Chapitre 61 :
Une beauté irréelle. Voilà ce que je voyais. Voilà ce qu'elle était. De là où j'étais, je ne pouvais pas la contempler comme je le voulais. Je me suis donc décidé à m'approcher. Lentement. Doucement. Cette apparition ne devait pas disparaître. J'avais l'impression que le moindre de mes gestes la ferait fuir. Elle transpirait la pureté et la fragilité, de telle sorte que j'en bloquais l'air dans mes poumons. J'avais peur que le plus petit de mes soupirs l'effraie ou la brise.
Un papillon. Elle était ce papillon, dans mes souvenirs d'enfance, que j'avais capturé dans mes paumes. Il allait s'envoler, si j'ouvrais trop mes mains. Je voulais l'admirer, encore et encore. Pour toujours. Alors lorsque j'ai joint les mains, je les ai peut-être un peu trop serrées. J'avais peur qu'il s'envole et disparaisse comme un mirage et je l'ai brisé. Cette femme, je ne voulais pas la briser. Je ne pouvais pas le faire. Alors je craignais qu'elle ne devienne ce mirage.
Maintenant, j'étais certain qu'elle n'était pas le fruit de mon imagination et qu'elle n'allait pas disparaître en un clignement de paupières. Je la tenais fermement par le poignet ce qui me prouvait qu'elle était bien réelle. De toute façon, son expression à elle seule, aurait pu me le prouver. Son visage dévoilait une palette d'émotions ; stupeur, effarement, incompréhension. Terreur.
Je la comprenais. Après tout, qui ne ressentirait pas tout ça, en voyant un homme planter des crocs d'animal dans la gorge de son compagnon de vie ? Je buvais goulûment le sang amer et épais qui coulait dans les veines de cet homme. Un sang répugnant, tout comme le genre de personne qu'il était. J'aurais préféré goûter celui de la magnifique jeune femme que je retenais plutôt que de finir le sien, mais je ne pouvais retirer mes canines de ses veines. J'étais encore immature, jeune. Je n'étais qu'un vampire depuis à peine une trentaine d'années. Ce mois-ci, j'aurais dû avoir 64 ans. Malheureusement, mon corps avait cessé de vieillir à mes 29 ans. Les conditions de ma transformations, je n'en avais aucun souvenir. Qu'importe. La mort de l'homme dans mes bras était la seule chose que j'espérais en l'instant présent. Cet espèce d'animal allait violenter sa déesse de compagne sous prétexte que l'alcool qu'il avait bu ne valait pas mieux que de la pisse de bœuf.
Le corps dans mes bras se relâcha subitement. Le bougre s'était évanoui et me laissait porter tout son poids pendant que je le buvais. Quelques secondes plus tard et je le laissai retomber mollement sur le sol, vide et sans vie, le visage blême alors que je venais de le livrer à la mort. Du bout des doigts de ma main libre, j'essuyai le sang sur le bord de mes lèvres. La jeune femme m'observa, d'un regard curieux. Puis, se rendant finalement compte de la chose, elle eut un mouvement de recul. Les yeux agrandit de peur et versant de nombreuses larmes silencieuses, elle secouait frénétiquement la tête de gauche à droite, refusant ce qu'elle venait de voir. Ce geste contribuait à ébouriffer ses longs cheveux couleur miel, lui donnant un air fou et dévasté. Je la terrifiais. Je la terrifiais bien plus que son époux, que je venais de tuer.
Réalisant ce fait, je la lâchai brusquement et reculai de plusieurs pas, en entraînant le cadavre de son mari avec moi. J'étais tétanisé. J'aurais préféré mille fois mieux de brûler sur un bûcher immédiatement, plutôt que de lui inspirer cette peur. À quoi est-ce que je m'attendais ? À ce qu'elle me saute dans les bras en me voyant tuer l'homme qu'elle avait épousé ? Foutaises. Aussi horrible qu'il était, je venais de lui montrer un monstre bien plus effrayant. Une créature nocturne se déguisant en homme, un buveur de sang, un homme ayant "pactisé" avec le diable. Un vampire.
J'enlevai mon manteau, pour couvrir le haut du corps de ma victime du jour. Je ne regardais plus la femme. Je n'avais pas le droit de poser mes yeux sur cette femme que je venais de faire veuve. Pourtant, mon sang bouillonnait de fierté et de honte. Je l'avais protéger mais j'avais tuer quelqu'un qui lui était supposément important. Mon cœur brûlait d'une flamme aussi bienfaisante que douloureuse. Je suffoquais. Chaque millimètre carré de ma peau réclamait celle de cette inconnue, maintenant que je ne la touchais plus. Cette distance me paraissait insupportable et me donnait envie de fondre en larmes. Je ne regrettais en rien la mort de cet homme, qui avait pu souiller cette femme de bien des manières. Ce que je regrettais, c'était qu'en la délivrant de cet être ignoble, j'avais guidé dans son âme peur et tristesse.
Elle s'arrêta doucement de pleurer et du coin des yeux, je la vis tourner le tête vers moi. Je fis un grand bond en arrière, me soustrayant à son regard dans le coin d'une bâtisse. M'éloigner davantage d'elle, m'apparut comme le plus gros effort que je n'eus jamais fait.
- Que ...? commença-t-elle.
D'un geste de la main, je l'arrêtais, avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit. Si elle m'avait demandé ce que j'étais, je n'aurais pu lui mentir. Je lui aurais tout révéler de ma nature, des meurtres que j'avais commis. Je lui aurais démontré que j'étais encore bien pire que ce qu'elle avait vu aujourd'hui. Je ne supporterais pas de la voir me rejeter encore plus que maintenant.
J'écarquillai les yeux en comprenant ce qui se passait en moi. Je ne voulais pas qu'elle voit mes nombreux mauvais côtés mais je ne voulais pas trop m'éloigner d'elle malgré cela. Je voulais la protéger du monde et de ses dangers mais je ne voulais pas être trop envahissant et l'étouffer avec mon attention. Je l'aimais. Je l'aimais, non pas d'un coup de foudre mais comme si je la connaissais depuis des années. Alors que personne ne m'avait encore expliqué ce que c'était, je savais. Je savais qu'elle était mon âme-sœur.
- Ne me regardez pas, murmurai-je. Mon image souillerait vos yeux.
Les sentiments qui emplirent l'air ne furent pas ceux attendu. Il n'y avait plus de peur à l'état pur, mais plutôt un soupçon d'inquiétude et étonnamment beaucoup plus de curiosité.
***
Je clignai des yeux, revenant calmement dans ma réalité. Je pris une longue inspiration, et me rendit compte qu'Oscar et moi nous regardions toujours droit dans les yeux. Il avait compris que j'avais absolument tout vu de lui. Il le savait, à cause de mon expression. Je ne le défiais plus. Je n'avais plus cette once d'arrogance, à la Félix, à la Owen. En voyant le militaire, je ne pouvais plus le penser dur et sans cœur. Derrière lui, je voyais désormais l'ombre lumineuse de cette femme qu'il a tant aimé.
- Elle était belle, dis-je tout bas.
Cette femme qu'il a tant aimé et tué.
Avec un cri mêlant rage et douleur, il se jeta sur moi et m'attrapa à la gorge. Il me souleva comme un poids plume et me cogna contre un mur. J'étouffai un gémissement lorsque mon épaule blessé se heurta contre la surface dur et mon souffle se bloqua tandis que tout air quittait mes poumons. Mon frère félidé chargea, prêt à arracher la main qui m'étranglait, mais Alistair le projeta vers la cuisine, l'éloignant tout aussi vite de la scène. J'avais l'impression que c'était la seule chose à quoi servait le conseiller lorsqu'il n'était pas question du roi mais de son compagnon ; protéger ses arrières et laisser le militaire extérioriser sa colère ou ses impressions. Je me demandais si c'était la bonne chose à faire. Un grondement sourd me fit penser un instant qu'Owen avait déjà rappliqué et s'apprêtait à me défendre. Quand je vis Félix, l'ossature de sa mâchoire en pleine mutation et dévoilant une dentition animale effrayante sur le visage d'un homme, je compris qu'il allait jouer le rôle d'Owen dans l'immédiat.
- Qu'il la relâche, gronda-t-il. Qu'il la relâche si tu ne veux pas que je fasse une tuerie !
Ces derniers temps, ma vie tranquille était devenue bien tourmentée. Entre la nouvelle de la découverte de la maison des Numéros, le retour d'Alek, la connaissance d'Ethan et tout le reste -surtout le reste,- mes frères étaient à fleur de peau et sortaient les crocs au moindre bruit. On ne cessait pas de s'en prendre à moi, sous prétexte que mon sang à une bonne odeur, ou que je ferais sûrement un bon paillasson royale. J'avais vraiment l'impression qu'on me considérait comme le seule et unique frêle agneau au milieu de prédateurs. Ce que j'étais sûrement, physiquement. Physiquement seulement.
Vous oubliez que je suis télépathe ou quoi, merde !?
