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+L+
Cigarette et cendres de souvenirs
Je lâchai le dernier poisson dans le seau et remontai à la surface.J'attrapai ma serviette et m'enroulai dedans pour ne pas avoir froid. J'attendis d'être un peu plus sèche et réchauffée pour enfiler un pantalon et en sweat-shirt.
Je vis Sadan s'assoir un peu plus loin et soulever une pierre, révélant un trou où une pauvre petite boite en bois qui attendait qu'on la sorte de là. Il la souleva et l'ouvrit. À ma plus grande surprise il en sortit un paquet de cigarettes et un briquet.
-T'en veux une ? me proposa-t-il.
-Non merci, je fume pas.
-Moi non plus, enfin je suis pas un fumeur régulier.
J'arquai un sourcil et lui jetai un regard perplexe.
Il émit un faible rire avant de reprendre son explication.
-On venait souvent ici avec mon meilleur ami, pour se baigner tranquilles, pour construire des cabanes - quand on était petits, ou juste pour parler. C'est notre endroit à nous, notre repère secret, comme personne ne d'en approche jamais on se l'est approprié.
-Pourquoi ne pas avoir installé un campement ici alors ?
-C'est trop loin du centre de la forêt, et si par malheur un villageois décide de passer, ça peut devenir très compliqué de s'enfuir. Et puis sur les hauteurs on peut facilement surveiller le moindre mouvement dans la forêt et au village.
Il cala sa cigarette dans sa bouche et en alluma l'autre bout à l'aide de son briquet. Pour éviter que le vent n'éteigne la flamme, il plaça sa main autour du briquet, très concentré.
Sa cigarette allumée et fumante, il posa son briquet sur la boîte et ferma les yeux en s'adossant à la roche. Cet endroit le détendait beaucoup, il se sentait totalement en sécurité, c'était son lieu à lui, son petit sanctuaire, sa petite île paradisiaque dans l'océan déchaîné qu'étaient la vallée et ses habitants.
-Il est devenu quoi ton meilleur ami ? demandai-Je après quelques minutes de silence.
Il ouvrit lentement les yeux et souffla un petit nuage de fumée qu'il regarda se dissiper.
-J'en sais foutrement rien, soupira-t-il tristement. Il veut pas me tuer ça c'est certain. Je ne pense pas non plus qu'il se doit caché dans les mines, on a failli y passer un paquet de fois là-dedans, lui plus que moi.
-Vous alliez dans les mines ? demandai-je.
Il sourit et ferma à nouveau les yeux, reprenant une bouffée de fumée.
-À une époque cette mine fonctionnait à merveille, c'était une des principales sources de revenus du village. Mon père était tailleur, et le père de Jud était un genre d'homme à tout faire. Ils se retrouvaient souvent à devoir descendre dans les mines, au début on venait avec eux. Et puis au bout de quatre ou cinq fois on a décidé d'y aller seuls quand on a commencé à comprendre l'organisation des galeries et le fonctionnement de l'ascenseur.
-Qu'est-ce que vous faisiez là-dedans ?
Une mine était un drôle de terrain de jeu pour des enfants, que pouvaient-ils bien y faire ? C'était dangereux et il devait être facile de s'y perdre !
-On visitait, répondit-il comme si c'était une évidence.
-Vous visitiez ? répétai-Je en riant.
Il sourit à son tour.
-Oui, on se baladait, on parlait avec les mineurs pour les occuper pendant leur travail, on volait du charbon parfois mais on rentrait les mains noires avec des cailloux qui ne nous servaient à rien et au final on se faisait punir.
-Et vos parents vous laissaient descendre dans la mine sans surveillance ?
-On n'était pas sans surveillance, il y avait les mineurs avec nous. Mais ils travaillaient et ne faisaient pas toujours attention à nous. Une fois ils ont poussé Jud par inadvertance et il a failli tomber du haut de l'ascenseur. Le fond de la mine et à environ deux-cent mètres, je te laisse imaginer la peur qu'on a eue ce jour-là.
-Vous y retourniez quand même ? m'étonnai-je.
-Bien-sûr ! Parfois on y allait même avec Janice, la sœur de Jud, ils sont jumeaux. Mais elle n'est pas venue souvent, trois fois je crois, et ça a suffi à la terroriser pendant des années.
-Et pas vous ?
-Disons qu'on est moins traumatisés que Jan. La pauvre... rien que d'y repenser j'ai mal pour elle.
-Qu'est-ce qui s'est passé exactement ? osai-Je demander, guettant sa réaction.
Il baissa les yeux et prit une grand inspiration.
-Tu fois déjà savoir que ces gens des mines on les appelle aussi les hérétiques, parce qu'ils ont des pratiques religieuses un peu différentes des chrétiens dits normaux. Ils sacrifient des animaux, des humains parfois, pour les fêtes religieuses où nous - personnes normalement constituées - mangeons seulement un morceau de tarte en famille après être allés prier à l'église.
Je hochai la tête lentement, Pas sûre de tout comprendre.
