
47.
J'ouvris les yeux une première fois, puis une seconde avant de grogner sous la chaleur et le poids qui m'encerclaient. Lorsque Taehyung dormait avec moi, depuis deux mois jour pour jour après l'accident qui m'avait presque coûté la vie, il me serrait si fort contre lui que je finissais par étouffer.
Le plus fou, c'était que j'avais fini par m'habituer, peinant à le repousser, réussissant à m'endormir, ne rechignant plus à m'éloigner pour lui dire de me laisser respirer.
Il grogna tout contre mon cou tandis que j'essayais de dégager le haut de mon corps pour attraper mon téléphone sur la table de chevet. Nous étions samedi, mais je ne pouvais pas rester à glander ou même à m'autoriser une grasse matinée. Seokjin avait planifié un rendez-vous urgent cet après-midi.
Voilà deux mois que je travaillais plusieurs soirs par semaine avec mon aîné sur notre projet. Nous avions rencontré d'anciens salariés de la boîte, échangé avec la communauté de fans, récupéré certains documents parmi les archives, fait une proposition à la banque, tenté de recruter des concepteurs, des ingénieurs, des graphistes... Il y avait des hauts et des bas, nous avancions pas à pas. Néanmoins, rien ne pouvait véritablement se mettre en place tant que nous restions dans l'incertitude de savoir si nous pouvions racheter la licence BerryGoods. La mise en place de la vente et la lenteur administrative avaient raison de ma patience.
Je restais défaitiste. Nous étions loin d'être les seuls intéressés par la licence. La décision reviendrait au comité qui possédait la majorités des parts, si, bien sûr, ils parvenaient à se mettre d'accord. Seokjin, lui, restait optimiste et j'avais peine à le suivre dans toutes ses démarches. Il avait décidé que cet après-midi, nous devions visiter des locaux pour nos futurs bureaux.
Par ailleurs, j'avais encore mon stage, le rapport à effectuer et mes examens à réviser. Ce serait un oral qui clôturerait ma dernière année universitaire. Il ne me restait que trois mois avant la fin de l'année. Ensuite, ce serait le néant. Diplômé, je serais sur le marché du travail. Financièrement, les choses allaient se compliquer et j'anticipais avec anxiété la façon dont nous allions pouvoir continuer à vivre dans cet appartement.
-B'jour...
Je pivotai, sans avoir réussi à atteindre mon téléphone sur la table de chevet. Tout contre moi, Taehyung pesait son poids mais sa tête de non-réveillé, ébouriffée, groggy, était parfois assez drôle à regarder.
-A quelle heure tu t'es couché ? lui demandai-je.
Il se redressa, les yeux à demi fermés et se pencha pour m'embrasser avant que je ne plaque ma main sur sa bouche.
-Pas le matin, je l'ai déjà dit, râlai-je.
Il déposa un baiser sur ma paume avant de faire retomber sa tête sur ma poitrine, continuant de me serrer contre lui.
-Tu vas m'étouffer...
-Ce n'est pas grave.
-Je dois me lever, bouge-toi de là, insistai-je.
-Nan...
C'était comme cela régulièrement, quasiment tous les matins. Ça pouvait me mettre de très mauvaise humeur, mais j'étais attaché à ce rituel malgré tout. J'aurais fini par trouver suspect qu'il me relâche simplement parce que je le lui demandais.
-Reste cinq minutes... supplia-t-il après avoir réussi à me garder tout contre lui.
Je capitulai non sans grommeler. L'observant alors qu'il tentait de se rendormir, je soupçonnais que contrairement au mien, son corps continuait de grandir encore, ou du moins de s'étoffer. J'avais l'air si maigre et rachitique quand il se lovait contre moi. J'attendis quelques secondes avant de souffler fortement par le nez puis de tenter d'atteindre mon téléphone et voyant l'heure, 7h56, je déposai les armes.
-Quatre minutes, alors.
-T'es chiant, c'est nul quatre minutes.
-Je suis occupé...
Il releva la tête, nettement plus réveillé mais grognon cette fois.
-Oui, j'ai remarqué, ça te prend 90% de ton temps...
-Je...
J'avais la sensation que c'était un reproche alors je bafouillai :
-Je fais de mon mieux, c'est juste que je ne sais pas faire plusieurs choses à la fois... C'est un moment important, Taehyung, il faut que je m'occupe de tout ça.
-Hum.
Il se releva à demi.
-Je sais, mais comme d'habitude, tu t'oublies et par la même occasion, tu m'oublies.
-Je ne t'oublie pas, répliquai-je.
-Dans ce cas-là, quand est-ce que tu allais m'informer de ce que tu cogites depuis des semaines ? Tu crois que je n'ai pas compris que les prochains mois allaient devenir difficiles ? Que nous n'allions plus pouvoir payer le loyer ?
-Ne parlons pas de ça dans le lit... soufflai-je en tentant de me relever.
-Quand alors ? Je travaille la nuit, toi le jour, quand nous croisons-nous ?
Il retomba sur mon torse et mon dos fut amorti par le matelas. Voilà encore qu'il gagnait.
-J'ai déjà réfléchi à quelque chose, murmura-t-il.
-Comme ?
Il posa sa tête sur son oreiller, me libérant ainsi de son étreinte.
-Vendre des tableaux.
