-07-
Je jetai les dernières arrêtes du poisson dans le seau et me levai, totalement rassasié.
Je m'éloignai un peu du campement pour aller m'assoir sur un gros rocher où j'avais l'habitude de m'installer le soir. De là je pouvais voir les toits des maisons. J'observai souvent le toit de la mienne, je guettais la moindre lumière, le moindre mouvement autour. Mais il n'y avait jamais rien, ils croyaient la maison aussi démoniaque que moi.
-Je crois qu'ils commencent à s'habituer à la vallée, me dit Lizéa en s'asseyant près de moi.
-Non ils s'habituent au fait qu'ils ne sortiront pas d'ici avant un moment. Ils ont peur, regarde leur visage.
Elle tourna la tête et observa nos deux protégés. Malgré leur calme apparent, leurs yeux cernés et gonflés trahissaient une grande panique intérieure. Je me surpris à rire d'eux.
-Ils mourront, affirmai-Je à voix basse. Ils mourront parce qu'ils ont peur et qu'ils ne connaissent que leur petit confort bourgeois. Ils ne comprennent rien aux dangers auxquels on fait face tous les jours. Dans un jour, dans un mois, ou dans deux, ils ne feront pas long feu.
-Comment peux-tu en être aussi sûr ? Moi aussi j'étais habituée à mon petit confort et regarde-moi ! Je suis vivante !
-Tu es déjà venue ici, tu connaissais leur engouement pour la religion, tu entendais les cris la nuit. T'es-tu déjà sentie totalement en sécurité auprès de ton oncle ?
Elle hésita un instant puis secoua la tête. Son oncle était un des pire tordus de ce village. Gentil et doux en apparence, c'était en vérité un pervers psychopathe qui - malheureusement - avait été ami avec ma mère avant sa mort. C'était même lui qui avait divulgué les cachettes installés dans la maison par mon père. Toutes sauf une que mon père n'avait montrée qu'à moi. Il m'avait souvent répété que je ne pouvais faire confiance à personne et que tout le monde me trahirait, et il avait raison, en l'espace de quatre heures je m'étais retrouvé seul au monde, avec tout un village lancé à ma recherche.
Non, définitivement Lizéa n'avait jamais été en sécurité au village, pas plus que je l'avais été. Et pas plus que ma famille ne l'avait été.
-On n'a jamais été en sécurité là-bas, dis-je.
-On n'a jamais été en sécurité nulle part, rétorqua-t-elle tristement.
Elle jeta un caillou qui vint cogner un autre qui s'envola et retomba un peu plus loin dans un bruit sourd.
-Avec moi tu es en sécurité, lui assurai-je.
-Comment je peux être en sécurité avec l'homme que tout un village veut tuer ? Toute cette insécurité, tous ces massacres, toute cette folie Sadan, c'est pour toi ! C'est après toi qu'ils en ont ! C'est à cause de toi qu'on en est là !
Je baissai les yeux vers elle et lui jetai un regard noir. D'ordinaire elle ne s'énervait jamais, était toujours sereine et gentille. Et là elle avait explosé, m'avait balancé toutes les horreurs qu'elle pouvait trouver en pleine figure. Et venant d'elle cela faisait très mal. Depuis trois ans c'était bien la seule à ne pas me détester, à m'apprécier pour qui j'étais et pas pour ce qu'on prétendait que j'étais.
Je me levai et m'engageai sur le chemin montant plus haut sur la montagne.
Entre temps Lizéa avait dû se rendre compte de son erreur puisqu'elle m'appela en m'implorant de revenir.
-Tu sais quoi Lizéa ? fulminai-je en me retournant.Démerde-toi ! Vas-y ! Démerde-toi si t'es pas en sécurité avec moi ! Puisque tout est de ma faute sans moi tu devrais pouvoir t'en sortir en vie !
Je continuai mon chemin sans prêter attention aux supplications de ma compagne ni aux appels timides des étrangers. Je voulais être seul un moment, comme je ne pouvais faire confiance à personne, mieux valait me débrouiller par moi-même et ne compter sur personne.
J'arrivai au sommet de la montagne après quelques interminables minutes de montée. Épuisé et furieux, je m'adossais à un arbre et fermai les yeux en inspirant une grande bouffée d'air.
De ma position je voyais non seulement le village, mais je distinguais désormais la plage qui se dessinait au loin. Au bout de la vallée il y avait un canyon qui aboutissait à une plage, qui - elle-même - donnait sur la mer. J'avais parfois songé à m'enfuir par là mer, mais je n'avais aucun bateau, et il aurait été bien impossible de le faire traverser le canyon, réputé comme étant un des plus mortels de la région de par ses imprévisibles crues.
Chaque solution que j'avais envisagée s'était avérée irréalisable, et, désespéré, j'avais souvent pensé à abandonner, à tout lâcher et me laisser mourir. Mais il y avait Lizéa qui me faisait m'accrocher, parce qu'il fallait la protéger, parce qu'elle n'avait rien demandé et qu'elle était innocente. Je mentais donc mis en tête de vivre pour la faire sortir de la vallée et reprendre une vie normale. Et à nouveau j'hésitais à tout abandonner, car si même elle me considérait comme fautif, alors plus rien ne me raccrochait à la vie, puisque plus personne ne croyait en moi, plus personne n'avait confiance en moi et, définitivement tout le monde m'avait trahi.
