Chapitre 01 - Zélia
21 octobre 2014.
Maudite, c'était ça. Je devais être maudite.
L'aura mystérieuse et fascinante du Colisée m'enivrait. Au milieu du désert de pierres, les larmes s'écoulaient le long de mes joues. Elles étaient saccadées et salées, un tantinet mélancoliques. L'air frais emmêlait mes cheveux, les confondaient avec ma peau, et dans la lumière de Rome, je me noyais dans mes ténèbres. L'amphithéâtre se présentait à moi vide, pourtant, sa taille colossale me rassurait. Au ciel, je tentai d'observer les étoiles, en vain.
Mon paternel venait de rendre son dernier souffle, il n'était plus là pour consoler mes peines. Vingt minutes plus tôt, je me trouvais au chevet de mon père. L'hôpital immaculé était le seul endroit dont j'avais peur à présent. Il me terrifiait, parce que ce soir-là, j'avais perdu une partie de mon âme.
Au fond des tribunes, je me levai, séchai avec dédain mes pleurs avant de poser mon regard sur ma main. Ces doigts, qui, plus tôt, le tenaient encore contre eux. Chaque parcelle de ma peau possédait une teinte dorée. La clarté du monument se réfléchit sur moi tel un miroir. Un miroir incapable de lui rendre ce qu'elle avait donné. Un instant, j'écoutai ma respiration, calme, régulière, elle pouvait être trompeuse. Autour de moi, tout était beau mais tout s'effritait. Les rochers ne faisaient qu'acte de présence, comme si cet endroit était figé depuis trois millénaires. Au centre de ce spectacle noctambule, l'arène se séparait en deux par une passerelle de lumière. Un soupir intense s'échappa de ma gorge, las, mon corps devint lymphatique. Perdu, mon esprit n'était plus que néant.
— Je ferais mieux de rentrer, marmonnai-je, penaude.
Aussitôt dit, un courant d'air me paralysa. Des bruits de pattes agitées brisèrent le silence propre au Colisée nocturne. Je n'étais pas seule, mais cette présence n'avait rien d'humain. Mon visage se glaça de terreur, et, frigide, je me trouvai paralysée. Mon sang ne fit qu'un tour lorsque je pris conscience que seules mes pupilles avaient accès à leur mobilité. Une douleur me fit grimacer sur mon poignet droit. Elle n'était pas puissante, mais elle suffisait à faire accélérer mon pouls et à me faire transpirer à gouttes froides. Figée telle une statue romaine, je peinais à baisser le regard sur mon membre. Pâle, il semblait avoir maigri, laissait entrevoir mes veines plus qu'à l'accoutumée. La brûlure fragile dessina sous mes yeux une lettre, irréelle, la couleur charbon imprègne ma chair. La douleur disparue aussi vite qu'elle était venue, laissant l'encre mythique subsister sur mon bras. C'était à n'y rien comprendre. Je venais de perdre mon seul parent et voilà que la puissance du surnaturel venait frapper à ma porte. Il ne faisait aucun doute qu'il s'agissait de l'œuvre des Supramortels.
Au travers des âges, nous avions appris à vivre avec eux. Ils restaient cachés, et tant qu'ils ne faisaient de mal à personne, ils ne risquaient pas la mort. Je savais, de par l'expérience, que les loups garous étaient les plus nombreux en ces terres, mais je n'en connaissais aucun. Nous avions défense de les approcher, si ce n'était leur adresser la parole en public. Sentant leur présence j'observai frénétiquement ce qui m'entourait, sans pouvoir croiser leurs regards. Ceux-ci étaient différents de ceux que je pressentais auparavant. Ils me voulaient du mal, et je ne pouvais pas les laisser s'en tirer à si bon compte. Un dernier coup d'œil furtif, et je pris la fuite, entraînant ma marche jusqu'aux plus basses tribunes du Colisée. Sur la pierre, mes talons claquèrent, et je ne pus m'empêcher de détourner le regard du monument. J'en profiterai une autre fois, un soir plus calme, sans marque. Il fallait que je me débarrasse de la dernière lettre de l'alphabet, celle qui débutait mon prénom ; le Z. Dès lors que je quittai l'environnement céleste de la ruine empirique, je m'engageai à pas rapides vers la Basilique Saint-Pierre dont la paroisse couleur corail rayonnait face à la lumière des lampadaires cosmopolites. Ses piliers romains soutenaient la toiture avec grâce, mais lorsque je sentis des présences me talonner, je n'eus plus le temps d'admirer le paysage. Que me voulaient les Supramortels, après tout ? Ils restaient toujours dans l'ombre, cachés des hommes, bien qu'ils fussent découverts des centaines d'années auparavant.