-Il te reste un an avant ton diplôme. Ne te précipite pas et profites-en. La vente d'œuvres d'art est un marché complexe et difficile. Il vaudrait mieux que je fasse quelques nuits à l'Entrepôt. Couplé à mes quelques économies de ce qui reste de la vente de la maison, en se serrant la ceinture, ce sera -
-Je, je, je, scanda-t-il. Yoongi, quand est-ce qu'il y aura un « on » dans tes phrases ?
Je me sentis piqué à vif, rougissant brusquement de gêne comme rappelé à l'ordre et, voyant ma réaction, il se pencha pour me voler un baiser avant de délicatement se rallonger à mes côtés.
-Il y a des « on » dans tout ce que je dis, finis-je par avouer lentement.
-Oui mais tu dis « je ». Je n'ai que deux ans de moins que toi, et nous ne sommes plus des ados.
-Taehyung, tu dois finir tes études, il en va de ma...
-Ne dis pas le mot « responsabilité », me coupa-t-il. Fais comme tu veux, mais je ferai aussi ce que j'ai décidé. Au final, notre volonté est la même : garder l'appartement.
Je sentais qu'on allait se fâcher mais je n'avais pas la moindre envie de commencer ma journée ainsi. M'asseyant dans le lit, je soufflais :
- D'accord, dis-moi comment tu comptais t'y prendre pour vendre des tableaux.
-La visibilité par les réseaux sociaux.
-J'ai l'impression d'entendre Son Excellence me faire un cours là-dessus, soupirai-je en levant les yeux au ciel.
-Et il a certainement raison. En tout cas, il faut que j'en profite pour me faire connaître et rencontrer d'autres personnes, des gens du milieu, des artistes, des critiques. Si je reste dans mon coin à peindre à la maison, rien ne changera, annonça-t-il en s'asseyant à côté de moi.
-Mais tu aimes ça, scandai-je, peindre ici.
-Je ne vais pas passer ma vie à tes crochets, répliqua-t-il.
-Ça ne me dérangerait pas.
-C'est pour ça que tu m'énerves.
Il inspira profondément comme s'il essayait de se calmer ; dans ce genre de moment, il avait pris l'habitude de glisser ses mains dans mes cheveux et de les froisser. Je le laissais me faire des épis sans broncher.
-De toute façon, j'ai besoin d'un objectif actuellement, ça devient compliqué...
-Quelque chose ne va pas avec tes peintures ? m'inquiétai-je.
Je posais la question tout en connaissant déjà la réponse. J'avais bien vu que ces derniers temps, il rechignait à s'y mettre, qu'il semblait rester devant la toile sans aucune inspiration. Ce n'était pas comme quand il était vide, déprimé. Actuellement, il ne l'était pas.
Ses mains retombèrent sur les draps.
-Tu veux savoir la vérité ?
Ses yeux croisèrent les miens et comme à chaque fois, j'avais beaucoup de difficulté à échapper à son regard. Je devenais de moins en moins bon pour lui cacher ce que je ressentais.
-Je peignais mieux quand je souffrais.
Il prit ma main et la posa sur sa poitrine, je sentis les battements de son cœur, la douceur et la chaleur de sa peau.
-Je ne souffre pas en ce moment, je suis trop heureux.
-Trop ?
Je le sentais comme un reproche, ça me faisait culpabiliser malgré moi. J'étais dans la crainte de ses émotions les plus extrêmes, de peur de ce que ça pourrait déclencher ensuite.
-Je sais peindre avec la souffrance, mais pas avec la joie et c'est bizarre...
-Je suis désolé.
-Je ne vois pas pourquoi tu t'excuses, me répondit-il en embrassant ma main. Je préfère mille fois ne pas peindre, mais avoir le droit de t'aimer comme j'en ai envie plutôt que l'inverse.
Je détournai le regard, touché, et je vis du coin de l'œil son sourire qui s'approchait à nouveau. Il embrassa mon oreille puis ma joue.
-Je vais te jeter en dehors du lit, bougonnai-je.
Il se mit à rire, le nez dans mon cou avant de humer longuement mon odeur.
-Je ne sais même pas pourquoi tu aimes faire ça, maugréai-je.
-Ça m'apaise...
On resta ainsi jusqu'à ce que j'estime que j'étais en retard. Huit heures était passé depuis onze bonnes minutes et je finis par quitter le lit tandis qu'il rattrapait les oreillers pour y poser sa tête. Il allait encore dormir quelques heures et en fouillant dans ma commode à la recherche de vêtement, je l'entendis marmonner :
-Est-ce que tu m'aimes ?
Je rougis furieusement et me retournai d'un coup.
-Pourquoi tu me fais ce coup-là tous les week-ends ? Je te l'ai déjà dit, c'est bien suffisant.
-Tu pourrais le dire tous les jours que ça ne serait pas suffisant, répondit-il en roulant dans le lit, l'oreiller dans les bras.
Sale gosse.
-Yoongi.
-Quoi ?
-Je t'aime.
Je sursautai un peu, la main sur la poignée de la porte, les vêtements sur le bras, ses yeux me transpercèrent de part en part de l'autre côté de la pièce.
-Je... oui, d'accord. Rendors-toi bien.
Je perdais de l'éloquence au fur et à mesure des semaines, c'était évident.
Je refermai la porte et me dirigeai vers la salle de bain. Une fois préparé, je filai me faire un café. Sur le balcon, la fenêtre entrouverte, ma clope allumée, mes pensées revenaient à lui. Il était compliqué de travailler quand un individu monopolisait la totalité de votre cerveau.
