Prologue
La nuit était sombre et glaciale et je détestais ce genre de nuit.
Un brouillard de pollution flottait au-dessus des rues de Seoul, rendant l'environnement incertain, étrange, irrespirable. L'air était saturé d'odeurs infectes qui me brûlaient le nez. Je sentais chaque centimètre carré de mon épiderme geler à cause du froid de cet hiver laborieux qui secouait le pays.
Je haïssais l'hiver.
Dans une rue sombre, les rares néons de lumières roses, indiquant des endroits peu recommandables, éclairaient la ruelle coincée entre deux buildings, des mastodontes de bétons. Il n'y avait pas âme qui vive si ce n'était moi et le type que j'étais venu rencontrer là.
Des caisses de bouteilles vides s'entassaient non loin des poubelles mal refermées qui mélangeaient les odeurs de pollution aux restes de déchets. Tout était glauque et poisseux et l'allure patibulaire du type ne me disait rien qui vaille.
Mais d'aussi loin que je me souvienne, des types comme lui rencontraient toujours des types comme moi dans ce genre d'endroit, à l'arrière des grands boulevards aux vitrines tapageuses et éblouissantes. Comme si derrière la lumière se cachaient toujours l'ombre, la dépravation et les interdits qu'on occultait, loin des yeux des naïfs, des moutons de notre espèce.
Il était tard et je me les caillais vraiment. Le type sortit enfin un petit paquet en kraft de l'intérieur de sa veste et je m'empressai de retirer mon gant avec mes dents afin de rapidement à compter les billets de banque qui s'y trouvaient.
-On avait convenu 250 000 Wons, il manque près de 50 000, là ! grognai-je brusquement.
Le type aussi grand que large, qui fumait sa clope en face de moi, me regarda de haut en bas, en me soufflant sa fumée au visage.
-C'est le prix du service, répondit-il nonchalamment.
-Ce n'est pas le prix qu'on m'avait indiqué !
-Écoute, mec, si t'es pas content, tu ne reviens pas et puis c'est tout.
Je me mordis la langue férocement, réfrénant ma colère. Ça me démangeait atrocement, de lui cracher à la gueule un lot d'insulte bien sentie et de lui faire ravaler son air à la con.
Mais j'avais horriblement besoin de ce job.
Pour faire passer ma frustration, je soufflai d'un coup, libérant de la condensation entre mes lèvres gercées, avant de fourguer l'enveloppe en kraft dans la poche intérieure de ma veste en cuir.
-C'est pour quand, le prochain boulot ?
Le type me toisa avec son air peu aimable, sa clope dégueulasse au bout de ses doigts jaunis par le tabac et sa figure sale.
-C'est le patron qui décide. Toi, t'attends qu'on t'appelle.
Je fis volteface, ne lui accordant même pas une salutation. Je rentrai, le cou dans le col relevé de ma veste, et m'engouffrai dans les autres ruelles plus sombres et plus polluées encore du quartier de Gangnam avant de rejoindre les grandes rues, pleines de lumières et de passants.
Chienne de vie.
L'enveloppe dans ma poche créait une bosse près de ma cage thoracique, une sorte de sensation rassurante. Je sortis une clope du paquet abîmé par mon jean froissé et l'allumai. Je pris une bouffée de goudron et autres substances plus toxiques les unes que les autres et mon corps se détendit d'un coup.
Mais pas mon esprit.
Non, lui, il ne s'arrêtait jamais de calculer.
Car avec cet écart de 50 000, je ne pouvais pas rembourser une partie de mon prêt, ni payer correctement le loyer ce mois-ci. Et puis, l'ardoise au bar de Siwon devait être réglée avant à la fin du mois et je n'avais que des clopinettes à lui donner.
Ce monde était merdique. Mais parmi tout ça, je l'étais encore plus.
Mon existence médiocre me donnait parfois envie dégobiller sur le trottoir.
Aujourd'hui, j'en étais réduit à faire des petits boulots illégaux pour pouvoir payer mes dettes. L'argent était le pire poison de ce monde et j'en crèverais plus rapidement qu'avec mon futur cancer des poumons.
J'écrasai mon mégot rapidement au sol, jetant un regard froid à la femme d'un certain âge qui semblait outrée que je salisse le trottoir.
