
42.
-Yoongi ?
Je relevai brusquement les yeux, alerté par l'interpellation, et tournai la tête en direction de Seokjin. Je me trouvais au travail depuis plusieurs heures déjà. Dehors, le temps radieux d'un printemps timide éclairait les offices et ses rangées de bureaux. Je me raclai la gorge, m'arrachant à mes pensées tandis que mon aîné fronça les sourcils.
-J'ai essayé de t'appeler par trois fois...
-Je suis désolé, marmonnai-je en me sentant pris sur le fait. Tu as besoin de quelque chose ?
Il me tendit des documents sans plus de cérémonie.
-J'ai analysé ta démarche et les problèmes que tu rencontres sur les formulaires de remboursements et de débits mais ce n'est pas suffisant, Min. M'amener les problèmes, oui, mais il me faut des solutions. C'est avec des solutions qu'on peut travailler et ce n'est pas à moi de les trouver.
-Je comprends.
Je récupérais les papiers sans parvenir à formuler autre chose. J'avais pourtant la sensation que la veille, cette difficulté que je rencontrai sur le protocole de comptabilité était particulièrement urgente. Aujourd'hui, j'avais la tête en vrac et je peinais à reprendre le fil de mes pensées. Il resta silencieux, tandis que je feuilletais les quelques pages du rapport que j'avais imprimé il y a quelques heures. Silencieusement, conscient qu'il me faudrait me pencher davantage sur les solutions, je pivotai vers mon poste, prêt à chercher le fichier informatique lié. Puis, comme s'il avait hésité longuement avant se lancer, Seokjin se pencha, murmurant :
-Et si nous allions manger un morceau ce soir ?
J'acquiesçai, tentant un bref sourire avant de tâcher de me reconcentrer, soudain inquiet de la quantité de travail qu'il me restait à terminer avant la fin de l'après-midi.
Voilà qu'une semaine était passée depuis le retour de Taehyung et je me sentais fatigué, alourdi et parasité par mes propres pensées. Il n'y avait pourtant absolument aucun événement qui contribuait cela. La routine avait repris comme si elle ne s'était jamais vraiment figée, rassurante, répétitive, calme et morne. J'allais travailler, il allait à l'université.
Alors pourquoi ? Pourquoi cela me semblait-il si difficile de m'habituer à cet ancien fonctionnement ? Pourquoi ressentais-je une gêne ? une irritation ? cette impression que quelque chose clochait ?
Plusieurs heures plus tard, éreinté, je terminai mon nouveau rapport avec du retard, peu satisfait de ma journée. Je me laissais déborder, comme incapable de m'organiser. Ça ne me ressemblait pas et je n'aimais pas l'idée de ne pas être capable de gérer les tâches qui m'incombaient. Mon syndrome de l'imposteur ne voulait plus partir à présent. Etait-ce toujours ma place d'être ici ? N'avais-je pas bénéficié de ce privilège pour de mauvaises raisons ?
Dans neuf mois, je serais diplômé et ainsi, définitivement, je passerais à une nouvelle étape dans mon existence : le monde des adultes, effrayant et submersible. Qu'importe que je résiste, je ne pouvais pas revenir en arrière, je ne pouvais qu'avancer dans cette direction. J'accéderais au grand marché du travail, monde gigantesque, de requins, d'angoisse et de difficultés. Les clefs pour obtenir un avenir existaient, bien évidemment, mais encore fallait-il pouvoir les saisir...
C'était le stage fatidique de ma vie, celui que les recruteurs verraient en premier sur mon CV. Je ne pouvais pas échouer.
Seokjin m'attendait près de l'ascenseur et je hâtai mon pas, conscient qu'il devait patienter depuis de longues minutes. Je le trouvai en discussion polie avec une de ses collègues d'un étage différent. Elle était belle, une trentaine d'années, habillée d'un tailleur pantalon, les cheveux longs dans une queue-de-cheval haute. Son attitude était autant adulée que méprisée ; elle était superbe et ambitieuse, décisionnaire et sûre d'elle. On parlait souvent dans son dos. À croire qu'une femme ne devait être qu'un physique dans ce milieu et que lorsqu'elle se mettait en position de force, intelligente, chef de service, elle était tout de suite vue comme un tyran.