Depuis deux mois il était pétillant, souriant, collant et particulièrement agaçant par moments. Je ne l'avais jamais vu comme ça. Son côté taciturne ne ressurgissait pas. Il ressemblait à un grand gamin et parfois je me surprenais à avoir envie de lui sourire.
Le problème était que je n'avais plus d'espace.
A partir du moment où l'on se trouvait dans la même pièce, je n'avais plus de moment à moi. Il accaparait toute mon attention ; il en voulait beaucoup, de l'attention. J'étais malheureusement particulièrement médiocre dans ce domaine-là. Il cherchait le contact, le toucher en permanence. Parfois, il m'empêchait de travailler. Sa présence me détendait autant qu'elle m'irritait et j'étais toujours aussi paradoxal le concernant. Je n'avais le contrôle de rien avec lui, c'était absolument frustrant.
J'osais le rejeter, mais je sentais que si je le faisais trop souvent, cela le blesserait, et il en souffrirait. Comment pouvais-je faire autrement ? Dans le fond, j'avais toujours les mêmes questions : étais-je vraiment capable de rendre quelqu'un heureux ?
*******
Tout allait trop vite, ou peut-être que tout allait trop lentement. La contradiction même. Il était certainement là, le pouvoir du temps.
Je haïssais cette sensation de ne rien pouvoir contrôler pleinement. Tout allait trop vite dans ma vie. Mon stage entrait dans son dernier mois. Janvier était arrivé à la vitesse de l'éclair. Nous avions fêté ce passage en 2015 seulement entre Taehyung et moi. J'aurais aimé nous retrouver à quatre avec Sun et Hoseok mais ces derniers ne s'étaient pas rendus disponibles pour ce jour-là. Nous n'avions rien fait de particulier à part rester sur le balcon pour observer les feux d'artifices tirés près du temple du quartier. J'avais aimé ce moment, il n'avait été ni festif, ni bruyant, ni stressant. Cela avait été une soirée comme une autre, peut-être la première que l'on profitait pleinement depuis quelques mois.
Ou peut-être était-ce seulement moi.
Si tout allait vite dans un sens, tout me paraissait lent dans un autre. Je vivais au milieu de ces deux courants. Taehyung et moi nous disputions régulièrement, comme cela avait toujours été le cas jusqu'à présent. Il me reprochait de ne jamais rien comprendre et je râlais en permanence. Mais à travers ces épisodes, il y avait des moments où nous étions d'accord, connectés, et tout paraissait plus calme et réconfortant.
Je n'avais pas touché à mon matériel pour travailler le bois depuis une éternité et Taehyung peignait assez peu dans l'ensemble, il semblait s'être vengé sur la photographie car il avait choisi cette matière pour préparer son projet de fin d'année universitaire.
L'équilibre me semblait difficile à trouver. Nous semblions être deux couleurs impossibles à mélanger. Jusqu'où cette différence allait-elle nous mener ?
Parfois je le savais et j'anticipais nerveusement cet instant, alors qu'à d'autres moments, comme le jour de l'an, je n'avais plus aucun doute car il ne restait que le calme entre les tempêtes.
Les tempêtes, voilà ce qu'était ma vie. Et là, j'étais proche du raz-de-marée, le stage prenait fin et j'allais être évalué, sur des notes moyennes. Je n'avais pas été mauvais, mais je ne répondais pas à l'exigence d'une telle entreprise. Mon rapport de stage était encore à peaufiner pour mon oral du mois prochain.
A la fin février, je serai diplômé et présentement au chômage. Jin et moi n'avions aucune nouvelle du comité décisionnel concernant le rachat de BerryGoods, tous nos plans étaient en suspens.
J'enviais mon aîné de pouvoir garder son poste bien payé chez Samsung tandis que je devrais certainement capituler, et retourner à l'Entrepôt pour une nouvelle année afin d'y gagner un peu d'argent. J'avais laissé Taehyung gérer sa propre idée pour éviter tout nouveau conflit entre nous. Il avait donc alimenté ses réseaux sociaux, il y semblait très investi, peut-être même trop vu le temps qu'il y passait. Néanmoins, je savais que l'un comme l'autre, rien ne serait immédiat.
Parfois, je me demandais si cet écran dans lequel il affichait toute sa vie et toutes ses œuvres ne happait pas son inspiration et ne le détournait pas du véritable problème : la peinture.
Etait-ce notre relation qui créait un barrage à sa créativité ?
Quand j'arrivais à sortir la tête du travail et des responsabilités, je réfléchissais à un « nous » et je me demandais ce qu'il voulait dire ou comment je pouvais le définir.
C'était quoi un couple ? C'était quoi s'aimer ?
Je craignais qu'aborder tout ça avec Taehyung soit mal interprété de sa part, que ça lui mette le doute sur ce que je ressentais vraiment pour lui. C'était sa crainte perpétuelle. Il venait m'interroger plusieurs fois par semaine, parfois par des moyens détournés, pour savoir si je l'aimais.
« Bien sûr », c'était ce que je voulais répondre à chaque fois mais j'en étais incapable alors moi aussi je trouvais des moyens détournés de le dire sans le dire.
