- Julius? C'est qui ça encore? questionna Owen, l'œil interrogateur.

- "Ça" c'est le facteur! Tu sais, l'homme dans la cinquantaine avec qui je parle de temps en temps! Celui qui m'a donné la fameuse lettre de l'Ange Pur, rajoutai-je d'un ton cynique.

- Je te signal que ton facteur, on l'a jamais vu, nous! se défendit le loup-garou, évitant volontairement de répondre à ma petite pique.

- Ah oui, c'est vrai. C'est bizarre d'ailleurs. Je le vois à chaque fois que...

...je pars en expédition "volons ceux qui ont une sale tête"... finis-je ma phrase dans ma tête.

- Que tu sors? essaya Owen.

Je hochai vigoureusement de la tête à ses paroles.

- Oui, à chaque fois que je sors, oui!

Je ris nerveusement. Il ne fallait pas que j'aborde le sujet de mes vols, sinon ils pourraient partir dans de longues explications quant au danger que j'encourai à faire ceci.
Mais pourquoi l'adresse de Julius était le point de rendez-vous avec l'Ange Muet?

- Messieurs et Madame Rika, dit Georges Lismell, me sortant de mon questionnement. Ce n'est pas que je veuille que vous partiez maintenant, mais il faut que vous vous en alliez dans les plus brefs délai.

- Comment ça?

- Eh bien, plus vous perdez de temps ici, moins l'effet d'amnésie fonctionnera... je ne suis pas expert en la matière, avoua-t-il.

Il entrouvrit la porte de la pièce et jeta un coup d'œil dehors.

- Il suffira juste pour l'un d'entre eux de vous voir pour qu'il se souvienne de tout si vous ne partez pas maintenant.. et ils vous empêcheront de partir.

Il n'en fut pas plus pour que nous nous décidâmes à le suivre hors de la pièce. Nous ne voulions en aucun cas rester en garde-à-vue pendant encore quelques heures, ou pire, quelques jours. Monsieur Lismell nous escorta jusqu'à l'entrée afin que notre présence ne paraisse pas suspecte. Au moment où nous allions nous en aller en catimini, Georges nous arrêta, les yeux brillants de larmes.

- Même si nos retrouvailles ont été assez courtes, ça m'a fait du bien de vous revoir tous les trois, et en particulier vous, Madame Rika.

Il avait prit mes mains entre les siennes, et face à nos mines confuses, il continua en me lâchant subitement :

- Oups! J'en ai encore trop dit! Oubliez tout ce que je vous ai dit d'incompréhensible, d'accord? Le sens de mes paroles vous viendra seulement en temps et en heure. Allez! Vous perdez encore du temps.

Il fit demi-tour et retourna à l'intérieur du commissariat rapidement. Owen maugréa quelque chose du genre : "et on le laisse partir sans lui demander d'explications"
Moi non plus, je ne comprenais pas pourquoi je n'avais pas insisté. Mais, comme l'avait dit monsieur Lismell, nous comprendrons le moment venu.

- Raah mais j'ai vraiment envie de savoir moi! m'écriai-je en faisant un pas vers la bâtisse.

- Attend!

Owen m'attrapa par le coude et me tira en arrière.

- Si tu rentres, ils vont peut être nous remettre en salle d'interrogatoire. Ce mec nous a prévenu.

- Mais tu n'as pas envie de savoir ce qu'il voulait dire avec toutes ses insinuations bizarres et incohérentes?

- Bien sûr que si! Mais je n'ai pas envie de me retrouver dans l'incapacité de m'en aller quand je veux. Et surtout, tu n'as pas pensé que parler à l'Ange Muet d'Alek était sûrement notre seule piste pour le retrouver désormais?

Je fis la moue, dégoutée de n'avoir aucun argument pour le contredire. Ça m'énervait et le loup-garou le savait.
Nous commençâmes à avancer jusqu'à la gare, d'abord en silence, quand Felix le brisa en marmonnant :

- L'Ange Muet.. j'ai entendu dire quelque chose à son sujet.

Owen et moi nous tournions vers lui, ne sachant pas s'il avait parlé d'un ton triste ou exaspéré.

- Quelque chose de pas vraiment cool pour lui plutôt, ajouta-t-il.

Il leva les yeux vers nous, afin de s'assurer que nous l'écoutions bien. Il avait un air partagé entre le dégoût et la compassion. Le fait que l'Ange Muet face parti de l'autre clan ne devait pas lui plaire, mais cette histoire qu'il avait entendu de lui devait être assez désolante pour qu'il se sente mal pour quelqu'un qu'il qualifierait "d'ennemi".

- L'Ange Muet doit être beaucoup plus vieux que Monsieur Tortue. J'ai entendu une rumeur comme quoi il est devenu un Ange il y a 4000 ou 5000 ans.

