplement inférieures aux miennes.
Et moi j'ai prouvé ma loyauté, pensa-t-elle.
Il lui saisit violemment les cheveux pour lui tirer la tête en arrière. Torielle serra les dents.
- Une femme n'aurait même pas dû avoir le privilège d'accéder au poster d'officier, tonna-t-il entre ses dents.
La femme le poussa en arrière, et il lui lâcha les cheveux.
- Vous êtes pathétique.
- Je sais qu'il se trame quelque chose dans cette ville, et je sais que vous êtes au courant. Mais ni vous ni Richard ne pourrez me le cacher plus longtemps, lança Steve.
Il était frustré de ne pas être dans la confidence, frustré qu'elle en sache plus que lui.
Et elle tourna les talons pour s'enfoncer dans le couloir du troisième étage. Steve lui faisait penser à Matthieu. Elle frissonna rien qu'à cette idée et tenta de la chasser de son esprit.
À présent, elle n'avait plus aucun allié au Service de Protection.
Elle toqua à la porte du bureau. Là où Judith était morte. Elle tenta de faire le vide dans son cerveau torturé.
Il l'autorisa à entrer.
- Votre relation avec Steve Blake est très orageuse.
Torielle se figea. Le chic pour déstabiliser à peine la porte franchie, comme toujours. Comment avait-il fait pour les entendre ? Ou alors s'était-il renseigné auprès de Richard ?
- J'espère que cela ne vous rappelle pas quelques mauvais souvenirs.
Domoto tourna sur sa chaise roulante et ses deux iris oranges croisèrent ceux charbons de Torielle. Il souriait, de petites rides se formèrent au coin de ses yeux. Pourtant son regard était assassin. Torielle esquissa un mouvement de recul, mais fronça les sourcils.
Ne pas perdre la face.
- Alors il se fera un plaisir de prendre ma place, lâcha-t-elle avec froideur.
Son cœur s'emballa tout de même. Elle avait en face d'elle celui qui avait voulu la contrôler, l'utiliser comme une marionnette, s'emparer de son esprit. Elle se sentait mise à nu. Elle savait que le président y pensait aussi en la détaillant de la tête aux pieds.
Domoto haussa un sourcil, sans perdre son sourire.
- Je me retire de la mission.
Il hocha la tête.
- Très bien, souffla-t-il en se levant de sa chaise. Je transmettrai le message au lieutenant Richard.
Vif comme l'éclair, il se retrouva près de Torielle, et saisit son bras, sans qu'elle n'ait eu le temps d'esquisser un mouvement. Surprise, elle bloqua sa respiration, et tout son corps se raidit. Debout, quasiment l'un contre l'autre, Domoto approcha son visage de l'oreille de la policière.
- Vous êtes bien inconsciente de vous présenter ainsi face à moi.
Ne pas perdre la face, se répéta Torielle. Car c'était uniquement ce qu'il recherchait. Sa respiration s'accélèra cependant malgré elle.
- Je sais que vous l'avez trouvée. Je sais que vous me mentez.
Torielle sourit.
- Mais vous l'avez bien vu, vous ne pouvez rien faire.
Et Torielle savait se défendre. Cet homme avait beau se montrer imposant, sa jeunesse était loin derrière lui. Il se recula de son oreille pour toiser la femme. Son regard suffisant trahissait à présent son agacement.
Il lâcha son bras. Torielle sentit son sang se remettre à circuler normalement. Elle inspira bruyamment.
- C'est tout ce que vous aviez à me dire ?
Il avait retrouvé son attitude de président. Comme si rien ne s'était passé. Torielle hocha la tête, menton haut, et disposa.
Une fois dans le couloir, elle se mit à marcher vite, presque à courir. Elle ne reprit pas l'ascenseur. Enfermée dans la cage d'escalier, elle reprit son souffle. Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu'elle en avait mal. Une main crispée entre ses seins, elle se laissa tomber sur une marche d'escalier, la respiration sifflante.
Domoto ne pouvait rien faire, mais s'il envoyait des sbires après elle, elle allait devoir se montrer prudente.
Calmée, elle se mit à descendre lentement les marches. Arrivée au deuxième, elle poussa la porte du couloir en s'engagea dans l'allée de droite. Au fond se trouvait une porte. En tant qu'officier, elle avait accès aux archives. Elle sortit les clés de la poche du pull de Bellamy et s'engouffra discrètement à l'intérieur de la pièce. Le poste était presque vide à cette heure là.
Les néons grésillèrent mais finirent par s'allumer un à un dans la grande salle. Les étagères remplies de coffres allaient jusqu'au plafond et ça sur des dizaines et des dizaines de rangées. Torielle s'orienta difficilement, elle était rarement venue ici.
Les habitants d'Algore étaient nombreux, mais ce n'était qu'une île. La pièce avait largement la capacité de contenir une dizaine de dossier par personne. Ils étaient actualisés tous les cinq ans.
Elle trouva enfin le coffre qui l'intéressait. Septième en partant du bas, elle dut se hisser sur la pointe des pieds pour l'ouvrir et y récurer tous les dossiers. Il y en avait cinq ou six, depuis que le docteur Leuvis était entré en fonction, jusqu'à l'année dernière. Elle prit le dernier, le plus récent. En feuilletant, elle tomba enfin sur la liste de ses associés.
Hôpital de la place de Décembre. Le seul à Algore où étaient réunis la majorité des médecins de l'île. Ses yeux parcoururent la liste rapidement.
Neurologue. Stéphane Clément. Elle retint immédiatement. Elle aurait pu fermer le dossier immédiatement, mais elle ne put s'empêcher d'en lire la toute première page.
Docteur Leuvis, chirurgien de talent à l'hôpital de la place de Décembre. Femme enseignante et fils sans emploi, lié il y a quelques années à une affaire de violence sexuelle.
Torielle referma le dossier. Cette affaire était tout de même évoquée quelque part, à défaut d'avoir abouti.
Elle referma le coffre et changea de rayon.
Elle trouva rapidement l'étiquette Stéphane Clément.
Docteur Clément, neurologue récemment installé à l'hôpital de la place de Décembre. Célibataire, parents tenant un bar sur le boulevard 9B. Loge au numéro 96 de l'avenue 3F.
C'était suffisant. Torielle sortit de la salle des archives et redescendit à l'accueil. A part le secrétaire, elle n'avait croisé personne. Il pleuvait toujours dehors. Tant pis.
Mains enfoncées dans les poches elle ressortit et se remit à marcher d'un pas ferme vers le boulevard 9B.
Le bar était facilement repérable. Seule enseigne à être allumée sous ce déluge, et Torielle s'y précipita. Une petite clochette tinta à son entrée. Elle laissa derrière elle de larges flaques sur le parquet ciré. Elle était complètement trempée. La chaleur de l'endroit et sa lumière aux tons orangés réchauffèrent Torielle.
Elle regarda autour d'elle. Des tables rondes étaient installés un peu partout dans la pièce, un billard trônait au milieux. Les gens buvaient, riaient, mais le bruit ambiant n'était pas accablant. Certainement tous les habitués du coin.
À droite, un large bar en bois longés de hauts tabourets. De l'autre côté du bar, un homme et une femme s'afféraient tantôt à servir les personnes assises au bar, tantôt à nettoyer des verres sales. Ils étaient déjà assez âgés. Certainement les parents de Clément.
La policière pensait qu'elle aurait à récolter des informations auprès d'eux, pour savoir quand leur fils venait leur rendre visite, s'il avait des endroits de prédilection... Mais il s'avérait qu'il était là. Enfin, Torielle s'imaginait que c'était lui. La trentaine, l'air intelligent, le regard malicieux derrière ses lunettes rectangulaires, un doux sourire aux lèvres. Le nez parsemé de tâches, des cheveux bruns frisés qui lui retombaient sur le front. Il était de profil à Torielle, discutant gaiement avec son père assis sur un tabouret, le coude posé sur la table, le poing sous le menton.
Elle s'assit près de lui.
- Un café s'il vous plaît, glissa-t-elle à la patronne qui rangea le verre qu'elle tenait entre ses mains dans un tiroir sous le bar.
- À cette heure ? plaisanta l'homme à côté d'elle qui acheva sa discussion avec son fils.
- C'est pour me réchauffer, se justifia Torielle en souriant.
Elle appuya à son tour ses bras contre le bar, assise au bout du tabouret.
- Le whisky aussi ça réchauffe ! s'exclama-t-il sous sa moustache blanche.
Torielle s'était calmée sur le whisky depuis quelques années.
- Arrête de faire peur aux clients, le gronda sa femme en faisant couler son café.
Torielle sourit, mais son attention fut perturbée.
- Vous êtes trempée.
L'homme à sa gauche venait de lui adresser la parole. Tant mieux, elle n'aurait pas à le faire en premier.
Son regard vert la saisit. Il était obscur, mais profond. Les tâches sur son nez étaient très regroupées et formaient un amas brun désorganisé. Il sourit. Ses lèvres étaient pulpeuses.
- Je n'avais pas de parapluie.
- Vous allez attraper froid avec ces vêtements, enchaîna-t-il d'une voix douce.
Il se leva de son tabouret.
- Venez, le café attendra un instant.
Elle le suivit, hésitante. Il l'emmena en direction des toilettes. Il s'arrêta devant la porte et ôta sa grosse veste grises de ses épaules. En dessous se dévoila une chemise blanche bien repassée. Il devait sortir du travail.
