L'adorable Cambrioleur (1/3)
— C'était quoi ce bruit ?
Édith se redressa sur son lit, une paume plaquée sur la bouche comme si elle ne voulait surtout pas qu'on l'entende. Elle, dans sa propre maison ! Pourquoi devrait-elle rester silencieuse ?
Parce que ton mari ne dort pas là !
Sa main libre vérifia, plus par réflexe, la place de Philippe et ne rencontra que des draps froids. Sa boîte d'informatique l'avait envoyé en mission chez un client. Rien d'inhabituel. En revanche, fermer la porte d'entrée en pleine nuit, non. Édith venait de reconnaître le couinement des gonds.
Un cambrioleur !
Son cœur bondit dans sa poitrine à cette idée. Combien de faits divers alimentaient les journaux à ce sujet ? De jolies habitations qui enchantaient leurs nouveaux propriétaires... et les voleurs en quête de trésor. À l'instar de celle-ci ! Son mari la lui avait offerte pour leur première année de mariage, six mois auparavant. Une surprise, et de la déception. Devant les photos étalées sur le canapé du salon, elle avait réagi :
— Pourquoi ne pas l'avoir choisie avec moi ? Visiter, discuter et décider ensemble, ça ne t'aurait pas plu ?
— Bien sûr, ma chérie, mais je ne voulais pas te déranger pendant tes vacances chez tes parents.
— Ma mère avait la grippe.
— Hum... il me fallait donner une réponse avant le soir. Une occasion en or à ne pas manquer ! Tu verras, elle possède tout le confort désiré. Quant à la sécurité, il n'y a pas plus performant ! Elle t'ensorcellera.
Comment résister face à l'air angélique d'un gamin lui vendant son plus beau jouet ? D'autre part, il ne s'était pas mépris : le style ancien et la décoration lui convenaient.
À l'intrus aussi, j'ai plus qu'à appeler la police !
Dans la lumière blafarde de la lune qui perçait entre les pans du rideau, elle chercha son portable à tâtons sur sa table de chevet. Introuvable ! Elle jura contre son côté bordélique. Où traînait ce satané appareil ? Ses méninges embrayèrent la vitesse supérieure... avec succès.
Posé dans la cuisine, pour ne pas rater l'appel quotidien de ton homme. Tu t'occupais du ménage.
En effet, tout devait briller tel un sou neuf : son mari rentrait demain matin à la première heure. Il lui répétait sans cesse la négligence dans les hôtels. Édith mettait alors un point d'honneur à ce qu'il se sentit bien chez lui ; même si cela l'obligeait à ces heures supplémentaires après sa journée de travail. Les sourires enchantés de Philippe méritaient ce petit sacrifice. D'autant qu'au début de leur mariage, il ne lui en décochait guère et lui pointait ses erreurs. Une vraie débutante ! La faute à ses parents qui employaient une aide-ménagère.
Elle avait donc oublié le téléphone au moment de se coucher, éreintée.
Ce problème résolu, il lui fallait réfléchir à la suite. Vite ! Chaque seconde comptait. Valait-il mieux s'enfuir par la chambre ? Malheureusement, la pièce se situait à l'étage d'une maison à hauts plafonds. Sauter du balcon, c'était se casser quelque chose à coup sûr et alerter le malfaiteur. Quant à se cacher dans une des armoires ou s'enfermer, inconcevable.
Elle ne supportait pas d'attendre les secours... ou le pire.
Il ne lui restait plus qu'à descendre, soit pour récupérer le téléphone, soit pour s'échapper par la porte. Ce dernier choix lui parut judicieux. Pourtant, sa gorge se serra. Qu'arriverait-il si elle croisait le voleur ? Un froid insidieux s'inséra dans son corps, tandis que son esprit se remémorait les articles de journaux. Ils essayaient de l'influencer avec leurs morts. Édith n'y succomba pas.
Idiote, il en veut juste aux objets de valeur ! Et qui te dit qu'il s'agit d'un homme ?
Quoique consciente de son demi-mensonge, elle se leva avec détermination et se félicita de porter un pyjama. Si pratique ! Elle s'autorisait ce luxe en l'absence de Philippe. Lui préférait les nuisettes affriolantes, ainsi que les déguisements. Genre tigresse, enseignante ou... militaire.
Tiens, pas une mauvaise idée !
Édith rejoignit le dressing et s'empara de la matraque accrochée avec le costume. Elle possédait maintenant une arme. Peut-être pas très efficace contre un pistolet, mais le manche rugueux dans sa main la rassurait.
