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49.

Un bruit me réveilla en sursaut. Mon esprit émergea d'un rêve dont le sens m'échappait mais qui continuait de se dérouler malgré mes pupilles ouvertes. C'était douloureux, d'être ainsi tiré des bras de Morphée, mes paupières luttant pour se refermer. Entre ici et ailleurs.

Le bruit venait-il du rêve ou de la réalité ?

Je tournais dans le lit, cherchant à me rendormir, mais le bruit se répéta et cette fois, je l'entendis distinctement. Mon bras glissa sur le matelas, s'étendant vers la place à côté de la mienne mais la froideur du lit me réveilla pour de bon.

Les traces diurnes s'effaçaient, aussi rapidement que des dessins dans le sable avalés par la mer et je ne me souvenais déjà plus de ce dont je rêvais. Ne resta que l'inquiétude. Le réveil indiquait 4h07 du matin. Je me relevai avant de quitter le lit.

-Taehyung ?

Une légère brise vint faire frissonner ma peau en entrant dans la pièce centrale et je sus, bien avant de le voir, que la fenêtre menant au balcon était ouverte. L'appartement n'était illuminé que par les lampadaires extérieurs qui offraient à mon champ de vision les traces d'un logement mal rangé. Je crus comprendre que le bruit sourd que j'avais entendu était dû aux gros pots de peintures que Taehyung amoncelait dans un coin. Renversés comme des quilles de bowling, certains étaient venus se cogner contre les meubles.

Pourtant, vu l'angle de celui qui était arrivé à mes pieds, à la peinture séchée depuis des mois, j'eus presque la sensation qu'il avait été violemment jeté contre une surface rigide.

Ma tête pivota en direction de la fenêtre et la vision que je ne voulais pas voir se reproduire me traversa de part en part. Je me mis à courir, poussant la baie vitrée, affolé.

-Taehyung !

Debout, la main sur la rambarde les cheveux balayés par un vent nocturne, il tourna la tête vers moi et la lumière des réverbères fit luire ses larmes.

-Je ne vais pas sauter, marmonna-t-il d'une voix cassée.

-Alors pourquoi tu te tiens là ? m'écriai-je.

-Je ne sais pas...

Je m'avançai frissonnant, ne portant qu'un simple pantalon de pyjama.

-Qu'est-ce qu'il se passe ?

Il mit quelques secondes à répondre, n'essayant pas d'essuyer ses larmes et je tâchai de garder mon calme. Cette vision de lui, déboussolée, son visage baigné de souffrance, là, sur ce balcon, devant le vide, me faisait me rappeler ô combien rien ne s'oubliait vraiment jamais.

Que tout me paraissait à la fois si proche et si ancien.

Le pouvoir du temps n'avait jamais fini de se rappeler à nous.

-J'ai rêvé de mon père.

Je ne m'attendais pas à ça, alors les mots me manquèrent et Taehyung renifla :

-Il est mort.

Il fondit à nouveau en larmes et j'approchais doucement comme si je craignais de le brusquer, de le faire tomber.

-Comment ça "il est mort" ?

-Je sais que tu ne crois pas à ce genre de truc mais je le sais, il est venu me visiter en rêve... il est venu me dire au revoir. Il est mort.

Je posai ma main sur sa nuque avant d'orienter son visage vers mon épaule pour qu'il puisse y pleurer de tout son soûl.

-Viens, soufflai-je, viens, rentrons.

Je fis quelques pas avec lui dans mes bras avant de retourner au salon et de fermer la fenêtre. Le corps de Taehyung était secoué de sanglots et je lui pris la main pour le ramener dans la chambre. En s'allongeant dans le lit, il vint enfoncer son visage dans ma poitrine et je refermai mes bras autour de lui en caressant distraitement ses cheveux. Comme toujours, je me sentais inutile et peu expressif dans ce genre de situation. Ne restait qu'une inquiétude, non pas d'une vérité, mais de l'impact que ça aurait sur lui ; cela faisait plusieurs jours que la situation traînait maintenant, il était évident que la dépression revenait.

Le temps passait. Jaehyo, Minho, Wooji et Hoseok étaient venus sur Séoul il y a plus de sept mois maintenant. On faisait face à un mois de septembre particulièrement froid et pluvieux, trop pour la moyenne de saison. Cela faisait quelques semaines que l'humeur de Taehyung perdait en vitalité, qu'il dormait mal, qu'il pleurait.

Ce fut vers 6h du matin qu'il se calma et qu'il s'assoupit. Il me fallut un effort considérable pour me détacher de son étreinte et quitter le lit pour me rendre au travail. J'enfilais mes vêtements, allumais la machine à café, jetais un coup d'œil fatigué au bazar ambiant de l'appartement et mes yeux s'attardèrent sur les factures impayées de ce mois-ci.

Tendu et inquiet, le manque de sommeil me rendait plus grognon qu'habituellement. Je m'allumais une cigarette entre le balcon et le salon pour éviter les gouttes d'eau qui tombaient du ciel.

Un autre jour pluvieux. Encore un.

En sortant de notre logement, je tombai sur le propriétaire. C'était un vieil homme à la calvitie naissante qui faisait tout pour la cacher. Son visage affichait toujours cet air pingre d'homme qui n'existe que pour irriter les autres. En l'occurrence m'irriter moi.

Et ça fonctionnait du tonnerre.

-Dernier délai vendredi, me somma-t-il avec son petit sourire désagréable, si je n'ai pas le loyer...

-Vous l'aurez.

-Il y a les taxes aussi de ce mois-ci, comme vous le savez.

