La menace fantôme
-Vous ne devriez pas sortir, avec votre jambe, soupira le docteur.
-Il faudrait savoir ce que vous voulez, mon chez Watson, rétorqua Holmes en s'appuyant un peu plus sur le bras de son ami, juste pour le plaisir de se sentir soutenu. Vous avez insisté pour que je mène l'enquête, au lieu de rester sur notre sofa à faire des choses que la morale catholique réprouverait.
-Holmes ! Le rabroua Watson, les joues rouges.
Le détective lui envoya un sourire affectueux et se détacha de lui, prenant appuie sur sa canne. Ils étaient arrivés à la lisière des quartiers pauvres. Devant eux, une enseigne qui avait connu des jours bien meilleurs – un ou deux siècles plus tôt, au moins – proclamait en lettres écaillées « Auberge de la Femme Folle ».
-Quel drôle de nom, commenta Watson en ouvrant la porte à son ami, qui s'engouffra aussitôt dans le cloaque et se dirigea vers le bar.
Holmes avait un don incroyable pour susciter les confidences.
Il s'adressait sans distinction à toutes les classes sociales, du sans-abri aux archi-ducs, en adoptant intuitivement la posture qui mettrait en confiance son interlocuteur. Lorsqu'il le désirait, il pouvait faire montre d'un tel magnétisme et d'une telle capacité d'écoute que celui qui lui parlait avait soudain l'impression que ce qu'il disait était capital, crucial, et d'un intérêt extraordinaire pour l'avenir du pays, du continent, et de l'humanité toute entière.
Bref, le barman mit moins d'une seconde pour abaisser ses défenses et lui raconter toute sa vie, ses rhumatismes, ses rêves d'éleveur de canaris, ses clients qui disparaissaient sans laisser de traces et celui qui le mettait mal à l'aise, assis seul autour d'une table, en silence, des heures durant, depuis près d'une semaine.
-Vraiment ? Embraya aussitôt Holmes.
-Oui, continua l'autre, un gentleman, en plus, pas le type de client habituel. Un taiseux, bien habillé, avec une cicatrice qui lui barre l'œil. Comment ça, quel type de cicatrice ? J'en sais rien, moi. Pas très propre. Pas un couteau, j'dirais peut-être un animal.
-Et son nom ? Vous le connaissez ?
Sebastian Moran ? Répéta Holmes, pensivement, en prenant congé du barman. Oui, il me semble en avoir déjà entendu parler... Venez, Watson, rentrons à Baker Street. Il faut que je consulte mes registres.
-Holmes ! Attendez-moi ! Dieu du ciel, comment faites-vous pour vous déplacer aussi vite avec une canne ?
-Je ne suis pas encore un invalide, mon cher, répliqua Holmes avec une pointe d'acidité.
-Oh, je vois. Il ne sert donc à rien que vous vous appuyiez sur moi.
Holmes lâcha un gémissement.
-Vous êtes redoutable, Watson !
Le brave docteur laissa échapper un rire et glissa son bras sous celui de son cher ami, qui ne put empêcher un sourire stupide de fleurir sur ses lèvres.
~
- Moran accomplit son éducation au collège d'Eton et à l'université d'Oxford avant de se lancer dans une carrière militaire, lut Watson. Engagé dans le 1st Bangalore Pioneers durant l'armée des Indes, il servit lors de l'expédition Jowaki de 1877 à 1878 ainsi que lors de la deuxième guerre anglo-afghane, au cours de laquelle il combattit à la bataille de Char-Asiab, le 6 octobre 1879 et pendant le siège du camp de Sherpur, le 23 décembre 1879, ainsi qu'à Kaboul. Tireur d'élite, il fut l'auteur des livres Heavy Game of the Western Himalayas, publié en 1881, et de Three Months in the Jungle, sorti en 1884. Apparemment, il n'hésita pas à ramper dans un tuyau de canalisation, à la poursuite d'un tigre mangeur d'homme blessé ».
Watson fit une pause avant de lire la note griffonnée dans la marge :
-Actuellement l'homme le plus dangereux d'Angleterre. Dieu du ciel, Holmes ! Mais il n'est rien écrit ici qui puisse laisser à penser...
-Que voulez-vous, mon cher Watson. Parfois, un arbre grandit naturellement jusqu'à un certain point et, soudain, se tords et donne des fruits pourris. Ainsi en est-il de Sébastian Moran. Heureusement, l'homme a beau être un tireur hors pair, il n'a pas la finesse nécessaire pour monter lui-même ses coups. Aux dernières nouvelles, il cherchait un emploi auprès de la pègre de Londres.
-On dirait qu'il l'a trouvé, commenta le docteur.
À cet instant, deux coups se firent entendre sur la porte.
-Entrez, madame Hudson ! Lança le détective. Et faites aussi entrer l'inspecteur !
Lestrade, surprit d'être reconnu avant d'être vu, pénétra dans le salon.
-Diantre ! s'exclama Holmes. Quelle tête vous arborez, mon cher ! Il a dû se passer quelque chose d'affreux ! Hélas, ajouta-t-il à regret, je suis déjà sur une enquête...
-Je vous en prie, Holmes ! s'exclama l'homme du Yard en se saisissant du verre que lui tendait Watson, il faut que vous nous aidiez !
-Que s'est-il passé ? Un mort ?
-Pas un, onze !
-Où ça ? Demanda aussitôt Holmes.
-Dans la soute d'un bateau en partance vers la Chine. C'est un véritable coup de chance qu'on ait trouvé les corps, Holmes... Enfin, si on peut appeler ça de la chance... Un des mousses à perdu son chat, et c'est en le cherchant, au moment du départ, qu'il a fait sa macabre découverte...
-Bien astucieux, en effet... songea Holmes à voix haute. Sans ce coup de chance improbable, les corps disparaissaient à jamais. Un plan pour le moins machiavélique. Il semble que le défunt professeur Wells ne soit pas le seul fantôme de cette histoire...
-Que voulez-vous dire ? s'étonna Watson.
-Je crois, mon cher, qu'un autre fantôme nous guette, dans l'ombre. Quelqu'un dont je n'avais jamais soupçonné l'existence...
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