13. Menace (1)
Torielle
Le cerveau de Torielle était brumeux. Elle avait l'impression de flotter, de se balancer dans le vide. Sur sa rétine, des bribes d'images floues apparaissaient et disparaissaient comme si leur seul plaisir était de renforcer le mal de crâne de la jeune policière.
- Il faut qu'on parle, murmurait une voix dans sa tête.
Ce n'était pas son hôte. Pourpre ne parlait pas pendant le sommeil de Torielle. La jeune femme reconnaissait sa voix, c'était elle même qui parlait, d'une voix pâteuse et résonnante dans son esprit.
- Matthieu on ne peut plus rester ensemble.
Une image apparut. Celle d'une jeune adolescente aux cheveux noirs en train de faire la cuisine dans son appartement.
- Je ne peux plus être avec toi.
Les voix venaient de nulle part. Comme si les paroles et les images se condondaient entre elles parmi les souvenirs.
Le paysage changea, c'était toujours la même fillette dans son pantalon large à la mode, la tête tournée vers quelqu'un qu'on ne voyait pas. Sa voix tremblait et ses yeux lançaient des appels de détresse.
- Je t'en prie arrête !
Tout devint noir. Pourtant la même voix aiguë continua d'hurler :
- Stop ! Arrête, laisse moi !
Puis un bruit sonore de verre brisé calma tout ce vacarme, et le son des débris de verre continua de résonner dans le silence.
Torielle avait toujours l'impression d'entendre ce son agressif d'une bouteille qui se brise, même lorsqu'elle se redressa. La barque ondula à cause du réveil brutal de la jeune femme. L'aube pointait à peine, le port était encore vide. Elle aperçut seuls quelques marins préparer leurs embarcations de pêche pour la journée. Ils ne l'avaient pas vue, mais elle devait vite déguerpir si elle voulait que ça continue.
Sa cicatrice à la lisière de ses cheveux de jais la lançait. Elle passa une main sur son front en grimaçant.
- Tu m'as réveillée, grommela-t-elle d'un ton accusateur.
- Non, répondit simplement son hôte.
Les hôtes étaient censés être sincère et déceler toutes les émotions et les pensées de leurs piliers pour pouvoir les apaiser. Mais cette fois, c'était Torielle qui pressentait que Pourpre lui mentait.
- Pourpre, tu as déjà oublié notre accord ?
- J'ai été formée pour te protéger.
Torielle ricana. Elle se mit debout sur la barque instable et posa un premier pied sur le quai encore sombre.
- C'est vrai que depuis que nous avons fusionné, tu as souvent honoré l'entraînement que tu as reçu, ironisa l'humaine.
- Je ne supporte pas de te voir ressasser ce genre de souvenirs.
Torielle sourit, enfin sur la terre ferme. Quelques heures plus tôt, elle se souvint d'avoir embarqué clandestinement sur un bateau au moment où il allait partir en mer. Pourpre avait réussi à localiser l'hôte d'Athéna, et Torielle et elles avaient suivi leurs traces jusqu'au port. Heureusement que le gamin n'avait pas eu la force nécessaire pour l'assommer plus longtemps. Elle ne serait jamais montée à temps sur cette embarcation, et les deux malheureux seraient peut être au fond de l'océan ou dans une prison secrète.
Néanmoins, ils l'avaient quand même abandonnée sur le port dans ce vieux cannot de sauvetage. Ils n'avaient pas dû perdre de temps pour s'enfuir et échapper à la policière.
- Ce sont ces souvenirs qui m'ont emmenée ici, justement, répondit Torielle calmement.
- Tu ne veux vraiment pas que je les efface de tes rêves ? Tu garderas tes souvenirs mais tu passeras des nuits plus tranquilles.
Torielle n'avait pas eu de nuit tranquille depuis près de dix ans. Et cela resterait ainsi.
- Pourpre, tu as intérêt à respecter notre contrat, si tu veux qu'on continue à s'entendre. Je ne veux pas que tu touches à mes souvenirs.
- C'est compris, se résigna l'hôte aux yeux mauves.
Torielle inspira profondément et marcha d'un bon pas en direction de son appartement. Le soleil léchait les toits colorés d'Algore, étendant sa lumière comme un protecteur. Mais cette ville n'avait plus besoin de protecteur, pas un de plus. Elle avait besoin d'un sauveur. Torielle aurait pu s'émerveiller devant la beauté et la simplicité d'un lever de soleil sur les rues pavées et les platanes, si elle ne détestait pas autant cette ville.
- Tu l'auras ta vengeance, souffla Pourpre.
- Nous l'aurons toutes les deux.
Pourpre ne répondit pas, et Torielle ressentit une pointe de culpabilité. Même si elle n'était pas humaine, son hôte en avait toutes les caractéristiques. Elle était plus juste et plus aimante que n'importe quel crétin de cette terre né du ventre de sa mère et pas d'une boîte de métal.
Elle arriva face à sa petite maison au bout de la rue 6W juste à côté de la caserne du Service de Protection. Lorsqu'elle avait intégré leur rang, on lui avait fourni une maison à proximité pour qu'elle puisse être sur place et disponible le plus rapidement possible. Elle souleva la pierre sous la boîte au lettre et y trouva ses clés pleines de terre.
A trois pâtés de maison, plus loin dans la rué incurvée, se dressait les lettres blanches SERVICE DE PROTECTION. La fenêtre au rez de chaussée était allumée même à cette heure matinale. Certainement le service de garde.