Je ne le savais pas et il ne m'en avait pas informé. Je savais que légalement, il n'était pas vraiment clean, mais il savait aussi que j'étais trop pauvre pour lui faire un procès contre ses manigances.

-Le prix augmentera l'année prochaine, vous savez.

-Pourquoi il augmenterait ? l'interrogeai-je de mauvaise humeur en jetant la poubelle dans le container de la cour intérieure.

-Le quartier devient de plus en plus côté, susurra-t-il, il faut bien m'aligner et puis... vous savez, je pourrais vendre, les autres propriétaires peuvent être moins généreux que moi...

Il me cherchait et je ne voulais pas lui donner ce plaisir.

-Je paierai vendredi. Au revoir.

Il n'allait pas me lâcher, mais heureusement pour moi, son téléphone sonna à cet instant et il décrocha. Sur le trajet jusqu'au métro, je me demandais comment j'allais faire pour récupérer la totalité du loyer à payer d'ici vendredi.

Sept mois, c'était long et court, comme tout ce que le temps faisait, paradoxalement.

Sept mois que je travaillais sur le projet avec Jin, sept mois que rien n'aboutissait vraiment. Ces dernières semaines, Taehyung n'arrivait pas ou peu à se rendre en cours, encore moins à travailler à la supérette. J'avais déjà fait deux nuits à l'Entrepôt cette semaine et même demandé une avance sur mon salaire...

Ça me préoccupait, comme toujours, mon cerveau ne cessait de compter et de compter encore sans réussir à s'arrêter. Pour une fois aujourd'hui il ne s'agirait pas de ma seule obsession, la vision cette nuit de Taehyung me hantait plus encore.

« Il est mort. ».

Qu'il parle de son père me renvoyait au mien. Je n'avais plus repensé à lui depuis des années. Depuis que j'étais parti de Daegu, finalement. Aujourd'hui, je considérais que ma relation avec mes parents était un échec – j'avais très peu de contact avec ma mère qui avait refait sa vie à l'autre bout du pays. J'estimais qu'elle avait sa vie, moi la mienne, que nous ne partagions plus rien à présent.

Quant à mon père, sa vie ne m'intéressait pas, une part de moi continuait de lui en vouloir. La notion de famille ne me manquait pas. Je m'étais fourvoyé par le passé, croyant que je devais la sauver mais ça n'avait jamais été mon rôle de le faire. Il était difficile de construire une relation familiale sur des bases instables, voire inexistantes. Une famille, on pouvait en avoir de différentes sortes, ça n'avait rien à voir avec le sang.

Mais il y avait la mort.

Quelque part, je me sentais bien naïf de l'oublier alors que j'avais été moi-même concerné par ce phénomène.

Le père de Taehyung était-il vraiment mort ?

Ce fut avec cette pensée que je passais le seuil des locaux que nous louions au deuxième étage d'un tout petit immeuble. Il n'y avait pas à proprement parler de bureaux, il s'agissait d'une grande pièce avec des ordinateurs, des tables, une zone dite de « réunion » avec un tableau Velleda et un projecteur. Jin et moi avions recruté une équipe de développeurs, de graphistes, de codeurs. Il avait fallu acheter du matériel de haut niveau, des logiciels performants pour chacun. Nous étions seulement cinq. C'était tout ce que nous pouvions nous permettre financièrement en sachant que nous louions les locaux, que le rachat de la licence avait quasiment épuisé toutes nos réserves et qu'il fallait payer les salariés.

Plus de la moitié d'une d'année s'était écoulée et nous avions décidé de la ligne artistique, graphique et du type de jeu que nous voulions fournir. Je découvrais tout un univers et j'avais même dû apprendre un tout un fonctionnement, des codes et un langage bien à part. Jin était, sans surprise, bien meilleur que moi.

Au final, BerryGoods qui était un jeu d'aventure composé exclusivement de fruits et de jungle dans sa version d'il y a une vingtaine d'années, allait devenir un jeu multijoueur, un MMORPG avec plusieurs cartes. Il avait fallu construire une histoire, des scénarios, des intrigues, des spécificités et des codes cachés. Pour l'instant, l'équipe n'avait construit que deux cartes, mais il fallait encore gérer les bugs. Pour Jin, la priorité devait aussi être une version mobile, accessible, gratuite mais dont l'argent finirait par rentrer grâce aux items payants et aux artefacts spécifiques. Nous avions décidé de partir sur des personnages plutôt mignons, facilement identifiables et accessibles à des joueurs assez jeunes avec une pluralité de combinaisons de couleurs.

Mes journées consistaient surtout à gérer les coûts et à empêcher Seokjin de dilapider tout notre argent. Il ne manquait pas d'idées. Ce qu'il nous fallait à l'heure actuelle, c'était des sponsors et surtout de la visibilité pour bénéficier d'un minimum de pub. Mais la création demandait un temps qui me paraissait toujours de plus en plus long et ne surtout qui ne nous apportait encore rien.

-Yoongi ?

Je sortis de mes pensées et clignai des yeux ; Jin qui s'était assis à côté de mon bureau fronça des sourcils.

-Tu n'écoutais pas...

-Je suis désolé. Qu'est-ce que tu disais ?

-Je vais me renseigner pour la création des musiques du jeu, il faut que tu me définisses un budget.

-Il sera toujours moins élevé que ce que tu as en tête, soupirai-je.

-C'est notre dernière étape, insista-t-il, nous avons le scénario du jeu, il faut miser sur les graphismes, la musique est la dernière chose. Une belle musique et un thème particulier inscrit musicalement le jeu dans la tête du joueur.

-Pourquoi ne pas récupérer les musiques précédentes ?