Comme si ce trottoir lui appartenait.
Connasse.
Je traversai les rues glaciales les mains dans les poches en soufflant par la bouche. Un filet de fumée s'en échappa, encore. Il faisait un froid de chien et clairement, j'en avais ras le bol de devoir rentrer chez moi à pied.
J'enviais ces riches qui pouvaient se payer des taxis chauffés et propres comme des sous neufs.
À quel moment est-ce que ma vie avait autant merdé ?
Pourtant, lorsqu'on fonçait droit dans un mur, on le voyait venir à un moment, non ? On finissait bien par percuter qu'on était dans la merde ?
Non.
Parce qu'il y avait toujours cette petite voix intérieure qui vous disait que ça allait s'arranger.
Saloperie.
Ça ne s'arrangerait pas, j'en étais le parfait exemple, le numéro un de la chute libre, un aller simple en direction des enfers.
Mes yeux parcoururent les vitrines aveuglantes et colorées, chargées de décorations de Noël, et mon estomac vide me rappela son existence me provoquant une désagréable douleur dans le ventre. Voir les montagnes de chocolat, dans leurs boîtes argentées, enveloppées de rubans de soie, les bijoux étincelants dans leur écrin de velours violet, me mit plus en rogne plus que je ne voulais l'avouer.
J'avais du mal à raccrocher les deux bouts, et la société était pire que le miroir, elle me renvoyait cette image que j'étais un raté. Un déchet.
Une de ces personnes qui crevaient dans les faits divers mais dont tout le monde se foutait.
Et la chance, dans tout ça ?
Je n'avais pas eu ce petit coup de pouce là.
Je n'avais rien eu.
Pourtant, il existait bien une époque où j'étais heureux. Vraiment heureux. Une époque où rien de mal ne m'arrivait, à laquelle je n'avais pas à me coltiner les responsabilités d'adulte, le monde du travail, les frustrations de l'existence et encore moins la société, son moule, ses règles, ses normes, ses lois.
Ses enfers.
Alors pourquoi je m'accrochais encore ?
Désespérément, en plus ?
La moitié de ma vie était faite, j'avais vieilli, je me pourrissais la santé, j'allais probablement chopper un cancer ou une connerie du genre dans une dizaine d'année, peut-être moins. Je ne pourrais pas me payer les frais d'hôpitaux de toute façon.
J'y croyais pourtant.
Dur comme fer.
J'y croyais, que je rembourserais mes créanciers, que je réussirais à sortir la tête du trou, recracher toute la merde que j'avais ingurgitée et à me sortir de ce merdier
Vraiment.
Je tirai une autre clope, en poursuivant mon chemin
Putain de briquet.
J'appuyai plusieurs fois sur l'objet, en vain. Seule une étincelle en sortie, balayée par le vent.
Bordel.
Vivement que je dorme. Je n'en pouvais plus, de cette nuit, de cette journée, de cet enfer.
Chaque jour représentait la même routine, la même galère, le même combat.
Plus rien n'allait.
Je balançai le briquet de toutes mes forces contre le bitume et repris ma marche, ma clope déformée retourna dans son paquet.
Je marchai et je marchai encore. Il me restait encore un bout de temps avant d'arriver et j'avais froid aux orteils, mes chaussures étaient trouées depuis des lunes. Je traversai une énième rue et tournai dans une ruelle étroite afin de pouvoir déboucher sur un boulevard.
C'était la course aux cadeaux de Noël. Il y avait trop de monde, trop de foule.
Dans le fond, si je devais être honnête, je savais que tout ça, c'était de ma faute.
Quand on faisait le mauvais choix dans la vie, on se coltinait les conséquences.
Ah... Si je pouvais revenir en arrière, avant que tout ne me tombe dessus, je ne prendrais pas les mêmes décisions.
Si j'avais su...
Si j'avais eu plus d'argent...
Si j'avais été plus mature.
Si j'avais fait d'autres choix.
Si j'avais eu plus confiance en moi.
Si...
Si seulement.
Soudain, mon esprit s'interrompit.
