
Case 17
Every time you go away - Lennon Stella Kevin Garett
25 décembre
Gabin sur les genoux, surexcité à l'idée que je me lève pour qu'il aille ouvrir ses cadeaux, je tente de retrouver mes esprits, de comprendre quels mots, quelle phrase, quelle réaction a pu faire fuir Gabriel...
Les minutes qui suivent, je retourne la situation dans tous les sens, mais j'ai beau tout analyser, son attitude me dépasse. Je file me doucher et m'habiller rapidement. Lorsque j'arrive dans le salon, Gabin a déjà ses bottes aux pieds, impatient de rejoindre le chalet pour ouvrir ses paquets.
— Dépêche-toi maman sinon ils vont tous les ouvrir et y'aura plus rien pour nous !
Je balaie la pièce du regard à la recherche d'un indice, mais l'étage semble calme et les chaussures de Gabriel ne sont pas dans l'entrée. Où es-il parti ? Pourquoi s'est-il enfui comme un voleur ? À cet instant maman débarque, le visage détendu et ensommeillé.
— Maman ?
— Joyeux Noël ma chérie ! Joyeux Noël Gabin !
— Joyeux Noël Mamie...
Ma mère semble aux anges de son nouveau statut. Lorsqu'elle reporte son attention sur moi, je la vois froncer les sourcils.
— Quelque chose ne va pas ma chérie ?
Je remue la tête de gauche à droite et porte mon index à mes lèvres pour qu'elle comprenne que je ne veux pas en parler devant Gabin. Mais ce dernier trépigne et comme les enfants n'ont pas de filtre, la suite lui échappe avec naturel.
— Maman elle est triste parce que tonton Gabriel était dans son lit quand je suis arrivé ce matin et qu'il est parti très vite comme s'il avait eu peur...
— Gabin !
— Quoi ?
— Ce sont des histoires de grands, ne parle pas de ça d'accord ?
Il baisse la tête, penaud. Je m'approche de ma mère qui a la bouche tellement ouverte qu'elle pourrait gober les mouches. Je chuchote :
— Maman, ce n'est pas ce que tu crois, je t'expliquerai...
Elle finit par fermer la bouche juste pour me répondre, un sourire aux lèvres.
— Je ne crois rien ma chérie, mais tu sais Gabriel est un homme absolument charmant, je te comprends...
— Maman !
Gabin s'impatiente de plus belle devant la porte d'entrée.
— Maman !!! On y va !
— OK OK j'arrive...
J'embarque.les sachets de viennoiseries déposés sur le plan de travail avec moi.
Lorsque nous arrivons dans le chalet, tout le monde est déjà autour du sapin et Côme trépigne lui aussi d'impatience sous le regard de Léa qui lui demande d'attendre encore un peu.
— Désolée, nous avons un peu traîné.
— Ce n'est pas grave...
— Tu as vu ton frère ?
Léa semble gênée, triste peut-être ? Elle regarde Alban qui la tient par les épaules et la secoue brièvement comme pour lui déclencher un sourire. Ce matin tout est surréaliste, je ne comprends pas ce qui se passe.
— Il a dû partir en urgence, il m'a dit que la caserne avait appelé.
Elle a beau l'affirmer, je vois bien qu'elle n'est pas convaincue.
Mais la magie et l'ambiance de Noël reprennent le dessus. Les enfants déballent leurs cadeaux sous des exclamations de bonheur, et tante Agathe apparaît avec tout ce qu'il faut pour un mémorable petit déjeuner de Noël. Laura émerge, les cheveux humides et la tête encore fatiguée. Elle n'a jamais été du matin. Pour elle, il est beaucoup trop tôt.
— Joyeux Noël Bestie.
— Joyeux Noël Laura...
— Wahou, t'en fais une tête. Heureusement que c'est Noël...
— Moins fort s'il te plaît...
— Qu'est-ce qui t'arrive ?
— T'as pas croisé Gabriel ?
— Non, pourquoi j'aurais croisé Gabriel ?
— Je suis un peu inquiète, on discutait ce matin dans ma chambre et...
— Vous discutiez ?
Très clairement, son ton ne laisse aucune chance de me laisser la convaincre que ce n'est pas ce qu'elle s'imagine. Je n'ai de toute façon pas le temps de perdre mon temps.
— Oui on discutait, vraiment.
— Et de quoi ?
— Je lui ai un peu raconté tout ce qui s'est passé dans ma vie durant les quinze ans de mon exil à Paris.
