Jeudi 11 avril, jour 56 - 8e semaine

-Sam... casse toi, t'es bourré. Soupire Robin.

-Tagueule! Anna, tu m'as menti... tu m'as dit que tu n'aimais pas les hommes!

-Et je n'aime pas les hommes, Sam! Arrête de revenir là dessus, je t'ai dit que je ne voulais pas sortir avec toi et je n'ai pas à me justifier!

-T'es qu'une pute! Alors comme ça, soit disant tu préfère les filles mais t'as réussi à tomber enceinte? T'es quoi, la nouvelle vierge Marie? T'as choppé un petit spermato en baisant avec ta copine?

-Mais lâche moi!

Sam a commencé à m'aggriper et à me secouer comme un cocotier. Il n'est pas méchant, mais vraiment beaucoup trop collant! Je crois que même si j'avais été attirée par les hommes, je n'aurais jamais pu lui dire oui. Et surtout, il est complètement bourré.

-Hey!

Dans sa tentative de m'agripper, il en vient à bousculer une invitée qui passait non loin, lui faisant renverser la moitié de son verre sur elle même. Furieuse, elle se retourne vers mon attaquant et, le saisissant par le col, le projette violemment au sol, ce qui a pour effet de lui faire lâcher prise.

-Tu vas calmer ta joie, mon gars. Lui lance-t-elle sans le regarder, ses deux yeux d'un bleu très pâle fixé au loin.

-Dégage, toi! Occupe toi de tes oignons! Riposte violemment Sam, en tentant d'en revenir aux mains.

-SAAAAAM!

Cette voix là, c'est celle de Camille. Ouf. Sauvée. S'il y a une personne que personne n'ose énerver, c'est bien Camille. Et surtout pas quand elle a bu.

-JPEUX SAVOIR CE QUE TU FOUS À MA POTE, ENFOIRÉ? HEIN? T'ES DEG PARCE QU'ELLE T'AS JETÉ? HE BEN APPRENDS A VIVRE AVEC PTIT CON!

-Camille, attend! Se défend-il soudain timidement. C'est elle qui...

-C'EST ELLE QUI FAIT CE QU'ELLE VEUT DE SA VIE ET T'AS AUCUN DROIT DE REGARD DESSUS, PIGÉ?

-Calmons nous, calmons nous! Tente de s'interposer Salomé, l'hôte de maison. Rien ne sera reglé par la violence, d'accord? Sam, tu arrête de boire et tu lâche la grape de Anna. Camille, tu arrête de crier, et tu essaie de te calmer un peu sur la boisson aussi. Et toi...

Salomé s'adresse à la personne qui s'est imposée entre Sam et moi, et je la regarde pour la première fois. Il s'agit d'une jeune fille au longs cheveux blonds platine, presque blancs, et parfaitement lisses. Son visage fin est marqué par un nez bien droit, des lèvres magnifiques, des pommettes pas trop hautes avec des joues à fossettes, et surtout ses yeux - ses deux grands yeux si pâles et fixes. Son expression est ferme, mais une chose est sure pour moi: elle est absolument magnifique. Pourtant, elle ne porte aucun maquillage, et ses cheveux semblent coiffés naturellement. Sa tenue également n'a rien d'extraordinaire. Elle est comme un joyau qui scintille au milieu de la salle, mais qui refuse d'être taillé et garde pourtant tout son éclat.

-Tu as besoin d'aide pour cette tâche? Lui demande notre hôte.

-Je peux me débrouiller, merci. Lui répond la jeune fille sur un ton dur. Je veux bien que tu me file du sopalin, par contre.

-Par de problème, viens. Lui répond Salomé en lui prenant la main. Ah, Anna, tu ne dois peut être pas encore connaître Joy.

-Non, en effet. Fais-je en tentant de paraître détendue et en suivant curieusement les deux filles vers la cuisine, où Salomé fourre le rouleau d'essuie tout entre les mains de Joy.

Mais Joy reste concentrée sur sa tâche, à savoir essuyer sa tache, et ne me porte guère attention. Elle semble très... rude, malgré son apparence. Sa façon de parler, ses mouvements brusques, son étrange façon de ne rien fixer, tout cela lui donne une aura d'étrangeté qui m'intrigue autant que me met mal à l'aise.