Je ne faisais pas que lire dans les esprits. J'avais des cartes maîtresses moi aussi. Je pouvais manipuler les esprits par moment. La plupart du temps avec la force du désespoir. Au vu de la situation, moi manquant d'air et un vampire furieux me tenant à la gorge, je pouvais dire qu'elle était assez désespérée pour me permettre d'utiliser cette partie de mon pouvoir.
Je plongeai mon regard dans celui fou de rage d'Oscar et je fis quelque chose que j'allais regretter plus tard, je le savais. J'en fus encore plus certaine lorsque je le vis se figer, le souffle coupé, alors que sa prise sur ma gorge se desserrait. Il était ébranlé. Par ce que je lui disais, par ce que je lui montrais. J'étais une personne détestable.
- Oscar... tue-moi... par pitié. Je ne le supporte plus...
J'étais une personne détestable qui murmurait les derniers mots, les suppliques de l'âme-sœur du vampire juste avant qu'il ne lui accorde son souhait et abrège ses souffrances. Tout ça pour quoi ? Pour prouver, par égoïsme, que je n'étais pas ce frêle agneau qu'ils voyaient tous en moi.
- Tu ne... tu ne peux pas me demander ça...
Sa voix était implorante et ses mains étaient douces sur la peau de ma gorge. Il me caressait doucement, en me reposant au sol. Il passa ses doigts dans mes cheveux et alors qu'il allait me prendre dans ses bras, Alistair l'attrapa brusquement par l'épaule. Il avait laissé derrière lui Félix, qui ne comprenait plus ce qu'il se passait.
- Elle te manipule mon frère, reprend...
- Ne t'approche pas de ma femme, par l'enfer !
Il me poussa dans son dos, afin de pouvoir faire face à Alistair en le fusillant du regard. C'est à ce moment-là que je décidai de faire disparaître les images du passé que j'avais glisser dans son regard. De toute façon, je n'aurais pas pu tenir plus longtemps, mon maximum était de 3 minutes et 27 secondes.
Lorsque je vis Oscar se tourner vers moi, lentement, le visage déformé par une sourde et profonde fureur, je me redressai, peu fière de mon acte. Personne ne m'avait forcé à le faire et même si cela avait été le cas, j'aurais assumé entièrement ce que j'avais fait. C'était un acte purement égoïste. Je voulais prouver ma force, mais en quoi utiliser un pouvoir dont je ne connaissais pas les limites me serait véritablement bénéfique. Oui, j'avais réussi à arrêter Oscar sans l'aide de personne, mais comment pourrais-je en être satisfaite si cela me faisait briser tous mes codes moraux ? Et c'était seulement une fois l'acte commis que je m'en rendais compte. Si j'avais entraîné mon don sérieusement, j'aurais pu créer une image plutôt que d'utiliser celles de son passé. J'aurais pu juste lui faire croire que tous ses sens étaient engourdis ou qu'il ne ressentait plus rien. Annihiler toutes perceptions immédiate serait vraiment une capacité utile. À la place, j'avais allumé cette terrible douleur au fond de son regard qu'il pensait dissimuler avec une immense colère. J'avais utilisé le seul vrai souvenir infernal qu'il gardait profondément en lui.
Qui était le monstre, entre lui et moi ? Le vampire avec énormément de sang sur les mains et quasiment aucune peur, ou l'humaine capable de déceler toutes les faiblesses des êtres pensant et de les manipuler pour en tirer profit aux dépens des autres ?
- Si tu peux faire ça.
J'inspirai calmement, essayant de ne pas flancher et de ne pas me jeter à ses pieds en m'excusant. Ce sentiment de culpabilité que je ressentais avait un goût amer.
- Si tu peux faire ça, dis-moi que tu es capable d'effacer les souvenirs.
Je n'étais pas le Monde Oublié, je ne savais pas faire ça. Peut-être que j'en serais capable un jour, mais actuellement non, je n'en étais pas capable. Cependant, lui dire que je ne savais pas le faire me semblait être une mauvaise idée. Comme s'il allait rester avec moi jusqu'à ce que je sois capable de le faire.
- Je ne le ferais pas.
Même si j'avais su le faire, je ne lui aurais pas accordé ce souhait. Même si je me sentais coupable de lui avoir rappeler toute cette souffrance, de lui avoir fait revivre cette scène. Oscar fronça les sourcils et se mordit la langue.
- Tu veux dire que pour me blesser, il n'y a aucun problème, mais quand il s'agit de me soigner, tu ne t'en donneras pas la peine ? Et si je te disais que je vais te dire ce qu'on te cache, tu le feras ?
Je penchai la tête sur le côté. Il était sincère et cela affola Alistair. Sauf que ce marché ne tenait pas.