C'était d'une tristesse.
Me voyant arriver, elle répondit à ma salutation par un simple hochement de tête, toisant Seokjin, terminant ainsi leur conversation professionnelle. Les rumeurs couraient qu'ils se voyaient à l'extérieur mais j'en doutais, jamais mon aîné n'avait paru réceptif à sa personne.
Dans l'ascenseur qui descendait les étages on resta silencieux et je consultai mon téléphone pour n'apercevoir aucune notification de la part de mon colocataire.
Qu'attendais-je exactement ?
Comme habituellement, on se dirigea vers le restaurant de soupe. Ce jour-ci l'odeur du riz cuit à peine sorti des machines vapeurs, encore chargée de vinaigre, embaumait l'air. C'était une odeur connue, habituelle, rassurante. Ce ne fut qu'après avoir commandé que je pris le temps de m'excuser :
-Je suis déconcentré ces derniers temps et c'est non professionnel de ma part, je comprendrais que le service mette fin à mon contrat de stage.
Seokjin fronça les sourcils tout en lissant sa veste qu'il replia soigneusement sur la chaise vide à ses côtés.
-Il n'est pas question pour l'instant de mettre fin à ton contrat.
-Tu ne m'as pas invité pour me mettre en garde ? répondis-je, surpris.
-Non.
Il reprit, voyant mon embarras :
-Je t'ai invité ce soir parce que cela faisait longtemps, seulement.
Rassuré, je finis par me racler la gorge avant de commencer mon repas.
-Est-ce que tu vas bien ?
Qu'il puisse ainsi me poser la question dans un semblant de familiarité quil le rendait un peu gauche, mais touchant, me poussa à répondre :
-Si on veut.
Ma nuque me faisait mal et je testai plusieurs mouvements pour la faire craquer, en vain.
-Et toi, est-ce que tu vas bien ?
Son air affable se pinça mais il admit :
-Objectivement oui, subjectivement non.
C'était bien une réponse qui lui ressemblait.
-Tu peux être plus précis ? osai-je demander cette fois un peu amusé.
-Je m'ennuie.
Il avait lâché cela dans un faible soupir et ce fut à moi de froncer les sourcils.
-Tu t'ennuies ? Au travail ? Les rares fois où je te vois, tu as pourtant l'air débordé...
-L'ennui ne se caractérise pas par la quantité de travail mais par sa qualité.
-Ce poste ne te plaît pas, en conclus-je.
Il était difficile de comprendre parfaitement son raisonnement. La Corée misait beaucoup sur l'image de ces postes de « prestige », au sein de compagnies qui redoraient le côté économique du pays.
-Non, et il n'a jamais été mon choix. J'ai besoin d'un challenge, pas de rester derrière ce bureau une grosse partie de ma carrière, à faire ce qu'on me dira de faire pour être ensuite en mesure de grimper un échelon d'ici dix ans.
Il m'interpella soudainement, sa petite tasse de thé sans anse au bord des lèvres :
-Comment envisages-tu l'avenir ?
Je pris le temps de savourer la nourriture, sa chaleur et les bienfaits que je sentais sur mon corps avant d'avouer :
-Je n'envisage pas grand-chose. Je vais être diplômé, ensuite je vais postuler partout pour des petites et moyennes entreprises, passer des entretiens. Je cherche seulement un travail à plein temps, payé correctement.
-Aucune autre ambition ?
-Je ne suis pas comme toi, du moins je ne crois pas. La stabilité, aussi ennuyeuse soit elle, me convient.
-Et ce, même si tu sais que tu peux faire bien davantage que ces fiches de postes t'obligeront à faire.
