45.
- Monsieur ? Monsieur, vous allez bien ?
Mes yeux se rouvrirent brutalement. Ma première vision fut celle du goudron, du passage pour piétons rayé de blanc avec mes pieds encore fermement ancrés dans le sol. Mon corps était accroupi, replié sur lui-même, ma tête entre mes bras. Le bruit me vrillait les tympans.
Je n'entendais plus que mon cœur qui battait à vive allure et le boucan était saisissant. Le sang pulsait à toute vitesse sous mon épiderme et je passais du chaud au froid, du calme à la nausée sans transition. C'était le chaos. J'étais comme enfermé dans un sarcophage, plongé dans les fonds marins. Les acouphènes arrivèrent et je pris conscience de mon souffle haletant, sifflant, comme si je m'étouffais.
-Monsieur ?
D'autres voix venaient, apeurées, angoissées, colériques.
-Ça ne va pas bien de rouler vite comme ça ! hurlait quelqu'un en frappant une surface métallique.
Le bruit me venait en saccade, un son perturbant.
Je ne pouvais toujours pas bouger.
Tout résonnait, tout s'entrechoquait dans ma tête et mon souffle s'emballait encore.
-Monsieur, vous allez bien ? On va appeler les secours !
Une silhouette féminine s'était accroupie près de moi, elle s'était penchée pour me voir à travers mes bras qui refermaient mon visage. J'avais mal à la poitrine, ma gorge me brûlait, j'avais l'impression horrible que je me désagrégeais à nouveau. Physiquement je le sentais, je partais en morceaux.
Un acouphène plus fort me fit fermer les yeux brusquement, persuadé que la fin était arrivée.
Mourir
Mes yeux s'ouvrirent brutalement et je relevai la tête, soudain conscient que, l'air qui venait à me manquer, il me suffisait de le respirer. Je pris une grande inspiration comme un nageur sortant de l'eau. Cela ne suffit pas à apaiser le feu dans ma gorge, ni la douleur dans ma poitrine et je me trouvais brusqué par les silhouettes autour de moi, notamment celle d'une jeune femme aux cheveux orangés.
-Est-ce que ça va ? répétait-elle à nouveau d'une voix apaisante.
Mes pupilles se tournèrent pour observer le décor, les individus rassemblés, les voitures qui stationnaient, l'odeur de goudron brûlé chaud, étouffant, toxique. Ma tête tourna vers la droite et l'air me manqua de nouveau, comprimant mes poumons. La voiture s'était arrêtée à quelques centimètres de mon visage. Mes yeux s'écarquillèrent avec horreur et je basculai en arrière, perdant mon équilibre en apercevant la carrosserie grise de ce Range Rover dernier modèle si près de ma personne.
Il n'aurait fallu que quelques centimètres.
La chute réactiva le sang dans mes jambes et je me levai d'un coup, porté par la panique, comme si on venait de réveiller mon corps. Même debout, la situation me paraissait toujours aussi effrayante et dramatique et je manquai de basculer en avant, soudain étourdi. Une main me rattrapa. C'est toujours la même fille, elle était accompagnée d'un homme beaucoup plus grand qu'elle, au bras entièrement recouvert de tatouages qui tenait son sac à main, qui se tenait bêtement là, sidéré tandis qu'elle prenait les choses en main.
J'avais du mal à respirer et ça s'entendait : je hoquetais, je m'étranglais, je cherchais mon souffle, j'avais l'impression que des taches noires dansaient devant mes yeux, le monde s'assombrissait, le son augmentait, vrillait, changeait. Je me sentais balloté, soudain glacé, tremblant.
-Vous faites une crise d'angoisse.
Je voulais m'échapper mais cette main aimable tenait mon corps en tremblant. Je trébuchai contre le rebord de la chaussée. On me rattrapa, on m'allongea. La sirène d'une voiture de police s'enclencha au loin mais je n'entendais plus que mon souffle qui crachotait. Ma poitrine me faisait si mal que cela me donnait l'impression que mon cœur tout entier s'arrêtait.
J'allais m'étouffer.
Allongé sur le trottoir, tandis que la jeune femme me demandait de souffler, de respirer en suivant le son de sa voix, je vis un morceau de ciel gris à travers les tâches noires et violettes. Je me demandais s'il était réel.
Tout virait au noir et mon corps tremblait.
Où suis-je ?
Et si...
Et si j'étais revenu en arrière ?
La peur me donna des spasmes, des sueurs froides, la nausée arriva, le corps digéra l'angoisse de mort comme il le put et j'eus une soudaine envie de crier de tout mon soûl.
Sauf que je ne pouvais pas crier.