-J'ai besoin que tu t'en occupes, il faut vérifier que nous ayons bien tous les droits. Si nous avons acquis la licence, rien ne prouve que nous possédions les musiques. S'il faut les racheter, cela aura un prix.

Tout avait un prix et si j'en étais déjà conscient auparavant, je l'étais d'autant plus actuellement.

J'acquiesçai, lui assurant que je m'en occuperais dans la journée. Pourtant, au fil des heures, mes pensées n'allaient que vers Taehyung qui ne me donna pas de signe de vie. Pas un message, pas un appel. Quand arriva la fin d'après-midi, tandis que la pire équipe ne semblait pas prête à terminer leur journée, je pris congé plus tôt. Je vis au regard que me lança mon collège, et à présent associé, que mon comportement l'interpellait.

Je filais à travers la ville pour être certain de rentrer le plus rapidement possible, en oubliant totalement que j'avais encore de l'argent à amasser pour vendredi dernier délai.

En entrant dans l'appartement, je constatai que ses chaussures avaient changé de place, signe qu'il s'était levé et s'était rendu en cours et pourtant je ne m'attendais pas du tout à tomber sur une toile gigantesque qui barrait la moitié du salon. C'était la plus grande et impressionnante toile qu'il n'avait jamais achetée. Il m'entendit arriver et son expression abîmée par la tristesse m'interpella. Ses cheveux étaient devenus vraiment longs à présent qu'il ne les coupait plus et descendaient jusqu'à ses épaules. Ils étaient emmêlés et abîmés par de multiples décolorations.

-Ne t'énerve pas.

C'était typiquement le genre de phrases qui allaient m'énerver.

Je m'aperçus de la présence de nouveaux pots de peinture au sol.

-Avec quoi tu as acheté tout ça ?

Son silence fut équivoque et je m'enflammai :

-Non mais à quoi tu penses ! On a le loyer à payer pour vendredi, tu sais combien ça coûte tout ça ? Pourquoi tu as pris une toile si grande ?

-J'ai dit ne « t'énerve pas »... soupira-t-il.

-Que je ne m'énerve pas ? Taehyung, on n'a absolument pas les moyens de dépenser quoi que ce soit ! On a à peine de quoi remplir le frigo et tu m'achètes la plus grande toile du magasin, mais à quoi tu pensais bon sang ?

Je tirais mon paquet de cigarettes de ma poche nerveusement.

-Comment elle est entrée au juste ? Tu as vu la taille de ce truc !

Nous n'avions plus de salon. Posé en travers, cela faisait la taille d'un mur, aussi large que haut.

-Je l'ai fait passer par le balcon, le type du magasin m'a livré et on l'a hissée avec des cordes...

Il se renfrogna en voyant mon expression.

-Mais à quoi tu pensais ? répétai-je avec irritation.

-Yoongi.

Je n'aimais pas la tournure que cette conversation allait prendre, je le sentais. Nous nous disputions suffisamment souvent pour que j'anticipe exactement ce qui allait se passer et ça ne m'irrita que davantage. En réalité, je n'étais pas contrarié vis-à-vis de son attitude, mais de la mienne.

Il allait m'avoir, comme toujours.

-J'ai besoin que tu m'écoutes, insista-t-il d'une voix calme. Je sais ce que je fais.

-Non...

-Il faut que tu me laisses faire. J'ai besoin... j'ai besoin de peindre tout ça.

-Est-ce que tu avais besoin d'acheter la plus grosse toile ?

-Il faut que je peigne.

L'émotion le saisissait et je crus qu'il allait s'effondrer d'un instant où l'autre, mais il tient bon.

-On va surtout appeler ta psychiatre et –

-Je ne veux pas d'un traitement qui m'abrutisse, me coupa-t-il. Je veux vivre ce deuil, tu comprends ? J'ai besoin de mes émotions, j'ai besoin que ça sorte de moi, je ne peux pas faire taire ça.

-Taehyung, assénai-je d'une voix brutale mais parce que j'étais inquiet, on ne va pas prendre le risque que tu t'effondres complètement. Et si les idées noires revenaient ?

Il détourna le regard.

-Mon père est mort...

-Justement !

-Il faut que je le vive, il faut que j'exprime ça, est-ce que ce n'est pas ce que tu avais dit, que je devais me saisir de ce que je ressentais et le jeter sur la toile ?

-Pas si je sais que ça peut te faire du mal.

-Je veux que ça me fasse du mal ! Y a que dans la souffrance que j'exprime vraiment quelque chose dans l'art !

-C'est toi qui te persuades de ça, ce n'est pas vrai !

-J'ai besoin que tu me laisses faire, peu importe le temps que ça durera.

-Pour que je te ramasse à la petite cuillère ? Pour que tu t'effondres et que ta dépression empire ? Tu crois que je vais rester à te regarder, impuissant, te faire volontairement du tort ?

Je ne pouvais pas comprendre, je ne voulais pas comprendre.

Ses mains agrippèrent les miennes et je voyais clair dans son petit numéro, alors je reculais.

-Non.

-Je te promets qu'une fois que j'aurai fini de peindre, j'irai chez le médecin, insista-t-il d'une voix d'où perçait des trémolos. S'il te plaît, laisse-moi exprimer ce que je ressens, laisse-moi vivre la peine, ce deuil.

- On n'est même pas sûrs qu'il soit mort... tentai-je encore.

-Il l'est.

Il était foutrement sérieux. Convaincu, je fermai les yeux.

-C'est malsain, avouai-je, tu vas te plonger dans la souffrance pour peindre, ça ne peut pas durer comme ça pour toujours !

-Ce n'est que comme ça que je comprends mes émotions.

-Ça ne me plaît pas.

Mais il n'était pas question de moi et ça m'agaçait d'avoir si peu de pouvoir sur cette situation. Il n'allait pas changer d'avis, je le connaissais trop bien. Il était insupportable dans ces moments-là.

J'étais contrarié en appuyant sur mon briquet pour en sortir une flamme et je soufflais la fumée par l'entrebâillement de la fenêtre entrouverte. On resta ainsi dans une négociation silencieuse et cela continua une bonne partie de la soirée. Taehyung ne vint pas se coucher auprès de moi dans le lit. Il resta éveillé toute la nuit. Au petit matin, j'étais plus inquiet que contrarié et il me salua à peine, le tableau lui, n'avait pas été commencé.

Depuis qu'il associait la musique et la peinture, il me paraissait complètement dissocié, hors réalité, immergé. Il portait ce gros casque sur ses oreilles et l'immeuble d'en face aurait pu exploser qu'il ne s'en serait pas rendu compte.

Dans ces moments-là, je n'avais pas accès à lui, il devenait un Taehyung différent. On ne se comprenait pas, cela restait notre plus grande divergence. Il souffrait le martyre, il souffrait moralement, psychiquement, il se levait avec l'envie de pleurer et se couchait avec l'envie de se foutre en l'air. Pourtant, j'avais l'impression que parfois il se complaisait là-dedans, que ce n'était qu'ainsi qu'il exprimait quelque chose dans l'art. C'était faux mais Taehyung le croyait.

Il n'était peintre que dans ces moments-là. Cette impulsion me paraissait sado-masochiste, mais il le niait. On se disputait souvent sur le sujet. Il peignait tout autant quand il se sentait mieux, la seule différence, c'était son insatisfaction.

J'ignorais si son père était réellement mort et dans le fond, je préférais ne pas le savoir mais le voir ébranler ainsi, me ramenait à quelques années en arrière, suffisamment proche pour me donner l'impression que nous étions un château de cartes et qu'au moindre souffle, tout s'écroulerait.

Devant sa toile, son visage était encore plus mortifié qu'avant, avec ses yeux rouges et sa peau abîmée. Il paraissait transporté par la douleur, plié en deux presque, tremblants sous les mouvements de pinceaux. Il vibrait de souffrance et c'était bien ça le plus inquiétant.

Il ne m'entendit pas partir et je me rendis au travail à reculons. Impossible d'arrêter la machine une fois lancée. Il n'irait pas en cours, il ne mangerait pas, ne dormirait pas, ne boirait pas. Son corps n'existerait plus que pour peindre. Il n'y avait que moi qui en comprenais les dangers.

-Yoongi. Et si nous allions dîner ?

C'était quasiment l'heure de la débauche. L'interpellation de Seokjin restait la même après tous ces mois pourtant ce soir-là, ça semblait transpirer d'un léger malaise, d'une inquiétude un peu gauche.

-Je dîne avec Sun, mais tu peux nous rejoindre si tu veux, proposai-je.

-Je souhaiterais décliner.

Ça ne me surprenait pas, ces deux-là ne s'étaient vus qu'une seule fois chez moi, depuis ils s'évitaient soigneusement. En quittant les locaux, il m'arrêta :

-Nous sommes associés, parfois nos échanges peuvent aller au-delà de l'aspect professionnel, tu en es conscient ?

C'était paradoxal que ce soit lui qui me dise ça alors qu'il était pourtant celui qui mettait tant de barrières entre sa vie professionnelle et personnelle.

-Tu voudrais que je t'ouvre mon cœur ? ricanai-je.

-Cesse d'être ridicule comme ça.

Ce petit jeu ne cesserait jamais de me faire rire.

-Je peux t'apporter une aide financière, s'il le faut.

Je me figeai avant de secouer la tête.

-Non, pas de ça entre nous.

Il n'insista pas et je le saluai à l'entrée du métro. J'aurais voulu rentrer plus vite, mais j'avais besoin de voir Sun. J'avais besoin de son aide concernant la situation actuelle.

-C'est moi qui t'invite, insista-t-elle une demi-heure plus tard.

-Pas question.

-Je t'invite, c'est comme ça.

Je rangeais mon portefeuille, contrarié. Cela empira quand elle me tendit une enveloppe blanche.

-Non, scandai-je.

-Tu ne rechignes pas et tu prends, me disputa-t-elle.

-Pas question qu'on en vienne à ça, toi et moi, argumentai-je.

-Mets-toi ta fierté mal placée là où je pense, tu prends, tu payes ton loyer et de quoi manger ! Votre maigreur à toi et Taehyung me fout les jetons.

-Hors de question de te priver d'argent pour que-

-Ça va, je te dis.

-Reprends ça, m'énervai-je.

La dispute monta au point où les voisins de table du restaurant se tournèrent vers nous.

-Taehyung t'en a parlé ? finis-je par souffler en capitulant.

-La semaine dernière, oui, il culpabilise de se sentir aller de plus en plus mal, d'être incapable d'aller travailler et de ne rien pouvoir payer vu vos difficultés, répondit-elle en finissant sa bière.

-Je gère très bien.

-Qui essayes-tu de convaincre ?

Moi-même je crois.

-Garde ton argent, Sun.

-Prends-le, ce n'est qu'une petite somme, ce n'est pas mirobolant mais j'espère que ce sera suffisant. Ma situation est plus stable depuis que j'ai arrêté d'être à mon compte.

-Ça ne te manque pas de fabriquer des choses par toi-même ?

-Si, mais ce n'était pas viable financièrement, souffla-t-elle. Au final, ça m'a permis d'être embauchée comme couturière dans la confection de vêtements de marque. Qui sait, je finirai peut-être première d'atelier chez Chanel ou Dior.

Elle en plaisantait, mais je voyais clairement que la situation ne lui plaisait pas. Créer des tenues pour des particuliers, c'était une chose qu'elle adorait mais encore fallait-il pouvoir en vivre. Être seule pour tout créer, des heures de travail passées pour un salaire qui peinait à être régulier, elle avait fini il y a trois mois par tout arrêter et postuler pour revenir dans le système salarial standard.

-Tu as l'air fatigué, me fit-elle remarquer.

-Il dit que son père est mort, qu'il l'a vue en rêve, lui expliquai-je tandis que nous sortions sur le parvis du restaurant.

Il continuait de pleuvoir, Sun avait sorti son parapluie violet de son sac, je m'abritais dessous le temps d'allumer ma cigarette.

-Il l'a vu en rêve ?

-C'est ça.

-Je suppose que tu n'y crois pas, fit-elle remarquer.

-Qu'importe ce que je crois, ce que je vois c'est que ça a empiré son état. Maintenant il veut peindre jusqu'à s'effondrer.

Sun ne répondit pas, l'air peiné. Elle comme moi, nous avions évoqué ce sujet maintes et fois, au point de le décortiquer, de l'intellectualiser. Il ne restait que notre impuissance.

-S'il y a quoi que ce soit, appelle-moi, d'accord ?

Je la quittais, filant vers la bouche de métro. Ce fut trempé que j'arrivai à l'appartement, le salon était à peine éclairé et une bonne partie de la toile géante était recouverte de peinture rouge.

Taehyung entendit mon retour mais ses yeux n'étaient pas accrochés à ma silhouette, sous la pénombre son teint mat me parut cireux, il ne s'était toujours pas changé. Les cernes marquaient ses traits, je m'approchais, posais une main sur sa tête, glissant dans ses cheveux.

Cela n'arrêta pas son geste, pas comme habituellement. Je n'existais pas. Il continuait de peindre. Si je l'arrêtais, si je l'obligeais à arrêter, la crise serait pire. Il n'était pas celui que je connaissais quand il se retrouvait ainsi.

Cela dura encore trois jours. Mon sommeil s'agitait de rêves étranges et je me levais chaque nuit pour être certain qu'il ne soit pas sur le balcon. Plusieurs fois mon père hanta mes propres rêves et je choisis d'ignorer ce fait.

La quatrième nuit, un bruit me réveilla en sursaut et sur le qui-vive, les sens en éveil, le corps tenu à l'extrême, je me redressais dans le lit.

-Taehyung ?

Je n'eus pas le temps de quitter le lit qu'il avait déserté depuis tout ce temps que j'entendis la porte s'ouvrir. Sa silhouette dans son pyjama rayé, taché de peinture, apparut dans la lumière qui émanait du couloir. Il s'approcha du lit comme un zombi, ni sa démarche, ni sa carrure ne me parurent être vraiment lui. C'était pire dans le noir, cela déformait tous les traits.

J'entendis son sanglot et je me débarrassai de la couette, ouvrant les bras.

-Viens.

Il se jeta quasiment contre moi et me serra, s'écroulant, pleurant, criant :

-Je ne me sens vraiment pas bien... j'ai peur...

-J'appelle le service du médecin de garde, marmonnai-je d'un air sûr.

Il hocha la tête tandis que je cherchais à tâtons mon téléphone. Il ne me quitta pas un instant, son corps peinant à rester debout, secoué de spasmes. Je l'emmenai avec moi dans la pièce puis vers l'entrée pour réceptionner manteaux et chaussures. La lampe du salon était renversée de sorte à orienter l'ampoule en direction de la toile. J'avais presque fini de l'habiller quand mes yeux se levèrent sur ce gigantesque tableau qui prenait toute la place.

J'en sursautai de frayeur, horrifié parce que j'y voyais.

Je détournais le regard, enfilant mes chaussures tandis qu'il claquait des dents, la tête dans mon cou, son corps contre le mien.

La porte se referma sur notre apparemment. Au milieu du salon, peint dans un effet trompe-l'œil impressionnant, trop réel et presque morbide, se tenait un monstre.

*******

J'étais essoufflé après ma course depuis la sortie de métro. Voilà trois jours que Taehyung avait vu la psychiatre de garde qui lui avait prescrit de nouveaux médicaments. Depuis, il ne faisait que dormir. Ceux-là étaient trop forts et le rendaient encore plus inquiet qu'à la normale.

Sauf qu'aujourd'hui il m'avait appelé, me demandant de revenir et j'avais interrompu Jin durant notre réunion à deux sur le projet musique pour la licence. Il n'avait rien dit, mais j'avais bien vu sa contrariété. Je m'autorisais certaines flexibilités d'emploi du temps qui n'étaient pas habituelles. J'avais quitté nos locaux presque deux heures plus tôt qu'habituellement et la tension m'avait fait accélérer le pas, au point d'avoir eu l'impression de vivre un exercice de cardio tant mon cœur s'était mis à battre douloureusement dans ma poitrine.

Il fallait que j'arrête de fumer.

C'est en arrivant dans l'appartement que je compris. Taehyung peinait à rester debout, les anxiolytiques qu'elle lui avait donnés le rendait hagard, éteint. Devant lui, sa professeure d'art, Mme Kwon, était là. C'était la première fois que je le voyais en personne. Cette femme était celle qui avait déjà, par le passé, repéré les œuvres de Taehyung et voulu leur donné de la visibilité. C'était notamment elle qui l'avait poussé à partir en échange à l'étranger. C'était une femme en tailleur jupe, elle avait laissé ses talons près de la porte d'entrée. Elle devait avoir environ une cinquante d'années et si sa coupe brune au carré était classique, ni ses bijoux, ni la broche qu'elle portait sur la poitrine ne l'étaient. Il y avait un soupçon d'originalité et de goût dans le choix des couleurs.

