Ils se sont donnés rendez-vous à la sortie de la station de métro Rambuteau. Les tuyaux du centre Pompidou se dévoilent aux yeux de Louna. C'est toujours impressionnant de se tenir proche de cet énorme bâtiment. En plus, il fait beau.

Lou' le voit en premier, debout, adossé contre un mur, écouteurs sur les oreilles. La brune s'approche, lui tapote l'épaule. Quand Raph' la voit, il sursaute.

— Désolée du retard, s'excuse simplement Lou'.

Trois minutes, ça va, se dit-elle.

— Oh non, tranquille. Ça va ?

Ils papotent un peu, rejoignant la file d'attente. Raphaël explique un peu ce qu'ils vont voir à l'exposition, les spécificités de l'artiste et ce qu'il a hâte de découvrir en vrai.

— T'es un mordu d'art en fait.

— Un peu, mais surtout de ce peintre, avoue-t-il.

Louna ne connaissait pas cette facette de Raph', celui qui s'épanche clairement pour la peinture. Elle savait juste que son père bossait dans l'art, mais pas qu'il était animé d'autant de ferveur pour certains peintres modernes.

— Tu veux faire quoi l'année prochaine toi ? demande Louna curieusement.

— Je vais voir, mais je sais que je veux bosser dans le cinéma.

— Je savais pas... Ça doit être sympa. commente-t-elle en réalisant qu'elle ne sait pas grand chose de Raph' au fond.

Aux portiques de sécurité, elle l'observe, lui et son sac à dos vide. Ses cheveux bouclés se sont aplatis du fait de leur longueur et sa doudoune a l'air de lui tenir chaud. Raphaël est craquant, c'est ce qu'elle s'était toujours dit, même au collège.

— Pour l'expo, tu préfères qu'on fasse tout ensemble ? Ou chacun son itinéraire puis on se rejoint dans une heure à la fin ? demande-t-il sur les escalators.

Lou' hésite, mais réalise que Raphaël souhaiterait peut-être un peu d'espace personnel en voyant tous ces tableaux qu'il adore.

— Tu préfères quoi toi ?

Il la regarde, puis sourit.

— Pour le coup, j'aimerais bien te montrer quelques tableaux que j'aime.

Le cœur de Louna se réchauffe. L'intention est à croquer. Elle le suit. Pendant l'exposition, les deux restent majoritairement silencieux. Mais face à un tableau jaune qu'il affectionne tout particulièrement, Raphaël se met à chuchoter dans son oreille.

— Et tu vois, il l'a fait quand il était révolté. Et je trouve que ça se ressent bien dans les contrastes de couleur. Surtout dans le coin supérieur droit, y a un truc qui explose, murmure-t-il doucement.

Lou' frissonne un peu, doit se concentrer sur ce qu'il dit, essaie de ressentir cette révolte dans le tableau. Mais quand elle pose ses yeux sur les taches de couleur, elle ne ressent pas grand chose. Peut-être qu'elle est immunisée contre cette révolte intérieure de l'artiste. De cette œuvre, elle ne voit que l'envie de jongler avec les couleurs, de saturer ces couleurs.

— J'aime bien lui, souffle-t-elle.

Raphaël, en bon guide, lui explique que cette toile a été peinte quand l'artiste venait de perdre un être qui lui était cher. Là, les éclats de bleu lui parlent davantage. Elle sent la mélancolie de ces formes éparpillées. La brune se tourne alors vers Raph', tire sur sa manche.

— Ça te dérange si je reste un peu plus longtemps ici ? Finis l'expo, je te rejoindrai.

Le brun lui sourit. « OK » chuchote-t-il. De toute façon, de là où ils sont, ils peuvent repérer la sortie imminente de la salle d'exposition.

Lou' regarde ce tableau, se demande pourquoi il a tant d'impact sur elle. Ce n'est même pas une des œuvres majeures du peintre, une simple étude à la limite. La brune se concentre sur la tache jaune vers le côté gauche du tableau. Quelque chose dans cette touche de couleur lui picote le cœur.

Elle a l'impression que tout ce qu'elle ressent en ce moment est résumé dans une toile, et que chaque fissure de son être est représenté par un coup de pinceau. Elle se retient de pleurer, sentant l'émotion monter. En bas du tableau, elle lit une citation d'un poète. Sur l'amour en plus. Super. Elle sourit nerveusement, c'est con de se faire autant submerger par ses émotions..., se moque-t-elle d'elle-même.

Mais Louna aime cet instant, il y a quelque chose d'envoûtant et d'inspirant.

Parfois, on a besoin qu'une autre personne pose les mots, les couleurs, les harmonies sur ce qu'on ressent. Et c'est exactement ce qu'elle vit à présent.

— Psst.

La brune se retourne. C'est Raphaël. Il s'inquiète en voyant ses yeux gonflés de rouge. Elle s'est retenue très très fort de pleurer.

— Tu viens ?

Et Raph' lui prend délicatement la main. Louna le suit. En silence, elle écoute son cœur battre intérieurement. Leurs mains sont chaudes. Elle rougit.

C'est bel et bien un rendez-vous.

— C'était chouette, lâche-t-elle quand ils prennent l'escalator de sortie.

— Moi aussi j'ai adoré !

Leurs doigts sont encore entremêlés quand ils arrivent à la boutique de souvenirs. Raphaël l'amène jusqu'au stand réservé à l'exposition et lui montre une carte miniature du tableau qui l'a bouleversé.

— T'en veux une ?

Lou' sourit, hésite puis répond :

— Non, ça ira.

Si elle prend cette carte, elle repensera à Noé, à cette tache jaune dans le coin,  ensoleillée.

Si elle la laisse, peut-être que ce sera sa petite victoire du jour : le fait qu'elle ait laissé éclater son mal-être tout en voulant le laisser derrière elle.