Samedi 20 avril, jour 65 - 10e semaine

-Bonjour, Anna! Comment allez vous?

-Bonjour, Docteur Müller. Ça... ça va.

Il me sourit chaleureusement, et pose une main rassurante sur mon épaule.

-Ça va aller, ne vous inquiétez pas.

Je hoche la tête, toujours tendue, mais un peu apaisée par ses mots. Une semaine s'est écoulée depuis le début des rumeurs et ma rencontre avec Joy. Cette dernière s'échappe désormais régulièrement de la surveillance de son geôlier pour venir en cours avec nous, et Camille et Robin l'ont bien acceptée. Quant à moi, après un rendez vous préparatoire la semaine dernière où j'ai subi une batterie de tests, je me retrouve finalement pour ma première échographie. La semaine a été longue, à cause de tous ces mots passés sous les tables à mon sujet, qui me blessent bien plus que je ne veux l'admettre. Marion me connait bien, après tout. Elle sait comment m'atteindre. Mais en attendant, j'ai suivi les conseils de Camille et ai tenté de prendre mes distances vis à vis de tous ces on-dit, et, même si je suis incapable de ne pas me sentir touchée, j'ai au moins prétendu de ne pas les entendre. Le week end est enfin arrivé, salvateur, malgré ma première échographie qui me stresse beaucoup.

Après avoir enlevé mon haut, je me couche sur le siège allongé et le docteur s'assoit à mes côtés.

-Il se passe quoi, là. Grogne Joy depuis sa place, à l'opposé de celle du docteur.

-Tais toi, lui intime Camille.

Ces deux là ont absolument tenu à m'accompagner. Les échographies se font souvent en présence du père, a expliqué le docteur, et y aller seule est devenue une autre source de stress pour moi - stress que je n'ai évidemment pas pu à la perspicacité de Robin, et qui a mené à notre situation actuelle. Robin, lui, regarde la scène depuis l'encadrure de la porte avec un air ennuyé, comme toujours.

-Écoute, râle Joy, j'ai accepté de venir mais si je passe toute la séance sans que personne ne m'explique ce qu'il se passe, autant que je parte tout de suite.

-Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle. La rassure le médecin. Je vais tout expliquer à chaque étape autant pour vous que pour Anna.

Le docteur commence à étaler un étrange liquide visqueux et froid sur mon ventre, ce qui me chatouille et mz fait un peu rire.

-C'est un beau petit ventre qu'on a là. Commence le médecin. Il commence à s'arrondir légèrement.

-Ah? Fais-je. J'ai pourtant regardé tous les matins, et je n'en ai pas eu l'impression.

-C'est justement parce que vous le regardez tous les matins que vous ne vous en êtes pas rendue compte. Rit le jeune médecin. Mais croyez moi, il est déjà un peu arrondi. Ça ne va faire qu'augmenter à partir de maintenant.

Le docteur Müller se saisit d'un étrange outil à bout rond, relié à la machine auprès de laquelle il se tient.

-Ce petit machin envoie des ondes ultrasonore dans vos tissus. Explique-t-il. Par la suite, la machine...

-Calcule le temps mis a recevoir l'echo de l'onde. Finis-je à sa place.

-Il dépend de la densité des tissus traversés. Ajoute Joy.

-On peut ainsi reconstruire une image de l'intérieur de ventre. Conclut Camille.

-J'avais oublié que j'avais affaire à des étudiantes en physique. Rit le médecin en se grattant le tête.

-On a eu cet exercice bien trop souvent en ondulatoire. Soupire Camille.

-Moi, je le trouve simple. Commente Robin.

-Moi aussi. Ajoute Joy.

-Silence, les génies! Dis-je. J'aimerais écouter la suite.

Müller se racle la gorge, puis reprend.

-Je vais ainsi voir une image du foetus qui va apparaître juste sur cet écran. Le sexe de l'enfant n'est pas forcément toujours bien visible, et je vous demanderais donc de me dire si vous désirez le connaître dès maintenant.

-Oui, si possible, docteur. Dis-je sans une once d'hésitation.

Je veux en savoir le plus possible sur ce petit être qui prend forme dans mon ventre et va bouleverser ma vie. Sa présence ne m'a jamais semblé aussi palpable et réelle qu'à cet instant, alors que je m'apprête à le voir pour la première fois. Mon coeur bat la chamade, et j'ai les mains un peu moites. Je me sens à la fois lourde et très légère.

-Calme ta respiration, Anna, tu me fais peur là. Grogne Joy.

-Oui, respirez correctement, Anna. Je sais que c'est un moment particulier, mais on ne voudrait pas flouter les premières images de bébé...

-P-Pardon. Je suis juste un peu excitée.

-C'est normal. Bon, et bien je crois qu'on va pouvoir y aller.

Le médecin place le bout arrondi de son étrange sonde sur mon ventre, et la promène de long en large en appuyant tout de même assez fort, sans pour autant me faire mal. Une image en nuances de bleu et de noir se forme alors sur l'écran.

-C'est lui? Cette bosse?

-Non, ça c'est un rein. S'amuse le docteur. Je suis encore trop bas.

-Et là?

-Non plus.

-Et...

-Anna... me rappelle à l'ordre Robin. Il te dira quand il verra quelque chose.

-Moi je vois rien du tout. Ricane Joy.

Le silence s'installe alors que la sonde se promène sur mon ventre. Puis, le docteur s'arrête sur une zone en particulier et commence à en faire le tour. Des formes étranges que je serais incapable d'interpréter bougent sur l'écran. Son expression se fait soudain surprise.

-Eh ben ça... fait-il.

-Quoi? Qu'est ce qu'il y a? Fais-je, en panique. Il y a un problème? Qu'est ce qu'il se passe?

-Il se passe un truc? Demande Joy. Eh, Camille, décris moi!

-Je sais pas! S'énerve Camille. Qu'y a-t-il Docteur?

Müller se retourne vers nous, et nous fait un grand sourire rassurant.

-Rien de grave, ne vous inquiétez pas. Regardez, Anna. Vous voyez ce renfoncement sombre? Dit-il en montrant une zone plus sombre de l'écran.

-Oui? Fais-je avec appréhension.

-C'est la tête du bébé.

Mon coeur saute un battement, alors que mon regard reste bêtement fixé sur la forme vaguement reconnaissable d'un crâne... mais j'ai bien du mal à distinguer les limites de ce petit corps sur l'image.

-Wow... fais-je soufflée.

-Il ressemble à quoi? Demande Joy.

-À... pas grand chose pour l'instant. Dis-je.

-Et vous voyez cette partie un peu plus sombre, à côté? Me demande Müller en me montrant un autre endroit de l'image.

-Je vois rien, venez en au fait. S'énerve Joy.

-Il te parle pas! S'énerve Camille.

-Elle voit aussi peu de truc que moi, c'est dire! Renchérit la jeune malvoyante en me pointant un peu hasardeusement du doigt.

-Elle a pas tort. Dis-je avec un petit sourire. Je regarde cet écran mais j'ai aucune idée de ce qu'il y a dessus si on ne me l'explique pas.

-C'est une autre tête. Coupe le médecin, jetant un froid sur notre discussion animée.

Je reste ébahie tout comme mes amis, en voyant qu'en effet, une deuxième forme presque humanoïde se tient à côté de la première.

-Il a deux tête? S'exclame soudain Joy avec une voix désabusée.

-Disons même qu'il a deux corps et deux bébés. Répond le docteur, déclenchant l'hilarité dans la salle.

-Des jumeaux... dis-je avec un air absent, et un sourire béat, avant de me reprendre. Des jumeaux? Donc il va y en avoir deux?? Qu'est ce que ça change docteur? Est-ce que l'accouchement va faire plus mal? Est-ce qu...

-Du calme, Anna, du calme. Ne vous inquiétez pas, tout va très bien se passer. Il y aura en effet quelques changement du programme prévu initialement. Déjà, il faudra faire plus de consultations et d'échographies, pour vérifier que tout se passe bien, et faire également quelques tests. Il y a également des chances que l'accouchement ai lieu plus tôt que prévu, vers la fin du huitième mois en général. Mais le fait qu'il y ait deux bébés explique par exemple pourquoi vos nausées étaient si fortes.

-Super...

-On peut savoir si c'est des vrais ou des faux à l'échographie? Demande Robin.

-Je vais vous répondre maintenant, puis j'enverrais les images histoire de faire les analyses nécessaires.

Le docteur commence à déplacer à nouveau sa sonde afin de changer d'angle de vue et de se déplacer autour de deux petits êtres qui grossissent dans mon ventre.

-On a affaire a une grossesse bichoriale. Se réjouit-il.

Face à notre air désabusé, il s'explique.

-Lorsqu'on a des jumeaux, il y a deux possibilités. Soit ce sont des vrais jumeaux, donc un seul ovule qui s'est divisé en deux, soit ce sont des faux jumeaux, dont deux ovules distincts qui ont été fécondés par deux spermatozoïdes. Ce qui signifie que des vrais jumeaux sont quasiment identiques génétiquement, alors que des faux ne se ressembleront pas forcément et n'auront même pas toujours le même sexe. Cependant, au vu de la mère des enfants, qui a une fertilité assez réduite donc, la probabilité qu'on ai eu deux fécondations est plus faible, je pense qu'il s'agit de vrais jumeaux. Cependant, je ne peux pas en être sûr avant la naissance, car, comme je l'ai dit, c'est une grossesse bichoriale, ce qui veut dire que chaque foetus a son placenta.

-Et ça change quelque chose? Dis-je.

-Oui. Déjà, si il n'y avait qu'un seul placenta, on serait sûrs que ce sont de vrais jumeaux, mais il faudrait aussi un suivi encore plus lourd d'une échographie toutes les deux semaines.

-Deux semaines?? Mais j'ai pas le budget pour ça, moi!

-Tant mieux, puisque ce n'est pas votre cas. Me rappelle le médecin. Ici, chaque foetus a son propre placenta, ce qui va éviter un certain nombre de complications possibles dues à la présence d'un placenta commun.

-Donc si j'ai tout pigé, vous avez pas vraiment de moyen de savoir si c'est des vrais ou des faux. Conclut Joy.

-Non, pas de manière certaine. Il faudra regarder leurs sexes, et s'ils n'ont pas le même, ce seront des faux; mais c'est à peu prêt tout.

-Vous pouvez déterminez leur sexe, docteur? Dis-je avec appréhension.

-Malheureusement, non, je ne peux rien conclure au vu de leur configuration. On peut parfois définir le sexe de l'enfant dès la première échographie, mais c'est en général plutôt à la deuxième qu'on le sait.

-Ah... fais-je, un peu déçue.

-Te bile pas, Anna, tu le saura bien assez vite! Me lance une Camille surexcitée.

-Exactement. Valide le docteur. Maintenant, je vais envoyer les images à l'étude, et également vous les imprimer, puis vous serez libre!

-Ouais... libre.. dis-je avec un petit sourire crispé.

On dirait que les choses se compliquent encore. Pourtant, j'ai le coeur léger et un sentiment brûlant et agréable parcourt mon ventre, que je caresse distraitement d'une main. Là, dans mon ventre, deux petits êtres vont venir à la vie. Deux enfants qui deviendront un jour de grands adultes et qui seront toute ma fierté. Un sentiment de gratitude infinie m'envahit.