Taehyung fut soulagé de me voir et se jeta quasiment dans mes bras. Je lui tapotais le dos, dérangé par le regard de cette femme et l'envoyais se recoucher. En m'approchant quelques secondes plus tard, Mme Kwon me présenta sa main que je serais avec méfiance.

-Passons-nous des présentations, lança-t-elle d'un ton d'une femme qui a l'habitude qu'on l'écoute.

-Pouvez-vous me dire pourquoi vous êtes ici ?

-Une absence continue depuis une semaine, des travaux non rendus, un professeur a tendance à s'inquiéter, vous savez. Un coup de téléphone n'aurait pas été de refus pour expliquer la situation.

-Vous vous rendez au domicile de chacun de vos étudiants quand ces derniers sont malades ? lançai-je avec un ton de celui qui n'était pas dupe

Elle me toisa avant de se permettre un petit sourire. C'était une femme de classe et malgré une certaine forme d'arrogance qui se dégageait d'elle, elle ne me paraissait pas condescendante.

-J'ai vu les photos.

-Les photos ?

-De l'œuvre, celle devant vos yeux.

Je préférais tout sauf regarder la gigantesque peinture. Je n'avais pas les connaissances et encore moins la fibre artistique pour reconnaître qu'il s'agissait d'une œuvre à part entière. A l'inverse, je faisais le constat que ce que Taehyung avait peint et dessiné semblait trop réel. Cette chose semblait sortir du tableau.

-Il vous a envoyé une photo ? m'étonnai-je.

Elle me montra la notification Instagram et je soupirais. Voilà qu'il avait recommencé. Je ne cessais de lui dire de se détacher de ce réseau mais il en était accro.

-Qu'en pensez-vous, jeune homme ?

-Je n'en pense rien, ce n'est pas mon travail. En l'occurrence je suis plus inquiet de savoir si ses absences vont avoir des effets néfastes sur son diplôme.

Elle, elle ne fixait que la toile de ce regard que je ne pourrais certainement jamais porter, fasciné, analytique, intelligent et réfléchi.

-Un travail différent de ses autres tableaux, beaucoup plus cru et quelles émotions !

M'avait-elle entendu ? J'attendis patiemment qu'à ce qu'elle me redonne de l'attention mais voyant que ça ne venait pas, j'insistais. Cette fois elle se tourna vers moi.

-Sur le plan administratif, on ne peut pas effacer l'absence et faire comme si elle n'existait pas, mais si Kim nous fournit un certificat de son médecin attestant qu'il ne peut se rendre en cours, cela devrait apaiser les choses. Néanmoins, il faudra qu'il revienne.

Avant que je n'aie pu reprendre, elle enchaîna :

-Je vais faire venir des gens, on va l'enlever et la remettre à sa place, à l'école directement. J'encourage les élèves à effectuer du travail personnel, mais il me semble indispensable que ce tableau revienne à l'institut des arts et qu'il y soit exposé.

Voilà qu'elle s'appropriait une nouvelle fois le travail de Taehyung.

Elle dut suivre le cours de ma pensée, ou mon expression dut parler pour moi, parce qu'elle se tourna plus nettement dans ma direction.

-Kim Taehyung aura un grand avenir dans le monde de la peinture, il en a le potentiel. Mon travail est de le révéler au grand public et de lui donner tous les outils pour s'améliorer. Ça, c'est un excellent départ.

Elle se tourna presque amoureusement contre la toile.

-Lui a-t-il donné un nom ?

-A qui ? A la créature ?

Elle me toisa comme si mon manque de sensibilité envers son métier et la matière qu'elle enseignait était ridicule.

-Au tableau.

-Je ne sais pas. La priorité à l'heure actuelle c'est qu'il prenne soin de lui.

-Je vois.

Elle sortit son téléphone, consulta l'heure et prit le chemin de la sortie.

-On voit ses sentiments à travers cette œuvre, la souffrance crée toujours quelque chose d'impressionnant chez ceux qui ont du talent.

Cette fois-ci, l'agacement me gagna suffisamment pour que je me braque.

-C'est ça que vous apprenez à vos élèves ? Qu'il faut souffrir pour peindre ? C'est peut-être avec ce genre de conneries que certains ou certaines finissent dans des états dangereux pour leur santé mentale ! Tout simplement parce qu'ils ont l'impression d'atteindre quelque chose de plus « talentueux » s'ils souffrent de toute leur âme ?

Elle remit ses chaussures à talon.

-N'interprétez pas à votre guise ce que je dis. Vous venez d'un monde différent, je le conçois, mais il y a une chose que vous ne pouvez oublier : la souffrance fait partie de la vie d'un artiste, c'est ainsi. Peut-être est-ce même pour cela qu'ils sont artistes.

-Je ne suis pas d'accord avec vous.

-Soit.

Elle en resta là, sans avoir envie de me convaincre, m'informant de la date où elle viendrait récupérer la toile et en revenant dans le salon, grognant et colérique, je lançai à cette toile si difficile à regarder une série de jurons.

Je n'aimais pas qu'on vienne me rappeler qu'il y aurait toujours une partie chez Taehyung que je ne pourrais pas ni atteindre, ni guérir, ni apaiser complètement. Cette même partie qui se tenait là, au milieu du salon, sous une forme monstrueuse et dévastée.