Je pris un temps de réflexion avant d'admettre :
-L'ambition peut être une bonne chose, mais ma crainte se situe plutôt au-delà de ça. Je crains qu'être trop ambitieux ne me ferme des portes, ne rende ma tâche de trouver un emploi plus ardue encore. Pour certains, il est plus rassurant de se trouver dans la masse.
Il acquiesça seulement tandis que je prenais le temps de réfléchir à ce que je venais de dire. Je me revis, au lycée, tenir un discours plein d'ardeur, d'aspiration humaniste, un coup de gueule vis-à-vis du système scolaire. Pourtant aujourd'hui, j'aspirais seulement à de la tranquillité sans devenir le héros défenseur que j'avais finalement idéalisé.
Il était si particulier de se rendre compte que l'on pouvait changer.
Je n'étais pas l'adulte que j'avais souhaité, mais cela ne me rendit pas triste, seulement surpris. Tout s'était fait naturellement. Entre les aspirations et la réalité se situait un décalage. Après tout, j'étais aujourd'hui moins en colère contre un système car je n'en étais plus exclu. Et puis, je n'avais rien à proposer comme alternative à ce système, je n'en avais pas la force, ni l'intellect. J'étais un mouton, cherchant son bonheur sans le trouver et c'était déjà là en soit, une difficulté en tant que telle.
Je finis par marmonner, un peu malgré moi :
-Mon colocataire est rentré de son voyage à l'étranger.
J'ignorais si je lui avais déjà parlé de lui ou même si mon aîné savait que je vivais en colocation ; qu'importe, à présent je le lui disais. Il ne me répondit pas, mais son attention me prouvait qu'il était à l'écoute.
-Et... je ne sais pas, c'est compliqué.
-Pourquoi ça l'est ?
La question me désarçonna tant elle résonnait en moi, tant elle restait sans réponse. Timidement, je tentais d'en dire quelques mots :
-Je ne sais pas. D'ailleurs, j'ignore pourquoi je te parle de ça, désolé.
Il ne fit pas cas de ma confusion ni de cette annonce impromptue et notre discussion dériva sur d'autres sujets.
Pourtant, son interrogation me hanta jusqu'au retour dans l'appartement. Il était tard et la fatigue pesait sur tout mon corps que seul le sommeil semblait pouvoir détendre. Je fus soudain harassé, en défaisant mes chaussures, de la continuité de cette semaine, de mes jours de repos destinés à écrire mon rapport de stage, de ce manque d'apaisement qui me faisait mal à la nuque en permanence. La vision du salon éclairé me fatigua davantage.
-Taehyung, m'irritai-je, je t'avais dit de ranger !
Je le vis tourner la tête, accroupi devant une toile, la peinture plein les mains. L'odeur suintait dans l'air, rendant l'atmosphère étouffante. J'en avais oublié les caractéristiques olfactives, l'ampleur que ça pouvait prendre, de la difficulté à se débarrasser de cette fragrance. Pourtant d'une certaine manière, elle demeurait gravée en moi, aussi rassurante que celle du restaurant de porridge et de soupe de son Excellence.
Mais elle était plus profonde, plus entêtante, plus marquante que n'importe quelle autre odeur.
Il était si paradoxal d'aimer et de haïr une même chose.
Son profil me fixait sans vraiment me voir, cela arrivait parfois lorsqu'il était trop immergé dans ses tableaux. Ses yeux étaient absents, passant à travers toutes les matières. Ses cheveux avaient enfin été coupés. Ce fut l'une de ses premières actions dès son retour sur Séoul. Bruns et en meilleur état, encore longs à mon goût, sa chevelure ne ressemblait plus à une tignasse abîmée par les couleurs.
-J'allais le faire, répondit-il platement en détournant son attention de ma personne. Je n'ai pas touché à tes affaires, j'ai tout poussé dans un coin.
Le salon était de nouveau réduit à un atelier de peinture, le canapé poussé contre le mur le plus proche, puis dans un angle, mes affaires, entassées, comme si elles gênaient.
