Jeudi 4 juillet, jour 140 - 21e semaine

-On était obligés de faire ça aujourd'hui? Se plaint Vincent

-Tais toi et porte. Lui répond brutalement Joy, en le suivant de près.

Quelques temps ont passé, et il est venu le jour de l'installation de Joy dans mon propre appartement. Le mois de juin étant terminé, et n'ayant toujours pas un sous en poche, je ne peux pas continuer à y vivre sans devenir un poids financier trop important pour Diane. Et, de toute façon, Joy ne voulait rien de plus que quitter son appartement.

-Tu n'as pas idée d'à quel point ils me saoulent. M'a-t-elle dit. Sérieusement, depuis que j'ai commencé à retourner en cours et à trainer avec vous, j'ai l'impression qu'ils vont faire une crise d'apoplexie dès que je rentre un peu tard ou que je sors sans prévenir. J'ai plus 5 ans, merde!

L'esprit rebelle de Joy supporte en effet mal la pression que lui ont mis ses parents depuis son enfance. Surprotégée, elle s'est sentie étouffée, et ça ne s'est pas arrangé lorsque Vincent a décidé de devenir une sorte d'ange gardien.

-Ça lui est venu comme ça, à une époque où mes parents commençaient à me laisser un peu plus de liberté. M'avait-elle expliqué. Il leur a raconté plein de conneries sur les risques et leur a fait tellement peur qu'ils ont fait marche arrière. Et impossible de me débarrasser de ce bout de chewing gum collant depuis lors!

J'aime à penser que Joy ment un peu, sur ce coup là. Elle ne veut probablement pas l'avouer, mais il me semble qu'elle tient plus à Vincent qu'elle ne veut l'avouer. C'est un jeune homme toujours inquiet pour elle et qui prend souvent des décisions bien trop autoritaires, mais je pense qu'il est sincère. J'ai au début souvent pensé qu'il était une sorte de prétendant particulièrement acharné, cherchant à s'attirer les faveurs de la jeune fille - ou de sa famille - par son comportement. Je pense désormais que ce n'est pas la cas, et que leur relation est bien plus complexe qu'une simple connaissance de voisinage ou le fils d'amis de la famille.

Cependant, au vu du comportement rude de Joy dès qu'elle parle de lui, je ne pense pas pouvoir apprendre quoi que ce soit de sa part. Et je ne suis pas vraiment assez proche de Vincent pour oser lui demander ce genre de choses.

Toujours est-il qu'en cette matinée un peu pluvieuse, mais tout de même beaucoup trop chaude, nous avons réquisitionné toutes les personnes disponibles pour le déménagement de Joy. Mei n'est pas disponible, étant à Paris pour ses oraux durant quelques jours. Cela compte donc Vincent, évidemment, Camille, Robin, Auguste et Salomé, mais également d'autres inconnus, des amis de Joy que je ne connaissais pas et qui me rappelle que je ne la connais pas encore aussi bien que j'aimerais le penser.

-Des amis du lycée, des potes de judo... me dit-elle quand je lui pose la question. Mais je les avais pas contactés depuis un bout de temps, pour certains.

-Et tu les recontacte en leur demandant de t'aider pour ton déménagement.

Un sourire sadique apparaît sur son visage.

-Exactement. Comme ça, ils savent que j'ai pas changé d'un poil!

J'éclate de rire. J'aimerais bien aider, mais Joy et Camille me l'ont formellement interdit. Alors je me contente de regarder les déménageurs descendre ce qu'il me reste d'affaires dans une camionnette, et monter celles de Joy sous son... oreille attentive?

Diane, elle, aide aussi du mieux qu'elle peut en essayant de camoufler son excitation et son stress.

-J'espère qu'elle est pas trop invivable... et trop renfermée. Tu crois que ça va vraiment me donner de bonnes opportunités? Aaah, j'arrive pas à croire que je vais vraiment vivre avec elle...

-Relax, Diane. Lui dis-je. Rappelle toi juste d'une chose, et tout ira bien.

-Quelle chose?

-Son ouïe porte plutôt bien.

Diane me fixe dans les yeux quelques instants, prenant en considération toutes les conséquences de ce que je viens de dire. Elle blêmit légèrement.