*******

En retirant mes chaussures couvertes de neige, frissonnant, trop heureux de me réchauffer une fois à l'intérieur de l'immeuble, je me hâtais de m'engouffrer dans l'ascenseur. Une fois les portes d'acier refermées, je me massais la nuque. Harassé par ma journée.

Le projet aboutissait, enfin. Jin et moi n'avions jamais été aussi proches de la fin.

Après des mois et des mois de travail, d'agencement, à tirer la moindre information, le moindre won pour traiter au mieux chaque chose, après des heures à n'en plus finir, des négociations, un désir de visibilité dans un monde déjà saturé, maîtrisé par les grandes firmes et les grands labels, enfin le travaillait finissait par payer.

D'ici la fin d'année, le projet BerryGoods renaîtrait de ses cendres.

J'étais presque optimiste, chose ô combien rare.

J'étais absorbé par l'énergie de Jin qui se donnait à huit mille pour cent dans ce projet au point où je devais me fâcher pour qu'il décroche. Il en venait à dormir au travail dernièrement. Il n'y avait plus aucune limite dans son ambition. C'était aussi angoissant qu'excitant que de voir ce projet prendre vie, mais une part de moi restait défaitiste à l'idée que nous puissions survivre dans un tel marché. Notre contenu était qualitatif mais manquait encore de panache.

A la seconde où je rentrais dans l'appartement, je compris.

Tout était rangé, nettoyé, les affaires ramassées, les poubelles vidées. Ça brillait, ça brillait trop.

Voilà qu'il recommençait.

Taehyung m'attendait, ses cheveux mi-longs attachés dans une semi queue de cheval au-dessus de sa tête, l'air d'un gamin innocent au milieu de notre salon qui ne m'avait jamais paru aussi grand pour une pièce aussi petite.

Je fermais les yeux, soupirant silencieusement.

-Balance tout.

Comme d'habitude, mon intonation le vexa et il fit la moue.

-A croire que je ne peux pas ranger et nettoyer sans avoir un truc à te demander.

Je lui coulais un regard entendu et il détourna les yeux avant de s'approcher. Après le passage à vide d'il y a deux mois, il avait retrouvé un rythme plus calme et adapté. Son traitement avait été rallégé et équilibré. Je retrouvais donc un Taehyung un poil collant, toujours enclin au contact, bataillant sans cesse contre sa peinture et son inspiration.

Têtue aussi.

Il m'embrassa au coin des lèvres avant de venir nicher son visage dans mon cou.

-Tu as passé une bonne journée ?

-Dis-moi plutôt ce que tu veux m'annoncer, soufflai-je d'un ton plus calme, ne tournons pas autour du pot.

Il se recula, prenant ma main, enroulant nos doigts ensemble avant de venir lui-même apposer nos mains jointes sur sa tête. Il y laissa la mienne et doucement attendri, mais tout de même sur la réserve vis-à-vis d'une annonce, je consentis à caresser distraitement ses cheveux. Une pique de culpabilité me perça doucement le cœur. Je n'arrivais plus à me souvenir de la dernière fois que j'avais été enclin au contact ou à la tendresse.

-Taehyung, insistai-je.

-Je vais retourner à l'étranger.

Ma main se figea dans ses mèches colorées en acajou et il reprit :

-Pas longtemps cette fois, la toile va voyager et Mme Kwon insiste pour que je parte avec elle.

Il évoquait cet immense tableau aussi réaliste qu'effrayant qu'il avait peint après le décès de son père. Les retours pour cette œuvre, que ce soit dans sa faculté comme sur les réseaux sociaux, avaient été nombreux et bruyants.

-Elle va être exposée à Chicago de façon temporaire, m'informa-t-il.

-Combien de temps ?

-L'expo va durer un mois, mais je n'y irai pas aussi longtemps...

Je voyais qu'il éludait quelque chose et il finit par avouer :

-Mme Kwon veut aussi que je rencontre cet artiste américain qui a commencé à me suivre sur les réseaux et qui commente mes publications.

Il soupira, comme las :

-Pas étonnant venant d'elle. Elle n'arrête pas de me parler de contacts, de réseaux, de stratégie...

-Elle fait son job, assurai-je, mais toi qu'est-ce que tu veux ?

-Ça ne me dérangerait pas de le voir, mais participer à des expos, des vernissages simplement pour m'acoquiner et créer des rapports plus ou moins faux dans le seul but d'avoir de la visibilité, je ne veux pas.

-Essaye de trouver un compromis. Tu partirais quand ?

-Dans cinq jours.

Je fus pris de court par le délai et il m'enlaça doucement.

-Tu veux y aller ? finis-je par marmonner.

-Oui... ça irait pour toi ?

-Je m'adapterai à toi. C'est à toi de décider, cette décision ne m'appartient pas.

Il ne répondit pas tout de suite avant de murmurer :

-Je me sens comme un imposteur. Ce que je fais n'est pas si intéressant que cela...

-Ne dis pas. Cette femme sait ce qu'elle fait après tout.

-Peut-être... C'est étrange non ? chuchota-t-il tout contre moi en bougeant de sorte que nous avions l'air d'être en slow lent et affectueux. Avant je pensais que personne ne s'intéresserait à ce type de dessins ou de peintures comme celles que je faisais au lycée et maintenant quelque chose de similaire va traverser la mer...

-Je ne trouve pas ça étrange.

Il se mit à rire, se relevant, prenant mon visage en coupe.

-Oh Yoongi, tu ne comprends toujours rien...