— Je vois... et t'es allée jusqu'où dans tes confidences ?
— Jusqu'au moment où j'ai appris que j'étais enceinte et que Greg n'était pas le père.
Le visage de Laura passe en une seconde de l'amusement à un sérieux qui me désarçonne. Saurait-elle quelque chose que j'ignore ?
— Tu peux m'expliquer pourquoi tu tires cette tête ?
— Bah je... je ne sais pas... c'est...
— Laura s'il te plaît si tu sais quelque chose...
Elle secoue vivement la tête, ennuyée. Je dois avouer que ça m'inquiète encore plus. Qu'est-ce qui se passe ? C'est incroyable ! Comme si tout le monde savait ce que j'ignore...
Je commence à bouillonner et c'est le moment où tante Agathe s'approche de moi.
— Eh, qu'est-ce qui se passe ma belle ? Tu m'as l'air inquiète ? C'est Noël, regarde comme ton fils semble être heureux...
Je tourne la tête et observe Gabin. Il semble effectivement ne pas se rendre compte du trouble dans lequel je me débats. Je crois qu'il faut que j'arrête...
— Joyeux Noël Charlie !
Je la serre dans mes bras et lui souhaite à mon tour un joyeux Noël. Ma mère nous surveille du coin de l'œil et sourit. La chaleur qui émane de cette famille me réchauffe le cœur et me réconcilie avec Noël. J'ai retrouvé tant de bonheur en venant passer les fêtes ici.
Une chose est sûre, je vis les montagnes russes, mais je suis vivante !
— Un café ?
— Avec plaisir...
— Suis-moi dans la cuisine.
Le café fraîchement coulé vient emplir un mug qu'elle me tend.
— Merci.
Elle me regarde, presque gênée, et je crois déceler une hésitation dans son regard. Ce n'est pas du tout son genre pourtant.
— Quelque chose ne va pas Agathe ? C'est au sujet de Gabriel ? Je m'inquiète un peu, vous savez... il est venu ce matin, nous avons beaucoup parlé, mais je ne sais pas ce qui s'est passé il est parti comme s'il fuyait quelque chose... je n'ai vraiment pas compris...
Elle avale une gorgée de café avant de se lancer. Je vois bien qu'il lui en coûte.
— Je peux te poser une question Charlie ?
J'acquiesce d'un signe de tête. Bien évidemment, elle n'a aucune raison d'hésiter avec moi.
— Si c'est trop indiscret, je comprendrais que tu ne veuilles pas me répondre...
— Allez-y Agathe, je vous en prie...
Elle prend une profonde inspiration.
— Gabin ne porte pas le nom de son père ?
Je m'attendais à beaucoup de choses, mais pas à ça. Pourquoi ce questionnement ? Je vois bien que presque aussitôt elle regrette sa question.
— Je le savais, c'est trop indiscret.
— Noooon, c'est vrai que je n'aime pas trop en parler, mais à vous je peux l'avouer. Gabin n'est pas le fils de Greg.
— Oh... je le savais, j'en étais sûre...
— Quoi ?
— Ne bouge pas OK ?
Je n'ai pas le temps de lui répondre qu'elle s'enfuie dans le couloir et farfouille dans l'un des placards muraux. Elle en sort un gros livre qu'elle pose devant moi sur l'îlot de cuisine.
— Tu devrais l'ouvrir et le feuilleter. Tu comprendras...
Je m'apprête à obéir et ouvrir le gros volume, mais elle m'interrompt.
— Attends d'être seule, je vais m'assurer que personne ne te dérange. Prends tout le temps dont tu auras besoin.
Elle caresse ma joue.
— Et Charlie ? Je te promets que ça va aller...
Il y a vraiment des moments où j'ai l'impression d'être dans la quatrième dimension. Ils sont tous tellement bizarres ! Si même tante Agathe s'y met...
Lorsque la porte se referme derrière elle, je me décide à découvrir ce que cache cette couverture en cuir d'un autre temps.
De vielles photos, certaines un peu jaunies et cornées se superposent en quinconce. J'y redécouvre les parents de Léa et Gabriel, jeunes, insouciants. Puis quelques photos mal cadrées de leur mariage. Enfin, l'apparition de la petite bouille adorable de ma Léa. Puis c'est autour de Gabriel, nourrisson potelé de faire son apparition.
Je finis même par apparaître sur certaines d'entres-elles, quand j'ai intégré cette famille qui a fait de moi un membre à part entière de la tribu Esqueyrol...