-Ça veut dire qu'en gros, j'ai plus de vie privée...

-En quelque sorte.

-Attends ça veut dire que je pourrais même pas me... sans qu'elle l'entende?

-Disons que tu devras être discrète.

-Oh merde...

Je sens mes jambes me lâcher légèrement et me dépêche de me reporter vers le canapé tout proche.

-Wow, ça va, Anna?

-Ouais... ouais, disons que les petites commencent à peser leur petit poids!

-La vache, c'est vrai que ton ventre est énoooorme! Lance Camille en portant un carton.

-Arrête de me dire ça, il est pas encore au maximum... dis-je avec un sourire gêné. J'entame à peine le 6e mois.

-Raison pour laquelle il est hors de question que tu fasse autre chose que de regarder ces larbins travailler! S'exclame Joy en surgissant dans l'appartement, portant elle aussi un carton qui semble plutôt léger à première vue. Mais vu le bruit qu'il fait lorsqu'elle le laisse tomber au sol, je comprends que ce n'était vraiment qu'une apparence.

-Hey... dit-elle en s'approchant. Je peux toucher?

-Bien sûr.

Je sais qu'elle le fait sans arrière pensée, car c'est son seul moyen de se rendre compte de son environnement, mais je ne peux m'empêcher de capter le regard peu enjoué de Diane, auquel je réponds avec un sourire gêné. La jeune aveugle pose ses mains sur mon ventre et aussitôt, son visage se marque de surprise.

-Wow... c'est vraiment ton ventre, ça?

-Qu'est ce que tu crois que c'est, au juste?

-Je sais pas, ton cul peut être. Wah, il est... énorme, par rapport à la dernière fois où je l'ai touché. Et il va encore grossir? C'est possible, plus gros que ça? J'y crois pas...

Je ne peux m'empêcher de rire. Joy décroche ses mains de moi puis, sans prévenir, se plante face à Diane et les colle sur son visage.

-Que...!!! S'exclame celle-ci, surprise par le contact.

-Bah quoi? Faut bien que je me fasse une idée de ce à quoi ma nouvelle coloc ressemble. Répond laconiquement Joy alors que ses doigts longent chaque arête du visage de Diane, qui est devenu presque aussi rouge que ses cheveux teints.

Joy l'achève en commentant d'un air appréciateur:

-Pas trop mal, on dirait...

C'en est trop pour Diane, que bat en retraite.

-J-Je vais aller aider ceux d'en bas! Crie-t-elle en sortant du petit appartement.

Joy et moi éclatons de rire. Elle vient s'affaler dans le canapé à côté de moi, sa main revenant se poser sur mon ventre.

-Tsais si tu veux m'arranger un coup, tu peux juste me le dire. Lance-t-elle.

-T-Tu savais?

-J'ai jamais entendu une meuf aussi pas discrète qu'elle! Ricane-t-elle. Elle se parle à toute seule en se motivant dans sa chambre, elle téléphone à ses potes en parlant de moi et je viens de vous entendre en discuter toutes les deux.

-Et... alors?

Joy fait une petite moue.

-Je sais pas. Je vois assez souvent Sarah en ce moment, même si on est pas ensemble. Et Diane est pas mal. Mais... je sais pas si je suis prête à retomber amoureuse, finalement.

-Quoi, et moi, ça compte pas?

Joy rougit légèrement et se relève instantanément avec un air outré.

-J-Jtai déjà dit que c'est parce que tu ressemblais à mon ancienne copine. Donc non, ça compte pas!

Oh, un sujet qui semble pouvoir atteindre Joy, c'est plutôt rare. Elle sursaute soudain à sa place, sa main toujours posée sur mon ventre.

-Hé, ça a bougé! S'exclame-t-elle.

-Bien sûr, elles sont vivantes là dedans tu sais.

Elle colle son oreille contre mon ventre, tentant de voir si elle peut entendre quoi que ce soit, mais se retrouve juste à sentir les mouvements à l'intérieur. Son visage se fend en un sourire émerveillé et enfantin.

-Ce seront des magnifiques gamines, j'en suis sûre... dit-elle finalement.

Oui. J'en suis persuadée aussi. Mais je pense que toute mère en est persuadée.