Le ton était amusé et je répliquai faussement grognon :

-A l'art ? Toujours pas, non.

Il s'éloigna lentement, me prenant par la main, j'ignorais où nous allions mais je m'en fichais, ce départ à l'étranger n'avait pas le goût d'autrefois.

Après la tempête était venu le calme. C'était tout ce qui m'importait.

**

L'absence de Taehyung dura trente-sept jours, soit une semaine de plus que ses prévisions. Son absence me marqua plus que je ne voulus bien l'avouer.

Son départ se fit un après-midi où j'étais au travail et le reste du mois s'enchaîna. Je constatais avec allégresse que j'avais évolué depuis son départ précédent. Je ne restais plus inerte à remplir son absence, sans comprendre comment j'étais dépendant de lui. Pourtant, l'absence était là, elle me poursuivait comme un fantôme dans mon quotidien. Je n'en étais pas réduis à subir le vide de son départ et pourtant je sentais comme un trou béant dans ma poitrine.

J'étais en suspens.

C'était un sentiment si étrange de se réveiller, de se tourner pour découvrir qu'il n'était plus là dans le lit, comme si mon esprit l'avait oublié. Parfois j'avais l'impression qu'il allait franchir la porte derrière moi et je me tournai pour l'interpeller. Sa présence existait tout le temps avec moi, mais son absence me donnait un sentiment de solitude à double mesure. Parfois je me surprenais à être heureux de ce moment, j'ouvrais la fenêtre pour prendre une grande bouffée d'air. J'éprouvais une sensation forte de pouvoir penser à rien.

De ne pas m'inquiéter comme je m'inquiétais chaque jour.

J'éprouvais cette solitude comme une sorte de récompense, de moment de plaisir où je pouvais prendre tout le temps dans la salle de bain sans devoir penser à ce qu'il reste de l'eau chaude pour l'autre, de ne pas me fâcher contre le désastre que devenait le salon quand il se mettait à peindre par exemple. Prendre toute la place dans le lit, regarder les films dont j'avais envie, manger quelque chose qui me plaisait à moi.

Mais à l'inverse, parfois son absence me manquait au point d'être comme une lente et sourde blessure où je n'arrivais même plus à faire des choses uniquement pour ma personne.

Comme si je n'avais plus de sens.

*

Taehyung rentrait tard, en début de nuit et vers vingt-deux heures, je m'installai dans le lit avec un livre pour l'attendre. L'attendre et l'attendre encore. Je lisais sans lire, je m'impatientais. Une tension grandissait en moi et je me levais plusieurs fois pour tenter de m'apaiser avant de retourner au lit.

Le moindre retard venait réveiller des cauchemars d'accident et autres angoisses de mort qui galopaient dans mon esprit comme si ces dernières dormaient d'un seul œil dans un coin. Attendant le moment propice pour se lancer à ma poursuite.

J'attendais et j'attendais encore au point où je savais qu'il fallait me résigner à aller dormir. Éteignant le lumière et m'enfonçant dans le lit, je me tournai et me retournai, rallumant mon téléphone, ne cessant de lire et relire les derniers messages envoyés. Je détestais me sentir comme ça, soudain dépendant, comme si tout se jouait sur cet instant, comme si toutes mes émotions se connectaient que pour me faire ressentir la lente torture du temps.

J'entendis la porte d'entrée se déverrouiller et relevai la tête, rallumant la lumière de la table de chevet. La porte de la chambre s'ouvrit tandis que je posais un pied en dehors du lit.

Mon cœur rata un battement et j'en oubliai mes fustigations contre le temps, ma dépendance, l'absence, j'en oubliais de râler sur le retard, sur mes heures de sommeil en moins.

Taehyung me salua doucement, presque avec timidité et je clignai des yeux tandis qu'il prenait un air penaud.

-Tu n'aimes pas ?

Il avait décoloré ses cheveux, les avait coupés, ils étaient d'un blond quasi blanc à présent et cela me perturba un instant. Je m'approchais, la gorge sèche, l'envie de l'étreindre était plus forte que moi. C'était la première fois que je sentais une tension pareille, mais aussi un désir, de le toucher, de le sentir, de l'embrasser. Ça me débordait. Comme si j'étais enfin pleinement dans mon corps. Je n'avais qu'une envie, ressentir le désir du manque, physiquement.

-J'aime bien.

Il parut surpris de ma fièvre dans mon baiser et rapidement immédiatement enroulant ses bras autour de mes épaules. Tout s'emballa. Mes mains le déshabillèrent, léchèrent sa peau, humèrent son odeur, caressaient ses hanches. Nos corps se serraient l'un contre l'autre comme si nous voulions nous fondre dans l'autre. Cette émotion je l'aimais, elle était plus forte que tout ce que je n'avais jamais ressenti, elle dépassait la peur, la pudeur, cette impression d'être maladroit, ce malaise que j'avais avec moi-même.

Moi aussi je pouvais être une vague immense des flots plus sauvages, plus vifs et étincelants et Taehyung répondait à ma ferveur, sa langue se liait la mienne à m'en faire perdre la tête. Je me découvrais.

Je découvrais à quel point je l'aimais.

A quel point je m'aimais aussi dans ses bras pour la première fois.

Cette émotion, cette soif de l'autre dans l'amour, ce manque mélangé à des retrouvailles charnelles jusqu'à épuiser mon désir pendant plusieurs semaines, j'allais la vivre à chacun de ses retours de voyages, durant les cinq années qui suivirent cet instant. 







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Chapitre corrigé par automnalh et pina_lagoon

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Rendez-vous la semaine prochaine même jour même heure, pour lire la fin de cette histoire~ 💜❤️

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