Courant le long des rues faites des pavés irréguliers qui habillaient Rome, au beau milieu des ténèbres, l'angoisse guettait mon corps, menaçant de me faire trébucher. Au détour d'une petite ruelle, je m'engageai sur le chemin qui menait à mon appartement. Les bras croisés sur mon plexus, je me couvris le plus possible de ma veste polaire. Peu importait ce qui était marqué sur mon poignet, je devais éviter de croiser la route des Supramortels. Une altercation me valant peine de mort de la part de Pluton me paraissait moins supportable que de me débarrasser de la lettre. L'hôtel Nerva et sa façade blanc cassé bordait l'allée que j'empruntai, et, à l'intérieur, de la vie s'y propageait encore. Encore quelques pas, mes assaillants semblaient m'avoir lâché, mais étais-je vraiment tranquille ? Rien ne me laissait à penser que je pouvais en être certaine.
Contre la façade Bismarck de mon immeuble, je me reposai quelques secondes. Je venais de passer devant l'entrée du restaurant de chez Mario, le pizzaiolo qui siégeait au rez-de-chaussée de la construction. Mon cœur battait au point de vouloir s'enfuir de ma cage thoracique. Je tenais à peine debout, les jambes lourdes et ankylosées. Plus loin, la poignée de la cage d'escalier me tomba entre les mains. Tout ce qu'il me restait à faire était d'enclencher le loquet et de m'enfermer dans l'immeuble mais je ne pus m'empêcher de regarder derrière moi avant de m'exécuter. Un mauvais pressentiment s'immisça dans mon esprit. Une fois la porte refermée et hors d'atteinte, je repris mon souffle. Les boîtes aux lettres délabrées me broyaient le dos, si bien qu'elles m'obligeaient à rapidement grimper les trois étages de marches. Tout était calme, un peu trop même. L'ambiance était tout autre lorsque j'entrai à l'intérieur de l'appartement, les clés qui tintaient encore dans ma main. Le parquet ancien craquait sous mes pieds, et, en arrivant dans le salon, un plafonnier pendait encore allumé au-dessus de la kitchenette. Cet endroit n'était pas bien grand, mais pour deux personnes, cela nous suffisait.
Mollement, je ne parcourais la pièce que de quelques pas avant de trouver l'entrée de la cuisine longiligne. Cet appartement avait de l'âge, alors la peinture partait en miette et le papier peint aux motifs d'un ancien temps commençait à se détacher à certains endroits. L'allée de la pièce était vide, me permettait d'aller à l'une des deux fenêtres de la pièce. Celle-ci était cachée du salon mais tout aussi sale que les autres. Pas la moindre odeur ne transperçait l'air, ce qui me poussa à entrouvrir les volets en bambou de mon index et de mon majeur afin d'observer l'extérieur. Il n'y avait personne, et ma raideur partie progressivement jusqu'à laisser mon regard se détacher de l'extérieur. Près du plan de travail, à ma droite, gisait une chaise pliable. Elle grinça lorsque je la pris entre mes doigts et que je la décalai du mur. C'était à peine si elle supportait mon poids.
Ma mère mourut en me donnant la vie, je n'avais donc jamais eu l'occasion de la rencontrer, mais de ce qu'en disait mon père, elle était merveilleuse. Sa passion pour l'architecture romaine avait déteint sur moi à travers les contes de mon parent à son sujet. Je souris bêtement avant de me rendre compte que je me sentais profondément seule. Je me renfrorgnai, molle comme une larve.
Cet appartement me faisait déjà souffrir alors que cela ne faisait que quelques heures qu'il était partit, loin de moi. Nous possédions tellement de souvenirs, des bons comme des mauvais, d'ailleurs. La poussière faisait sa place depuis des années sur la fausse cheminée où j'y déposai mon trousseau avant de me débarrasser de ma veste. Malgré moi, je n'osais plus poser les yeux sur quelconque détail de cette habitation, préférant l'occulter durant un moment. J'y resterai uniquement pour dormir et me nourrir, le temps de retourner travailler chez Mario.
Un sourire effleura mes lèvres en pensant à mon patron. Le propriétaire avait commencé à me faire travailler, j'avais à peine dix-sept ans. Après avoir compris la misère dans laquelle nous vivions avec mon père, nous aider lui paraissait évident. C'était il y a cinq ans, et en ce merveilleux vingt et un octobre, j'entrais dans ma vingt deuxième année. Dans la pénombre, je progressai enfin dans le couloir qui menait aux chambres, à la salle de bain et aux toilettes. Il n'y avait aucun bruit, mais je savais que l'on rodait autour de chez moi. Ce dont je n'avais pas conscience, en revanche, était à quel point les Supramortels pouvaient être source de dangers, peu importait leur race. Je m'enfonçai au bout du couloir, à droite, et allumai avec précaution la lumière de la pièce. La baignoire, blanche, était vide et des affaires traînaient encore à terre. L'humidité, encore présente, rendait l'atmosphère suffocante. Un miroir rectangulaire trônait au-dessus du lavabo, laissant entrevoir mes cheveux châtains. J'avançai d'à peine deux foulée que, dans la psyché, j'y découvris mon double. Mes yeux étaient gonflés de fatigue, bornés par les insomnies.
Durant un court instant, je crus apercevoir une silhouette derrière moi, me fis sursauter, tressaillir comme une enfant. Je clignai des yeux, puis me retournai, le corps frêle. Rien n'y personne ne se trouvait là. Rien, sauf un souffle chaud qui glissait le long de ma nuque. Le goût de la peur se propageait dans ma bouche, une terreur viscérale capable de me faire flancher. Et lorsque mon visage se tourna lentement vers le reflet du miroir, j'étais à nouveau seule face à moi-même. Mon esprit me jouait des tours, ou les intrus avaient pénétrés dans mon domicile et savaient comment s'y prendre pour me rendre chèvre. Malgré moi, je n'étais pas intimidée, mais l'appréhension ne faisait que me guetter. Les sourcils froncés devant mon reflet, je devinai un air plutôt sceptique. Pourquoi me traquer après la mort de mon père ?
Puis, mon regard se pencha sur mon poignet. La lettre Z s'y été imprégnée inéluctablement, et je ne pouvais rien y faire, à part la frotter de toutes mes forces, en vain. Dans la petite salle de bain, je m'enfermai à double tour, caressai le tatouage avant de me tourner vers la baignoire. Tout ce qui pouvait me consoler était de prendre une douche, quoi qu'il se passait dans cet appartement. Rien d'autre que la mort de mon père ne pourrait rendre ma journée pire qu'elle ne l'était déjà. La boursouflure de mon poignet me fit tiquer, et c'était sans compter sur le fait que je ne savais pas d'où elle provenait. Et si elle signifiait une mort imminente ? Sans passer par les Supramortels, je devrais répondre moi-même à mes interrogations et cela n'appartenait pas à mes priorités pour l'instant. Je devais me ressourcer, penser à autre chose qu'au visage fétide de mon père mourant, de ces doux mots malgré la situation qui avait pris un tourment dramatique lorsque nous avions appris l'existence de sa maladie : une tumeur cérébrale. Mon sang devint bouillonnant, et la pièce, déjà étriquée, me paraissait encore plus restreinte. La bile me monta à la gorge, comme des nausées. Je remarquai à peine que je me tenais fermement au lavabo pour ne pas flancher. Lui-même était au bord de la rupture tant mon poids eut du pouvoir sur la gravité. Je suffoquais, et à présent, j'avais une raison de me surprendre à être déroutée. Mon environnement était aveuglant et me poussa à fermer les yeux un instant. Ma cage thoracique se bombait difficilement d'air, m'étouffant peu à peu dans le clair-obscur de mes paupières. Seule, j'étais seule, et des inconnus au-delà de la mort s'amusaient à se jouer de moi, à me prendre comme pantin.
Que m'arrivait-t-il ? Quelle entité pouvait m'en vouloir à ce point ? La folie s'emparait-elle de moi comme un loup qui dévorait sa proie ? Tant de questions pour si peu de réponses. Je papillonai des paupières lorsque ma vue me gêna, et en trois battements de cils, l'univers avait pris une tout autre dimension. L'acrylique de la baignoire me paraissait plus lisse, la lumière plus forte, ma peau encore plus brûlante et l'environnement hostile. Je réussis tant bien que mal à me redresser mais aussi à m'habituer à une vision qui m'était encore étrangère. Un bras vint soudainement m'agripper, m'attirer contre un corps semblable à du béton. Je ne pus hurler, ni même bouger lorsqu'un visage se glissa contre le mien.
— Douce Zélia, souffla une voix gutturale contre ma nuque.
Je ne distinguai pas son visage mais lui me tenait fermement et, d'un coup sec, il attrapa mon poignet, le présenta sous mon nez et haleta une nouvelle fois auprès de mon visage. J'étais pétrifiée, Médusa m'avait jeté un sort.
— La Lettre est le symbole de ta perte.
Je déglutis avec peine tandis qu'il me serra encore plus fort, comme s'il sentait que je voulais m'échapper.
— Je n'ai pas peur des Supramortels, dis-je, tête haute, alors que sa main avait quitté mon bras, se hissant le long de mon abdomen.
Les frissons me gagnaient petit à petit mais la vague de chaleur ne me quittait plus. Je ne savais plus si j'étais effrayée de mourir. Quelques heures plus tôt, j'aurai imaginé que non, mais lorsque la mort venait toquer à la porte, l'Achéron m'emportait sur ses rives.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro