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Chapitre 46 - Utopie déchue (partie I)


Une éternité aurait pu s'écouler, elle l'aurait vécu comme de courtes secondes.

Il faisait noir, doux, chaud. Les souvenirs se mélangeaient dans des tourbillons de couleurs, des constellations d'images, de visages, de paysages. Elle les observait de loin, comme elle observait l'armée du haut de sa fenêtre, spectatrice intouchable. Les silhouettes qui couraient, le vent qui soufflait, les ruines qui s'effondraient, le monde, les sensations, la douleur, la frayeur, si proches, et pourtant, inatteignables. Le froid ne la mordait plus. L'éternelle main invisible n'enserrait plus son cœur. Il n'y avait plus rien, et elle était sereine. Elle était vide, enfin.

— Il ne doit pas se voir.

Les tourbillons de souvenirs disparurent un court instant, avant de rejaillir en mille étincelles. Les formes se tordaient, s'envolaient, les personnes avançaient, reculaient, de nouveaux souvenirs se mêlaient aux premiers, alors que sous sa robe, un léger frisson parcourait sa peau.

— Soyez délicat...

Sa chambre plongea dans le noir. Tout disparut, les meubles blancs, les reflets du miroir, les tièdes rayons de la fenêtre. La grande silhouette du Serviteur Suprême se releva. Il resta droit, figé un instant dans son regard, qu'il lui retournait avec une émotion non-dissimulée. Puis les explosions retentirent. Des allées de marbre s'ouvrirent devant elle, des couloirs, un labyrinthe. Des fissures sombres gravirent les murs comme elles gravissaient sa peau, au centre de ses mains. Les marques déchiraient ses paumes de striures noires. Elles étaient plus épaisses, plus grandes, plus profondes à chaque seconde. Elles grandissaient, grandissaient encore, couraient sur ses bras, son visage. Elles la tiraient dans le néant.

Une piqûre froide lui arracha un soubresaut.

— Par les Divins...

— Que la Grande Détentrice me pardonne...

— Continuez, continuez, le temps presse.

Ses lèvres s'entrouvrirent. Elles tremblaient tant que son souffle lui parvint, fébrile. Autour de l'encolure, le léger tissu de la robe se froissait sous des pressions maladroites. Son nez la démangeait. Une odeur piquante se mélangeait à celle des vieux sous-sols, celle des pierres humides, des salles délaissées.

— Que les Divins nous gardent...

— Gloire à l'Angevert.

— Gloire à l'Angevert...

Elle ne voulait pas se réveiller.

Le sommeil luttait pour la garder auprès d'elle. Les échos de voix éteintes attrapaient sa conscience, la tiraient vers une surface de lumière rougeâtre. Alors, les songes ripostèrent. Ils se firent plus confortables, plus doux que ces draps qu'elle sentait sous ses bras. Ils la bercèrent de savoureuses utopies : le cauchemar n'était plus, Lyruan était avec elle, elle était avec Lyruan. La vie s'ouvrait à elle, pour la première fois, elle allait être heureuse, regarder l'avenir avec insouciance. Elle soupira, trembla, blottit son dos un peu plus entre les étoffes. Le froid s'insinuait sous les drapés de la robe, courait sur ses jambes allongées, sur ses bras tendus. Comme un vieux réflexe, ses doigts se comprimèrent sur ses paumes. Elle voulut se recroqueviller, tirer ses poignets à elle.

Elle n'y arrivait pas.

— G-Grande Détentrice... ?

Une voix. Des présences, peut-être une dizaine. Leurs souffles surpris résonnaient à ses côtés, dans de lointains crépitements. L'air humide portait des odeurs infâmes, un souffle de brûlé sans chaleur. Des perles timides tintaient entre les pas mal assurés et des murmures de prières morcelées. Sur une toile d'ocre sombre, des bustes maigres semblaient se dessiner, à mesure que son cœur reprenait vie, battait plus fort, l'éloignait à chaque pulsion un peu plus du confort de l'ignorance.

Elle ouvrit les yeux.

Les voûtes de pierre tanguaient dans la lueur des flammes. Les ombres s'allongeaient derrière les arches, les colonnes. Les parois sombres s'embrasaient d'une unique lueur, vive et mordante, échappée d'un brasero. Des capuches effilées se penchaient sur elle, des têtes échevelées, des regards sombres et vides, illuminés par le feu.

— Que notre Grande Détentrice trouve la paix, crachota une ombre.

Ce ne pouvait être la voix d'un vivant. Cœur serré, ses doigts achevèrent de se fermer sur ses paumes. Ses jambes se plièrent, deux genoux squelettiques se levèrent au bas de son ventre, avant de s'affaisser en grinçant. L'odeur de sueur épicée se fit plus insistante quand un visage s'approcha. Sale, émacié, il rompait la distance que les autres semblaient respecter, pour souffler, d'une voix d'outre-tombe :

— Noble Sauveuse... Quel honneur... Mais quelle horreur... Vous retrouver en ce temple dédié à votre grandeur, dans ces conditions...

Elle voyait son reflet enflammé dans les yeux de l'homme. Ses bras tirèrent, ses jambes s'agitèrent, mais ses mains, levées au-dessus de sa tête, refusèrent encore de se baisser. Elle sentait la peau de ses poignets rouler sous de longues plaques glacées. Une goutte perla le long de sa tempe.

— Est-ce un cauchemar ?

Son murmure sembla déstabiliser les ombres. Une nouvelle fois, elle inspira, avant d'agiter ses bras meurtris par ces vaines tentatives. Elle y mettait ses forces, sa volonté, elle pensa à ses espoirs, à Lyruan, encore à Lyruan. Elle agita ses poings serrés dans les étoffes, frappa ses oreilles de ses bras. Ses coudes ne pliaient pas. Aux cris silencieux de ses rêves répondaient de longs échos métalliques, des entrechocs implacables.

Les ombres levaient des mains noircies, auxquelles il manquait des doigts.

— Vos Serviteurs ont déjà tout essayé, Noble Sauveuse, s'affligea une nouvelle silhouette, en se penchant au-dessus des étoffes.

Elle ne le croyait pas. Pas pour ce qu'il lui affirmait de cet air larmoyant, mais pour ce dont ils se réclamaient. Des Serviteurs ? Aucun membre de l'Ordre ne portait ces tenues autant extravagantes que décrépies. Neuves, les parures auraient pu égaler celles du Serviteur Suprême. Sous les capes déchirées, les habits ajourés laissaient entrevoir des côtes saillantes, des corps peut-être aussi décharnés que le sien. Elle comprit ; elle avait oublié jusqu'à leur existence.

— Vous êtes les Promis ?

Certains squelettes frémirent, hésitèrent. Le feu dansa dans les regards avant, qu'un à un, ils ne disparaissent. Réunis autour d'elle, les Serviteurs inclinaient le dos, le cou, la tête, bas et plus bas, jusqu'à ce que leurs capuches sales frôlent le piédestal sur lequel elle était allongée. Certains vibraient, plus tremblants que les flammes. D'autres laissèrent apercevoir des larmes de suie sur leurs visages. Elles glissaient hors de leurs yeux asséchés, comme de l'eau s'évaporant d'une pierre au soleil.

Les Promis, elle savait qu'elle n'en aurait jamais. Elle n'en aurait pas voulu, mais même si l'Ordre ou sa mère l'avaient souhaité, cela aurait été impossible. Ils étaient loin, envolés avec l'Intemporel, arrachés de Vendomeland lors de la scission des îles.

Ses yeux se levèrent, soudain rivés sur les voûtes noires.

« Où suis-je ? » aurait-elle voulu dire. Mais à quoi bon, elle avait sa réponse. « Est-il ici ? » Assurément, mais vivait-il seulement encore ? N'était-il pas comme ces Serviteurs Promis, une légende qui avait existé, mais dont on ignorait le devenir ? « Où est Lyruan ? » lui vint-il ensuite. Peut-être était-ce cela, la vraie question, la seule question à se poser. Ces trois mots envahirent ses pensées. Où est Lyruan ? Où est Lyruan ?

— Où est Lyruan ? articula-t-elle.

Par-delà les pointes des capuches, il y avait une porte. Derrière la porte, il y avait quelques auras, statiques, inconnues.

— De... De qui parle notre Grande Détentrice ?

— Serviteur, souffla une autre voix. Peut-être est-ce cette combattante qu'ils portaient, tout à l'heure... ?

Ce murmure avait été lâché du bout des lèvres, rompues par le froid, la fatigue. Mais ces pauvres mots avivèrent en elle un sentiment intense, plus intense que le danger de cet homme, quelque part entre ces murs, plus intense que l'horreur d'un monde qui s'effondrait, qui avait déjà disparu. Que les apparences soient sur le point de tomber, que la vérité soit, enfin, à portée d'ailes, voilà qui la retournait véritablement jusqu'aux tréfonds de son âme. Les poignets mordus par deux mâchoires froides, l'Angevert se contorsionna de plus belle.

— Où est Lyruan ? s'écria-t-elle.

Seuls des gémissements lui parvinrent, perdus dans les crépitements du brasero. Les capuches s'affaissèrent encore davantage.

Un claquement résonna.

— Silence !

Le grondement envahit les murs, l'air, fit vibrer les flammes et les corps. Poings serrés, cœur bondissant, l'Angevert glissait son visage vers la lumière, quand, dans l'écho qui se répercutait encore, une voix reprit, près de la porte :

— Elle est réveillée ?

Aucun murmure ne s'éleva pour répondre. Ses yeux fatigués se plissèrent face à cette silhouette noire, debout dans l'encadrement. Des reflets féroces remplaçaient son regard, son visage était recouvert d'une membrane sombre. Un instant, l'inconnu resta statique dans les flammes du couloir. Puis il vira en arrière. La lumière disparut quand la porte claqua.

Aussitôt les âmes rampantes se levèrent du sol. Leurs capuches se froissèrent contre la pierre, leurs doigts coupés s'enfoncèrent dans les couvertures sales. Paupières fébriles, épaules tremblantes, les Promis psalmodièrent des « Grande Détentrice ! » éraillés. Leurs ombres envahirent les voûtes enflammées. Leurs bouches noires jetèrent des nuages de fumée sur son visage. Souffle court, elle voulut se reculer, lever les mains, se protéger. Elle tentait de se redresser, encore et encore, mais elle s'épuisait, encore et encore.

Telle une déesse insensible, elle ignora les appels. Elle ignora les voix, ignora les derniers songes qui tentaient encore de la fourvoyer. Une nouvelle fois, elle tira sur ses bras courbaturés, ankylosés, puis leva le menton, laissa son crâne rouler sur le piédestal. Peut-être voulait-elle voir de ses yeux que c'était sans espoir. Cambrée, son visage bascula en arrière, et son regard se riva au-dessus de ses cheveux emmêlés, à l'extrémité du piédestal, dans les dernières vagues d'étoffes.

Comme s'ils sortaient tout droit de ses pensées, elle les vit. Les larges anneaux d'or, dévorés par les flammes, qui enveloppaient la base de ses mains, jusqu'au centre de ses avant-bras.

— Il va venir, gémirent des lèvres craquelées près de son oreille.

C'était une seconde peau de lumière et de froid, brillante, fine, inaltérable. Pendant entre les anneaux, quelques maillons inégaux les joignaient l'un à l'autre, à l'avant de deux autres chaînes flamboyantes, qui dévalaient les couvertures jusqu'à disparaître vers le sol. Le pouvoir se concentra, malgré elle, d'infimes vagues de chaleur montèrent le long de son buste, de ses bras, pour fondre sur les fers. Il voulait les craqueler, les réduire en poussière. Mais elle le savait, l'or ne cédait pas face au temps. Faibles, les étincelles rebondirent sur les anneaux, puis sur les maillons, jusqu'à se dissiper.

Derrière la porte, les auras statiques commençaient à se mouvoir. Les Serviteurs gémissaient, les chaînes d'or tintaient, au loin, des jambes fermes martelaient les dalles du couloir.

— Il va venir, répétaient-ils encore.

Il était déjà là. Sourds derrière la porte, les échos des chausses se mêlaient aux battements de son propre cœur. Les pieds avançaient par dizaines, entourant cette aura nonchalante, brûlante. Cette aura aux soupçons de familiarité, mais si étrange, si déformée, si puissante, et à la fois, si instable. Les Promis sursautèrent quand des mains se posèrent sur les battants. Leurs visages se tordirent, ils s'effondrèrent dans l'ombre, se recroquevillèrent loin de la porte. La lumière perça de nouveau les voûtes. Les ombres de soldats sans visage s'avançaient dans la lueur du brasero.

Puis entrèrent des chausses noires. Des mèches virevoltantes, embrasées par les flammes. Des mains couvertes de fissures, qui battait dans les plis d'une cape sombre la mesure d'une démarche calme. Les parures sacrées pendaient à son cou. Le pouvoir irradiait son aura. Le noir plongeait ses yeux dans la nuit, devenus étincelles de glace, qui la fixaient. Il ne faisait que cela. Dès qu'il était entré, il s'était rivé sur elle, semblait la dévorer, rien que par ce regard, qui ne se détournait pas.

Le Roi d'Utopie s'immobilisa contre le piédestal. 

Et du silence naquit une voix suave, qui souffla : 

— Que de complications pour vous revoir, ma nièce.

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