Le mobilier de sa maison était simple. Cinq pièces bien séparées par d'épais murs blancs. L'entrée débouchait directement sur un meurt couloir, en face la cuisine était isolée mais profitait de la lumière du salon grâce à de grandes verrières. A droite, un couloir desservait une chambre, et une salle de bain.
Torielle s'empressa d'aller rincer ses mains, chaussures aux pieds. Elle avait toujours un peu de sang incrusté dans les phalanges. Elle en profita pour analyser sa cicatrice. Si elle ne savait pas que son imagination s'amusait à lui jouer des tours, elle aurait pu croire que la grande trace blanche sur sa peau mate s'était mise à gonfler. Elle arrangea ses cheveux raides, histoire d'essayer de la dissimuler en dessous, puis elle attrapa son téléphone. Elle avait au moins quatre appels manqués de son supérieur.
- Allô Lieutenant ? demanda-t-elle lorsqu'il décrocha à son tour.
- Perkins, vous n'étiez pas censée entre joignable à tout instant ?
- Excusez moi monsieur, j'ai eu quelques affaires à régler concernant ma mission.
- Je ne cesse de vous proposer de prendre quelques brigadiers de votre unité avec vous. Ils seraient sous vos ordres. Sachez que ma proposition tient toujours.
- Merci, mais je suis capable de me débrouiller seule.
Elle ne voulait pas se coltiner des fardeaux en plus qui pourraient lui faire obstacle dans sa véritable mission.
Elle renchérit :
- C'est pour cela que vous m'avez appelée ?
- Non bien sûr que non. Vous avez rendez vous avec quelqu'un dans deux heures, je vous prêterais mon bureau.
Torielle attendit la suite, qui ne vint pas.
- Mais un rendez vous avec qui ?
- Vous verrez bien.
Il semblait un peu nerveux.
- Et arrêtez de poser des questions Perkins.
Il raccrocha, et elle regarda l'heure qu'il était. Cinq heures du matin et aucun temps de sommeil convenable depuis la veille. Elle haussa les épaules. Elle avait connu pire qu'une nuit blanche.
Elle ferma la porte de son appartement une heure plus tard, après avoir avalé un morceau et s'être changée, en essayant de cacher ses blessures.
Le Service de Protection était un immense bâtiment, en largeur ou en hauteur, où perçaient plusieurs fenêtres rectangulaires sur un béton blanc immaculé. Pas vraiment un modèle de modernité, à part peut être son toit couvert de vitres qui scintillaient sous le soleil.
Torielle entra avec sa carte magnétique. Le bâtiment s'étalait sur cinq étages. Quatre en haut et un en dessous du rez de chaussée, là où se trouvaient les salles d'entraînement. Cet endroit était le seul commissariat de la ville, et lorsqu'il l'avait fait reconstruire, Elvis Domoto avait vu les choses en grand.
La hiérarchisation au sein du Service de Protection était simple, mais très différente de celle du continent. Le membre le plus haut placé était seul, son grade était celui de directeur et il s'agissait sans grande surprise du président Domoto lui même. Venait ensuite le lieutenant, directement sous les ordres du directeur, et qui était lui même le supérieur de deux branches distinctes. L'armée de terre et l'armée de l'air. Il n'y avait pas d'armée maritime, les hélicoptères et les drones surveillaient l'océan en permanence, et les radars sous marins étaient bien assez performants pour le peu de bateaux qui circulaient.
Torielle faisait partie de l'armée de terre et en était l'officier principal, accompagnée d'une centaine de brigadiers à son service. L'officier de l'armée de l'air s'appelait Steve Blake et il détestait Torielle car elle menaçait de lui prendre son travail. En effet, le lieutenant avait jugé Torielle si compétente qu'elle avait récemment été autorisée à se mêler des affaires de l'armée de l'air en même temps que de gérer son propre travail.
Elle prit les escaliers directement sur sa gauche, recouvert d'une mosaïque miteuse aux couleurs délavées, tout comme les murs ou le plafond qui s'effritait. La salle d'entraînement elle même était presque encore plus misérable. Mais si le mobilier laissait à désirer de ce côté, la cour à l'intérieur du bâtiment venait d'être minutieusement réaménagée, et les bureaux aux étages étaient beaucoup plus accueillants qu'ici.
Torielle était presque l'une des seules à venir ici pendant son temps libre. L'entraînement des jeunes recrues se faisait plutôt à l'extérieur, qu'il pleuve qu'ils neige ou qu'il vente.
Elle slaloma entre les piliers qui soutenaient le plafond de la salle et se dirigea vers la grande étagère sur la gauche. Avec précaution, elle enfila ses précieux gants rouges et se tourna vers le premier sac de frappe qui pendait au plafond.
La sueur commença déjà à dégouliner sur son débardeur noir et le long de ses tempes, alors qu'elle cognait le sac oscillant avec toute la force qui lui restait. Sautillant grâcieusement sur la pointe de ses pieds, elle esquivait les mouvement aléatoires du gros sac de sable, et mettait en action ses poignet jusqu'à ses épaules en passant par ses coudes pour donner des coups puissants et bien placés.
Elle en avait souvent besoin. C'était l'un des premiers moyens qu'elle avait trouvé pour oublier. Oublier ce qu'il s'était passé dix ans auparavant. Déverser sa haine et les sentiment trop forts qu'elle ne pouvait pas contenir grâce à ses poings, et devenir plus forte.
Mais aujourd'hui quelque chose d'autre la contrariait. Qui donc voudrait prendre rendez vous avec elle ?
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