-Les secours arrivent, vous allez à l'hôpital, marmonna la voix féminine, tout va bien se passer, vous êtes hors de danger.
La vision de l'hôpital me fit reprendre mes esprits, mon cerveau semblait retrouver le contrôle de la situation. Je n'avais pas les moyens de me rendre en clinique. L'argent me revenait comme la seule chose concrète à laquelle m'accrocher. Mon souffle peinait à se stabiliser mais avec toute ma volonté, j'essayai de me relever, de m'asseoir.
J'avais toujours aussi froid, mes dents claquaient et l'humidité de l'air collait à ma peau glacée tandis que je transpirais abondamment. Mon corps semblait pleurer sur toutes les surfaces de mon épiderme.
-Vous devriez rester allongé, clama la voix féminine avec douceur.
-Je ne peux... pas... hôpital.
Parler me donnait cette impression de lutter contre une force surpuissante, contre mon corps tout entier. Enfin, l'homme aux côtés de la jeune femme sortit de sa sidération, il eut un sursaut de conscience, cessant de me fixer et tendis les mains vers les miennes pour ensuite me soulever au niveau des coudes. J'étais de nouveau debout et le monde tangua.
Ils parlaient, ils m'alertaient, ils étaient bienveillants mais ils en faisaient trop. Mes yeux parcouraient des visages sans les voir, la foule était rassemblée là, le trafic s'était arrêté, une file de voitures s'agglutinaient, ça klaxonnait, le conducteur du Range Rover était sorti de son véhicule et un litige était en cours. Par saccades, des disputes me parvenaient.
Ma tête se trouvait tout près de cette roue quelques secondes plus tôt. L'image me donna envie de vomir et je reculais, l'homme et la femme semblait me retenir mais je m'échappais, mes jambes tremblaient tant qu'elles semblaient de supporter mon poids mais je tournai les talons, laissant cette scène derrière moi.
L'accident
Je marchais comme si j'avais bu, comme si j'étais malade, prêt à dégobiller sur le trottoir, comme si mon corps entier allait s'effondrer, éclater, se fragmenter. Je me tenais la poitrine comme pour empêcher les morceaux de mon cœur de se disloquer. Je me cognai à un passant violemment, le choc manqua de me faire tomber à nouveau, mais je parvins péniblement à stabiliser ma position. Je m'excusai, balbutiant des excuses à l'inconnu en trench beige qui ne disait rien. Si propre sur lui, les cheveux gominés sur le côté, il n'émit qu'un vague sourire en coin, suivi d'un mouvement de tête, et reprit sa route.
Je titubais, me raccrochant au mur et aux vitrines, avisant une ruelle où étaient entreposées des caisses en plastique pour les bouteilles, des poubelles, des cartons et des climatiseurs ; je m'y engouffrais.
Je me laissai glisser contre un mur.
Mon souffle était toujours chaotique, je me sentais comme un asthmatique sans Ventoline, mes poumons étaient en train de faiblir. Je déglutis, ma gorge était sèche, irritée, ma bouche semblait pataude, comme anesthésiée. Toutes les cellules de mon corps semblaient avoir vrillé.
Je restais là, contre ce mur sale, assis entre des caisses vides, des poubelles et des clims, isolé dans ce coin de ruelle auquel personne ne semblait faire attention. Je tâtonnais ma poitrine, cherchant mon cœur effrayé qui semblait s'y être terré, tout au fond. Je respirais profondément, une fois, deux fois, dix fois.
Enfin quelque chose sembla reprendre son cours, c'était l'esprit qui créait un relais et le chaos de mes pensées manqua de me faire gémir. Les larmes arrivèrent.
Elles venaient seules, sans sanglots, sans goutte au nez, elles dégoulinaient juste comme si dans un instinct de survie, de remise en fonctionnement du corps, il avait fallu évacuer l'eau non nécessaire.
Je saisis mon téléphone dans ma poche et constatai que j'étais toujours dans cette réalité-là, et cela m'apaisa un instant. L'idée même, insupportable, que j'aurais pu revenir en arrière, une fois encore, fit trembler mes mains. Le téléphone retomba au sol tandis que je me frottais les cheveux en quête d'un nouveau souffle. Je pris soudain conscience de mes pensées, de ce à quoi je réfléchissais avant que la mort vienne se rappeler à moi. Des pensées stupides, stériles, inutiles. Des pensées qui ne valaient rien. Des pensées qui n'avaient aucune importance comparées à quelque chose d'aussi dramatique, d'aussi grave qui avait failli se produire.
Qu'est-ce que notre vie valait finalement ?
Bien peu de choses.