- Ça fait un bail! s'exclama Owen.

- Ouaip.. Pour une raison inconnue, personne ne sait à quel clan il appartenait réellement au début, mais il a finit par aller dans le clan de l'Ange Déchu après un.. accident? Je ne pense pas que cela peut être qualifié d'accident en fait.

Mon frère loup et moi ne le lâchions pas du regard pendant qu'il racontait ce qu'il savait de cet Ange. Cela pourrait toujours nous être utile lorsque nous nous retrouverons devant lui.

- Bon, commençons par ce que fait l'Ange Muet. Il est aussi connu sous le nom de Gardien : il protège les Deux Épées Sacrées depuis qu'il est un Ange. Excalibur était l'une d'elles, par exemple. Il en était le gardien jusqu'à ce que le Roi Arthur vienne la prendre. C'est un membre de notre clan d'ailleurs, dit-il à mon égard.

- Attend, tu veux dire, LE roi Arthur? Pour de vrai? Nan mais genre, vraiment? Il est encore en vie? C'est pas une légende?

- Oui, oui, oui, mais laisse moi finir d'abord.

Je hochai la tête en faisant une grimace. Cependant, c'était une drôle de surprise. Jamais je n'aurais cru que le Roi Arthur puisse être encore en vie, et déjà qu'il ait réellement existé. Je savais que c'était une légende, mais je ne pensais pas que cela pouvait être plus que ça.

- L'accident que j'ai mentionné.. continua Fel. Eh bien... quelqu'un, un Ange du Mal si vous voulez mon avis, lui a arraché une aile et les cordes vocales. C'est pour ça qu'on l'appelle Ange Muet.. il ne peut plus parler.

- Qu-quoi? bégayai-je. Mais c'est monstrueux! Pourquoi on lui aurait...?

- Parce que la première épée sacrée, Excalibur, a été donné à Arthur, un Ange du Bien. Ça n'a pas dû plaire à quelques Anges du Mal, et ils ont puni le Gardien pour ça. Alors que le rôle de l'Ange Muet n'est que de surveiller les épées et non pas de les donner à qui il veut.

- Juste pour une histoire de morceau de fer?

- Épées Sacrées, j'ai dit. Elles sont magiques. Pourquoi un morceau de fer aurait besoin d'un gardien sinon? Enfin, c'est pas le sujet. Tu sais, les Anges du Mal sont des barbares. C'est pour ça qu'on n'est pas rassuré d'aller voir l'Ange Muet, Owen et moi. Il fait parti de ce clan de barbares.

Je me tus, et mis ma main sur mon menton. Je comprenais bien pourquoi ils s'inquiétaient, mais si l'Ange Muet avait été blessé de la sorte par des Anges de son propre clan, je ne pense pas que cela soit possible qu'il soit aussi mauvais qu'eux.

- De toutes façon, on va le voir.

- Je savais que tu allais dire ça, soupira le métamorphe félidé, dépité.

Il ferma les yeux, et voûta les épaules comme si cela le déprimait de savoir exactement ce que j'allais dire, et de ne pas pouvoir me faire changer d'avis. Owen, qui n'avait pas parlé jusqu'à maintenant, me demanda :

- Tu penses pas que l'Ange Muet puisse être ton facteur?

- Absolument pas! Je te signale qu'on se parlait souvent! Dans "Ange Muet" t'entends quoi? Mu-et! Julius n'est pas muet.

Il haussa les épaules.

- J'ai juste dit ça comme ça. C'est quand même bizarre que le Gardien t'invite à aller chez quelqu'un que tu connais.

- Peut être qu'il l'a pris en otage? suggéra Felix

***
- Où est-elle!? criai un voix.

C'était ma voix? J'avais du mal à la reconnaître.

- Elle n'est pas là! continuai-je à m'affoler.

On dirait vraiment ma voix. Mais elle me semblai différente.
Sans savoir pourquoi, je cherchais une femme. Une femme en particulier.. quelqu'un de spécial pour moi.
Un homme habillé étrangement entra dans la petite maison de campagne où j'étais.

- Elle a été prise en otage! Par ta faute! m'accusa-t-il en me pointant du doigt. Il faut que tu ailles la chercher!

- Elle a été... enlevé..?

Il souffla de dégoût, alors que j'étais mortifiée.

- Dommage qu'il n'y ait que toi qui puisse le faire, rajouta-t-il avec médisance.

***

Je manquai de trébucher. Qu'est-ce que c'était? Un souvenir? Non, je ne pense pas. Personne de mon entourage n'avait été enlevé à part moi-même et tous les autres Numéros. Mon esprit avait sûrement été projeté dans la tête de quelqu'un dans le coin.

Pris en otage!? Julius!?

Mon cœur se mit à battre à cent à l'heure

- Quoi!? Non! Tu te fous de moi! m'écriai-je.

