Malone essaya de se concentrer sur les éléments de son environnement.

Mais son corps pesait incroyablement lourd. Il ne se souvenait pas qu'il pesait si lourd, avant. Ses bras, ses jambes, tout son être était rivé au sol.

Et dans son ventre, il y avait un gouffre avide.

Il avait faim.

Il gémit et mobilisa toutes ses forces pour s'adosser un peu mieux contre le mur. Dans son état de faiblesse, il ne sentait même plus le froid.

-Ce n'est pas la peine de faire des bruitages si pathétiques, lança Challenger, à l'autre bout de la cellule. Moi aussi, j'ai faim. Mais sachez tenir avec un minimum de dignité ! Vous êtes désespérant, Malone. Une vraie déception.

Le jeune homme laissa les mots se ficher dans son cœur. Il n'avait même plus la volonté de contredire le professeur.

La porte s'ouvrit.

La fuite ! Songea aussitôt le journaliste.

Il mobilisa toutes ses forces d'un coup, faisant appel à tout ce qu'il possédait de bravoure et de force mentale. Et quoi que pouvait dire Challenger, c'était énorme.

Un homme entra dans la pièce, muni d'une matraque.

C'était le troisième larron de la bande de Wells, que Malone reconnu très vaguement.

Ce qui comptait, c'était de ménager une voie de sortie pour le professeur.

Il se concentra sur ça. Rien que sur ça. Pas sur sa faim, pas sur sa soif, ou son angoisse.

Et lorsque l'homme fut à sa portée, il se jeta sur lui.

-FUYEZ, CHALLENGER ! Hurla-t-il en renversant l'individu pris de court.

Le cri fit l'effet d'un coup de fouet au professeur, qu'en raison de sa masse corporelle et de sa plus grande endurance, le jeûne avait moins affaibli.

Il se redressa, se précipita vers la sortie, et se retourna pour attendre Malone.

Mais le jeune homme, dans son état, n'avait pu faire le poids contre le colosse, qui l'avait jeté par terre et le ruait de coups.

Emporté d'une rage immense, Challenger rugit et se jeta sur le dos de l'agresseur.

Mais lui non plus n'était pas au mieux de sa forme.

L'autre le fit basculer, et il atterrit lourdement sur le sol. Il se redressa dans un grognement de douleur, qui se changea en gémissement lorsque ses yeux tombèrent sur le corps inanimé de Malone, tout ensanglanté.

Il se traîna jusqu'à lui et le prit dans ses énormes bras. Le jeune homme eut autant de réaction qu'une poupée de chiffon.

Le colosse sorti de la pièce dans l'intention d'aller chercher une arme à feu ; moins discret, mais plus efficace. Challenger n'y prêta pas attention.

-Malone ? Appela-t-il en berçant maladroitement le jeune homme dans ses bras, comme s'il se fut agi d'un enfant. Malone ? Répondez-moi, je vous en prie. Malone ?

Étrangement, sa voix grondante, qu'il utilisait pour hurler sans arrêt sur son entourage, n'était plus qu'un murmure.

Le journaliste ouvrit les yeux avec difficultés.

-Il fallait que vous vous enfuyiez, murmura-t-il.

-Vous pensiez que j'allais vous laissez ici ? Pour qui me prenez-vous !

-Le plus illustre savant de notre génération... répondit le jeune homme en toussant du sang.

L'homme de science lui adressa un regard plein de larmes.

-Pas au point d'abandonner un ami, tout de même...

Mais le journaliste avait de nouveau sombré dans les brumes de l'inconscience.

-Très émouvant, commenta leur ennemi en pointant sur eux un revolver.

-Lâchez cette arme, commanda froidement une autre voix.

La silhouette de l'inspecteur Lestrade se dessina derrière celle du gredin.

-Malone ! Challenger ! s'exclama Doyle en dépassant l'inspecteur pour se précipiter vers ses amis.

-Soignez Malone... Murmura Challenger avant de s'autoriser à perdre connaissance.