Mes yeux cherchaient les visages des passants, et je constatais à quel point nous étions si insouciants, ainsi, à se promener, à vaquer à notre quotidien, à nos occupations, nos petits tracas tandis que la mort se tenait là au tournant, parfois quand on ne s'y attendait pas.
Qu'est-ce que je faisais bon sang ?
Je constatais mes mains, les observer en revenait à considérer que mon corps était toujours entier. Si j'étais mort en cet instant, aurais-je eu des regrets ?
Evidemment.
J'aurais regretté tout ce que j'avais dit sur Sun, sur Hoseok, sur Jin, sur Taehyung. Les images de mes parents m'apparurent soudainement, les visages de Jaehyo, Wooji et Minho dont j'avais arrêté de prendre des nouvelles depuis des lustres. Je fermais les yeux en prise avec la migraine.
Je me sentais remis à l'heure comme si jusqu'alors j'avais été détraqué. Ça avait été un rappel à l'ordre pour le souvenir le plus important : J'étais en vie.
J'étais en vie et je ne semblais toujours pas le supporter, ni l'accepter. Qu'est-ce que c'était la vie finalement ? Qu'est-ce que la mienne valait ? J'avais si peur de tout, si peur de faire des choses, si peur de moi, si peur de vivre. Mais si la mort était venue, n'aurais-je pas eu des regrets ? Encore une fois ?
La vision de la carrosserie de la voiture, si près de mon visage revint me hanter brusquement, me poussant à chasser cette idée en vain. Je soufflai longuement, ne voulant pas retomber dans une autre crise. Mes larmes, elles, continuaient de couler.
La dernière fois que j'étais mort, est-ce que ça avait été comme ça ?
Je ne m'en souvenais pas et pourtant je gardais une certaine perception, une impression de déjà-vu. Cette fois les sanglots arrivèrent. Ils déboulèrent avec violence, sans possibilité de les arrêter. Je pris conscience que j'étais bloqué dans une répétition.
Ma propre répétition.
Que tout avait failli recommencer.
Je me levai alors péniblement, tentant de tenir sur mes jambes tremblantes. J'avais froid, je me sentais mal, dégueulasse, transpirant, pleurant. Je repris par la rue passante, cherchant un arrêt pour taxi, me saisis du premier qui passa. Ma voix bredouilla l'adresse de l'appartement.
J'avais encore cette impression de sarcophage sous l'eau, les acouphènes ne semblaient pas s'arrêter. La voiture filait à travers les rues sans aucun bruit, la conduite était souple, ça me calma un instant. Sur le siège arrière, j'avais l'impression de me battre contre mes pensées, de prendre la décision la plus importante de ma vie.
Je ne pouvais pas continuer comme ça, je ne pouvais pas prendre le risque de mourir tout de suite, pas avant d'avoir au moins vécu quelque chose. Pas avant d'avoir été honnête.
J'allais la vivre cette vie.
J'allais faire un grand saut.
La vision du toit de l'école et de Taehyung me revinrent soudainement, et je me mis à prier pour que le taxi arrive plus vite.
Les minutes passèrent et mon état peinait à s'apaiser. J'avais toujours une forte douleur dans la poitrine, m'appuyant sur l'estomac, remontant le long de ma gorge jusqu'à me donner envie de vomir. Mes mains tremblèrent en sortant la monnaie de ma sacoche et je me rendis compte que j'avais perdu ma veste.
Je sortis du véhicule et me mis à courir puis à marcher. Je haletais, j'avançais, je reculais ; la manière dont semblait fonctionner mon corps n'avait plus aucun sens. Je m'essoufflais dans l'escalier, frissonnant de froid, puis enfin, la porte de l'appartement s'offrit à mon regard. Je la vis comme une récompense, comme une zone de sécurité qui pourrait m'aider à me sortir de cet enfer. Je franchis le seuil sans attendre. Défaire mes chaussures fut chaotique et j'avançais péniblement encore, toujours. Taehyung était dans le salon, penché sur une de ses toiles. Il n'avait pas revêtu sa tenue de peintre qu'il portait régulièrement, il devait donc être rentré il y a peu de temps.
Il m'évita du regard, fit mine de ne pas m'avoir entendu. Nous en étions là, à présent.
Nous en étions là, après tout ce temps.
-Taehyung ?
-Hum, salut, fit-il d'un ton sans émotion en évitant de me regarder.
Je restais là debout, malmené, effrayé mais motivé, dans une contradiction qui me déchirait tout entier.
-Taehyung.
Mes genoux choisirent cet instant pour lâcher, mon corps s'affaissa de toute sa hauteur et cela l'interpella. Nos regards se croisèrent et ses yeux s'écarquillèrent.
-Qu'est-ce que tu as ?
Je devais être si misérable à voir en cet instant, pourtant, cela devait être pire que ce que je supposais parce qu'il s'affola, lâchant son pinceau et s'approcha, à genoux pour m'aider à me relever.
-Qu'est-ce qu'il y a, tu te sens mal ? Tu es malade ?
Je le fixais seulement, incapable de parler. Je sentis mes yeux picoter comme si les larmes qui avaient coulé jusqu'ici n'avaient pas suffi.
Je suis si fatigué si tu savais.
J'ouvris la bouche et la refermai, en vain. Même à genoux mon corps semblait tanguer, se laisser choir contre le parquet abîmé pour s'y enfoncer et ne plus jamais se relever. Plus rien n'allait sous mes paupières que je n'arrivais pas à garder les yeux ouverts.
-Un véhicule a failli me renverser...
Les premiers mots arrivèrent, de cette voix ne semble pas être la mienne.
-Quoi ?
-La voiture s'est arrêtée à quelques centimètres de mon visage...
Ses yeux grands ouverts semblaient sortir de leur orbite et ses mains partirent en avant, saisissant mes épaules. Le contact me ramena alors à une certaine forme de réalité.
-J'ai failli mourir...
Peut-être était-ce mot.
Peut-être était-ce l'instant.
Peut-être était-ce la sensation de ses mains sur mes bras.
Peut-être était-ce tout cela à la fois, car dans mon esprit la porte que je tenais désespérément fermée comme un lâche, s'ouvrit alors, déversant son contenu comme s'il n'attendait que ça. Je me laissai emporter par cette vague qui venait de faire sauter toutes mes barrières. Je refusais de résister. Je n'en avais plus la force.
Je ne voulais pas mourir en regrettant ce que je n'avais pas pu dire.
-Est-ce qu'il faut que tu ailles à l'hôpital ? Est-ce que tu as mal ? Est-ce que tu l'as vu ?
-Taehyung.
Il essaya de me relever mais mon appellation le contraint à se rasseoir. Il garda sa main sur mon bras comme s'il craignait que je me brise sous son regard.
-Tu veux que j'appelle quelqu'un ? Sun ? Hoseok ? Tu ferais mieux de t'allonger, on dirait que tu...
-Taehyung, tu sais, je t'aime.
Il se figea dans un sursaut et je fermais les yeux, la vision de la voiture me revint alors je les rouvris, ma langue se délia, ma bouche anesthésiée arriva enfin à articuler.
-J'ai des sentiments pour toi.
Il ne bougea plus, son regard ne se détacha pas du mien, il avait l'air d'une statue, sa main quant à elle restait toujours posée sur mon bras.
-Si j'étais mort aujourd'hui, j'aurais vraiment regretté de ne pas te l'avoir dit.
Non, maintenant que je visualisais de nouveau cette porte symbolique dans mon esprit, son contenu ne s'était pas encore répandu. Mais là, à présent cela venait, par vagues, par flots, par sensations, par émotions. Tout sortait, tout devait sortir.
La vie, l'amour, la mort.
-J'ai été si lâche... je ne sais pas ce que c'est que d'aimer, d'avoir ce sentiment. Je me sens si vide en permanence et je ne supportais pas que tu puisses être capable de voir clairement comme j'étais vraiment. Quand il y a toi et l'art, je me sens vulnérable mais la dernière fois, dans le fond, j'aurais voulu qu'on s'embrasse et je me sens con de ressentir ça. Je ne suis pas un gamin, putain. J'ai tout refusé en bloc, tout le changement. C'est comme Seokjin et son idée risquée d'investir pour une compagnie qui a fait faillite. Quel est l'intérêt du changement ? J'ai failli mourir avec ces idées. Je regrette tellement. J'ai peur, si peur si tu savais, de moi, de tout ça, de ce que je ne connais pas. J'ai peur de perdre le peu que j'ai déjà. Pourtant je veux continuer de vivre avec toi, peu importe la forme que ça doit prendre. Je refuse que tu t'en ailles de l'appartement et même si je l'ai pensé, ce n'était que de la colère...
Il bougea, posant le dos de sa main sur mon front en fronçant les sourcils. Je me sentis si las soudainement.
-Yoongi, m'interrompit-il, tu as de la fièvre. Je vais t'aider à te relever pour rejoindre la chambre. Il faut que tu te reposes, je vais aller chercher des médicaments...
Je ne pouvais plus m'empêcher de parler et de pleurer, de déverser tout ce que j'avais si longtemps mis de côté, contrôlé, oublié.
-Tu sais, quand on y pense, je suis revenu en arrière pour t'empêcher de sauter du toit ce jour-là... Ça donne l'impression que j'étais venu te sauver toi, que c'était ça le sens de ce retour en arrière, pour me faire comprendre que la vie, ma vie, ne tournait pas qu'autour de moi-même. Mais Taehyung, je crois que comprends enfin pourquoi je suis là...
Cette fois, les sanglots me freinèrent et je tentais d'articuler :
-C'est toi qui me sauves, ne comprends-tu pas ?
Il me fixait toujours sans bouger mais ses yeux étaient humides, ses lèvres entrouvertes tremblaient sans oser prononcer un mot.
-Peut-être qu'on s'est sauvés mutuellement, je ne sais pas. Est-ce qu'on comprendra un jour ce qui a été décidé pour nous dans le grand dessein de l'univers ? Tu sais...
Taehyung me serra contre lui, il me serra fortement dans ses bras, caressant mes cheveux.
-Chut, doucement, ça va aller, tu n'es pas obligé de tout dire.
Il se détacha, effleura mon visage et mes paupières se fermèrent, mon corps demeurait lourd, mes jambes s'engourdissaient, comme si l'obscurité allait m'engloutir.
-Je suis si fatigué, j'ai si peur de m'endormir. S'endormir c'est comme mourir...
-Non, c'est différent. Tu ne vas pas mourir Yoongi, pas tant que je serai là à veiller à ça.
Il tenta de me lever, mais mon corps pesait une tonne. J'étais bien, finalement, sur ce parquet. Tout se passait comme si je ne pourrais plus jamais faire un pas à nouveau. J'allais rester là, effondré, immobile.
-J'ai si peur de vivre mais je ne veux pas mourir avec des regrets.
Mon corps s'affaissa cette fois complètement à présent, et il abandonna l'idée de m'aider à me relever, me déposant délicatement contre le sol, étirant mes jambes. Il s'éloigna chercher un des coussins du canapé pour le glisser sous ma tête. J'avais l'impression d'être une souche, une pierre, de ne plus pouvoir bouger, à tout jamais. Je voyais à présent le plafond de l'appartement encore bariolé par la première bataille de peinture.
Ce jour-là j'avais refusé de comprendre. Les jours suivants aussi.
C'était il y a si longtemps finalement.
-Je veux vivre avec toi, pas pour toi, avec toi, soufflai-je lentement.
-Yoongi, endors-toi, chuchota-t-il, détends-toi, relâche-toi, tu es en état de choc mais ça va passer, je reste là.
-Je lâche, je te promets que je lâche tout, je te donne tout ce que je suis maintenant.
Mes yeux se fermèrent alors que je sentais encore ses mains sur mon corps, je l'entendis courir pour chercher le vieux plaid sur le canapé et revenir me border. J'aimais ses caresses sur mes joues. Était-ce mes propres larmes que je sentais couler ou les siennes ? Je ne saurais le dire.
Je résistais, je craignais le noir sous mes paupières, j'avais si peur de revivre cet instant, ce moment où la voiture arrivait droit sur moi. Mes mains se mirent à trembler, cherchant à sortir de la couverture, j'essayai de me rattraper face à cette obscurité qui me noyait. Je sentis sa main prendre la mienne. Cela me rappela soudainement les premières fois, dans mon petit lit de garçon, à Daegu, quand il avait dormi chez moi. A l'époque de mes cauchemars, avant que mon père ne s'en aille, avant que l'on fasse un deal, qu'on vienne habiter ici, il avait tenu ma main la nuit pour me rassurer.
J'avais l'impression d'avoir mille ans et de m'éteindre doucement.
Peu à peu mon souffle se calma, je sentis chaque fibre de mon corps plonger dans le sommeil, ralentir, s'assoupir. J'avais si peur de mourir, mais le seul espoir qu'il me restait, qui m'apaisait, c'était que je lui avais dit.
Je lui avais dit tout ce que je ressentais.
Alors tout irait bien.
*
Je me réveillai difficilement, avec torpeur, fiévreux, je sentis que j'avais du mal à émerger. Je pris conscience de mon corps, des courbatures, de la lourdeur de mes bras. Ma tête reposait sur un oreiller, je sentais le frottement de mes cheveux sur le tissu et un plaid était remonté jusqu'à mes épaules. Le sol était dur contre ma colonne vertébrale, mon mal au dos semblait revenir et je bougeai péniblement. Mes paupières pesaient sur mes yeux. Tout me paraissait anesthésié, embrumé, brouillon, mon esprit ressemblait à une vieille télé mal câblée qui grésillait.
Il y eut du mouvement, un bruit et je vis Taehyung s'agenouiller à côté de moi.
-Comment tu te sens ?
-Pas très bien...
-Tu as eu de la fièvre, mais ça a l'air d'avoir baissé. J'ai récupéré des médocs.
Il me tendit un verre d'eau et un comprimé blanc ovale. Je me redressai péniblement avec cette impression d'être beaucoup plus vieux que mon âge et il m'aida à avaler le cachet. Sans aucune force je me rallongeai. Même si le parquet me faisait mal au dos, je préférais encore cela plutôt que d'être assis. Je le vis hésiter avant de se lever chercher un des coussins bouffis du canapé et s'allonger à son tour à mes côtés.
Là où nous étions, nous avions une vue imprenable sur le plafond à peine éclairé, les traces de peintures, les quelques éclats de couleurs y formaient une étrange constellation.
-Tu te souviens de ce qui s'est passé ?
J'acquiesçais sans répondre essayant de soulager le poids de mes paupières en clignant fortement des yeux. Je me sentais si lisse. Vidé de toute énergie. Qu'est-ce qui m'avait fait me réveiller si j'étais si fatigué ?
-Tu te souviens de ce que tu as dit ?
Cette fois, je pivotais un peu la tête dans sa direction avant de marmonner :
-Oui, je me souviens.
La scène restait gravée dans mon esprit mais cela ressemblait à un rêve.
-Tu regrettes ?
-Non.
Je voulais en finir avec les regrets.
-Tu continues de le penser ?
Je hochais la tête, l'esprit embrouillé. C'était comme si le soulagement m'avait vidé, que je me sentais plus léger mais non sans crainte. Quelque part en moi, un petit pic d'anxiété refaisait surface sous mon estomac.
La peur était vraiment quelque chose dont on ne se débarrassait jamais. Pourtant, elle avait l'air minime quand j'y pensais en cet instant.
-C'est quel type d'amour ?
Sa question m'interpella et je haussais seulement les épaules.
-Je ne sais pas. Comment pourrais-je le savoir ?
-Cherche bien et tu sauras.
-Tu es en colère parce que j'ai dit ça ? lui demandais-je.
-Non.
Pourtant il n'avait pas l'air particulièrement heureux.
-Tu n'es pas obligé de me répondre, marmonnai-je en fixant le plafond. Il fallait seulement que je le dise.
-Tu es bête.
Je fronçais les sourcils tandis qu'il soupirait profondément avant de tenter un petit sourire.
-Si tu veux pleinement assumer ce que tu m'as dit, si c'est vraiment ce que tu ressens, j'ai besoin que tu définisses de quel amour il s'agit.
-Pourquoi ? Qu'est-ce que ça change ?
-Ça change tout, Yoongi.
-Je ne comprends pas...
-Tu n'as jamais rien compris.
Voilà bien longtemps qu'il n'avait pas dit ça.
Je m'apprêtais à répondre, une fois encore, mais cette fois-ci, il embraya :
-J'ai besoin de savoir. Est-ce que cet amour il est platonique, amical, romantique, fraternel, paternel ?
-Tu crois vraiment que je t'aimerais de manière paternelle ? répliquai-je soudainement plus réveillé.
-Réponds juste à la question.
Je bougeais un peu sur le côté, en grognant devant ce corps grinçant, si peu malléable :
-Je viens à peine de réussir à dire ce que je ressens, je sais même pas si... si j'arriverai encore à te le redire, comment tu veux que je définisse ce qui jusque-là je préférais fuir ?
Il acquiesça à contrecœur :
-Oui, je comprends. Excuse-moi.
-Peu importe finalement de quel amour il s'agit, admis-je après un temps de silence, est-ce qu'on est vraiment obligés de le nommer ?
-Moi j'en ai besoin.
-Mais pourquoi ? scandai-je en ne comprenant toujours pas.
Ses yeux se relevèrent et me fixèrent avec puissance.
-Parce que si ce n'est pas clair pour toi, j'ai peur, moi, de t'imposer l'amour que j'ai pour toi.
Mon cœur s'affola, sortant doucement de son sommeil et je clignais des yeux. Taehyung se mit soudain à sourire, un petit rire à peine silencieux avant de rouler des yeux. Pourtant, cela traduisait seulement sa soudaine nervosité. Il s'apaisa un peu devant mon air béat, basculant sur le ventre glissant ses bras sous le coussin où avait reposé sa tête.
-C'est évident et depuis si longtemps, je me demande comment tu as fait pour ne pas le voir...
-Je ne voyais pas ça comme de l'a...
Même dire le mot me rendait nerveux.