*
En ce mardi 30 janvier, il arriva plusieurs choses en même temps. Il s'agissait de mon avant-dernier jour de stage et je sentais que mes collègues allaient, comme depuis la semaine dernière, me surcharger de travail car mon absence stipulerait qu'ils allaient récupérer toutes mes tâches dans les jours suivants. J'arrivais sur le site à 8h et je repartais aux alentours de 21h, épuisé. Mon dos et mes cervicales me faisaient vraiment souffrir ces derniers temps.
Comme chaque matin, je me fustigeais de ne toujours pas prendre de rendez-vous chez un ophtalmologue tant ma vue baissait. Et comme chaque soir, j'oubliais ce à quoi j'avais pensé le jour même.
C'était pénible.
Le temps, toujours le temps. Je courais après lui pour lui dire de ralentir, mais dès que j'avais du temps devant moi, je le gaspillais. Quel était le sens de tout ça ?
Attelé devant mon ordinateur, conscient qu'il ne me restait qu'une semaine de délai pour rendre mon compte-rendu de stage et passablement stressé par mon évaluation du lendemain, je fus interrompu dans mes pensées par les multiples vibrations de mon téléphone. Croyant qu'il s'agissait de Taehyung, je le déverrouillai avant de m'apercevoir que je recevais soudain une quantité impressionnante de messages.
Voilà que j'avais encore oublié quelque chose.
L'application de discussion de groupe dont j'avais désactivé les notifications il y a un moment venait de s'allumer. Minho, du lycée, avait créé ce groupe lors de notre diplôme, voilà quatre ans maintenant. Dessus, Jaehyo, Hoseok, Minho et Wooji discutaient régulièrement. J'avais échangé un peu avec eux au début de mon arrivée sur la capitale puis j'avais perdu le fil de leurs discussions et, blasé d'avance de devoir remonter les messages, j'avais fini par mettre le groupe en silencieux. Des nouvelles, j'en avais via Hoseok et c'était tout ce qui m'importait. J'étais conscient que ce n'était pas très respectueux mais le temps avait passé. Ces trois garçons du lycée, je ne les avais plus revus depuis mon arrivée sur Séoul.
Comme le temps était traître parfois, car il venait de me jeter au visage toutes les années que j'avais loupées, tous ces moments où les trois autres, eux, avaient continué de s'envoyer des nouvelles. Je m'étais volontairement éloigné et maintenant je culpabilisais.
Que devenaient-ils, ces trois-là ? Où étaient-ils maintenant ?
Accaparé par mon téléphone, je fis défiler un fil de discussion rempli de messages non lus. Sur les derniers, j'avais été authentifié et je cliquais sur l'image envoyée. Il s'agissait de la main d'une femme posée dans celle d'un homme, parée d'une jolie bague avec un petit diamant sur l'annulaire. La note écrite en dessous indiquait : « Les gars, je vais me marier ».
Je me mis à sourire doucement, attendri, Jaehyo avait donc fini par épouser Minha. Une part de moi semblait déjà le savoir. Même si je ne me souvenais plus de ma vie d'avant, il m'arrivait d'avoir des déjà-vu saisissants comme aujourd'hui. Les messages suivants étaient des félicitations à gogo puis une discussion sur un enterrement de vie de garçon. Je fis rapidement le tour des informations avant de me rendre compte que j'avais été identifié pour donner une réponse et surtout, que non seulement la date était proche, mais que ça allait s'organiser ici, à Séoul.
Merde.
Je remontais puis redescendais les messages, lisant rapidement pour être certain de ce qu'on me demandait avant d'être interpellé brusquement :
-Min, peux-tu passer dans mon bureau quelques minutes, c'est pour ton évaluation de demain, me lança Seokjin d'un ton stoïque.
Je reposai rapidement mon téléphone avant de le suivre.
-Désolé d'avoir regardé mes notifications au bureau, commençai-je après qu'il eut refermé la porte. Pour l'oral de demain, tu veux changer l'horaire ? J'ai noté dix heures pour l'évaluation, mais si c'est en fin de journée, ce n'est pas -
-Yoongi.
Je me tournai entièrement vers lui avant de plisser des yeux. Voilà qu'il avait des tics à nouveau. Serait-ce possible qu'il ait menti pour me convier dans son bureau ? Lui, Son Excellence, mentir ? Pourtant j'eus la confirmation quand il se mit à sourire.
-Tu as eu des nouvelles pour BerryGoods, c'est ça ? le devançai-je.
Ainsi il n'avait pas pu attendre ce soir ou un moment plus approprié pour me l'annoncer, il était en train de changer lui aussi, sans même s'en rendre compte.
-Le comité vient de prendre sa décision, le dossier a été accepté.
Oh putain de bordel de merde.
La joie m'accabla aussi vite que l'inquiétude et je fronçai les sourcils.
-C'est pour quand ?
-Dans la semaine, s'enflamma-t-il. On va pouvoir inaugurer les bur-
-Jin, la banque, c'est la banque la priorité.
-Je les ai eus au téléphone il y a quelques minutes, on les voit demain pour la signature. Ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient déclencher les fonds avant trois semaines...
Il se reprit, redevenant ce professionnel guindé et froid que j'avais l'habitude de côtoyer.
-Je leur ai bien fait comprendre qu'ils devaient effectuer le transfert maintenant ou bien je trouverais une autre banque capable de le faire aujourd'hui. J'ai obtenu gain de cause.
-Demain quelle heure ?
-Début d'après-midi.
Je soufflais bruyamment, expectorant tout l'air que j'avais dans les poumons, me passant une main sur le front.
-Ça tombe mal, c'est mon dernier jour demain, j'ai l'entretien et l'évaluation du stage...
-Qu'importe.
Je levai les sourcils et il se reprit, d'un mouvement de la main évasif :
-Ce n'est pas une priorité, je peux déjà te révéler ce qui va être dit. L'évaluation suffira pour valider ton diplôme, dès demain matin. Après cela, je signerai la fin de ta convention et tu pourras quitter ton poste. Ce sera suffisant pour te libérer des heures de l'après-midi et te rendre avec moi à la banque.
Il devait vraiment être fou de joie pour parler de cela ainsi.
-Quand tout sera signé, fêtons ça, annonçai-je.
-Nous prendrons la soupe et le porridge les plus chers du restaurant.
Je roulai des yeux.
-Ta manière de « fêter » quelque chose est comique.
En revenant à mon poste, je n'eus pas la sensation de soulagement tant attendue. Le poids ne s'était pas levé, bien au contraire. J'étais satisfait, bien sûr, après des mois de négociations, de préparations, d'échanges concernant ce projet. J'avais beau être défaitiste, je m'étais approprié l'idée. Néanmoins j'avais conscience qu'à partir du moment où nous allions acquérir les droits, la partie la plus difficile du travail commencerait.
Je fixai mon téléphone sur le bureau avant de le déverrouiller pour répondre.
Ce fut sûrement la culpabilité pour tout ce temps où je les avais évités qui me poussa à souhaiter les rejoindre pour fêter la fin de vie de jeune homme de Jaehyo.
Culpabilité et crainte que le temps ne grignote encore autre chose de ma vie.
En rentrant ce soir-là, je fus accueilli par un Taehyung qui broyait du noir. Depuis quelques jours déjà, son moral avait commencé à flancher. Je voyais bien que le fait de ne pas peindre le mettait en rogne au plus haut point. Il avait perdu de l'élan vital, dormait moins bien, avait moins d'appétit, semblait démotivé.
Il avait ressorti ses anciennes toiles, en avait ramené d'autres de son université, et ça durait depuis des semaines. Des tableaux entraient et sortaient de l'appartement dans un ballet incompréhensible à mes yeux. Je l'imaginais prendre le métro avec ses grands tableaux recouverts de kraft, gênant tous les autres utilisateurs pressés et ça me faisait sourire de temps en temps. Pourtant qu'il peigne ici où là-bas, ça revenait au même. Rien ne se créait.
Je lui annonçai que les actionnaires avaient validé le transfert des parts à notre société, à Seokjin et à moi. Sa réaction fut rapide et dénuée d'intérêt :
-Cool.
Il avait rempli sa palette de peinture et tournait et retournait le pinceau dans la couleur noire, l'imbibant plus que nécessaire.
Bien que je puisse concevoir qu'il ne soit pas intéressé par ce milieu, sa réaction me déplut. Je me rendis compte que ça m'avait vraiment irrité en m'engouffrant sous la douche quelques minutes plus tard. En sortant, le repas était arrivé, mais il n'avait pas bougé, le pinceau en suspens devant la toile blanche, la mine fermée.
Je n'aimais pas quand il avait cette expression, cela rendait son visage effrayant.
-Je sais que l'acceptation de cette licence nous met dans une galère financière pendant ces prochains mois et moi aussi ça m'inquiète, mais est-ce que ce n'est pas génial que nous ayons obtenu gain de cause ? amorçai-je tout en me frottant les cheveux avec une serviette.
-Si, c'est très cool, bravo.
Il n'avait absolument aucune émotion sur son visage et je soupirai, excédé.
-Tu pourrais faire un effort pour le penser.
-Ah, tu veux de l'attention maintenant ? Désolé d'avoir autre chose à faire.
Devant le miroir près de la porte d'entrée, tandis que j'essayais de peigner mes cheveux avec mes doigts, je me retournai brusquement.
-Mais enfin mais qu'est-ce qu'il t'arrive ? C'est peindre qui te met dans cet état ?
-Ça ne te plaît pas que je me comporte exactement comme toi ? répliqua-t-il en se tournant dans ma direction.
Je me renfrognais.
-Qu'est-ce qui se passe ?
-Comment ça "qu'est-ce qui se passe" ? Si tu ne passais pas ton temps en dehors de ces murs, peut-être que tu le saurais, peut-être que tu t'intéresserais à moi, qui sait ?
-Taehyung, je m'intéresse continuellement à toi...
-Alors pourquoi tu ne me le prouves pas ? rugit-il brusquement en jetant violemment sa palette sur la toile qui glissa dans un bruit mou avant de s'effondrer en direction du sol.
-Ne crie pas !
-Ça ne vas pas, tu veux savoir pourquoi ça ne va jamais ? Parce que je suis putain de mal fichu, je ne peins plus, mon dernier devoir a été mal noté, visiblement mes publications Instagram heurtent ces espèces de connards d'homophobes à qui je n'ai rien demandé et surtout parce que tu n'en as rien à foutre de moi !
Il était essoufflé, les yeux écarquillés, tremblant d'une rage qui m'avait fait reculer, puis lentement, il passa une main sur ses yeux comme s'il tentait d'échapper à mon regard.
-Si tu ne m'aimes plus ou que tu ne veux plus de moi, dis-le-moi et on arrête là, je suis fatigué.
-Taehyung, il n'a jamais été question de ça, pourquoi tu penses ça ?
Il me fixa à travers ses doigts, estomaqué.
-Alors pourquoi tu ne me touches pas ?
Voilà, on y était à nouveau.
-Tu ne me désires pas, c'est ça ?
-Ce n'est pas ça, on a en a déjà parlé, amorçai-je en me dirigeant vers les plats qui refroidissaient sur la table.
-Ne t'avise même pas de fuir la conversation ! m'arrêta-t-il d'un mouvement de doigt accusateur.
-Je ne comptais pas fuir ! C'est quoi ces histoires de publications Instagram ? De devoir mal no-
-Tu vois, tu recommences.
Je me tus, me mordant les lèvres. Je savais que tôt ou tard notre sexualité, ou du moins notre absence de sexualité, finirait par poser des problème. J'avais anticipé cette conversation sans vraiment m'y préparer. Ma mauvaise habitude de tout cloisonner dans mon esprit, et l'ampleur que prenaient mes préoccupations professionnelles avait détourné mon attention de cette situation.
-Je ne suis pas attirant, c'est ça ? renifla-t-il. Tu ne ressens pas de désir parce que je suis un mec ?
-Ce n'est pas ça, insistai-je, j'étais déjà comme ça avant.
-Pourtant tu as couché avec elle !
-De qui tu parles ?
-La blonde de l'entrepôt et ton amie. Elle !
-Est-ce que tu me fais une crise de jalousie avec Hyonseo ? soupçonnai-je en plissant des yeux.
Ce n'était pas la première fois. Taehyung avait décidé de la détester sans la connaître pour une raison qu'il refusait de m'expliquer.
-Ne t'avise pas de détourner le sujet, cria-t-il .
-Ce n'est arrivé qu'une seule fois, ma libido n'a jamais été très active...
-Mais elle, elle a pu avoir accès à ça et pas moi, souffla-t-il d'un air mélancolique.
-Taehyung, je ne fais pas ça pour te punir, c'est simplement que c'est pas si facile que ça pour moi, mais ça n'a rien à voir avec toi ou avec le fait que tu sois un homme, répondis-je rapidement. Je ne suis pas du genre à aimer les contacts ou aller les chercher.
-Je suis fatigué, Yoongi, marmonna-t-il en se laissant tomber sur la première chaise venue. Tu ne fais jamais un pas dans ma direction, je demande pas à ce qu'on fasse l'amour, ce n'est pas ça que je te demande... J'ai compris pour ta libido et même si ça n'arrivera jamais, c'est pas important... Juste, au moins que tu me touches, que tu m'enlaces... Juste de l'attention...
Je me mis à déglutir.
-Je ne suis pas comme toi, c'est pas inné chez moi.
Il soupira bruyamment, la tête entre ses mains.
-Je sais que j'ai besoin de beaucoup trop d'attention et que tu ne pourras pas pallier tout ça. Je ne suis stupide mais... juste un peu, juste de quoi me rassembler, me contenir, me rassurer, j'ai l'impression que tu me rejettes ou que tu m'ignores.
-Je ne te rejette pas. Taehyung, je...
Il releva la tête, me fixant des yeux trop grands et il me fallut du courage pour marmonner :
-J'ai des sentiments pour toi, j'éprouve des choses que je ne peux pas exprimer. Je ne sais pas comment m'y prendre.
-Regarde, m'incita-t-il en se levant alors avant de prendre ma main pour me tirer vers lui. Juste ça.
Il posa mes doigts sur sa joue puis dans ses cheveux.
Il est vrai que cela faisait un moment que je n'avais plus effectué ce geste de lui caresser la tête. Je ne m'en rendais pas compte.
Je ne m'en rendais jamais compte.
-Ce n'est pas parce que je ne te touche pas que je ne fais pas attention à toi, soufflai-je.
-Moi je le crois, insista-t-il. C'est comme ça que je le ressens.
-Tout ne passe pas par le corps, Taehyung.
-Si, Yoongi, moi je le crois. Je ne veux pas que m'aimes seulement intellectuellement.
J'allais répondre, lui dire que son interprétation était erronée, mais il se mit à pleurer :
-J'ai l'impression de te forcer à m'aimer et c'est horrible de vivre ça.
-Je ne suis pas forcé, arrête de croire ça. C'est... Je ne... peux pas être le compagnon que voudrais que je sois. Je ne suis pas certain de pouvoir te rendre heureux.
Il renifla :
-Yoongi, tu ne comprends rien.
Je m'accroupis devant lui, posant mes mains sur ses genoux.
-Non, j'ai jamais rien compris, tu le sais bien.
Il s'arracha une expression amusée entre ses larmes salées.
-Je peux essayer de faire des efforts, admis-je. Je suis désolé que tu ressentes ça.
-Je ne veux pas que tu couches avec moi pour des efforts, répliqua-t-il en se fermant.
Je soupirai bruyamment :
-Je parle du fait de t'enlacer, d'être dans le contact. Je sais que je me repose sur toi et que je te laisse venir, mais je n'initie rien de mon côté. Je peux essayer de changer ça.
Une autre culpabilité venait de s'ajouter à ma longue liste. Pourquoi me sentais-je si gauche dans ce corps ?
-En ce moment, tu ne m'embrasses jamais, me fit-il remarquer en baissant la tête. Tu es partout à la fois, tu es même éparpillé dans ta tête. Je pensais bêtement que quand on serait vraiment ensemble, tout se résoudrait. Ça ne résout rien, ça complique.
Le silence tomba et je finis par prononcer la phrase que je redoutais de dire :
-Tu voudrais qu'on se quitte ?
-Jamais, répliqua-t-il en relevant brusquement la tête. Je ne te quitterai jamais.
Un temps de latence vint cependant teinter cette annonce.
-Parfois je me demande si c'est moi qui nous rends malheureux. Les choses seraient plus simples si ma vie se stabilisait, si mes émotions, mes humeurs, tout ça arrivait à se stabiliser dans le temps. Je suis épuisé d'être toujours sur le fil, sans cesse à basculer.
Je me mis à soupirer doucement en souriant. Au final, nous avions les mêmes inquiétudes, lui et moi, c'était bien la chose sur laquelle nous nous accordions. On pensait ne pas réussir à aider l'autre ou à le rendre heureux.
-Ça se stabilisera, affirmai-je en me relevant pour venir l'enlacer.
Il posa son visage contre mon ventre, refermant ses bras autour de moi.
-On y arrivera, toi et moi. Je ne sais pas encore comment, mais on y arrivera, assurai-je.
On resta ainsi un moment jusqu'à ce Taehyung se détache. En me grattant la tête d'un air peiné, je marmonnai :
-Je suis désolé de m'éparpiller, je suis si mauvais pour tout gérer.
-Tu es horriblement mauvais.
Ah, ça c'était gratuit.
Je râlais et il se leva à son tour, posant son front contre le mien.
-Je ne me sens vraiment pas bien en ce moment...
Il se recula.
-La peinture je n'y arrive plus et ça me prend vraiment la tête. J'ai l'impression d'avoir perdu, mon inspiration et que je ne la retrouverai jamais.
-Ça ne peut pas disparaître comme ça et tu le sais... Et Instagram alors ?
Il fit une grimace avant de me tendre son téléphone.
-Tu avais raison.
J'aurais préféré avoir tort.
-J'ai eu beaucoup de retours, d'abonnements, je n'arrive pas à gérer les messages, les avis, et les critiques et... ça m'envahit, ça m'absorbe, c'est affreux... ça m'obsède. Hier soir je l'ai lancée et quand j'ai relevé la tête, cinq heures étaient passées.
-Dans ce cas-là, désinstalle-la.
Il éloigna son téléphone brutalement comme protégeant contre sa poitrine un bien précieux.
-Non. Je ne veux pas... c'est pas que négatif, j'ai besoin de cette application. J'ai obtenu des avis positifs, des échanges avec d'autres artistes. Ce serait du gâchis. Ça pourrait intéresser d'éventuels acheteurs pour...
-Taehyung, le plus important c'est toi, pas ces gens-là que tu ne connais même pas. Tu as encore un an pour peindre comme tu veux, faire les photos que tu veux et ensuite envisager de vivre de cela.
Il se tassa.
-Oui, mais si je fais ça, je te laisserai pas encore tout porter pour nous deux.
-Arrête de t'obséder pour ça, bougonnai-je qu'on en revienne toujours à cela.
Il fit la moue osant un petit coup d'œil avant que je n'eus le temps de répondre :
-J'arrête si tu t'attribues des vacances.
-Quoi ?
-Tu vas être diplômé, pourquoi tu ne peux pas prendre de congés ? On pourrait bouger, pas loin, en bus, camper ou ce genre de chose ?
-Camper ?
La vision du camping me perturba un instant et il embraya :
-C'est une idée, s'exclama-t-il, je veux au moins qu'on fasse quelque chose ensemble, tous les deux, en dehors de l'appartement, être... un couple ou ce que tu veux qu'on soit.
Il s'éloigna et je l'attrapai par le bras.
-Je ne peux pas prendre des vacances, il va y avoir la signature, puis les locaux, le recrutement de -
-Juste quatre jours, répliqua-t-il. C'est quoi les priorités dans ta vie, Yoongi ? Certainement pas moi visiblement...
-Tu ne peux pas me demander de choisir, c'est injuste de me dire cela !
Il se tut, penaud, se mordant les lèvres inférieures. Je relâchai son poignet avant de me mettre à tourner en rond, calculant, convertissant, préparant, envisageant, réfléchissant, anticipant les choses. Je me sentais pris de court et même si je n'aimais pas son ton, je savais aussi qu'il avait raison. Je ne pouvais pas gérer Taehyung comme je gérais n'importe quelles tâches administratives.
-Quatre jours seulement, admis-je finalement.
Je le vis s'apaiser en un instant, ses épaules retomber.
-Je suis conscient que je dois faire des compromis, lui soufflai-je, mais je ne serais pas le seul à en faire.
-Je sais...
-Ce n'est pas que je ne pense pas à toi, mais c'est que je ne suis pas spontané. Je ne t'oublie pas, pas un instant. Ces prochains mois vont être difficiles. Parfois, je ne sais plus quelle place je dois avoir...
Il ne répondit pas, les sourcils froncés comme s'il essayait de suivre mon raisonnement. Moi-même je me perdais et mes yeux tombèrent sur les coulures de peintures au milieu de la toile vide.
-C'est quoi finalement être en couple ? le hélai-je subitement.
Il s'approcha, les sourcils froncés.
-Je ne sais pas, je comptais sur toi pour m'aider.
-Et moi je compte sur toi pour me guider.
