-Vous avez entendu ? Il va y avoir un nouveau prof.

Je pivotai la tête en direction de Minho qui semblait tout à coup terriblement excité. Il l'était souvent pour pas grand-chose, ce qui n'était pas une surprise en soit.

Nous étions en cours de sport.

Enfin eux, pas moi.

Mais parce que le prof était un abruti congénital fini, je devais quand même y assister en tenue de sport. L'effort inutile que ça me demandait, de me changer et de me rechanger pour quitter mon uniforme scolaire et enfiler la tenue officielle pour ce cours, avec mon plâtre, m'avait fait jurer comme un charretier. Au moins ça avait fait rire Wooji et Minho qui non seulement avaient décidé de ne plus me faire la gueule mais qui s'étaient mis à reprendre mes expressions en me traitant de « vieux papy ».

Mais Jaehyo avait quand même dit, lorsqu'on avait quitté les vestiaires :

-Mais d'où tu connais toutes ces insultes ? Je t'avais jamais entendu t'énerver autant...

À l'évidence, le jeune Min Yoongi que j'étais adolescent avait l'air un tantinet plus heureux et beaucoup moins vulgaire que celui que j'étais vingt ans plus tard.

Donc j'étais là, tandis qu'ils s'efforçaient de jouer au volley. Assis sur mon banc sans n'avoir rien à faire à d'autre à part observer les gens de ma classe faire des matchs.

C'était vraiment grotesque.

Le terrain de sport était séparé en deux, notre classe s'entrainait aux côtés de la classe de filles de la même année. C'était l'un des rares moments de mixité dans notre emploi du temps et nos cours.

Certaines filles, heureusement pas toutes, étaient ridicules à ne pas oser toucher le ballon, à s'occuper de leurs cheveux, à crier de douleur à peine avaient-elles fait un service. Sérieusement, pourquoi certaines se comportaient-elles ainsi alors qu'elles avaient nettement plus de force et de capacités sportives que certains garçons ? Ceux-là, d'ailleurs, faisaient leurs intéressants, tâchant de développer une « virilité » complètement factice en tirant comme des bourrins dans le but d'impressionner la gente féminine.

C'était pénible à regarder.

Je ne me souvenais pas qu'à un certain âge nous étions déjà façonnés par ce que la société attendait de nous, indépendamment de ce que nous voulions vraiment être. Mais d'un point de vue extérieur, observer ces adolescents être et paraître, jouer de leur comportement de façade pour tenter de plaire aux regards de l'autre, avait quelque chose de fascinant.

Du moins les premières dix minutes d'observation.

C'est à la pause donc, que Minho avait accouru avec pleins de nouveaux potins puisqu'il passait son temps à se rapprocher des filles en espérant que l'une d'elles puisse sortir avec lui.

Et, par ailleurs, lui permettre de perdre sa virginité ce qui n'était, pour l'instant, pas gagné.

-Un nouveau prof ? s'étonna Jaehyo en s'asseyant à côté de moi. Un prof de quoi ?

De nous tous, c'était sûrement lui qui avait un tant soit peu de carrure sportive. Alors certes, Minho était grand mais il ne semblait pas savoir quoi faire de son corps. Typique des garçons qui avaient grandi d'un seul coup. Wooji aurait été bon meneur dans un autre sport, il savait se montrer hargneux et clairement mauvais joueur, mais en volley il était désavantagé par rapport à sa taille. Donc il restait Jaehyo, qui semblait avoir fait partie du club de foot au collège et avait donc une allure un peu plus athlétique.

-D'anglais. Il parait que Mme Lee prend sa retraite, annonça Minho en s'affalant sur ma personne.

Il allait se manger un pain, ce gamin, s'il ne se poussait pas.

-Tant mieux, soufflai-je en le dégageant, elle parle anglais comme une vache espagnole.

Ils pouffèrent mais le grand dégingandé à la peau mate reprit :

-J'ai entendu une fille de la classe C dire qu'elle l'avait vu et qu'il était « trop beau ».