-Tu vois, je te disais que tu ne comprenais rien.
-Alors c'était ça que tu voulais dire depuis tout ce temps ? m'exclamai-je. J'étais censé comprendre ?
-Yoongi.
Sa main glissa dans la mienne et je sursautais, il redevenait sérieux, ses yeux sombres braqués sur les miens et j'eus l'impression à nouveau, qu'il portait ce regard trop perçant, celui qui lisait en moi. Je me sentis redevenir nerveux.
-Je suis amoureux de toi, depuis bien plus longtemps que tu ne le crois mais les sentiments que tu as pour moi ne sont certainement pas les mêmes que les miens. Ce n'est pas grave, je suis juste, très content de ça.
Sa chaleur se diffusait dans ma main et je sentis qu'il allait partir, se relever, que nous n'allions plus jamais en parler. C'était lui à présent qui s'échappait à mon regard. Alors, pour le retenir, je serrais plus fort sa main.
-Pourquoi ça serait différent ?
-Parce que ça l'est.
-Non.
Il parvint à s'asseoir en tailleur, le coussin posé contre son ventre, l'air triste.
-Si. Yoongi tu...
-Tu te focalises trop sur ça alors que tu ne sais rien. Moi non plus je n'en sais rien. Mais l'amour... c'est de l'amour et c'est tout.
-Ce n'est pas si simple que ça. Je te rappelle que je suis un homme.
-Et ?
Je m'assis à mon tour, plus péniblement, tout mon dos me lançait à présent, mais ma main n'avait pas lâché la sienne.
- On n'est pas obligé d'avoir une étiquette, on peut juste rester comme tels et-
-Le type d'amour auquel j'aspire vise à s'embrasser, faire l'amour, se câliner, se dire de niaiseries, dormir collés et...
-Ok, et bah faisons ça, admis-je spontanément.
Ses yeux s'écarquillèrent et il balbutia :
-Non.
-Si.
-Attends, attends, paniqua-t-il en se relevant, détachant nos mains. Je ne veux pas que tu forces à faire quelque chose simplement pour me faire plaisir !
-Je ne me force pas à faire ça pour te faire plaisir.
-Tu ne peux pas passer du Yoongi que je connais au Yoongi amoureux, sans transition, bafouilla-t-il, ce n'est pas possible.
-Je dois le prendre comment ? râlai-je légèrement.
-C'est vraiment ce que tu veux ? insista-t-il en s'accroupissant, m'embrasser, me câliner, me déshabiller, me..
Je l'arrêtai, avant de prendre une grande inspiration :
-C'est possible...
-Tu n'en as pas l'air persuadé, rectifia-t-il en levant un sourcil.
-Je ne suis pas à l'aise quand on dit tout ça à haute voix, figure-toi, maugréai-je.
Il s'adoucit, sembla attendri.
-Embrasse-moi, lui annonçai-je tout aussi surpris que lui par ma propre initiative. Embrasse-moi et on avisera alors de ce qu'il en est.
Taehyung entrouvrit la bouche, choqué et je me fis violence pour ne pas rougir comme un enfant. Je me sentais embrouillé, emporté par la discussion, plein de défi aussi, comme vexé d'être ainsi relégué à une image que je ne voulais pas accepter de moi.
Était-ce ce que je renvoyais aux yeux des autres ? Quelqu'un d'incapable d'avoir de l'initiative, de la tendresse, de l'émotion ?
-Toi, embrasse-moi.
Sa voix n'avait été qu'un chuchotement, à peine un murmure et mon cœur s'affola. J'eus soudain envie de prendre mes jambes à mon cou. Dans quel merdier m'étais-je fourré ? Peut-être aurais-je dû tout garder pour moi ? Pourquoi devait-on se sentir si gauche, si maladroit quand on éprouvait quelque chose ?
Mes yeux s'attardèrent sur sa bouche et je tentais de chasser cette peur qui me parasitait. J'en ai envie n'est-ce pas ? Pourquoi était-ce si difficile de suivre mes propres envies, d'assumer quelque chose de moi ?
Toujours cette crainte du changement qui ne voulait pas me lâcher. Du changement voilà ce qu'il y allait avoir. Plus que de mots, des choses véritables, sensitives. Je me mis à repenser à l'événement d'il y a quelques heures, je me revis ravagé par l'angoisse de mort.
N'avais-je pas pris une décision ? Celle de vivre ?
Il serait temps de s'y tenir.
Lentement, je posais mes deux mains sur le sol, pour hisser le haut de mon corps vers lui, relevant la tête, je m'avançais doucement pour l'embrasser. Je vis ses yeux s'écarquiller légèrement, comme si lui aussi, jusqu'à maintenant, n'avait pas cru que je pourrais vraiment le faire.
J'en avais embrassé d'autres avant et pourtant c'était la première fois que je m'apercevais que je n'étais pas bon à cet exercice. A peine mes lèvres s'étaient posées sur les siennes, maladroitement, que je reculais.
Mon cœur battait à toute allure.
Maintenant, il ne me restais qu'à assumer. Je me rassis lentement, prêt cette fois à défroisser mes muscles pour me lever, Taehyung n'a pas bougé. Il me fixait curieusement, presque impressionné et pour me donner bonne figure, je détournais le regard en râlant :
-Voilà, content ?
C'était nul, je le savais mais je craignais que s'il me fixait trop longtemps, il soit capable de voir à quel point mon cœur tressautait de joie. C'était vraiment si étrange d'avoir des sentiments comme ça pour quelqu'un, de sentir la perte de contrôle de mon organe vital.
C'était grisant et inquiétant. Ça m'inquiétait évidemment, tout m'inquiétait tout le temps.
Il bougea et je relevais le regard, prêt à le voir dire quelque chose, mais sa main rencontra ma joue avec tendresse puis glissa vers le bas de mon visage qu'il releva dans sa direction. Cette fois, ce fut lui qui m'embrassa avec plus de facilité et de classe que j'en aurais jamais. Tout mon cœur eut un sursaut de surprise et je restais figé tandis que ses lèvres bougeaient sur les miennes. Lentement, après quelques secondes, il recula, rouvrant ses paupières. Ses yeux étaient si profonds que je déglutis un instant.
L'angoisse qui siégeait dans mon corps me parut soudain plus agréable qu'habituellement. J'avais moins mal à l'estomac, et je fermais les yeux quand son front se posa sur le mien. De tous les gestes qu'il pouvait avoir à mon égard, celui-ci était ce que je préférais.
Ça me donnait envie de respirer plus fort, et de sourire quand je savais qu'il ne me regardait pas. Un grand sourire, de ceux qui font mal aux joues et qui font plisser des yeux.
Il se détacha un peu, recula à nouveau et je rouvris les yeux. Son regard me stupéfia. Il avait l'air heureux. Tout pétillait à l'intérieur de ses pupilles sombres, tout s'embrasait et une joie immense se lisait à présent sur son visage. Je me sentis soudain beaucoup mieux.
Ses mains glissèrent dans mes cheveux et il fondit sur mes lèvres à nouveau, mais ce fut cette fois plus fort, plus intense, mon corps manqua de partir en arrière et je m'accrochais à ses vêtements. J'en perdis mon souffle, tâchant de suivre son mouvement, personne ne m'avait jamais embrassé comme ça. Mes lèvres me brûlaient, la chaleur dans mon corps s'intensifiait, le silence de la pièce n'était rempli que du bruit de nos baisers. A présent je m'en fichais. Je les entendais à peine, tout mon cerveau n'était concentré qu'à la tâche de produire une musique pour accompagner nos lèvres, tendre, calme et parfois survoltée. Un véritable concert se produisait sous mon crâne.
Je perdis complètement le contrôle, mes poumons manquaient d'oxygène au point d'en souffrir mais je ressentais un plaisir nouveau en basculant en arrière. Ma tête retomba sur le coussin et Taehyung s'arrêta. Les deux bras tendus de part et d'autre de mon visage, il me contempla et derrière lui je voyais encore la constellation de peinture sur le plafond de notre logement.
Sa joie était un chemin entre le rire et l'émotion, remplissait son visage d'une expression que je n'avais jamais et je tendis la main pour attraper ses joues, pouvoir la saisir. Était-elle le reflet de la mienne ? Je ne savais plus rien.
-Tu vois, s'aimer comme ça, ça me plaît bien, soufflais-je.
Il s'arracha un sourire extraordinaire et vint s'affaisser sur moi, glissant son nez dans mon cou, y respirant à pleins poumons mon odeur. Je le serrais contre moi.
Pour la première fois je me sentis vraiment heureux.
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Chapitre corrigé par automnal et pina_lagoon
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Deux personnages se sont glissés dans cette histoire, saurez-vous les retrouver ?
Indice : Ils appartiennent à une autre de mes histoires~ 😇😈
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Il reste à présent 5 chapitres + l'épilogue avant la fin de cette histoire. L'écriture est presque terminée. Je peaufine. Je vais sûrement reprendre le rythme de publication à toutes les semaines.
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Je vous tiendrai au courant ~
Merci d'avoir lu ce chapitre, j'espère qu'il vous aura plu.💜❤️
A bientôt ~
Artémis
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