Les pages défilent, m'arrachant des sourires, des émotions puissantes de redécouvrir les visages heureux de leurs parents toutes ces années avant le drame. Nos premiers cours de musique, le sourire de Gabriel...
Et soudain je bloque sur l'un des clichés.
Ce trois quarts de profil, ses boucles brunes, ses lèvres ourlées, ses longs cils noirs, son air boudeur...
— Mon dieu...
Vu l'allure des vêtements portés par le petit garçon sur la photo, cela ne peut pas être Gabin. Pourtant, à y regarder de plus près, on dirait son sosie. Dans la même tranche d'âge, je pourrais m'y tromper, c'est sûr. Au fond de moi, les pièces manquantes sont en train de s'assembler, mais je refuse que tout se mette en ordre, que la vérité m'explose à la tronche. Je referme l'album. La fonction reverse s'enclenche dans ma tête et je repense à ma conversation avec Gabriel un peu plus tôt... sa réaction au moment où je lui avouais avoir été enceinte d'un autre homme que Greg. Je sais que Gabriel a été pompier de Paris à l'époque où...
Merde. Merde. Et remerde.
Tout s'embrouille. Les réactions étranges de tout le monde autour de moi.
Laura savait.
Jerem sans doute aussi.
Gabriel lui, se souvenait de cette nuit qui m'est en partie sortie de la tête... mais il n'en connaissait pas le fruit... je me sens tellement sotte ! Comment a-t'il pu me cacher ça ? Pourquoi n'a-t'il rien dit ? est-ce une sorte de vengeance ? Il semblait tant me détester à mon arrivée...
Comment n'ai-je pas pu voir la ressemblance entre mon trésor et le petit Gabriel de mes souvenirs ?
Une petite larme vient s'échouer sur le dos de ma main toujours posée sur l'album.
Je crois que tout est clair ou complètement embrouillé, mais les pièces du puzzle s'emboîtent. Cet homme dont j'avais oublié le visage, cet homme avec qui j'ai discuté ce soir-là et avec qui j'ai passé la nuit était Gabriel.
Bon sang... Pourquoi n'a-t-il rien dit ?
Après mes aveux sur les origines de Gabin, je commence à percevoir les raisons de sa réaction étrange. Il attendait certainement une révélation de ma part, impatient de connaître ma version de ces moments que nous avions partagé, il n'a pas été déçu du voyage.
Lorsque la porte s'ouvre, je n'ai pas le courage de me retourner pour faire face à l'intrus. Je sens une présence, derrière moi puis une main se poser sur mon épaule. C'est de nouveau tante Agathe. Je ne sais pas vraiment comment réagir parce que maintenant, elle sait que je sais qu'elle sait. Et ça ne m'avance pas à grand-chose.
Alors je me retourne et me jette dans ses bras, en proie à une multitude d'émotions que je n'arrive pas à contenir.
Toutes ces années où je me demandais qui était véritablement le père de Gabin, toutes les fois où je me suis imaginé qu'il serait revenu me trouver, la sensation étrange qui me serrait le cœur le jour où j'ai quitté mon appartement... je pensais encore qu'en déménageant, j'abandonnais le dernier espoir qu'il me retrouve.
Finalement, il a toujours su qui j'étais, il a fui volontairement.
A t'il regretté dès le lendemain ?
Est-il revenu ? M'a-t-il surveillé ? Avait-il conscience qu'il était certainement le père de Gabin ? Vu sa réaction, il est clair que non.
Je sanglote contre son épaule et profite de sa chaleur. À cet instant, la solution de facilité me paraît évidente, j'aimerais fuir, retourner retrouver mon quotidien rassurant à Paris et ne plus être confrontée à la réalité. Mais il y a Gabin. Je veux le protéger, mais je ne peux pas lui cacher la vérité indéfiniment.
— Ça va aller Charlie, je te promets que ça va aller.
Je relève la tête vers Agathe qui me sourit.
— Je ne sais pas si j'aurais la force de supporter le regard des autres Agathe. Je me sens tellement perdue. Je n'aurais jamais pu imaginer que...
— Que mon Gabriel était amoureux de toi ?
— Mais comment ?
— Depuis qu'il est tout petit, il t'a toujours regardé avec tellement d'admiration. Vous avez partagé l'amour de la musique ensemble, vous avez toujours eu une relation fusionnelle. Je vais te raconter ma part de vérité, je suis sûre que ça t'aidera à y voir un peu plus clair et que tu te sentiras mieux après...