J'attrapai Fel par le col, et il recula d'un pas, surpris. J'avais cette impression que je m'affolai beaucoup plus que normalement.  Le métamorphe leva les mains aux ciels, en signe de reddition.

- Du calme! J'ai pas dit que c'était ça! J'ai fait qu'une supposition! Une supposition merde!

Je le lâchai, confuse. Je m'excusai en chuchotant, puis je repris notre marche jusque la gare.
Il toussa un peu.

- Bordel, depuis quand t'es aussi forte que ça? gémit-il en se frottant le cou.

- J'ai pas tenu aussi fort que ça ton tee-shirt, grommelai-je

- Non, tu l'as vraiment.. oh. Alana l'avait prédis.

Owen acquiesça, et je leur jetai un regard interrogateur. Mon frère loup me permit de lire dans ses pensées, n'ayant pas envie de tout expliquer. Je compris alors qu'Alana, la sœur d'Ethan, leur avait déjà dit que j'allais frapper la table du salon de chez leur mère. Elle les avait prévenu que j'allais devenir plus forte.

- Elle ne vous a pas dit pourquoi?

Ils secouèrent, à mon grand regret. C'est à cet instant-là que nous arrivâmes à la gare.

- Mince! On peut pas partir comme ça! m'exclamai-je. On oublie Ethan!

Le loup-garou leva les yeux au ciel en fronçant les sourcils.

- On peut très bien partir sans lui. Et puis, il est à l'hôpital.

- Il n'a rien de grave?

- C'est une mauvaise herbe. C'est dur de se débarrasser des mauvaises herbes.

- Owen! le sermonnai-je.

- Oh c'est bon, il est encore en vie et sort la semaine prochaine. La balle de l'autre couillon n'a même pas touché un organe en traversant le flanc. Tss même pas capable de lui faire vraiment mal..

Je lui donnai une claque derrière la tête en réponse à sa pique. Il bougonna quelque chose d'inaudible en se frottant le crâne. Felix, qui avait disparut, arriva en trottinant de la gare, avec des tickets de train dans la main. Il nous dit qu'il avait payer avec l'argent qu'il avait trouvé dans la maison des Numéros.

- T'as vraiment pillé la maison! m'écriai-je, exaspérée.

- De toute façon, c'est bien plus utile dans ma poche, que dans la maison du maître!

Alors que j'allais rire de sa bêtise, je fus soudain soulever du sol, et le paysage devint flou. J'entendis mes frères hurler mon nom, comme s'ils étaient en train de s'éloigner de moi.

Ou que je m'éloignais d'eux. Très vite. Vraiment très vite.
Je commençais à me débattre et essayais de faire lâcher les bras qui me tenaient. Ils se resserèrent sur mon épaule et mon flanc, et je glappis de douleur.

- Oh la, oh la... vous risquez de tomber si vous continuez de gesticuler autant, signora rossa..

Il me sourit, et deux canines blanches depassèrent du bord de ses lèvres.

- Un vampire italien, sifflai-je entre mes dents de désapprobation. J'aurais pas pu tomber sur pire!

Son sourire se fit plus carnassier.

- Signora rossa.. dit-il d'une voix chantante. Évitez de me complimenter de la sorte. Je pourrais vous croquer.

Il ralentit et se mit à marcher à la vitesse des humais. Je me mordis la langue pour ne pas lui lancer une replique cinglante. Me faire mordre par un vampire était bien l'une des dernières choses que j'avais envie d'essayer.
J'allais chercher à croiser le regard d'un passant pour qu'il me vienne en aide, mais je me souviens qu'un simple homme face à un vampire n'était pas conseiller pour l'homme en question. Je me retins, et je vis le corps de mon kidnappeur de vampire italien briller. Puis soudain, il disparut. Et pas seulement lui. Mon corps aussi disparut, pourtant, nous étions encore là : il me portait toujours et avançait naturellement.

- Eh, l'italien! Depuis quand les vampires peuvent se renfre invisible? Tu m'emmènes où comme ça? Pourquoi tu m'as enlevé!?

- Shht signora rossa.. N'attirons pas l'attention. L'invisibilité, c'est un truc à moi, même si je contrôle plus la lumière plutôt que je me fais disparaître. Et là où je t'emmène, c'est au point de rendez-vous avec mon père.

- Et pourquoi!?

- Pourquoi? Mais signora rossa...

Il s'approcha de mon cou, et je me raidis.

- Tu sens tellement bon... On a besoin de reprendre des forces avec un sang de qualité lorsqu'on sort de prison. Surtout que j'ai entendu dire que le Roi te cherchait. Comment réagira-t-il quand il verra la pauvre humaine qu'il recherche, morte, vidée de son sang, aux pieds de son trône?

Le vampire éclata de rire.

Dans quel pétrin je me suis fourré encore, moi!??