- Tenez, enlevez votre pull et prenez ma veste.
Torielle ne sut quoi répondre.
- Je...
- N'essayez pas de discuter. Je ne voudrais pas vous voir vous enrhumer.
Elle le remercia d'un sourire et partit se changer dans les toilettes au fond du bar. Ce dernier n'était pas bien grand, tout juste la place pour une grande salle avec une dizaine de tables et un bar ainsi qu'une petite arrière boutique.
Une fois dehors, le pull de Bellamy sous le bras et la veste de Stéphane sur le dos, elle retourna s'asseoir près de lui pour boire son café fumant.
- Je vous remercie.
- Ce n'est rien, balaya-t-il en agitant sa main.
- Je m'appelle Torielle Perkins, se présenta-t-elle, sa tasse entre ses mains froides pour les réchauffer.
- Stephane Clément. Mais tout le monde m'appelle Steph' ici.
Et c'est ainsi qu'ils discutèrent une bonne partie de l'après midi jusqu'au milieu de la soirée.
- Qu'est ce que vous faites dans la vie ?
- Je suis neurologue à l'hôpital. Ça fait deux ans que j'occupe ce poste.
Elle le dévisagea. Elle ne savait vraiment pas quel âge lui donner.
- J'ai fait douze ans d'études. J'ai trente deux ans cette année.
L'âge de Judith, songea Torielle.
- Et vous ? l'encouragea-t-il.
- Je suis flic.
Il arqua un sourcil, visiblement impressionné.
- Je suis en train de passer un interrogatoire depuis tout à l'heure ?
- Peut être êtes vous sur ma liste des suspects, plaisanta Torielle.
Ce n'était pas entièrement faux. Elle l'avait pris pour cible.
- Vous êtes sur une affaire particulière ?
Torielle se pinça les lèvres. Quelle ironie, elle qui venait de léguer sa mission quelques heures plus tôt.
- Non, pas pour le moment.
- Vous prenez du bon temps.
Amusée, Torielle hocha la tête.
- Bon, je suis ravi de vous avoir rencontré Torielle, souffla Steph', mais je dois vous quitter. Je commence tôt demain.
Il ajouta le geste à la parole et se leva.
Torielle s'affola. Elle ne devait pas le laisser partir.
- Attendez ! Et votre veste ?
- Vôtre pull est encore mouillé. Gardez là et vous me la rendrez un autre jour. Mon cabinet est à l'hôpital vous ne pouvez pas vous tromper.
C'était un appel pour se revoir, Torielle l'avait perçu. Mais elle n'allait pas lâcher l'affaire maintenant.
- Il pleut encore dehors ?
La nuit était tombée. Stéphane, près de la baie vitrée, se pencha pour observer le ciel noir.
- Satanée pluie, elle ne cessera jamais.
Torielle fit la moue.
- Au fait, comment comptez vous rentrer ? s'enquit le neurologue.
Touché.
- À pied je suppose. Je suis venue sans ma voiture.
Il n'hésita pas un instant.
- Je vous dépose alors. Et comme ça je pourrais récupérer ma veste.
Avec un sourire complice, ils sortirent tous les deux sous la pluie battante. La voiture grise se trouvait sous la lumière d'un réverbère. Une fois à l'intérieur, Torielle secoua ses cheveux humides et ferma brusquement la portière pour éviter que la pluie ne rentre. Stéphane s'écroula sur le siège conducteur d'à côté.
Très chic, songea Torielle en étudiant l'intérieur du véhicule.
- Il ne fait pas chaud du tout pendant les nuits comme celle là, grelotta l'homme en se frottant les mains. Où est ce que je vous pose ?
Elle ne répondit rien. Le regard fixé sur le pare brise, Stéphane resta immobile un instant, attendant une réaction. Il tourna la tête vers elle, voyant qu'elle restait muette.
Torielle plaqua alors sa bouche contre la sienne. Elle sentit la main de Stéphane se glisser dans ses cheveux. La voiture fermée faisait résonner leurs respirations saccadées. Lorsqu'ils se détachèrent enfin, Stéphane, toujours penché vers elle, parvenait difficilement à dissimuler son sourire.
- Je ne suis plus aussi sûr de vous laisser rentrer chez vous.
Il habitait un quartier à proximité de l'hôpital. A peine la porte fermée derrière eux, Stéphane se jeta sur le corps de Torielle. Emprisonnée contre lui, elle sentit de nouveau ses lèvres venir capturer les siennes.
Leurs vêtements mouillés s'écrasèrent au sol et Torielle le tira par sa chemise déboutonnée sans cesser de l'embrasser. Ils tombèrent l'un sur l'autre sur le lit.
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