Il avait fait une grimace et des guillemets avec ses doigts pour illustrer son propos.

Mais qui faisait encore des guillemets avec ses doigts ?

-On l'aura en cours, le nouveau prof ? demanda Wooji en refaisant ses lacets. Elle part quand, la veille Lee ?

-Aucune idée, mais on a anglais à seize heures...on verra bien, assura Jaehyo.

Mais une heure plus tard, à la fin de la pause déjeuner, il fut clair que la nouvelle avait déjà fait le tour de toutes les classes et je ricanai devant la rapidité de propagation d'une rumeur. Depuis le temps, j'avais oublié à quel point les informations circulaient vite et de manière déformée entre les individus.

Malheureusement, il y eut une exclamation générale de déception quand la vieille Mme Lee arriva pour faire son cours comme habituellement. Néanmoins elle confirma la nouvelle :

-Mon remplaçant commencera à prendre ses fonctions la semaine prochaine, il a vécu longtemps en Australie et il est très compétent. J'attends de votre classe une attitude exemplaire avec lui.

Tout le monde répondit un « oui madame » en chœur sous mon regard blasé face à tant de discipline. Plusieurs heures plus tard, à la fin du cours, encore une fois, tout le monde ne parlait que de ça comme s'il s'agissait d'un événement majeur. En même temps, pour un lycée moyen mais respectable comme celui-ci, il ne se passait pas grand-chose en termes d'informations. Tout le monde respectait trop les règles pour ça.

On était loin des dramas sur des beaux garçons rebelles qui faisaient du grabuge, sortaient avec des filles, taguaient les murs et fuguaient du lycée.

Il n'y avait pas ou peu de contacts entre les filles et les garçons, chacun étant dans des classes séparées. C'était déjà une exception en soit que notre lycée soit mixte, la moitié des écoles du pays ne l'étaient pas. S'il y avait des couples, ils ne s'affichaient pas et s'ils envisageaient d'avoir des contacts rapprochés, comme se tenir la main par exemple, les professeurs pouvaient les punir et écrire à leurs parents pour démontrer leur comportement inacceptable. Les événements principaux de ce type d'établissement concernaient : le festival du lycée ayant lieu une fois par an lors des portes ouvertes et les rencontres sportives de niveau régional lorsque des clubs de sports parvenaient à se classer parmi les meilleurs.

La vie de l'établissement ne se rythmait qu'à l'affichage des notes d'examens à chaque fin de semestre, placardées sur un grand mur devant le bâtiment d'entrée. On y retrouvait le classement de chaque élève, du premier au dernier. Les cinquante premiers avaient le droit à leur petite heure de gloire. De ce fait, tout ce qui sortait un peu de l'ordinaire prenait des proportions importantes dans les discussions des élèves. Pour le reste il s'agissait d'un quotidien morose, répétitif et inintéressant.

C'était affreusement triste de constater le manque total de vie dans un lycée.

Les quelques pauses durant la journée servaient à manger ou à réviser. Rares étaient les déjeuners où le prof principal autorisait les élèves à allumer la télévision de la classe pour diffuser l'Inkigayo ou le Music Bank.

Échappant à ces discussions inutiles tournant autour du futur prof d'anglais, je me dirigeai vers la bibliothèque d'un pas nonchalant après avoir salué les trois autres.

Il était l'heure de mon second tutorat.

Minho voulut me suivre pour « m'espionner » et découvrir si la personne à qui j'allais servir de tuteur était une fille mais je doutais qu'une personne s'appelant Kim Taehyung en soit une.

Je m'installai à la même table que j'utilisais avec Kim Seokjin et attendis qu'il se pointe. La veille, je m'étais pris un peu la tête ; j'espérais que son niveau en math ne serait pas aussi catastrophique que mon niveau en écriture chinoise sinon j'étais bien mal barré pour essayer de l'aider. J'avais relu vite fait le programme de première année en doutant vraiment d'être capable d'aider un élève alors que je me remettais doucement mais sûrement à l'apprentissage scolaire.

Mais l'heure tourna et pas de nouvelles de ce Kim Taehyung. Je commençais sérieusement à perdre patience et l'attendant, mes doigts tapotant la table avec agacement.

On m'avait posé un putain de lapin.

Après une demi-heure de retard, je finis par reprendre mon sac et me diriger vers la bibliothécaire mais cette dernière secoua la tête :

-Je ne peux pas valider le tutorat s'il n'est pas venu. Il faut revoir avec lui ou avec son professeur principal la raison de son absence.

Je partis sans la saluer, dégoûté.

C'était terriblement frustrant, j'étais enfin motivé, enfin capable de me sentir un tantinet rassuré sur mes capacités intellectuelles pour reprendre le programme et ce gamin ne se pointait même pas ?

Si je le voyais ça allait très mal aller pour sa gueule.

*******

Le lendemain matin, avant la première heure de cours, je crus que Wooji et Minho allaient mourir par étouffement à force de rire comme des hyènes devant mon désarroi.

On ne pouvait vraiment compter sur personne.

Jaehyo se marrait dans son coin en se mordant la lèvre.

-Sérieusement ? les agressai-je, vous vous marrez parce que je me suis fait poser un lapin ? Vous avez quel âge au juste ?

-Tu ne lui as pas plu, pouffa Minho, elle a vu ta gueule et elle a fait demi-tour.

-C'est un mec ! crachai-je, je dois te le répéter en combien de langues ?

-Essaye en français.

-Va te faire foutre !

Mais ils gloussèrent encore.

Ils riaient vraiment pour tout et n'importe quoi.

Je me calai contre le dossier de ma chaise, de fort mauvaise humeur. Je leur pardonnais, ils avaient seize ans après tout, à cet âge-là un garçon bien développé pouvait s'avérer immature.

-Tu vas faire quoi du coup ? questionna Jaehyo.

-Je ne sais pas, arguai-je brutalement. Faut que je fasse quoi, que je lui cours après ? Que j'aille voir son prof ?

-Tu sais en quelle classe il est ?

-Première année, classe D.

-Va voir l'étage des premières années, non ? Demande dans sa classe ou alors demande à Hoseok, sinon ? Il connait pas mal de première année avec le club de danse du lycée... proposa-t-il.

Je le fixai :

-Pas con.

-De rien, crâna-t-il, terriblement fier de lui.

Il ricana et je me promis d'aller demander à Hoseok s'il connaissait un dénommé Kim Taehyung.

Parmi mes amis c'était le seul qui n'était pas dans ma classe, à mon plus grand désarroi. Il nous rejoignait souvent pour le déjeuner et nous attendait le matin près des casiers à chaussures. Finalement, je le voyais moins souvent que les trois demeurés. La plupart de nos échanges se passaient par contact téléphonique mais je peinais encore grandement à écrire en T9 avec un téléphone coulissant.

D'un pas décidé et ô combien exaspéré, je changeai d'étage pour me rendre à celui des premières années. Comme dans notre couloir, les premières classes étaient celles des garçons puis venaient celles des filles, chacun ayant son escalier des deux côtés du bâtiment pour éviter de se croiser.

Je ne fus pas surpris d'y voir Hoseok, non seulement parce qu'il était beaucoup trop sociable mais parce qu'il avait toujours mis un point d'honneur à prendre soin des hoobaes des années inférieures.

Génial, je faisais une pierre deux coups.

-Hyung qu'est-ce que tu fais là ? s'étonna-t-il.

-Je cherche le gamin de la classe D.

-L'élève de ton tutorat ?

-Ouais, celui-là

Il leva un sourcil avant de dire :

-La classe D est la dernière au fond.

Je repris ma route, slalomant entre les élèves, Hoseok sur mes pas. En arrivant près de la dernière classe du couloir avant la zone des filles, mon ami héla un élève de première année qui semblait faire le pitre devant ses camarades :

-Jimin !

Un jeune lycéen au visage rond et aux joues rebondies, pas vraiment très grand, s'avança vers nous, tout sourire, pour nous saluer.

-Park Jimin, je te présente mon hyung, Min Yoongi, lança Hoseok.

-Je le connais, assura le dénommé, il est dans l'équipe de basket du Boss.

-Était, rectifiai-je. Dis-moi, tu sais où je peux trouver Kim Taehyung ?

Le visage poupon de Jimin se ferma brusquement.

-Pourquoi ?

Son attitude ne me plut pas.

C'était quoi son problème à celui-là ?

-Comment ça pourquoi ? râlai-je. Je le cherche, tu es dans sa classe, non ? Où est-il ?

-Hyung, tenta de me tempérer Hoseok en soupirant.

-Il n'est pas là.

Je levai un sourcil :

-Et donc ? Où est-il ?

Mais Jimin détourna le regard en haussant les épaules :

-J'sais pas.

Est-ce qu'il essayait de m'ignorer ?

On aurait dit un « je ne sais pas » qui voudrait dire « je le sais mais j'ai la flemme de te le dire ».

Pour qui il se prenait pour me manquer de respect, au juste ?

Hoseok dut sentir que mon niveau d'agressivité verbale allait augmenter alors il s'interposa doucement :

-Jimin, hyung veut simplement savoir où le trouver, si tu as une idée, dis-le-lui.

Le petit gamin aux grosses joues se mordit la lèvre avant de marmonner :

-J'sais pas, mais... il fait partie du club de peinture...

-Le club de peinture ? On a un club de peinture ? m'étonnai-je en me tournant vers mon ami.

Ce dernier eut un léger sourire moqueur :

-Oui hyung, on ne fait pas tous du sport avec des balles...

-Arrête ton char, c'est où déjà les clubs artistiques ?

-Au quatrième étage, comme pour la plupart des clubs.

Je pris une grande inspiration avant de pivoter en direction des escaliers mais Hoseok me rappela à l'ordre :

-Hyung.

Bon gré malgré, je marmonnai :

-Merci Park.

Ce dernier ne répondit pas, son visage restait fermé dans une attitude mécontente mais je ne fis pas grand cas de sa personne et repris mon chemin.

-On a cours dans dix minutes, me rappela Hoseok sans pour autant me suivre dans ma visite du lycée.

-Je sais.

J'allais régler le problème en cinq minutes top chrono et on n'en reparlerait plus.

Le dernier étage était désert, ce qui ne m'étonna pas, les élèves fréquentaient leurs clubs respectifs après la fin des cours. C'était étonnant qu'un des élèves s'y rende à la pause déjeuner. Normalement, les portes n'étaient mêmes pas ouvertes à cette heure-là...

Je suivis les écriteaux au-dessus des salles avant de m'arrêter et de jeter un œil à la fente en verre au milieu de la porte intitulée « classe d'art ».

Il y avait effectivement quelqu'un.

Sans attendre, je fis coulisser bruyamment le battant, faisant sursauter l'intrus qui, les mains pleines de peintures, se tourna vers moi.

-Kim Taehyung ? hasardai-je.

-O...oui..

Sa réaction était légèrement exagérée. Certes, je n'avais pas l'air aimable mais de là à être effrayé de ma personne...

Peu importe.

Je parcourus les quelques pas qui nous séparaient :

-Je suis Min Yoongi, le sunbae que tu as planté hier soir.

Il pâlit davantage avant de s'essuyer rapidement les mains sur sa blouse blanche déjà bariolée de mille et une couleurs de peintures séchées.

-Ah... oui.. pardon de...

-Si tu ne pouvais pas venir, le minimum ça aurait été de me prévenir pour ne pas que j'attende comme un con.