On s'arracha un petit rire mutuel.
-Notre relation pourrait ne jamais marcher, me fit-il remarquer.
-Ça ne marchait déjà pas avant.
Nos rires s'emballèrent et je glissai ma main dans le bas de son dos, posant mon front contre son épaule. Il caressa mes cheveux sur ma nuque. Il y eut un long silence où toutes sortes de pensées me vinrent avant de relever la tête et d'observer le commencement de sa peinture.
-La palette écrasée sur la toile, tu devrais réessayer, finis-je par murmurer.
-Tu veux faire un concours de jeter de palette avec moi ?
-Je viens de me laver, ça va tacher mes vêtements...
-Tu peux toujours les enlever.
Je me reculais, le fusillant du regard tandis qu'hilare, ses yeux s'attardèrent sur le coin de mes lèvres.
-Tu veux que je les enlèves ? Très bien, seulement si ça pourra faire revenir ton inspiration.
Ses yeux bruns s'écarquillèrent avant de pétiller.
-Je me demande de nous deux qui prend le plus de plaisir à cet exercice de peinture sur corps ?
J'en rougis, conscient d'avoir été grillé.
-Je le fais pour toi !
-Tu le fais plutôt pour toi, non ? ricana-t-il.
Je m'apaisais un peu, repensant soudainement aux messages de Jaehyo, à son mariage à venir, à ma réponse, à ma culpabilité, ma distance à ce temps que je ne savais pas accorder. A ce temps que je ne savais pas gérer.
-Je vais peindre sur toi, affirmai-je brusquement.
Taehyung se figea, surpris.
-Vu l'heure, ça m'étonnerait, tu as une journée importante demain.
-Tu n'as pas dit non.
Il détourna le regard avant de sourire. Il avait de nouveau ce visage de grand enfant capable de s'émerveiller et de se remplir de joie. Sans crier gare, il retira son tee-shirt puis sa salopette et avant même que je n'eus le temps de l'arrêter ou de lui dire de se rhabiller, il se retrouva en tenue d'Adam sous mes yeux.
Je devais vraiment réfléchir avant de parler la prochaine fois.
Il ramassa sur le sol la palette presque vide, piocha dans son pot à pinceaux et me tendit ses instruments. Bêtement je les récupérai, regardant cette couleur noire et ce bleu sombre qui s'étaient mélangés. Debout, Taehyung, jambes écartées, poings sur les hanches dans une position comique, me toisait, entre-jambe à l'air.
-Laisse le talent parler en toi, hyung, plaisanta-t-il d'un ton malicieux.
-Est-ce que ça valait la peine que tu enlèves ton caleçon pour ça ?
Il se mit à rire et tenté, pris à mon propre piège, j'approchai le pinceau de sa peau. Son épiderme m'avait toujours paru caramélisé et je n'avais jamais imaginé que cela puisse se marier aussi bien avec des couleurs. Sans aucune idée de ce que je faisais, je dessinais une forme au milieu de son torse. Mon niveau de dessin devait s'approcher de celui d'un enfant de petite section et cela nous fit rire comme des imbéciles.
Emballé, je poursuivis mon carnage, jusqu'à peindre la deuxième partie de son corps. J'avais voulu faire des arabesques, comme un long fil qui ne s'arrêterait jamais. Le résultat était plus proche de celui d'un zèbre, en plusieurs morceaux.
Un cauchemar me revint en mémoire, changeant mon humeur.
N'avais-je pas rêvé un jour de m'exploser en morceaux au milieu de la mer, de me voir me disloquer ? Etait-ce alors mon corps ou le sien ? Finalement à présent c'était l'inverse, la peinture ne disloquait pas, elle ressoudait.
Le pinceau dans mes mains, les traces de bleu et de noir sur les doigts, je relevais les yeux. Du corps au corps, la peinture semblait guérir quelque chose entre nous, comme si elle nous aidait à appréhender l'autre. Taehyung me fixait, son regard me transperçait et il avait perdu sa position humoristique. J'aurais voulu qu'on entende les pensées de l'autre et alors j'aurais demandé s'il ressentait en cet instant ce que je ressentais moi-même.
Nous étions des morceaux, nous étions dissemblables, nous n'arrivions pas à nous emboîter, à nous imbriquer, à coexister l'un avec l'autre. Et pourtant mon cœur irradiait de quelque chose à la fois d'étrange mais aussi d'émotions. Ça me faisait sortir de moi-même et les vérités venaient. Mes barrières tombaient et tout le reste me paraissait obsolète. A chaque fois, j'avais l'impression que le temps s'arrêtait, qu'il nous enfermait dans une minuscule bulle qui ne durait jamais, mais où la peur n'existait plus.
Le regard de Taehyung brillait, comme s'il me répondait : « Oui, moi aussi je ressens ça ». Je me relevai, laissai mes doigts glisser sur sa peau jusqu'à sa nuque et il se pencha pour que nos fronts se touchent.
Malgré nos silences, à la frontière de quelque chose de temporel et d'artistique, malgré nos divergences, nos désirs dissemblables, nos caractères et nos personnalités. Malgré tout cela, c'était dans ces instants que nous nous aimions.
Il fallait maintenant que nous arrivions à croire en notre propre bonheur.
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Chapitre corrigé par automnalh et pina_lagoon
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On se retrouve chaque jeudi et ce jusqu'à l'épilogue 💜❤️
A bientôt ~
Artémis
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