L'adorable Cambrioleur (2/3)
Un choc sur la joue d'Édith la réveilla en sursaut. Elle ouvrit les yeux... dans le noir complet. Sa respiration s'accéléra. Où se trouvait-elle ? Dans sa maison ? Ou ailleurs. Elle ne connaissait que la cave comme pièce aussi sombre. Que ferait-elle ici ? Pas moyen de se souvenir. Un gémissement lui échappa. Son crâne la lançait tant ! Ne plus penser serait le meilleur des remèdes, mais impossible avec ces questions. La réponse lui fut soudain fournie d'une manière détournée.
— C'est toi la poupée de cette belle baraque ? Vous vous la coulez douce, ton mec et toi !
Les mots ricanés embrouillèrent plus l'esprit d'Édith. Qui se refusa à elle. Qui refusa de l'aider. Il ne désirait qu'une chose.
Fuir un danger imminent !
Lequel ? Que se passait-il ? Pourquoi ne dormait-elle pas en attendant le retour de Philippe ? Pourquoi était-elle attachée sur une chaise ?
Attachée sur une chaise ?
Elle tira sur ses poignets. Oui, on l'avait attachée : une corde lui entaillait la peau ! Le siège avait un dossier bas, et elle pouvait bouger. Quant à sa tête, une sorte de sac en toile la recouvrait. Qui lui jouait ce sale tour ? L'homme à la voix rauque qui venait de s'exprimer ! De lui asséner une gifle.
Le cambrioleur !
Les évènements se remirent aussitôt en place dans sa mémoire tel un kaléidoscope. Jusqu'à la dernière image. La vue sur le parc. Le malfrat l'avait assommée à l'instant où elle sortait de l'habitation. Des larmes roulèrent sur ses joues. Échec sur toute la ligne ! Que lui voulait-il maintenant, le voleur ? Malgré ses dents qui claquaient, Édith le lui demanda :
— Qu'est... qu'est-ce que...
Une nouvelle gifle, sa phrase se coinça dans sa gorge. Un goût ferreux se mêla à sa salive : du sang. Son ravisseur ne la ménageait pas. Ni ses paroles :
— Ta gueule ! Tu parleras quand je l'ordonnerai ! Sinon, ta ridicule matraque servira à quelque chose.
— Ou... oui
Un coup de poing dans le ventre lui coupa le souffle. Pliée en deux, elle écarta les lèvres en grand. À la recherche de son air. Le sac l'en empêcha ! Le tissu pénétrait dans sa bouche. Elle s'étouffait, s'asphyxiait. Ses gestes désordonnés l'entravaient encore plus.
Je vais mourir !
Ces trois petits mots avaient jailli dans sa tête. Les derniers de sa jeune vie. Sans même pouvoir dire adieu à Philippe ni à ses parents et à ses rares amis. On racontait qu'à cette minute fatidique, on revivait son passé en accéléré. Inepties ! Son esprit demeurait clair face à son destin.
Édith abandonna la lutte.
Pourtant, elle se leurrait. L'homme lui arracha le sac avant qu'elle ne s'effondre, et son instinct de survie reprit le dessus. Un infime espoir suffisait à changer la donne. Le corps l'exigeait ! Les paupières fermées, elle se concentra sur sa respiration. Ses poumons se remplirent avec force, puis expulsèrent l'air vicié. Plusieurs fois. Jusqu'à ce qu'ils arrêtent de la consumer.
— Ça y est ? Tu as récupéré ? persifla la voix rauque à son oreille.
Un rappel de sa situation. Édith rouvrit les yeux. Devant elle trônait la superbe cheminée avec son manteau en marbre. Les objets dessus avaient disparu, et d'autres jonchaient le sol ; ainsi qu'une multitude de papiers ou de coussins éventrés.
Philippe ne va pas aimer, j'ai du pain sur la planche !
À condition de sortir vivante de ce cambriolage ! Elle chassa ces pensées parasites et chercha le voleur. En vain. Il se tenait derrière elle. Un coup de matraque sur ses omoplates le lui confirma. Une onde douloureuse se propagea dans son dos.
— J'ai pas entendu ? cracha son ravisseur.
— Oui !
— Tu comprends pas très vite, toi ! Sinon, t'es un joli morceau, ton mari doit bien baiser avec toi. Le veinard ! Tu crois qu'il acceptera de te partager ?
Le souffle de l'homme lui gela la peau. Des tremblements s'emparèrent d'elle. Incapable de les contrôler ; encore moins les sanglots qui dévalaient ses joues. Ses épaules se voûtèrent. Prêtes à recevoir sa punition.
Rien ne se passa, le cambrioleur la laissait tranquille. Elle se détendit. Il s'amusait à l'effrayer.
— Et les mecs, tu les allumes ? Ceux de ton travail, pareil ?
Édith secoua la tête, véhémente. Jamais elle ne tromperait Philippe ! Cette fois, une gifle la percuta. Si violente que le goût ferreux du sang revint dans sa bouche, si violente que sa chaise vacilla. Le malfrat lui évita la chute... et joua avec son équilibre précaire par à-coups. Elle compensait avec son corps qui se couvrit de sueur. Son cœur, lui aussi, se débattait.
Les larmes ne la lâchaient plus, mais elle s'interdisait de s'exprimer. Il ne fallait surtout pas provoquer son tortionnaire. Un vœu pieux. Inutile. Il la projeta soudain à terre et vomit :
— Menteuse ! Vous êtes toutes pareilles. Je suis certain que tu tournes autour des hommes au boulot. Qu'eux te reluquent. Si ton mec sait pas te dresser, moi je vais le faire.
Des coups de pied tombèrent, et des coups de poing. Impossible de différencier. Quelle importance ? La souffrance demeurait la même. Elle touchait chaque muscle, le lacérait, le comprimait, le tordait. Édith, à moitié recroquevillée, en découvrait des nouveaux. Elle ne retenait plus ses cris et hurlait à s'arracher la gorge.
Peut-être que son ravisseur les entendrait ? Peut-être qu'il cesserait ?
Combien de temps dura ce cauchemar ? Des minutes ? Des heures ? Il n'en finissait pas ! Cet homme allait sûrement la tuer après avoir joué avec elle. Une prière se forma dans son esprit.
Philippe, adieu mon amour, nous n'aurons pas la vie que nous ne rêvions ensemble ni de beaux enfants. Continue sans moi !
Comme si ce dernier souhait avait atteint le malfrat, celui-ci s'arrêta. Ses doigts effleurèrent sa joue. L'unique partie épargnée par sa brutalité. Il lui dégagea les cheveux avant de souffler, presque avec chaleur :
— Bon, je crois que la leçon t'a suffi. Il me faut terminer mon cambriolage.
Le sac reprit sa place sur sa tête. Elle avait juste aperçu une écharpe ocre autour de la main. Tachée de sang, imprégnée d'un parfum musqué.
Les ténèbres la vainquirent.
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