-Là tu dois rien comprendre, dit-il avec un petit rire. Bref, ils ont des pratiques bizarres. Des pratiques sexuelles notamment, pour faire simple ils sont tous un peu nymphomanes.
-Nymphomanes comme...
Il approuva d'un hochement de tête et continua.
-Comme les gens qui sautent sur tout ce qui bouge. Et ce jour-là « tout ce qui bouge » ça se résumait à Janice.
Il ferma les yeux et secoua fermement la tête, comme pour essayer d'effacer ce triste souvenir.
-Je peux pas te raconter la suite, mais tu devines ce qui s'est passé.
Je lui répondis que j'imaginais ce qui était arrivé à son amie dans les mines, et que je comprenais pourquoi elle n'avait plus souhaité y remettre les pieds.
Il se leva, cigarette dans la bouche et alla inspecter je ne savais trop quoi dans le ciel. Il revint et se rassit, me conseillant de me mettre à l'aise.
-L'orage arrive, on aura jamais le temps de retourner à la maison, expliqua-t-il.
Je ris à cette appellation. Une tente et un bout de bâche accrochées à une branche d'arbre n'était pas une maison, même pas une cabane. Ça ne serait jamais notre notre maison, c'était un pauvre abri construit à partir de rien, branlant, plein de terre, trempé la moitié du temps. Non, définitivement ce ne serait jamais notre maison mais c'était notre abri. Il nous protégeait de la nuit et du froid, et c'était bien là toute son utilité.
-On va avoir froid, l'air va rentrer et faire des courants d'air dans la grotte, fis-je remarquer.
-On aurait plus froid là-bas ! Et puis j'ai tout prévu ! répondit-il avec un clin d'œil.
Il bougea une pierre qui libéra une planche astucieusement peinte de la même couleur que la roche. Il est tira un long bout de métal et un rideau.
-Une tringle et un rideau ? Sérieusement Sadan ? ris-je.
-Appelle-moi Sad, tout le monde m'appelle comme ça, seuls les villageois m'appellent par mon prénom ça me perturbe que tu fasses la même chose.
Il installa sa tringle dans une pierre où un trou avait été préalablement percé. Il fixa l'autre bout de l'autre côté de l'entrée et tira le rideau.
-Un rideau ça prends le vent, fis-Je remarquer.
-Attends de voir !
Il me montra des petits anneaux fixés sur les côtés du rideau. Il revint vers sa cachette secrète et en sortit des crochets qu'il alla accrocher aux anneaux. Enfin, il alla fixer les crochets dans d'autres trous percés dans la roche. Il s'écarta pour observer son installation et - en se tournant - me le montrant en s'exclamant tout sourire :
-Tadaaaa ! Admire !
-Ingénieux, complimentai-je.
-Bien sûr que ça l'est ! Si tu savais le nombre de soirées qu'on a passées ici avec Jud ! On péchait la journée et on mangeait nos poissons le soir. D'ailleurs on va faire la même chose. Je vais chercher du bois je reviens tout de suite ! Cherche dans le trou il doit y avoir un pic en métal.
Pendant qu'il courrait chercher du bois pour faire un feu, je commençai à chercher son ustensile dans le bric à brac qu'était le trou dans le mur. Je trouvai le pic en métal, caché devant des bouteilles en verre que je ne pris pas le temps d'inspecter. J'enjambai le tas de cartons et autres objets et retournai au milieu de la grotte où Sadan avait déjà posé quelques branches. Pendant qu'il était parti je décidai de retourner dans son placard improvisé à la recherche de couvertures pour la nuit. Il me fallut déplacer pas mal d'objets lourds et inutiles pour accéder à la partie qui m'intéressait. Malheureusement je ne trouvai pas grand chose excepté une pyramide de bouteilles que - cette fois-ci - je soulevai pour en lire les étiquettes. Je remarquai bien vite qu'elles contenaient toutes de l'alcool. Sadan et son meilleur ami avaient un sacré stock.
-Tu as trouvé notre réserve, fit Sadan derrière moi.
Je me retournai brusquement et baissai les yeux, un peu gênée de me faire surprendre en train de fouiller dans ses affaires.
-Je cherchais des couvertures, me justifiai-je.
-Tu aurais dû m'attendre avant de foutre le bordel partout, dit-il d'une voix plate qui ne traduisait aucun sentiment.
Il sortit un carton solidement fermé qu'il ouvrit méticuleusement, ensuite il me jeta une couverture sans me jeter un regard. Il sortit sans m'attendre et ouvrit sa boite en bois pour y ranger son paquet de cigarettes ainsi que son briquet. Il y posa aussi son mégot et l'observa un moment. Quelque chose semblait le préoccuper mais j'étais incapable de savoir ce que c'était. Il souffla sur les cendre tombées sur la boîte et ferma les yeux un instant en soupirant.
Il avait fait s'envoler les cendres de son ancienne vie, celle qu'il ne retrouverait jamais, et pourtant cela ne semblait pas l'attrister. Son ancienne vie n'avait peut-être jamais existé, il n'avait jamais vraiment été aimé, on avait toujours cherché à le tuer. Sa vie n'avait jamais commencé, il n'avait fait que survivre.
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