Il n'avait pas de portrait de lui.

Comment aurait-il pu ? Il fuyait pour le protéger, il ne pouvait s'embarrasser d'un portrait. Personne ne devait soupçonner un quelconque attachement. Personne ne devait croire qu'il avait la moindre valeur à ses yeux. C'était trop dangereux.

Alors il n'avait rien embarqué de là-bas, rien emmené de Baker Street. Pas le moindre objet. Pas la moindre photographie. Son portable gisait sur le toit d'un hôpital, à côté d'une tache de sang. Ses habits dans la poubelle de la morgue, pour ne laisser aucune trace.

Non, il n'aurait pas pu prendre un portrait, c'eut été idiot. Dangereux.

Et puis, il avait son palais mental. Il avait la pièce qu'il avait construite méticuleusement, au fil des jours.

Il faut dire qu'il n'était pas prêt à ce que son visage lui manque autant, oh non. Il n'avait jamais rien manqué de toute sa vie, alors ce sentiment affreux, ce trou dans son estomac, ce gouffre dans le cœur, l'avait prit par surprise. À côté de ce manque-là, de ce désir brûlant, la drogue faisait pâle figure.

Il avait repêché dans ses souvenirs toutes les images qu'il pouvait, toutes les photographie mentales de son sourire. Il les avait accrochées sur les murs de cette pièce virtuelle, pour pouvoir les regarder, encore, et encore, jusqu'à plus soif – même si ce moment n'arrivait jamais. C'était toujours la nécessité qui le sortait de cette pièce. Jamais l'ennui de son sourire.

Mais il avait peur, à présent. Le temps passait, et les souvenirs s'usaient, à force d'être convoqués encore et encore. Les traits se brouillaient légèrement. Le coin de ses lèvres s'effaçait. Le pli de ses yeux aussi. Son regard devenaient flou. Les éclats de rires se muaient en cris.

Et la seule image qui restaient intacte était celle de son désespoir, lorsqu'il avait sauté.

Oui, ça aurait été trop dangereux d'emmener une photographie... Trop dangereux d'aller en chercher une sur internet... Trop dangereux d'aller sur son blog... Trop dangereux... Trop dangereux...

Mais s'il en avait pris une, tout de même... Il y aurait fait très attention, comme la plus précieuse de ses possessions. Il l'aurait glissé contre son cœur, pour sentir le papier glacé contre sa peau, à longueur de temps. Il l'aurait ressortit le soir, en secret, lorsque sa traque lui permettait de respirer.

Et peut-être alors aurait-il pu chasser l'image qui le hantait, ce désespoir sur son visage, qui infiltrait peu à peu ses autres souvenirs...

La pièce de son palais mental était pleine de portraits de John en train de hurler son nom.