- Mais je le sais déjà. Je l'ai vu, l'informai-je.
- Tu ne peux pas trier 700 ans de vie comme ça en une fraction de seconde.
Si, je peux.
- Tu sous-estimes mon don.
Il jura, comprenant qu'il n'avait rien pour marchander avec moi. Derrière lui, le Conseiller ne tenait plus en place.
« Elle sait ! Elle sait que j'ai perdu le contrôle ! Elle sait ce que je lui ai fait ! »
Mon regard quitta un instant Oscar et se posa sur le vampire aux longs cheveux. Il se tendit comme un arc. J'avais l'impression que mon regard le brûlait ou lui signifiait : "Tu ne peux rien me cacher, je peux tout voir." Le balafré claqua la langue, persuadé que je ne l'aiderai pas parce qu'il n'avait rien à me proposer en échange. Il voulait que je lui fasse oublier la femme de sa vie, sa seule et unique âme-sœur. Il ne pouvait pas me demander de faire ça. Rien que l'idée me foudroyait sur place et me paralysait.
- Elle ne...
Les mots moururent sur mes lèvres. Mes yeux me picotaient, m'indiquant que j'allais bientôt fondre en larmes. Mes émotions faisaient les montagnes russes depuis que j'étais descendue du train pour cette ville qu'on pourrait croire que j'allais soudainement avoir mes règles, dans la minute qui suivait. Je repris une bouffée d'air et repris :
- Elle ne voudrait pas que...
-Qu'est-ce que tu en sais toi hein !? Tu ne la connais même pas ! hurla le vampire.
Je fermai les yeux agacée. Je n'allais pas réussir à dire cette phrase, si ça continuait comme ça !
- Je la connais bien mieux que toi, si tu veux tout savoir ! criai-je à mon tour. Je suis télépathe bordel de merde, tout ce que tu as vécu, je le vois ! J'en sais même 10 fois plus que toi ! Quand elle est morte, quand tu as enfin céder à sa putain de demande à la con, après qu'elle ait agoniser des semaines entières parce que tu ne voulais pas qu'elle crève, alors que ça vous faisait souffrir tout les deux, tu sais ce qu'elle a fait !? Tu le sais !? Elle a prié ! Elle a prié pour qu'un jour tu cesses de te sentir coupable ! Elle a prié pour qu'un jour l'imbécile que tu es, arrête de se faire du mal !
Je m'arrêtai, essoufflée, la tête me tournant.
- Elle a prié pour que tu oublies, murmurai-je dans un souffle.
Je vacillai. Je sentis dans mon dos les paumes rassurantes de mon frère. Il me soutint, le temps que mon petit malaise se calme. Ma tête me faisait mal. J'avais l'impression que mon esprit était assailli par des souvenirs qui ne m'appartenaient pas. Lorsque je vis dans l'un d'eux Oscar, avec un sourire si grand qu'il en était méconnaissable, je compris que ces souvenirs appartenaient à son âme-sœur. Je compris ce qu'elle pensait de lui, ce qu'elle souhaitait pour lui.
Pourquoi est-ce que je peux voir ses souvenirs ? Elle est morte depuis plus de 600 ans, elle n'est plus capable de penser, il n'y a rien que je sois censée pouvoir lire.
« Signora rosa, tu es le premier Gardien des Souvenirs à être sorti du Monde Oublié en vit. Xiemoti me dit que tous les souvenirs du monde et de ses morts que tu as vu doivent être gravés en toi. Ils surviendront peut-être de temps en temps. N'essaye pas de me répondre, je ne sais même pas si tu m'entends bella rossa, j'espère que oui grâce à ton don. Allora, bon courage signora rosa. »
Alessandro ? pensais-je surprise.
Évidemment, aucune réponse ne me parvint et les souvenirs de cette femme me parurent encore plus clair.
- Tu vois, dit Oscar d'une voix tremblante. Elle aussi voulait que je l'oublie..
- On s'est mal compris, l'interrompis-je. Elle a prié pour que tu oublies la culpabilité et la douleur qu'elle t'a causé. Ce qu'elle veut, c'est que tu passes à autre chose, sans jamais l'oublier elle. Elle veut que tu aimes à nouveau, sans jamais oublier que tu l'aimais elle. Elle veut que tu vives heureux, sans jamais oublier les temps heureux que vous avez passé ensemble de son vivant. Elle veut garder une place particulière dans ton cœur, sans être un fardeau pour toi.
Les yeux d'Oscar luisaient. Ses doigts tremblaient. L'émotion le submergeait.
- Elle veut que tu vives, que tu avances avec elle. Avec les plus beaux souvenirs que tu as d'elle. Elle ne veut pas... mourir dans ton cœur.
