Dimanche 14 juillet, jour 150 - 22e semaine

Nous sommes le 14 juillet, et tout le monde a enfin le droit à une petite pause - et quand je veux dire tout le monde, je veux dire uniquement Mei, puisque le reste du monde est déjà en vacances. Cependant, ma compagne profite assez peu du court répit qui lui est offert avant sa dernière semaine d'oraux, puisqu'elle git, effondrée dans son lit, plongée dans un sommeil profond. Je souris malgré moi en la voyant ainsi si paisiblement endormie - elle le serait sans doute moins si elle savait ce que je m'apprête à faite - mais c'est une chose qui doit être réglée une fois pour toute avant que je ne quitte Lyon, ce qui approche à grands pas. Et j'ai demandé à Joy de m'accompagner: elle est une force de persuasion qui a fait ses preuves.

Aujourd'hui, je vais tenter d'aller discuter avec Marion.

C'est la première fois que je tente de recontacter mon ex depuis que je l'ai renvoyée de chez moi en furie. Et depuis, elle n'a cessé d'être une source de problèmes pour moi, en répandant des rumeurs par l'intermédiaire d'Ella ou en allant parler à mes parents. Je veux la voir une dernière fois, lui dire dans les yeux à quel point elle m'a blessée et entendre ses raisons de sa bouche. Malheureusement, si je sais qu'elle habite toujours sur Lyon, j'ignore où et je ne sais même pas ce qu'elle fait de sa vie cette année, puisqu'elle n'est plus à la fac. Mais j'ai au moins une piste: Ella.

La prétendante ratée d'Auguste est toujours grande amie de Marion, et je me doute qu'elles vont passer le 14 juillet au même endroit - probablement en soirée. C'est pour cela que j'ai eu besoin de Joy, et de ses capacités plutôt pratiques pour espionner les conversations; nous avons ainsi pu déterminer où habite Ella, et elle sera notre porte vers Marion, car je doute que celle ci accepte de me reparler de son plein gré, puisqu'elle se doute que ce sera plutôt désagréable.

-Bon, t'as fini de glander? Me lance la jeune aveugle depuis l'entrée. On a un pommier à aller secouer.

-On va lui poser des questions sur comment rencontrer Marion, Joy. On y va pas pour la secouer.

-Parle pour toi. Tu te souviens de la menace que j'ai proféré quand elle est venu nous parler?

-Que si elle refaisait un coup dans notre dos, tu lui casserais la gueule?

-Ouais. Eh bien on dirait qu'elle n'a pas vraiment tenu parole, d'après Robin. Elle pourrait ne pas être totalement innocente dans le fait que Marion soit allée tout balancer à tes parents.

-!! Comment Robin a-t-il appris ça? Et... Pourquoi ne m'en a-t-il pas parlé?

-Oh, tu sais très bien qu'il ne donne jamais ses sources. Et jpense qu'il voulait pas te faire de faux espoir...

-Quel espoir... savoir qui est à l'origine de tout ça ne fera pas revenir mes parents...

-... et empêcher ce genre de discours défaitiste. Conclut-elle. Allez, bouge ton boule. Le meilleur moyen d'avoir la réponse, c'est d'aller demander directement à la concernée.

Nous prenons les transports en discutant tranquillement pour nous rendre dans une résidence étudiante bien plus proche de la fac que mon ancien appart - et donc de celui de Joy. Je suis déjà essoufflée de ce simple court voyage. Je suis vraiment de moins en moins endurante, et le poids de mon ventre commence sérieusement à peser son mes jambes et sur mon dos. Toujours est-il que nous nous retrouvons devant l'immeuble où habite Ella, et la chance est avec nous: elle est justement en train de sortir, bien habillée et maquillée comme un camion volé. Nous sommes pourtant seulement en début de soirée, mais elle a visiblement décidé de rejoindre ses amis plus tôt - ou peut être un petit ami.

-La voilà. Fais-je à Joy.

Mon amie ne connaissant pas bien le terrain, je la guide à la suite de notre cible, que nous avons tôt fait de rattraper.

-Mais ce serait pas Ella, dites donc! Lance Joy pour l'interpeller.

La concernée se retourne avec surprise, puis tente de courir - mais n'est pas aidée par la hauteur impressionnante de ses talons.

-Mais pourquoi tu t'enfuis, Ella... t'aurais pas des choses à te reprocher, quand même. Ricane Joy en la rattrapant comme si de rien n'était.

-Qu-Qu'est ce que vous me voulez? Demande-t-elle avec un air inquiet.

-Tu dois bien t'en douter, Ella... fais-je avec une douceur feinte.

-Tu vas nous amener à Marion, et on va avoir une petite discussion toutes ensembles. C'est là que t'allais de toute façon, n'est ce pas?

-O-Oui, mais...

-Allez, hop hop hop. On y va. La soirée ne va pas nous attendre. La coupe Joy.

Ne reprenons donc notre route en sens inverse pour aller sur les quais, en centre ville. Le trajet se fait dans un silence pesant, Ella détournant les yeux dès que nos regards se croisent. Difficile de ne pas sentir son malaise, mais également le sentiment de sécurité qui apparaît au fur et à mesure que l'on s'approche des quais, et donc de son groupe d'amis. Je me demande si il n'aurait pas été mieux de discuter avec les deux femmes à part, ou même juste avec Ella... mais il est un peu tard pour faire demi tour, puisque nous sommes déjà en train de descendre les marches menant aux abords de la Saône. Un groupe de jeunes dans lequel je reconnais Marion est en train de discuter et de rire un peu plus loin, et ma gorge se serre légèrement en la voyant, un cocktail d'émotions contradictoires se répandant dans mes veines. Nos regards se croisent, et elle comprend immédiatement que nous sommes là pour elle.

Mais contrairement à Ella, elle ne fuit pas. Au contraire, elle s'excuse et s'éloigne du groupe pour marcher à notre rencontre d'un pas résolu, au grand dam d'Ella qui semblait compter sur ce support.

-Salut, Anna. Lance-t-elle d'un ton froid.

-Salut, Marion.

-Yo, moi c'est Joy, tu mconnais pas. On est venues te poser quelque question, à toi et ta pote sur quelques rumeurs et sur les parents d'Anna. Jpréfinir que celle prévenir qui répond mal risque fort de m'énerver, et...

-Ça va, Joy. Dis-je pour l'arrêter. Ça va.

Marion me fait signe de la suivre pour nous éloigner un peu et nous mettre à l'écart.

-Ça fait longtemps, hein. Commence-t-elle.

-Je suis pas vraiment venue pour reprendre contact, Marion.

Elle soupire longuement.

-Écoute Anna... je suis désolée. J'ai pété un câble. J'ai pas supporté que tu sois tombée enceinte comme ça, alors qu'avec moi... j'avais l'impression que tu faisais tout pour éviter de te poser avec moi. J'avais l'impression que tu ne faisais que me supporter au lieu de m'aimer réellement. Alors... je suis partie, en espérant que tu réaliserais que j'étais importante pour toi. Puis... je suis pas revenue. J'avais trop mal.

-Mais tu aurais dû m'en parler au lieu de disparaître comme ça! Lui dis-je.

-Mais je t'en ai parlé, Anna! À d'innombrables reprises! C'est là qu'on se rend compte de quelle qualité était l'écoute dans notre couple...

-Je... désolée, j'avais oublié. Mais... je pense que sans ces enfants, cet accident... je n'aurais pas voulu me poser avant longtemps, Marion.

-Oui, j'ai fini par le comprendre, mais... j'avais déjà lancé les rumeurs sur toi. Enfin... à l'époque, j'étais persuadée que c'était la vérité. Mais quand j'ai appris que tu faisais circuler des rumeurs immondes sur moi, j'ai craqué et je suis allée voir tes parents, et...

-Quelle rumeurs? Fais-je en l'interrompant.

-Comment ça, quelles rumeurs? Tu es allée dire à tout le monde que dans notre ancien lycée, j'ai couché avec la moitié des filles et j'en ai agressé une qui avait refusé! Comment as-tu pu dire ça sur moi? Tu comprends que j'ai été en colère, non?

-Attends une seconde, Marion. Non seulement je n'ai jamais fait circuler ce genre de rumeur, ni à la fac ni nulle part, mais à vrai dire c'est la première fois que j'entends parler de cette histoire!

-Arrête de mentir, Anna. T'es venue pour discuter à coeur ouvert, non?

-Et je le fais. Je n'ai jamais entendu cette rumeur à ton sujet, et j'ignore d'où tu tiens cette information, mais...

-Ne commence pas à mal parler d'Ella! C'est elle qui m'a soutenue quand tout allait mal, elle n'aurait jamais menti!

-C'est pourtant ce qu'elle a fait. Fais-je remarquer. Elle me tient sans doute responsable du fait qu'Auguste l'ai remballée...

-C'est n'importe quoi...

-Marion, tu n'es plus à la fac, mais je peux t'assurer que si tu y retournais ne serait-ce qu'une journée, tu te rendrais rapidement à l'évidence que cette rumeur n'existe pas. Et qu'elle n'existait pas avant que tu n'ailles voir mes parents.

-Mais... non...

Avant que j'ai pu lui dire quoi que ce soit, Marion fait demi tour pour se retourner vers Ella, qui se dandine d'un pied sur l'autre, hors de portée de nos voix. Joy se tient à côté d'elle, avec un sourire sadique. Ah.

En effet, Ella ne nous entend pas... mais Joy... a probablement tout entendu.

Sous nos yeux, nous la voyons faire semblant de trébucher et aller heurter Ella, qui chute immédiatement dans l'eau verte de la Saône.

-Oups! Désolée, je ne t'avais pas vue. Lui lance-t-elle avec un faux air contrit lorsqu'elle refait surface, et remonte difficilement sur les quais.

Marion éclate de rire, avant de se retourner vers moi.

-Merci d'être venue, Anna, et... encore vraiment désolée pour tout ce que j'ai pu faire.

-Je suis aussi désolée, Marion... j'aurais dû te porter plus d'attention à l'époque.

-C'est du passé. Maintenant, il faut aller de l'avant.

J'hésite quelques secondes.

-Eh Marion... tu pense que...

Elle ricane.

-Non, nous deux, c'est plus possible. Même en temps qu'amies. Je pense qu'il vaudrait mieux qu'on... fasse nos vies chacune de notre côté.

-Ouais... tu as sans doute raison.

-Mais si un jour on se recroise... je serais ravie de les rencontrer. Fait elle en plaçant sa main sur mon ventre. Au revoir, Anna. J'ai une petite discussion à avoir avec Ella.

-Je comprends. Au revoir, Marion.

C'est ainsi que je la regarde s'éloigner, de la même démarche sûre et chaloupée que j'ai tant aimée par le passé. Celle qui a été mon bourreau, la raison de ma tristesse et ma souffrance et de mes peines pendant des mois. Mais à présent, je sais que c'était également réciproque. Et si les choses ne sont pas rentrées dans l'ordre, elles sont au moins réglées...

Je peux aller de l'avant sans avoir à porter ces regrets, désormais.

Vacances avec pere

Demenagement mois d'aout