Il acquiesça rapidement et je soupirai brusquement.

-On remet ça ce soir, sois là.

Voilà, fin de l'histoire. Problème réglé.

-Je...

Je me tournai à demi vers lui. Il avait gardé la tête baissée et serrait un peu les bords de sa chemise de peintre avant de dire d'une voix qui sembla plus franche quoiqu'un tantinet faiblarde :

-Je... je ne veux pas y participer.

-Quoi ?

Il se tendit mais en se mordant la lèvre, il releva enfin la tête vers moi.

Il avait les cheveux beaucoup trop longs et je ne distinguai pas ses yeux, ça lui mangeait tout le visage. Son comportement me fit froncer les sourcils.

Il avait l'air...

-Je ne... veux pas faire ça, ça ne m'intéresse pas.

-C'est le professeur Young qui m'a dit que tu participais, répliquai-je.

-Je ne veux pas !

Je soupirai bruyamment :

-Ok, c'est ton choix.

Mais je repris, un peu durement vu la réaction craintive qu'il sembla avoir :

-Fallait tout de même me prévenir, c'est un minimum de politesse.

Il acquiesça et je ne sus si c'était pour répondre positivement à ma réplique ou par excuses. Je ne savais pas trop de quoi il avait l'air mais son comportement me paraissait un peu suspect.

Mes yeux parcoururent la salle vide :

-T'as le droit d'être là à cette heure-là ?

Il ne répondit pas, ramassant son matériel après avoir consulté l'horloge accrochée près de la fenêtre. Mes yeux continuaient de scanner l'endroit, un peu sombre et à la forte odeur de peinture. Les rideaux étaient tirés sur deux fenêtres parmi les trois.

Mes yeux se focalisèrent sur un grand tableau noir, plus grand que ce qu'on trouvait habituellement dans les salles de peinture de lycée mais la sonnerie retentit soudainement et je soupirai lourdement.

Il passa devant moi sans même me saluer, les mains encore tâchées, le sac sur l'épaule.

Il referma la porte derrière lui sans croiser mon regard, la tête baissée, et déguerpit en direction de l'escalier.

Ce type était bizarre.

*******

-Vous plaisantez j'espère ? m'exclamai-je.

-Parlez-moi mieux que ça, Mr Min, je ne le répéterai pas, répliqua le professeur Young. Votre impertinence a des limites.

Je soufflai par le nez avant de répéter :

-Kim m'a lui-même dit qu'il n'était pas intéressé par le tutorat. Trouvez-moi un autre élève.

J'étais en salle des profs, ce grand open-space où tout le monde pouvait entendre ce qu'on disait et certains profs ne se gênaient pas pour tendre une oreille et écouter notre échange.

Dans le fond les professeurs n'étaient pas si différents des élèves et leurs ragots.

Young était avachi sur un fauteuil à roulettes démodé et je me tenais debout devant lui, le dos droit comme le voulaient les règles de politesse scolaires, en tâchant de garder mon calme.

-Mr Kim a grandement besoin de ce tutorat, ce n'est même plus un choix qu'on lui laisse, c'est une obligation. Je lui parlerai.

J'avais envie de l'ouvrir, du moins de questionner ce soudain manque de considération et la façon dont certains profs tentaient de diriger les choses en se basant exclusivement sur leur point de vue, sans même chercher à savoir ce que l'élève souhaitait vraiment. Mais je choisis plutôt de ronger mon frein, m'inclinant nonchalamment et avec hypocrisie avant de sortir.

De retour en classe, je fus surpris de voir que Wooji, Jaehyo et Minho m'attendaient alors que les cours étaient terminés pour la soirée.

-On a envie de prendre un petit temps libre et d'aller aux machines à pinces, tu viens ? lança Jaehyo en se redressant alors que je m'approchais de ma table.

-Non, partez sans moi, je dois rentrer pour réviser.

Leur déception fut visible et Wooji soupira lourdement :

-Sérieusement ? On n'a même pas d'exams demain...

-Ouais Yoongi, ça fait chier, viens avec nous, on va s'amuser ! insista Minho avec son sourire naïf.

-Je suis sérieux, le toisai-je en ramassant mes affaires et mon sac.

-Laisse-toi respirer, insista Jaehyo, on y va une heure et on rentre ensemble ensuite.

Ils étaient pénibles.

-C'est quel mot que vous ne comprenez pas ? me braquai-je brutalement.

-Bon bah allons-y, lâcha précipitamment Minho en tentant de partir rapidement, mais si je gagne une peluche Mario je ne te la file pas, je te préviens.

-Tu sais quoi ? grinça soudainement Wooji qui n'avait pas bougé. T'es devenu sacrément con ces deniers temps.

Je me tournai vers lui :

-Pardon ?

-T'as bien entendu.

-Wooji, viens, amène-toi, chuchota Minho en le tirant par le bras, laisse tomber.

Ils étaient vraiment pénibles.

-Je ne laisserai pas tomber ! clama ce dernier.

-J'ai des choses à faire alors tu veux bien abréger, lâchai-je d'un air plat.

-Tu es con et vulgaire, cingla Wooji dont le petit visage pâle vira presque instantanément au rouge. Tu n'es plus du tout amusant et tu nous parles comme de la merde. On est tes potes, pas tes chiens !

J'enfilai la lanière de mon sac avec désintérêt :

-Si tu le dis.

-Tu vois, c'est exactement de ça dont je parle ! clama-t-il. Cet air-là, comme si tu nous prenais de haut !

-Je ne te prends pas de haut, soupirai-je, c'est juste que je me fous du reste, ce que vous faites ne m'intéresse pas.

Wooji devint plus rouge encore alors que derrière lui Minho pâlissait et que Jaehyo fronçait les sourcils.

-Tu t'en fous ? Comme si on n'était pas importants, c'est ça ? Pour qui tu te prends au juste ? argua le plus petit des trois.

Il commençait à me courir sur le haricot celui-là.

-Bon ça suffit, coupa brutalement Jaehyo, ça sert à rien de s'engueuler, on s'en va.

Mais Wooji ne semblait pas en démordre et il cingla :

-Tu parles comme si t'étais supérieur et tu nous prends de haut et avec quoi : ta soi-disant maturité ? Te fous pas de notre gueule ! Tu n'es rien et tu pètes plus haut que ton cul pour te donner soudain un genre alors que tout ce que tu fais, c'est de parler comme un putain de vieux mec aigri. Mais redescends de ton nuage !

Les deux autres ne disaient rien, sûrement trop lâches pour indiquer clairement quel parti ils prenaient et je roulai des yeux, excédé.

-Je peux y aller ou tu veux ajouter quelque chose ?

Cette fois Jaehyo rompit le contact et tira le plus petit d'entre eux, je ne leur jetai pas un regard et fis volte-face.

Je n'avais pas le temps pour ça.

Pour les dramas et le reste.

Je n'étais revenu que pour un seul objectif, je n'avais pas de temps à consacrer au superflu.

Néanmoins le lendemain, en sortant de chez moi, poursuivi par ce qui me servait de mère pour glisser ma boîte de repas dans mon sac, Jaehyo ne fut pas au point de rendez-vous comme à son habitude.

Cela me fit soupirer.

En arrivant en classe, les trois étaient déjà là et ne me jetèrent qu'un simple regard assez sombre. Minho fut le seul à tenter un sourire avant de se retenir et de regarder ailleurs.

Ils faisaient de nouveau la gueule.

Encore.

Pourquoi perdaient-ils du temps à ce genre de chose ?

Hoseok, qui arrivait, passa par notre classe pour saluer tout le monde avec bonhommie mais en apercevant la situation, son sourire se figea comme coupé dans sa course :

-Il se passe quoi ? chuchota-t-il en se tournant vers moi.

-Rien qui ne vaille la peine qu'on en parle, lâchai-je en déballant mes affaires.

-Hyung ?

-Quoi ?

Il sembla vouloir dire quelque chose mais soupira seulement avant de reprendre :

-Tu as cours avec le nouveau prof d'anglais aujourd'hui, non ? Tu me diras comment il est ? On l'a en classe à 14h.

J'acquiesçai sans vraiment le regarder alors que la sonnerie retentissait et que tout le monde prenait place. Hoseok s'éclipsa alors en saluant tout le monde comme habituellement.

Je me frottai les yeux en observant mon emploi du temps posé non loin de mon cahier de cours. J'avais beau réviser jusqu'à tard le soir, j'avais encore des difficultés à rester concentré longtemps. J'avais vraiment perdu en capacité avec les années. Mon cerveau n'arrivait pas à enregistrer les infos.

Parfois, souvent même, au moins une fois par semaine, je me réveillais la nuit, pris par une terreur nocturne, craignant que le temps se soit inversé de nouveau et que je me retrouve encore à quarante-sept ans sans que rien n'ait changé.

C'était une frayeur que j'avais bien plus de mal à gérer que je voulais l'avouer.

Je devais m'accrocher et à n'importe quel prix.

Mes yeux se relevèrent en attendant des chuchotis appréciateurs tandis que notre nouveau professeur d'anglais faisait son entrée. Mme Lee était là, elle aussi, sûrement pour l'accompagner dans ses fonctions. Elle semblait petite, rabougrie et vieillie à côté de lui.

Il fallait dire que son physique détonnait un peu.

Il était plutôt grand, très bien habillé, des cheveux colorés dans un doux caramel, coiffés avec dextérité pour donner un côté un peu gominé, un visage allongé, des traits symétriques et des mains de pianistes embellies par des bagues argentées.

Mon esprit tiqua brutalement.

C'était le type du parc.

Clairement, je n'avais jamais vu un prof d'anglais avec cette dégaine-là, c'était comme s'il sortait d'un magazine. C'était clairement atypique et non conforme aux représentations des lycées coréens. À croire qu'on venait de basculer dans un univers alternatif.

-Je vous présente le professeur Kim Namjoon, annonça la vieille femme.

Ce dernier prit la craie entre ses doigts longilignes et écrivit son nom sur le tableau dans une superbe calligraphie qui m'impressionna plus que je ne veuille l'avouer.

Avec un sourire à fossettes, l'homme se retourna :

-Bonjour à tous, c'est ma première journée, Mme Lee a bien voulu m'accompagner. Je suis enchanté de vous rencontrer.

-Mr Kim va s'installer dans un coin pendant le cours et observer notre manière de travailler, expliqua la vielle femme. Commençons.

Les choses se déroulèrent simplement et calmement et, même si certains avaient bien du mal à ne pas regarder dans la direction ce nouveau professeur, de mon côté, j'avais eu une étrange impression durant toute la durée du cours.

Une sorte de douleur à la poitrine persistante.

Cela me rendit nerveux et inquiet, comme une soudaine montée d'angoisse sans raison, étouffante et oppressante. J'avais aussi une sensation désagréable, comme lorsqu'on possède un mot sur le bout de la langue mais qu'on n'arrive pas à le sortir.

Ce type me laissait une impression étrange.

Comme si...

Je lui jetai un regard, l'observant, assis sur sa chaise, jambes croisées, écrivant sur un carnet à la couverture en cuir, d'un air concentré. Pourtant il s'interrompit brusquement et releva la tête. Nos regards se croisèrent et un frisson me prit, faisant hérisser tout mon épiderme.

J'eus une impression de danger.

Comme si je l'avais déjà vu avant.

Ou après.

À un moment, dans le temps.

Comme s'il était hors du temps, tout simplement.

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Chapitre corrigé par automnalh

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Note de l'auteur : 😈😇

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