J'essuie grossièrement mes larmes qui inondent mes joues et m'installe sur un des tabourets. Agathe se sert un nouveau café et avale quelques morceaux de croissant. Elle m'en tend un, mais j'ai l'estomac tellement noué que je ne peux rien avaler.
— Quand tu es partie, Gabriel n'a pas compris. Il était très triste, inconsolable. Et puis cette tristesse s'est transformée en colère. Il croyait que tout le monde l'abandonnait, il le vivait très mal. Il est vite devenu un adolescent ingérable. Heureusement, il a croisé la route d'un prof de sport exceptionnel qui l'a remis dans le droit chemin. Il l'a incité à reporter sa colère dans le sport.
Il voulait devenir pompier et cet objectif ne l'a jamais quitté. Et il a aussi rencontré Sybille. Ils étaient au lycée ensemble, ils étaient beaux et amoureux, mais je crois que le cœur de Gabriel ne pourra jamais appartenir à quelqu'un d'autre qu'à toi. Quand il a obtenu ses diplômes il a fait toutes les démarches pour s'engager dans la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Sybille est partie à Londres, il est parti à Paris durant cinq ans. Je pense qu'il a vraiment aimé ce moment de sa vie, mais lorsqu'il est revenu, j'ai compris qu'il s'était passé quelque chose durant ces cinq années parce qu'il n'était plus le même.
— À quel niveau ?
— Je pensais qu'il avait rencontré quelqu'un et que ça s'était mal fini... maintenant j'imagine qu'il s'agissait de vos retrouvailles avortées...
— Vous pensez vraiment ? Il ne m'a rien dit, il m'a caché ce qu'il savait...
— Et il a été pris à son propre piège on dirait...
— Mais il n'est jamais revenu ! Il savait où j'habitais, il est parti si vite ce matin-là... pourquoi n'est-il pas revenu ?
— Es-tu sûre qu'il ne l'a pas fait ?
— Je ne peux pas en être certaine, mais je ne comprends pas...
Je prends ma tête entre mes mains. Cette situation va me rendre dingue. Comment c'est possible ?
— Lorsque Léa t'a invitée, qu'elle en parlait en sa présence il était très nerveux, il ne voulait pas te voir revenir dans sa vie.
— Peut-être aurais-je mieux fait de ne pas accepter ?
— C'est idiot. Regarde comment ton séjour se passe depuis ton arrivée... Je sais que vous vous aimez. Il ya une alchimie qui est inexplicable... quand vous êtes dans la même pièce, ça crépite autour de vous ! Rien n'est jamais complètement blanc ou noir. Il a été furieux au début, mais ensuite... ensuite il a touché du bout des doigts ce qu'il rêve de posséder.
— Il doit me détester maintenant...moi je le déteste...
— Mais non, arrête... c'est un choc pour lui, pour vous deux.... Il a besoin de digérer. Tu as eu des mois pour accepter l'idée de devenir mère. Il s'est pris ça en pleine figure en quelques secondes...
C'est vrai. Comment aurais-je réagi si j'avais été à sa place ? Finalement il n'a pas si mal réagi que ça. Il a été sonné et a préféré prendre ses distances plutôt que de ne pas savoir gérer devant Gabin. Je ne peux pas lui en vouloir.
— Je ne sais pas comment faire pour arranger ça Agathe... c'est si...
— Improbable ? Oui, mais arrête de t'inquiéter, laisse-lui du temps. Je sais qu'il reviendra.
— Mais après ? J'ai autant peur de ne jamais le revoir qu'envie de l'étriper qu'il se soit joué de moi cette semaine...les choses auraient pu être si différentes...
— C'est à vous d'écrire les autres pages de votre livre... regarde, tu t'es déjà débrouillée pour qu'il ne soit pas reconnu par un autre... inconsciemment tu devais déjà savoir qu'un jour tout ça serait possible...
Elle me fait sourire. Même dans cet instant compliqué. Non, je n'avais jamais imaginé un tel scénario, mais je ne pouvais pas laisser Gabrin porter un autre nom que le mien ou celui de son père biologique.
— Je ne sens mal à l'aise Agathe.
— Tu n'as aucune raison de te sentir mal. C'est votre histoire, personne ne peut juger ce que vous avez vécu. Ta famille, tes amis, tout ce qu'ils veulent c'est que tu sois heureuse !
Dure journée de Noel...
Je poste un chouilla en retard mais le covid s'est invité à la maison...😅
Je vous souhaite un très bon week end mes brioches !
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