Une fois hors de la chambre, elle s'engagea dans l'escalier en bois. Ses pieds connaissaient chaque marche : celle qui gémissait, celle qui craquait. Ils trouvaient les plus silencieuses d'instinct. Un apprentissage nécessaire afin de ne pas réveiller Philippe quand une envie d'un sorbet à l'orange la prenait en pleine nuit.
Le sermon tomberait s'il l'attrapait la main dans le sac !
Adepte d'un « esprit sain dans un corps sain », son mari préparait leurs repas. Les desserts glacés sortaient d'ailleurs de ses doigts de fée. Édith avait dû se débarrasser des sucreries, du chocolat et des plats cuisinés. Sans omettre de visiter les salles de sport. En retour, ses collègues l'avaient complimentée tant sur sa nouvelle silhouette que sur la perle avec laquelle elle vivait.
Ils n'ont pas tort. Au moins, ma condition physique m'aidera.
Le temps de conclure sur son régime, elle atteignait enfin le vestibule. Le froid du carrelage saisit sa voûte plantaire. Un sacré contraste après la douceur du bois, il lui soutira un grognement. Elle se pinça les lèvres.
Bravo pour la discrétion !
Dans tout son corps soudain statufié, seul son cœur s'exprimait. À grands coups. Si forts qu'elle craignît qu'on l'entende ; si douloureux qu'elle se mordît l'intérieur de la joue pour ne pas geindre. Édith hésitait même à essuyer ses paumes moites sur son pyjama. En revanche, ses oreilles ne demeuraient pas inactives. Elles décodaient les moindres bruits.
Jamais je n'aurais pensé qu'il y en avait autant.
Le tic-tac de l'horloge à coucou dans le salon, un cadeau d'une tante de Philippe qui lui hérissait les cheveux, et le ronronnement du frigo meublaient le silence. Ses escapades nocturnes le lui rappelaient. D'autres, plus discrets, se discernaient peu à peu : le glouglou de l'eau dans l'aquarium, le bip de la base de téléphone. Ainsi que la douce musique du carillon à vent sur la terrasse devant. La peur la rendait plus sensible à son environnement !
Édith refusa d'y céder et s'attarda sur le dernier bruit.
Ai-je aussi oublié de fermer la porte-fenêtre avant de me coucher ?
Étrange, elle était persuadée du contraire.
Cela expliquerait la présence du cambrioleur dans la maison sans activer l'alarme : rien n'échappait aux malfrats. Sitôt que Philippe le découvrirait, il lui reprocherait sa négligence. À juste titre ! Il s'attachait à corriger ses défauts, avec patience, et elle l'en remerciait. Une éducation de princesse ne facilitait pas la vie commune. Son mari était son premier homme, alors que lui possédait une belle expérience. Elle ne craignait néanmoins pas sa réaction.
Je ne l'imagine pas lever la main sur moi.
Jouer avec son corps, oui, même si Édith n'appréciait pas toujours. L'importance du compromis dans un couple la guidait, ses parents si amoureux lui montrant l'exemple. Elle en avait parlé un jour avec sa meilleure amie, Clara, à la recherche de conseils. Les yeux de celle-ci s'étaient écarquillés au fur et à mesure de ses mots gênés. Certainement choquée. Tout faux ! La colère grondait dans les réponses de la jeune femme. Pas contre elle, mais contre Philippe : « Quel pervers ce gars ! Tu dois lui apprendre à te respecter. » Une erreur, cette confession.
Une fleur bleue ne peut comprendre ce genre de jeu !
Elle avait cessé de lui rapporter ce qui sortait de l'ordinaire dans son ménage, et avait prétendu suivre ses avis. Avec le temps, leurs relations s'étaient distanciées. Son mari accaparait toute son attention, en plus de son travail.
Bon, pas l'heure de rêvasser. Bouge-toi !
Un ordre auquel elle obéit. Légère comme un chat, Édith rejoignit la porte d'entrée à cinq mètres de l'escalier. Encore à l'affût du moindre son particulier. Rassurée du « silence », elle soupira au moment où ses doigts agrippèrent la poignée.
La sécurité lui tendait les bras derrière ce battant !
Malgré son envie de se précipiter, elle l'ouvrit doucement. La seule façon de ne pas déclencher les jérémiades des gongs. La seule façon de ne pas alerter le malfaiteur. Son cœur s'emplit de soulagement au fur et à mesure que le jardin, éclairé par la lune, se révélait. Un centimètre de plus, un bond de plus. Sa paume se crispait sur sa matraque, son nez respirait l'air boisé de la liberté avec vigueur.
Hélas, la magnifique vue sur son îlot de secours ne dura pas.
Un voile foncé la détruisit.
Une douleur aiguë traversa sa tête et ses jambes se dérobèrent.
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