-Rha, ce con m'en a foutu partout. Grogne-t-elle en épongeant du mieux possible le liquide renversé sur son T-shirt, à taton avec son essuie tout.

-Ce serait plus simple si tu regardais ce que tu essuie, fais-je remarquer.

En effet, Joy se contente d'essuyer la tâche sans la regarder, en tâtant à la main les endroits qui lui semblent humides. Mais aussitôt après avoir dit cela, je comprends que c'était une erreur à la façon dont Salomé se tend d'un coup, et à celle dont Joy relève la tête avec un air désabusé. Sa réponse est aussi dure que le caractère qu'elle semble avoir.

-Toi, t'es encore plus bigleuse que moi. Me dit-elle, le visage tourné dans ma direction, mais les yeux toujours fixés dans le vague.

Comme s'ils ne me voyaient pas.

Oh.

-Tu es... malvoyante?

-Arrête avec ces conneries d'appellations respectueuses à la con, tu veux? On dit aveugle, pas "malvoyante". Pour mal voir, faut déjà pouvoir voir.

-Je m'excuse, je savais pas que...

-Ça va, ça va, c'est pas écrit sur mon front non plus. Me coupe-t-elle en finissant de se nettoyer et en posant son essuie tout sur le bar.

Salomé le récupère immédiatement et va le jeter à la poubelle.

-Et te laisse pas faire par des cons dans son genre. Reprend la jeune aveugle, revenant à l'agression de Sam. Tu lui fout un bon coup de pied là où je pense, et c'est réglé. La fille qui a gueulé, elle au moins, elle sait se faire respecter.

-Ah, oui, c'est Camille, une amie. Elle a... du coffre, disons.

-M'en parle pas, elle m'a vrillée les tympans. Bon, je veux bien que tu me reserve un verre vu que tu es partiellement responsable de la perte de mon précédent. Déclare-t-elle en se dirigeant d'un pas plutôt assuré vers la fête.

À ma grande surprise, Joy se déplace plutôt bien malgré son infirmité. Elle se dirige sans aide, sans canne, et reste pourtant loin des murs et arrive à éviter les gens. Il faut dire qu'un certains nombre d'entre eux s'écartent sur son passage après avoir vu sa démonstration de force un peu plus tôt. Nous arrivons à la table où trônent toutes les boissons.

-Qu'est ce que tu veux? Lui dis-je.

-N'importe quoi, tant que c'est pas alcoolisé. Répond-t-elle simplement.

Je lui jette un regard étonné, avant de me rappeler qu'elle ne peut pas le voir, et que je n'aurais une explication que si je lui en demande une. Je lui serre donc un verre de jus d'orange, et m'en fait un par la même occasion.

-Merci. Dit-elle en prenant le verre que je lui mets dans les mains. Tu bois pas d'alcool?

-N-Non, comment tu le sais?

-Tu sens pas du tout l'alcool, alors qu'à cette heure ci, tous ceux qui boivent ont l'haleine qui empeste. Commente-t-elle.

-Haha... oui, probablement. C'est parce que je suis enceinte, du coup... l'alcool... pas ouf.

-Enceinte? Mais attends, tu as quel âge? Demande-t-elle avec un air un peu suspicieux.

-Bientôt 20 ans, mais...

-Ah, ouf. Je me demandais si une vieille avait réussi à s'incruster. Ricane-t-elle en se jetant en arrière sur un canapé.

-Ah, oui, c'est un peu difficile d'estimer l'âge de quelqu'un sans le voir, je suppose...

-Ouais. Sinon, ça t'arrive souvent de te faire agresser par des gens comme ça, en soirée?

-Pas... particulièrement, non. Mais Sam a plutôt mal pris le fait que je me retrouve enceinte après lui avoir mis un râteau.

-Quel rapport?

-Je lui ai dit que je préférais les femmes.

Joy éclate de rire.

-C'est sûr que ça a tendance à plutôt casser ton argument! T'aurais pu trouver une autre excuse, quand même...

-C'était pas une excuse! Dis-je pour me défendre. C'était la vérité.

Joy laisse apparaître un air dubitatif.

-J'ai eu cet enfant avec... une femme trans. Dis-je pour mettre les choses au clair.

