Jour xxx avant l'accident

-Anna, viens avec moi.

-Qu'est ce qu'il y a, Chloé?

Nous étions dans un train, de retour de voyage scolaire. Je m'appelle Anna, et j'etais en troisième à cette époque. Chloé était une amie très chère, un peu forte mais très sportive et toujours prête à aider. Et elle venait de venir me chercher pour m'amener à l'écart des autres, entre deux wagons.

-Tu peux me dire pourquoi tu m'entraine loin des autres, comme ça? Lui avais je demandée.

-Tiens. Je dois te donner ça.

Elle me tendit un petit papier plié.

-Si tu veux me dire quelque chose, tu n'es pas obligée de l'écrire.

-C'est pas de ma part, idiote! Ricana-t-elle. Maintenant, lis le.

Je dépliais le petit papier. Je me doutais déjà de la nature de ce que j'allais lire, mais je fus tout de même surprise par la forme. Sous mes yeux, apparurent des lignes d'une écriture un peu grossière. Des lignes... versifiées?

-Un poème?

-Visiblement.

Je commençais à lire. Comme je l'avais imaginé, c'était une déclaration d'amour. Assez maladroite, les vers étant quelque peu décousus, les rimes parfois un peu simples, mais l'idée était claire et le moyen courageux. Peu de personnes offraient ainsi des poèmes pour déclarer leur flamme. Surtout chez les mecs. Mais, en tant que grande amateure de romantisme, je fus très touchée par cette lettre, et lis le nom en bas du poème avec avidité.

Max.

Je me rappelais du petit garçon timide, qui m'avait adressée quelque fois la paroles. Une voix fluette, de grands yeux bleu gris, et des cheveux un peu longs. Il était assez mignon, sans doute, mais pas très expressif, et je ne le connaissais pas trop. À vrai dire, nous n'avions jamais beaucoup parlé.

-Alors? Demanda Chloé, voyant que j'avais fini ma lecture.

-C'est vachement bien écrit et c'est mignon comme demande... mais je peux pas accepter.

-Je m'en doutais.

-Que veux tu? J'ai beau essayer, rien n'y fait, les mecs ne m'intéressent pas. Je préfère les filles.

-Je sais, je sais, Anna. Mais bon, il m'a demandé de t'apporter ce poème, et le connaissant, ça a déjà dû lui coûter une bonne dose de courage que de venir me parler. Alors, je pouvais pas dire non.

-Oh mais t'inquiète, je te blâme pas! Je me demandais juste... comment j'allais lui annoncer mon refus.

Je jetais un coup d'oeil rapide vers notre rame de train. J'y aperçus Max, au loin, le visage partiellement caché par ceux qui étaient devant lui. Il regardant par la fenêtre d'un air absent. J'avais mal au coeur à l'idée de briser le sien.

-Dis lui franco, au pire. Dis lui que tu aimes les femmes.

-Non! Non, je veux que ça reste le moins connu possible, tu le sais bien.

-Je sais, mais bon... que vas tu lui dire? Que tu n'est pas intéressée?

-C'est... un peu trop direct... et j'ai beaucoup apprécié la manière dont il m'a demandée de sortir avec lui, je ne veux pas l'enfoncer. Mais...

-Mais va falloir que tu lui dise non de toute façon.

Je soupirai, tendue.

-Je sais. Je... je vais me débrouiller. Tu peux aller le chercher?

Avec un signe de tête, Chloé s'éloigna dans le wagon pour aller chercher Max. Je regardais dans l'autre direction. Je n'osais pas le regarder approcher. Pourquoi avait-il fallut qu'il m'aime moi?

Les pas se rapprochèrent. Ma bouche s'assécha un peu, mais je me retournais pour fixer le jeune garçon avec mon plus grand sourire. Je pris une grande inspiration, et me lançais.

-Max, je... merci beaucoup, c'est la première fois qu'on m'offre quelque chose comme ça. C'est super mignon! Mais...

Il baissa les yeux. Je suppose qu'il s'attendait à une réponse négative. Je repris.

-Mais j'aime déjà quelqu'un d'autre, tu sais. Alors je ne peux pas sortir avec toi.

Des larmes commencèrent à couler sur ses joues, et je le pris dans mes bras pour le consoler.

-Je suis vraiment désolée, Max. Mais merci beaucoup pour ton poème, c'est vraiment la chose la plus mignonne qu'on m'ai jamais offerte! Je l'accrocherais dans ma chambre en rentrant.

Ça ne le consola pas beaucoup, mais je ne savais pas vraiment quoi dire d'autre. Et c'est ainsi que j'ai rejeté Max, mon camarade de classe, en 3e.

Il y a presque 5 ans.

J'y repense en passant devant le petit poème abîmé par les ans, toujours accroché sur l'un des murs de ma chambre. Je suis maintenant en 2e année de post bac, en fac de physique. On est le 14 février, et, bien sûr, qui dit 14 février dit... soirée! Des amis ont prévu d'aller dans un bar, pour tenter de rencontrer l'âme soeur - c'est jeudi, après tout, le jour des soirées étudiantes! Il faut dire que je n'ai pas l'habitude de passer la Saint Valentin toute seule: c'est la première fois depuis 3 ans. Mais je tente d'oublier le poids des souvenirs pour me concentrer sur le plaisir de la liberté. Ce soir, je suis libre, et motivée par le premier coup d'un soir qui me passera sous la main. A condition, bien sûr, qu'il s'agisse d'une fille. Eh. J'ai mes standards.

Je me hâte dans le petit coin qui me sert de salle de bain, sous le regard indifférent de ma camarade de chambre. Je m'observe un peu dans le miroir: j'ai la peau un peu mat, à cause de mes origines sud américaines. J'ai de petits yeux noirs en amande, cernés par des cils assez long qu'on dit m'envier parfois, un nez fin, des lèvres pas trop larges et de longs cheveux noirs, parfaitement raides. Je me met un coup de maquillage, arrange ma tenue, un pull a col assez moulant et un jean qui l'est tout autant, et descend de la résidence étudiante.

Il fait froid. Le mois de février est bien installé. J'enfile mon casque, et allume les gaz de mon scooter, me dirigeant vers le bar où a lieu la soirée. Mes amies y sont déjà, et m'accueillent chaleureusement. Le bar est déjà bien plein, et il s'avère qu'un groupe d'une autre école a organisé sa soirée de Saint Valentin ici.

Parfait. Ce sera bon pour faire des rencontres. Mais d'abord... un peu d'alcool.

J'enchaine les shooters et les verres avec mes amies. Au fil des discussions, je découvre que les autres participants de la soirée viennent d'une école préparatoire scientifique toute proche - vous savez, ces gens qui passent deux ans de leur vie a bosser comme des cinglés pour tenter de décrocher de bonnes écoles d'ingénieur. Je suppose qu'ils ont besoin de décompresser, eux aussi! Et puis, quelques filles sont bien à mon goût...

-Hey, Anna? C'est toi?

Je me retourne, et me retrouve face à l'une des filles qui m'intéressent. Une blonde aux cheveux coupés à la garçonne, avec une voix chaude, qui riait il y a quelques instants à gorge déployée avec ses amis au bar.

-On... se connait?

-Oh, excuse moi, tu me reconnais sans doute pas. Je suis Mei, mais tu dois me connaître sous mon ancien nom. Je m'appelais Max, tu m'as même mis un râteau en 3e, tu te souviens.

Je tombe de haut. Cette magnifique fille est... Max? Il... enfin, elle a des traits qui lui ressemblent, en effet, mais elle est bien féminine. Les deux bosses sur sa poitrine indiquent bien qu'elle est dotée des attributs naturels de la femme. Alors... quoi?

-T'es trans? Dis-je en riant bêtement, l'alcool ayant pris possession de mon esprit depuis longtemps.

-Ouais, c'est ça! En tout cas, toi, le temps t'as encore embellie, Anna!

-Pas autant que toi, Mei.

Je m'approche d'elle et pose mes bras sur ses épaules. Si je dois finir la soirée avec quelqu'un, je veux que ce soit elle. C'est une expérience unique, après tout. Un ancien prétendant qui réapparait en tant que "fille la plus mignonne de la soirée" - titre que je lui ai moi même accordée. Ça semble peut être un peu direct... mais je suis tellement bourrée, que je réalise assez peu ce que je suis en train de faire...

Et elle aussi.

Jeudi 14 Février, Jour de l'accident