En voulant éviter rapidement un passant à un carrefour alors que le feu signalétique allait passer au rouge, je sentis qu'on me bousculait dans le dos. Mon corps partit en avant et mes jambes, faibles et ankylosées, eurent des difficultés à me maintenir d'aplomb. Mes sourcils se froncèrent alors que je me retournai à demi, l'air bancal, les mains coincées dans les poches de mon jean duquel je ne parvenais pas à les dégager. Je n'eus pas les moyens de dire quoi que ce soit car je ne sentais plus vraiment mon nez ni mes lèvres à cause du froid.
C'est là que j'entendis un crissement violent et que je ressentis une soudaine sensation de danger. Ma tête pivota vers le bruit assourdissant, les phares de la voiture m'éblouirent un instant et mon corps fut incapable de bouger. Seuls mes poumons prirent une grande inspiration. Comme s'ils anticipaient.
Comme s'ils savaient.
Mon esprit formula enfin une idée mais avec un temps de retard.
Un conducteur semblait avoir perdu le contrôle de sa voiture et le véhicule dérapait sur les plaques de verglas comme un animal effrayé, en fonçant dans ma direction.
Tout se passa comme au ralenti. Mon cœur eut un sursaut, la peur me courut dans les veines et mes yeux s'écarquillèrent de frayeur. Mes jambes refusèrent de bouger, gelées et ça n'avait rien avoir avec la température.
Je restais figé de stupeur.
Sidéré.
Puis vint le choc. Brutal, douloureux, démesuré.
Mon corps entier fut pris d'une douleur phénoménale et ingérable, avant que je ne me sente projeté en arrière, jeté contre l'asphalte.
Il y eut le crissement des pneus, le bruit du choc, le son de mon veston se déchirant contre le bitume et celui de ma tête qui frappa le sol.
Tout d'un coup, ce fut comme si on m'avait broyé, comme si mon corps avait été coupé en milliers de morceaux éparpillés et que je pouvais tous les sentir, se tordre et s'arracher de ma carcasse.
La douleur fut si monstrueuse que j'eus envie de hurler.
Mais je le pouvais plus.
Je ne bougeais plus.
Quelque chose me coula dans la bouche. C'était chaud, épais et âpre. Mes yeux, eux, restèrent horriblement ouverts, spectateurs de ce spectacle mortuaire.
Les phares m'éblouissaient alors que je n'entendais que le bruit d'une portière, des bruits de pas, de l'agitation et des cris, et j'aperçus quelques rares spectateurs dans mon champ de vision brouillé.
Puis soudain, le soulagement.
Enfin.
C'était la fin, n'est-ce pas ?
Peut-être que c'était mieux comme ça. Finalement, valait mieux ça. Ça ne serait pas un cancer ni quoi que ce soit de lent, de long et d'affreusement cher à payer. Ce serait juste un accident, brutal, rapide et expédié.
Tant mieux.
Ou pas.
Un regain d'espoir me comprima ce qu'il me restait de poitrine.
Mais quand même, si je mourais, qui me pleurerait ?
Des visages me revenaient et l'espoir me fit horriblement souffrir, plus encore que mon corps dont je commençais à perdre toutes les sensations.
En fait, je ne voulais pas mourir.
J'avais peur.
Mes yeux se fermèrent enfin, une sensation d'un froid terrible me glaça jusqu'à la moelle. J'entendis vaguement les secours, la sensation de personnes tâtonnant mon corps.
On disait qu'on revoyait le film de sa vie en mourant.
Connerie.
J'avais envie de hurler ma douleur, de pleurer mon désarroi, de supplier qu'on me sauve.
Puis le froid empira, les sons disparurent, ne restèrent que les ténèbres et la terreur.
Je ne voulais pas mourir.
Je n'en avais plus envie.
Quelqu'un...
N'importe qui...
Sauvez-moi.
Ma conscience s'éteignait.
Mon esprit s'effaçait, mes souvenirs disparaissaient, mes désirs, mes rêves, mes échecs, mes ambitions, mes regrets.
Tout.
Ainsi je mourais, minable et misérable.
Sans personne.
Si...
Si je pouvais...
Si seulement...
Je voudrais...
Tellement...
Revenir en arrière.
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Merci à automnalh pour la correction de ce prologue.
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