-Oh, d'accord. Pas courant. Enfin... chacun son délire, hein, mais moi, je préfère les femmes sans bite.

Je faillis m'étouffer dans mon verre lorsqu'elle dit cela dans le plus grand des calmes. Je m'apprête à répondre, quand son visage se tend et qu'elle s'enfonce dans le fauteuil.

-Hey, Anna, puisque t'as des yeux en état de fonctionnement, tu peux me dire si tu verrais pas un mec du genre... cheveux courts, brun, visage rond, voix cassée, vieille odeur de déo auchan à quatre balle, ...

-Je veux bien t'aider Joy, mais va falloir me donner plus de détails visuels et moins de détails... autres.

-Ah. Ouais, merde. Euh... je crois qu'il a des lunettes parfois... un nez super pointu... ah, et une tête de con.

Je pouffe, mais scrute tout de même la foule.

-Pourquoi tu me demande ça? Lui dis-je tout en cherchant.

-Parce que je crois que j'ai entendu la voix d'un mec que j'ai vraiment pas envie de voir. Enfin, voir... façon de parler. Mais ya trop de bruit et de musique, j'ai du mal à être sûre.

-Euh... ya un mec correspondant à la description qui vient vers nous.

Il arrive depuis la "piste de danse", donc dans le dos de Joy, qui tente ainsi de se cacher en disparaissant dans le canapé. Malheureusement pour elle...

-Ah, Joy, te voilà! S'exclame le jeune homme, et le rictus de frustration qui apparait sur le visage de Joy ne laisse rien présager de bon pour la suite.

-Qu'est ce que tu fou là, Vincent? Demande-t-elle avec hargne.

-Je t'ai dit que tu devais pas venir à cette soirée, mais quand j'ai vu que t'étais partie, j'ai immédiatement compris que t'étais là.

-Et alors? Salomé m'a invitée, je vois pas en quoi ça te regarde.

-Tu sais très bien que c'est dangereux pour toi de te balader comme ça seule dans des endroits inconnus. Allez viens, on rentre.

-Ça te dit tu me lâche, Vince? T'es pas mon père, ni mon frère, ni qui que ce soit d'ailleurs. Je suis en train de discuter avec une amie et tu me dérange vraiment.

-C'est pour ta sécuri...

-Ma sécurité, elle t'emmerde. Le coupe la jeune aveugle. Je sors si je veux, et je suis parfaitement capable de me débrouiller sans l'aide de ma baby sitter favorite.

-Je suis pas ta baby sitter! Proteste le garçon.

-Alors arrête d'agir comme tel et casse toi. Je t'ai rien demandé.

Il soupire.

-Bon, on va faire les choses autrement. Dit-il en l'empoignant par l'épaule.

-Hey! Lâche moi pauvre con! Tu veux vraiment que je m'énerve!

-Écoute, Joy, c'est ridicule! En plus, tu connais personne, arrête de faire l'enfant et viens avec moi!

-Euh... excusez moi, fais-je, intervenant ainsi pour la première fois dans la conversation. J'étais en train de discuter avec mon amie, et vous nous dérangez vraiment. Et si vous vous en faites pour sa sécurité, ne vous en faites pas, nous sommes un groupe de 3 et on va la raccompagner à la fin.

Le dénommé Vincent semble hésiter un instant et me regarde dans les yeux. Cette hésitation est suffisante pour Joy qui en profite pour saisir son bras, et, en se tendant de toute ses forces, faire basculer l'homme par dessus à la fois elle et le canapé. Et s'écrase sur la table basse face à elle, brisant et renversant bouteilles et verre. La jeune aveugle se relève et lui dit triomphalement:

-Oublie jamais qui de nous deux porte la ceinture noire, pigé? Tu te ramène, Anna? Jcommence à en avoir marre de cette soirée.

-O-ouais.

Salomé accoure à travers l'assemblée, et se prend la tête dans les mains en voyant Vincent écrasé sur sa table en basse, en train de se relever tant bien que mal. Son énervement grandit d'un cran encore lorsque ladite table se brise sous le poids du garçon.

-C'est exactement pour ÇA que je t'ai pas invité, Vincent! Rage-t-elle, sous le rire moqueur de Joy qui m'entraîne vers la sortie.