Le vampire avait baissé la tête, une main dissimulant son visage. Il semblait comprendre la gravité de sa demande. Il se rendait compte de la douleur qu'il aurait pu causer à la femme qu'il aimait à en mourir. La seule qu'il aimera autant.
- Oublier. C'est un choix à double tranchant. Celui qui oublie s'en sort mieux au début. Il ne se souvient pas de ce qu'il considérait comme insupportable. Tu crois qu'il en pense quoi celui qui n'oublie pas ? C'est lui qui souffre après ça.
Je regardai sévèrement Oscar, pour lui faire comprendre que même si elle était morte, souhaiter oublier, c'était bafouer ce qu'elle était et ce qu'elle voulait pour lui.
- Après, qu'est-ce qu'il se passera quand les souvenirs vont revenir ? Parce que si je t'efface tes souvenirs, là, tout de suite, tu penses réellement qu'ils ne reviendront pas ? Il est question de ton âme-sœur. Ce n'était pas n'importe qui. Sinon tu n'en souffrirais pas encore aujourd'hui, 600 ans après. Alors quand ils reviendront, qu'est-ce que tu vas ressentir ? Qu'est-ce que tu vas te dire ?
Je n'eus pas besoin de le dire, car je compris ce qu'il pensait lorsqu'il baissa les yeux. Il savait qu'il s'en voudrait. Il le savait, mais il le demandait quand même.
- Je vais te dire un truc Oscar. Être oublier, c'est une torture. Oublier, c'est une souffrance indolore. C'est souffrir en silence. Mais un jour l'âme criera assez fort pour que l'esprit se souvienne. Là, ce sera une douleur mille fois plus importante que pour celui qui se souvenait tout ce temps. Parce que la douleur faite à l'autre, à notre moitié, bah cette douleur nous tombe dessus comme la pire des culpabilités. Ça, elle ne te le souhaiterait pour rien au monde.
À la fin de ma phrase, ma voix tremblait et mes yeux me brûlaient. J'avais envie de pleurer. De rire aussi. J'osais lui faire une leçon de morale, juste après lui avoir fait revivre un moment traumatisant, comme si je savais de quoi je parlais. Si ça, ce n'était pas une bonne blague.
- Oui... fut la seule réponse d'Oscar.
La seule qu'il m'accorderait. La seule fois aussi, j'en suis sûre, qu'il serait docile à ce point. La seconde d'après me donna raison. Il redressa le buste et abandonna cette expression entre déchirement et souffrance qu'il avait depuis plusieurs minutes, pour reprendre son masque d'indifférence et d'agacement.
Je secouai la tête, voulant moi aussi me débarrasser de la tempête d'émotion qui faisait rage en moi. Je ne comprenais pas pourquoi je devais être autant affecté par les souvenirs d'un autre. D'après les quelques souvenirs que j'avais de mon entrevue avec Xiemoti, je me doutais bien que voir le passé allait me mettre dans cet état. Cependant, je pensais que c'était mon propre passé qui me ferait me sentir ainsi. Si je ne sentais pas la présence de Félix près de moi, je pense que j'aurais été capable de commettre un acte irréversible.
Je soufflai lentement, mesurant à quel point je pouvais être tendue. Mon souffle était tremblant. Je devais penser à autre chose ou je finirai par me noyer dans cette tempête. Difficilement, je m'écartai de Félix, qui s'assit sur le canapé dès qu'il fut certain que je ne m'écroulerai pas. Oscar me jeta un dernier coup d'œil avant d'aller rejoindre mon frère et de s'asseoir à côté de lui. Malgré l'expression de dureté qu'il affichait désormais, je voyais bien que le militaire était encore préoccupé par tout ce qui venait de se passer et de se dire. Il ne pensait plus à rien, ne réfléchissait pas non plus. Il devait mettre toute sa force mentale à essayer de garder une expression neutre, comme s'il en avait fini avec cette histoire. Ce qui était totalement faux, je le voyais bien et Alistair également. Il regardait son ami avec compassion. Aucune pitié n'était dans ses yeux. Un véritable ami, qui comprenait sa douleur et ne disait rien pour le consoler. Parfois, le silence était tout ce qu'il fallait.
- Alors... dis-je à l'attention d'Alistair.
Celui-ci se figea, devinant sans me regarder que c'était à lui que je m'adressai.
- Un vampire addict au sang, c'est ça ?
Je plongeai mes yeux dans les siens lorsqu'il tourna le regard vers moi.
Ouvre toi, miroir de l'âme.. raillai-je en voyant les premières images de son passé.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro