Aveux
Samedi 6 avril, Jour 51 - 7e semaine
Mon rendez vous pour l'avortement est fixé à une semaine après mon dernier rendez vous. Je ne mets pas trop longtemps à retrouver la trace de ma petite trans en herbe - merci facebook. Il faut dire qu'il n'y a pas dix mille personne portant le prénom "Mei" sur Lyon, et étant en classe préparatoire.
Son profil est... assez vide. Elle ne doit pas passer beaucoup sur facebook. En même temps, ce réseau social commence à se faire vieux. Sa photo de profil la montre, souriant de toutes ses dents, debout devant un à pic dans les montagnes. J'en profite pour l'admirer une nouvelle fois. La photo est récente: elle a la même coupe à la garçonne et le même visage angélique, mélange subtil de dureté masculine et de douceur féminine. Ses yeux sont pétillants, et elle porte une veste du meilleurs goût, et un jean slim pas dégueu. Je scrolle un peu sur sa page. Je suis un peu une habituée du stalkage via facebook. Quand Marion m'a larguée, j'ai passé des journées entières à fixer son profil, à me faire un sang d'encre en attendant qu'elle le mette à jour, esperant y trouver une information sur sa localisation ou les raisons de son départ.
J'ai fini par abandonner, autant son compte que facebook en général. C'est la première fois que j'y retourne depuis un moment.
Quelques photos de famille, de son chat, de vacances. Assez rapidement, les photos deviennent celles de l'"ancienne Mei", celle qu'on appelait encore Max. Le bal des terminales, au lycée, des sorties de classes. Son passé défile sous mes yeux. Elle me semble encore plus éloignée maintenant que je réalise tout ce que j'ignore d'elle. Mais je prends mon courage à deux mains, et ouvre la messagerie instantanée pour lui envoyer un message. Un truc du type:
"hey salut ça va? Je sais qu'on s'est pas reparlées depuis la dernière fois mais il faut que je cause d'un truc avec toi, tu es libre quand pour qu'on se voie?"
Ça fait message de meuf qui essaie de renouer le contact. Et c'est exactement ce que je compte faire.
J'attends la réponse, immobile, devant mon écran. J'attends. Longtemps. Très longtemps. Au bout d'une demi heure, le message n'a toujours pas été lu, et je perds patience. Je me lève pour aller prendre une douche, et croise ma coloc qui rentre juste d'une sortie en ville.
-Alors, ce rendez vous? Il a dit quoi, le gynéco?
-Oh rien de spécial, il m'a briefée sur les méthodes, quoi. Ah, et il m'a conseillée de recontacter Mei.
-Jte l'avais dit!
-Mais oui, c'est ça. Dis-je en levant les yeux au ciel, un sourire aux lèvres.
À la sortie de ma douche, une réponse m'attend. Il semble juste qu'elle ne regarde pas très régulièrement ses messages.
"Pas de problème, demain dans la soirée en centre ville, ça te dit? C'est moi qui invite"
Quelque chose me dit que je ne suis pas la seule à vouloir renouer contact...
***
Dimanche 7 Avril, Jour 52 - 7e semaine
-Ça me fait plaisir que tu m'ai renvoyée un message. Je dois te dire que j'hésitais un peu à le faire, mais j'étais persuadée que tu m'avais juste prise pour un coup d'un soir.
Je suis assise avec Mei, à la terrasse d'un restaurant. Pas très haute gamme, mais furieusement bon. Elle a de bonnes adresses! Le repas s'est déroulé sans accroc, et nous avons discuté un peu de notre vie actuelle, de notre passé, bref, de tout, sauf de nous deux. Elle est celle qui fait ainsi le premier pas, alors que le repas touche à sa fin.
-Oui, je t'avoue qu'au départ, c'était le cas. C'est pas tous les jours que... enfin... euh...
-Qu'on recroise un mec à qui on a mis un râteau, et qu'il est devenu une magnifique jeune fille? Dit elle avec un air malicieux.
-Haha! Exactement. T'as un peu pris le melon, toi, dis donc!
-Juste un peu. Alors, qu'est ce qui t'as poussée à me rappeler, finalement?
-Eh bien... euh... c'est un peu difficile à dire.
-Oh, mais je suis toute ouïe.
Elle croise ses doigts et pose sa tête dessus, un sourire amusé sur le visage. Ah. Je crois qu'elle s'attend plutôt à une déclaration d'amour. Elle va... tomber de haut.
-Tu as déjà pensé à avoir des enfants? Dis-je.
Elle semble surprise par mon changement de sujet.
-Bien sûr, que j'y ai pensé. Comme tout le monde, je pense. Mais j'ai du mal avec les gosses, et de toute façon... je suis stérile, avec les hormones et tout ça. Donc c'est pas une possibilité pour moi.
-Oui, mais en supposant que tu puisse en avoir.
Elle me fixe avec un air suspicieux. Ses yeux bleus verts me transpercent, son nez fin et ses pommettes marquées m'attirent. Je la trouve... vraiment attirante, il est vrai. Mais ce que je m'apprête a lui dire va probablement briser toutes mes chances avec elle.
-Je sais pas pourquoi tu me pose cette question, Anna, mais... oh et puis merde, je peux bien te le dire. Ça va te sembler stupide, sûrement, mais... moi, ce que j'ai toujours voulu, c'est porter mon propre enfant. Pas... féconder une femme et me dire "c'est le mien haha", non. Ça c'est... c'est un truc de père. Et moi, je voulais être une mère. Sentir mon enfant grandir dans mes entrailles, souffrir au moment où il se détache de moi, mais avoir... une descendance que j'ai moi même porté dans mes chairs, tu vois. Ça peut sembler con, je sais, et de toute façon, c'est un rêve inaccessible. Une femme trans, même opérée, se trimballe juste avec une chatte artificielle qui sert pour le sexe. Ça ne peut pas porter d'enfant. Donc, je ne porterais jamais d'enfant.
Je déglutis quand ce discours se termine. J'ai l'impression... de mieux comprendre Mei. Mais je sais aussi que ce que je vais annoncer ne va pas lui plaire.
-Mei... je...
-Tu es enceinte?
Je me fige. Son regard évite le mien, attendant ma réponse.
-Oui. Je suis enceinte. De toi, Mei.
-Et si tu m'en parles, je suppose que... tu vas le garder.
-Je... je... je ne sais pas...
Je commence à sangloter pitoyablement. Merde. C'est ridicule, retiens toi, pas devant elle, voyons! Pas en public! Mais je dois l'avouer, je suis au point de rupture: j'ai envie de garder cet enfant. Au fond de moi, je le sais. C'est ce que je désire absolument, car je me suis pleinement reconnue dans le discours que vient de tenir Mei. Elle ne peut pas porter d'enfant. Mais je peux porter le sien. Je peux le porter pour nous deux, et je n'ai pas envie de laisser passer cette chance.
Même si cela signifie devoir reconstruire mes plans d'avenir à partir de rien.
-Anna, ça va? Je suis désolée, je dois te paraitre froide... ah je suis tellement horrible... c'est juste que...
-C'est bon, Mei. Ne t'inquiète pas. Je vais bien. Je pensais ne pas le garder, je t'avoue mais, je crois... je crois... que tu viens de me convaincre de le garder.
-Ah... c'est... super, je suppose. Mais... enfin...
-Ne t'inquiète pas, je t'ai dit. Je ne te demande rien. Je sais que... ce n'est pas ce dont tu as envie. Et... on ne se connait pas vraiment, toutes les deux. Je pense que je peux l'élever seule, si tu n'en a pas envie, ou alors trouver quelqu'un qui fasse office de deuxième mère.
-Deuxième mère? Tu veux dire que...
-Bien sûr. Je ne suis pas attirée par les hommes, Mei. Je suis désolée de ne pas te l'avoir dit à l'époque.
-Anna...
Elle se lève, et vient se placer face à moi. Son visage s'approche, si près du mien que son souffle chaud caresse ma joue. Elle plante un court baiser sur mes lèvres.
-Je t'ai dit que je t'aimais, à l'époque. Et je suis retombée amoureuse de toi dès que je t'ai vue. Mais tout ça... j'ai besoin de temps, pour y penser. Pour réfléchir.
-Je comprends. J'attendrais ta réponse, alors.
-Merci.
Je lui fait un grand sourire, et plante a mon tour un court baiser sur ses lèvres.
-Merci à toi, dis-je. Je crois que si je ne t'avais pas parlé ce soir... j'aurais regretté toute ma vie de ne pas avoir gardé cet enfant.
Elle me sourit, et s'éloigne dans la nuit. Le printemps est bien là, on le sent dans l'air nocturne. Et je me sens apaisée, pour la première fois depuis que ces tests de grossesse ont affiché positif. De nombreux nouveaux obstacles apparaissent devant moi, mais... je suis prête à les affronter.
Avec... ou sans Mei.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro