Samedi 23 mars, Jour 37 - 5e semaine

-Putain de bordel de merde de sa mère la pute...

Ce flot d'injures représente bien mon état d'esprit actuel. Je fixe bêtement le test de grossesse que je tiens dans mes mains.

Il est positif.

Comme le précédent.

Et celui d'avant.

Putain...

De...

Bordel...

De...

MERDE!

Mon dieu, mais quelle débile je fais. Des souvenirs remontent de cette soirée de Saint Valentin, de Mei qui me ramène chez elle, et de nous qui faisons l'amour sauvagement. Évidemment, elle avait une bite. C'était un homme avant! Et évidemment, on s'était pas protégées. Que m'avait elle dit, déjà?

"J'ai un traitement hormonal, je suis très peu fertile à cause de ça"

Ouais.

Et mon cul, il est fertile, lui?

J'ai envie de pleurer. Putain, je suis enceinte. Enceinte. ENCEINTE, BORDEL! J'ai même pas encore 20 ans! Je suis trop jeune! J'aurais dû comprendre plus tôt, quand mes règles ont pas eu lieu... et puis, quand j'ai commencé à avoir des nausées, des doutes ont commencé à m'assaillir. Enfin, ils ont surtout assailli Camille et Robin, mes deux comparses de toujours.

-Mais fais un test, pour être sûre! M'avait-elle dit, ses propos appuyés par un hochement de tête du beau brun qui me servait d'ami.

Même ma colocataire, Diane, si distante de tout habituellement, s'est inquiétée. Elle est même allée m'acheter ces tests de grossesse qui gisent aux pieds de la cuvette, preuves de mon idiotie légendaire, qui va ne faire que m'attirer des ennuis. Putain.

Enceinte.

Un bébé.

Là, dans mon ventre.

Un bébé de Mei. Une femme trans, quelqu'un que j'ai rejeté en troisième, et surtout une personne que je ne connais au final pas du tout. Je n'ai même pas son numéro.

Putain.

Et moi qui pensais que c'était une gastro. Début mars! En plein dans la période, quoi... mais bien sûr, Anna.

Qu'est ce que je vais foutre de ma vie? Que va penser ma mère? Et mon père? Oh mon dieu, et comment va réagir Mei? Mal, sûrement, mais est ce que je pourrais seulement élever un gosse seule à mon âge? Tant de questions se bousculent dans ma tête, et je suis prise d'un nouvel accès de nausée, et finis donc la tête dans la cuvette, à recracher tout mon petit déjeuner. Ça fait une semaine que je ne suis pas allée sur le campus pour suivre mes cours, à cause de ma "gastro".

Putain.

Si ils savaient...

La porte des toilettes s'entrouvre, et Diane y glisse sa tête. Le regard blasé, les cheveux colorés en rouge, un piercing sur la lèvre, voilà à quoi ressemble Diane, ma coloc. Autant dire qu'on se ressemble assez peu. Je suis une bosseuse, elle passe la plupart du temps à glander. J'adore me sociabiliser et faire des rencontre, elle préfère rester avec son petit groupe d'ami. J'aime m'habiller à la mode, elle s'habille toujours de la même manière, dans ce style emo/gothique très peu en vogue à la fac. D'ailleurs, elle n'est pas dans la meme fac que moi. Je suisà Lyon 1, université de sciences, alors qu'elle est à Lyon 3, en lettres. Notre seul point commun, notre orientation sexuelle.

-Alors? Me fait elle, une petite appréhension dans la voix.

Je la regarde quelques secondes. Je dois avoir l'air pathétique, écroulée sur la cuvette des chiottes avec du vomi le long du menton, et mon regard de déterrée. Le troisième test me glisse des doigts et va rejoindre les deux autres au sol. Diane se baisse pour en ramasser un, puis un deuxième, puis le dernier. Elle pâlit en réalisant qu'ils sont tous positifs.

C'est à dire une probabilité d'erreur pour ainsi dire nulle.

Je suis bien enceinte.

C'est ce moment que choisit mon corps pour craquer. Je commence à sangloter bruyamment, des larmes s'écoulent le long de mes joues, ma respiration s'accélère et je commence à hyper ventiler. Paradoxalement, j'ai de plus en plus de mal a respirer, ce qui pousse mes poumons a demander encore plus d'air, et qui me fait encore plus paniquer. Oui, je crois que c'est ça. Une crise de panique.

-Wow wow, Anna! Anna! Calme toi! Tout va bien, calme toi, tout va bien se passer!

Non! Non, tout ne va pas bien! J'avais un plan de vie bien établi, finir mes études, trouver un boulot, trouver une femme, l'épouser, puis réfléchir à l'adoption, ou, potentiellement, à la PMA, tout cela étalé sur au moins 5 ans, surement plus. Et là... là...

-Calme toi, Anna, putain. C'est pas grave, écoute, rien t'oblige à le garder, ok? T'es jeune, avoir un gosse maintenant c'est pas vraiment le top, et en plus le père.... enfin, la mère, tu la connais presque pas. T'en fais pas, tout va bien se passer, je suis là, et tes amis aussi.

-Mes... parents...

Je ne réussit qu'à dire ces deux mots entre mes bouffées d'air, qui se calment peu à peu.

-Ils ont pas besoin de savoir. Tu sais, t'as plus 16 ans, l'avortement, t'as pas besoin de leur dire, hein.

Ma respiration se calme peu à peu. Diane ma caresse la tête avec un air soucieux.

-Ça va?

-Oui... un peu mieux.

J'adore cette fille. On est tellement dissemblables, et pourtant elle a toujours les mots justes. Bon, c'est moi qui passe ma vie à l'empêcher de foutre la sienne en l'air, mais quand j'ai un soucis, elle est toujours là.

Et là, c'est un assez gros soucis. L'avortement...

C'est quelque chose qui m'a toujours semblé normal et naturel, comme un droit nécessaire et inaliénable. Mais c'est comme beaucoup de choses... on en comprend vraiment l'impact que lorsqu'on y est confronté. Et mise face à la possibilité de l'avortement, j'ai soudain très peur. Peur d'aller dans une clinique, peur de me faire juger par tous ces gens, peur des dangers de l'avortements. Mais... Diane a raison. Je suis trop jeune. Je ne peux pas avoir un enfant maintenant, cela reviendrait à jeter à la poubelle tout l'avenir pour lequel j'ai tant travaillé.

-Merci, Diane. Je... je vais sûrement avorter.

-Je t'ai dit ça pour que tu te calme, hein. T'as pas à te sentir obligée! Pour une lesbo comme toi, tomber enceinte comme ça, c'est pas courant.

-Oui, je sais, mais... je vais le faire quand même.

-C'est toi qui voit.