15. Piège (1)
- Je vais te changer tes pansements.
Lara se laissa faire. A mesure que les sparadraps tombaient au sol, je remarquai que ses blessures allaient relativement mieux. Intriguée, j'avançais ma tête vers une large balafre qui traversait son bras.
- On dirait vraiment du sang.
Pensant qu'elle allait encore me sortir une remarque cinglante sur le fait que les hôtes étaient plus humains qu'ils ne le laissaient paraître, je levai les yeux vers elle.
Elle ne répondit rien, le regard fixe devant le vide qui s'étendait autour de nous. Presque déçue, je fis un tas avec les bandelettes usagées et m'écartai, tête baissée :
- Voilà je pense que tu n'as plus besoin de pansements.
Je ne faisais presque plus de rêves en ce moment. La plupart de mes nuits étaient rythmées par mes rencontres et mes discussions avec Lara. J'aimais bien qu'elle m'explique comment fonctionnaient les hôtes et quel était leur mode de vie sur le Nuage. Mais je savais bien qu'elle ne me racontait pas tout.
- Au fait, tu m'as dit que tu n'avais pas de nom.
Elle planta ses yeux jaunes dans les miens. J'avais un ton plus froid que d'ordinaire.
- Sur le Nuage, je me faisais appeler Ambre.
- A cause de... commençai-je en désignant ses deux orbites incandescentes.
Elle hocha la tête.
- Pourquoi tu n'as pas voulu que je continue à t'appeler comme ça ?
Sans le vouloir, je continuais à être fascinée par mon hôte. Ce n'était qu'un être technologique, créé à partir d'un ordinateur, et aujourd'hui elle se retrouvait devant moi, à me faire part de ses envies, ses doutes et ses craintes. Comme un humain. Je pansais ses blessures avec de l'antisceptique et des sparadraps créés de mes mains par je ne sais quelle magie. Et je me rendais compte qu'elle pouvait être plus dangereuse que ce que j'avais imaginé. Voilà la responsabilité de cohabiter avec un hôte illégal.
- Parce que je te méprisais au début. Je méprisais tous les humains, et je venais de perdre la seule personne qui ait créé en moi des sentiments nouveaux. Cette personne qui m'a baptisée Ambre.
Je comprenais mieux, pourquoi elle avait voulu garder ce nom secret. C'était quelque chose entre elle et la personne qu'elle avait soi disant perdu.
- L'hôte de Bellamy, c'est ça ?
Elle cligna des paupières.
- Oui, Cyan.
Pour les yeux bleus.
- Nous avons été séparés lors de sa fusion, continua-t-elle.
Voyant qu'elle ne poursuivait pas, je soufflai, résignée.
- Un jour peut être tu me raconteras ce qu'il s'est passé pour toi sur le Nuage.
- Un jour, oui peut être, marmonna-t-elle.
Les mots me brûlaient, au fond de la gorge. Je n'étais pas une personne franche, je ne l'avais jamais été. Mais ces derniers jours, j'avais appris à m'affirmer, à dépasser ce que j'ai toujours cru être. Une pauvre gamine conditionnée par ses parents, et avec un frère qui ne lui répondait plus, condamnée à rester dans l'ombre à tout jamais.
- Qui me dit que tu ne reprendras pas le contrôle de mon corps une nouvelle fois, sans mon autorisation ? tonnai-je, les poings tremblants.
Elle tressaillit. Mais je n'osais pas la regarder en face.
- Tu n'as pas mérité ce que je t'ai fait subir. Je suis vraiment désolée, Athéna.
Elle ne cherchait même pas à se justifier.
- Est ce que tu l'aimes ?
Cette fois ci, je me forçais à lever les yeux, encore, et encore, pour enfin atteindre son regard.
- Qui ?
- Cyan.
Je ne pensais pas les hôtes être capable de ressentir l'amour, mais les évènements de ces derniers jours m'avaient fait comprendre que tout ce que j'avais cru penser jusque là, ne s'avérait pas toujours vrai. Elle rentra sa tête dans ses épaules :
- Oui, oui je crois.
Ma colère se dissipa plus vite que ce que j'avais prévu. Je m'approchais d'elle à grands pas pour lui attraper les mains :
- C'est injuste que tu sois coincée ici alors que moi je peux faire tout ce que je veux.
Mon cœur se gonfla. Elle était là. Je sentais ses mains dans les miennes, leur chaleur. Elle avait une conscience, la même que nous, un cerveau, conçu comme les humains. Un cœur, peut être encore plus remplis que certains hommes. Elle était un être à part entière. Je le sentais, sa vie pulsait aussi dans mes propres veines, dans les profondeurs de ma boîte crânienne. Au cœur de mes émotions. Et pourtant, elle n'avait aucun de tous nos privilèges. Quelle injustice.
Sourcils froncés, je la vis hésiter, son regard jaune perdu dans le vide, puis elle se ressaisit :
- C'est le devoir d'un hôte.
- Tu ne peux pas rester éternellement...
- C'est comme ça ! tonna-t-elle.
J'entendais nos respirations sifflantes se mêler l'une à l'autre. Un sentiment me serrait le cœur, le même qui me hantait et tournai en boucle dans mon esprit depuis l'accident de Benjamin. J'étais encore impuissante, et même si ma détermination pour l'aider était louable, je ne pouvais rien faire.
- Il doit bien y avoir une solution.
Lara eu alors un sourire de dégout plaqué sur le visage :
- Tu serais prête à te séparer de moi ?
Un violent tremblement remonta mon échine. La respiration altérée, je m'imaginais reprendre une vie sans hôte, sans Lara avec moi. J'eus alors l'impression qu'on creusait mon cœur avec une pioche acérée, qu'on m'enlevait ma raison de vivre, et qu'on laissait le trou béant à l'air libre, sans le reboucher.
- Et toi ? questionnai-je. Te séparerais-tu de moi sans hésitation ?
La seule chose qui me répondit fut la froideur de ma chambre. Yeux grands ouverts, rivés sur le plafond, je pris une grande inspiration. Lara avait coupé le lien. Les draps emmêlés autour de mes pieds, je tournai la tête vers ma table de chevet. Une photo de Ben trônait, sans cadre ni vitre. Juste un morceau de papier posé en équilibre contre mon réveil.
- Ben...
A mesure que mes sanglots emplissaient la pièce, certains démons s'immiscèrent et tournèrent autour de moi comme des vautours prêt à m'engloutir.
"Eh le nouveau, ça t'amuse de me ridiculiser devant ma copine ?"
"Tes petites lunettes d'intello ne te sont pas bien utiles maintenant hein ?"
"Petit merdeux !"
"Tu vas voir ce que ça fait de désobéir, t'aurais pas dû t'enfuir quand je t'ai demandé d'aller me payer mon repas"
Ils étaient au moins cinq ou six, tous baraqués comme des armoires à glace. J'aurais pu, j'aurais dû intervenir plus tôt.
"Eh les gars, je vois de la lumière là-bas, on se tire !"
Quand j'étais sortie de l'ombre, c'était trop tard. J'ouvris brusquement les yeux, essayant de me défaire de ces souvenirs et de mes scrupules. Allongée sur le côté, je vis un corps dormir tout prêt de moi. C'était Benjamin, le visage en sang et ses yeux bleus grands ouverts qui me fixaient sans lueur. Je poussai un cri à en réveiller un mort et en tombai de mon lit. Les genoux écrasés sur le sol, je me pris la tête dans les mains.
- Athéna calme toi, ce n'est qu'un rêve.
- Laisse moi tranquille ! hurlai-je en battant l'air avec ma main comme si je pouvais la chasser ainsi.
- Détends toi.
La tension si forte qui m'habitait disparut aussi rapidement qu'un claquement de doigt.
- Non je ne veux pas aller mieux, je veux souffrir autant qu'il a souffert !
Me forcer à faire revenir ma douleur ne servait à rien, Lara contrôlait tout.
- Ce n'était pas de ta faute.
- Qu'est ce que tu en sais ?
Question inutile, elle savait tout, et je n'avais pas besoin de lui dire. Mais ce n'était pas pour ça qu'elle avait raison pour autant.
- Ne laisse pas cet évènement t'enterrer dans la faiblesse.
Les jambes repliés contre ma poitrine et ma tête dans les genoux, je me laissai le temps de me calmer. Je sentais que Lara n'intervenait plus, ni dans mon esprit ni sur mes émotions. Elle me manquait déjà.
N'y pense plus. Ben ne voudrait pas que tu te laisse aller comme ça, pensais-je avec toute la conviction possible.
J'essuyais mes larmes, et de la photo de mon frère, mon regard se perdit vers mon réveil. Il était dix neuf heures passées, j'avais dormi plus d'une demi journée.
Quelqu'un toqua brusquement à ma porte. Mon sang ne fit qu'un tour. Je restai immobile, attendant qu'on me dise : Police, ouvrez nous, vous êtes en état d'arrestation ! Mais je n'entendis rien. Peut être que Torielle m'avait de nouveau retrouvée , mais qu'elle ne venait pas pour m'arrêter. Si elle l'avait voulu, elle aurait pu le faire depuis bien longtemps. Mais je sentais qu'elle voulait autre chose, qu'elle attendait bien plus de moi, et de Lara.
- Athéna ? questionna une voix étouffée.
Un mélange de soulagement et d'angoisse me compressa la poitrine. Regardant que tout était en ordre autour de moi et que je n'avais rien de suspect, je me précipitais sur la porte. Le battant à peine ouvert, je vis alors deux paires d'yeux briller dans l'obscurité et me toiser de leur hauteur.
- Papa ? Maman ?
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