Je savais qu'elle regrettait ce qu'elle avait dit, mais il y avait une part de vérité dans ses propos. Elle m'avait jeté tous ses reproches comme si elle les avait répétés pendant des années - Ce qui était probablement le cas. C'était ma faute, et elle était innocente. Cela me motiva à nouveau. C'était à cause de moi qu'elle était bloquée dans la vallée, à cause de moi que sa famille s'est déchirée, c'était à moi de la faire sortir. J'étais la cause et la solution au problème.
Ce nouveau regain d'énergie me donna plusieurs bonnes raisons de retourner au campement et passer outre la crise de colère de Lizéa. Premièrement car nous devions impérativement trouver un moyen de s'enfuir - si possible en emmenant les étrangers au passage - Et deuxièmement car Liz avait beau savoir se défendre, sans moi elle était plus en danger et plus vulnérable que jamais.
C'est donc d'un pas rapide et léger que je retournai à ma tente, à mon feu de camp, à ma compagne en colère et à mes étrangers en panique.
Quand j'arrivai, le feu perdait de son intensité et le seau à poissons était vide.
En avançant un peu je pus apercevoir les étrangers perfectionner la tente que je les avais aidé à construire avec un vieux rouleau de tissu.
-N'hésitez pas à rajouter du tissu, leur conseillai-je du ton le plus agréable dont j'étais capable. Ça vous protégera mieux du froid et de la pluie. Et ne vous en faites pas pour la quantité, on a ramené trois rouleaux.
Le couple se retourna et me fixa quelques secondes, un mélange d'incrédulité et de joie peint sur leurs visages poussiéreux.
Je les dévisageai et demandai :
-Bah quoi ? Pourquoi vous faites ces têtes ? Vous aviez vraiment cru que j'allais vous lâcher comme ça ?
Ils s'entre-regardèrent puis me lancèrent un regard coupable, signifiant qu'ils avaient réellement cru que j'étais parti pour de bon.
-Je comptais pas partir, c'est le seul endroit à peu près sûr du coin, assurai-je.
J'entrai dans leur tente et les aidai à rajouter du tissu, j'eus d'abord du mal à m'habituer à l'obscurité.
-Tu m'étonnes que la lumière du jour a du mal à te réveiller l'étranger ! ris-je. Ce tissu est tellement opaque qu'il ne laisse passer aucune lumière. Je comprends même pas pourquoi mon père avait autant de tissu comme celui-ci.
-Que faisait votre père avec du tissu ? demanda gentiment la dame.
-Tutoie-moi, je suis plus jeune que toi d'au moins vingt bonnes années. Mon père était tailleur, pourquoi ?
-Ma mère était tailleuse aussi, m'expliqua-t-elle. Elle m'a appris beaucoup de choses en matière de couture. Ça pourrait peut-être vous êtes utile.
J'allais répliquer et lui demander à nouveau de me tutoyer mais abandonnai l'idée en poussant un soupir amusé.
-Ça m'intéresse, dis-moi.
-Je peux faire des sacs, pour transporter des armes, de la nourriture. Des vêtements avec des capuches, ce tissu est plutôt épais et ne laisse pas passer beaucoup d'eau, ça vous permettrait de partir les jours de pluie sans être trempé outre mesure.
Je hochai la tête en souriant.
-Tu parles pas souvent mais quand tu le fais c'est pas pour rien ! Je t'aime bien toi ! De quoi as-tu besoin ?
-D'aiguilles, de fil et d'un mètre si possible.
-Je te trouve ça très rapidement ! Bouge surtout pas !
Je me précipitai dans ma tente et commençai à fouiller les différents sac entassés au fond.
-Sad ? T'es revenu ! fit Liz derrière moi.
Mon sourire disparut, j'avais beau savoir que Lizéa s'en voulait et qu'elle ne pensait rien de ce qu'elle m'avait dit, au fond je lui en voulais quand même. Bien que la situation fut réjouissante je dus rester froid et lui rappeler que j'étais fâché contre elle.
-Je comptais pas partir, répondis-Je nonchalamment sans lever les yeux vers elle.
-Je sais, désolée pour tout à l'heure, j'aurais pas dû te dire tout ça je le pensais pas.
-On a d'autres priorités maintenant !
-Je suis pas sûre de comprendre.
Je me levai et là regardai un instant.
-Je descends au village, j'en ai pour une heure ou deux, bouge pas d'ici et aide les étranges avec leur tente.
-Qu'est-ce que tu vas faire ?
-Pose pas de questions ! Tu verras !
-Mais Jane et Terrence n'ont pas besoin de moi ! Regarde ils se débrouillent déjà t'es bien tous seuls ! Je viens avec toi !
Je soupirai et lui ordonnai sèchement de s'armer.
-On va chercher le matériel de couture de mon père, expliquai-Je après quelques minutes de marche. Elle pourrait nous faire des sacs, des manteaux, ça pourrait bien nous rendre la vie un peu plus facile.
-On risque de se faire tuer pour trouver du fil et une aiguille ?
Je lui adressais un regard désolé et répondis :
-Au point où on en est on n'à plus rien à perdre.
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