-Il n'y a plus aucune place, comment je fais si j'ai envie de toucher aux instruments à bois ou finir la table que j'ai commencée ?
J'étais agacé comme si je n'avais que cette émotion à exprimer et qu'elle avait grignoté les autres. Cela se sentit sûrement dans ma voix parce qu'il se releva, essuyant ses mains sur sa grande salopette en jean.
-Il fallait bien que je fasse du vide pour mettre toutes les nouvelles toiles que j'ai achetées, non ? Il me reste encore à acheter de la peinture. C'était difficile de tout entreposer avec tes affaires.
-Si mon atelier était là, c'était qu'il a une bonne raison de l'être ! m'écriai-je, ne choisis pas à ta guise ce que tu peux déplacer ou non. L'espace n'est pas obligé d'être rempli de tes affaires.
Il plissa des yeux et je sentis une fulgurante envie de crier contre lui.
C'était puéril, pourquoi étais-je ainsi ?
-Eh bien désolé si je dérange.
Sa voix avait été piquante, grinçante et sa mâchoire fermée refroidissait considérablement son regard. Je le reconnaissais sans vraiment le reconnaître. Un paradoxe à nouveau. Un agacement, c'était certain. Je détournai mes propres yeux de sa personne et observais ses achats. Une dizaine de toiles de toutes les tailles étaient à présent arrivées, posées en vrac contre le sol, les meubles, les murs.
-Mais où est-ce que tu as acheté tout ça ? Il y a bien plus qu'avant...
-Il y avait des promos...
-Tu dois ranger, m'agaçai-je, tu dois trouver un moyen d'arrêter d'éparpiller tes affaires ou on ne pourra même plus accéder au salon !
-J'allais le faire avant que tu arrives, répliqua-t-il en haussant le ton, je n'ai juste pas vu l'heure. Pourquoi tu m'agresses comme ça ?
-C'est mon appartement !
J'avais crié, et ma gorge s'égratigna de cela. Son visage recula, son expression fut blessée puis ce fut son corps ensuite, qui entama des mouvements chaotiques. Il vint déposer ses pinceaux dans le pot d'eau sale posé contre une étagère avant de s'arracher un rictus sarcastique :
-C'est ton appartement maintenant, je vois...
Sans prendre le temps de s'essuyer les mains, il enjamba les toiles par terre, les pots empilés, les pinceaux éparpillés, son carnet de croquis arraché avant de prendre son sac posé sur son lit dans la pièce d'à côté.
-Tu sais quoi, je te laisse avec ton appartement, puisque de toute façon, tu n'as pas envie que je sois là. Je vais ailleurs.
Je soufflais péniblement, soudain en prise avec la culpabilité. En passant une main fatiguée sur mon visage, je marmonnai :
-Attends...
Mais il ne m'écoutait plus, s'avançant jusqu'à l'emplacement pour les chaussures et je le rattrapais, la lèvre mordue de regret.
-Taehyung, attends, je suis désolé, je ne voulais pas...
Il se remit debout sans plus de considération pour mes mots, me jetant un coup d'œil désagréable qui me fit froid dans le dos. Pourquoi son visage avait-il changé autant ?
Il était prêt à franchir le seuil que je le suppliai :
-Ne pars pas sur une dispute, laisse-moi... m'excuser.
Il hésita et me toisa toujours avec ce regard trop perçant qui me mettait mal à l'aise. Les sourcils froncés, sa mâchoire serrée, il ne ressemblait plus au garçon chétif, à la tête sans cesse penchée d'il y a quelques années.
-Je ne voulais pas dire mon appartement.
-Mais tu l'as dit.
-J'ai vécu ici tout seul, plusieurs mois, j'ai pris des habitudes... c'est compliqué, d'accord ?
-Il n'y a plus de place pour moi dans cet appartement. Je te gêne, n'est-ce pas, dans ta nouvelle vie ?
Il s'était accoudé au battant, les bras fermés sur sa poitrine. Si colère il y avait, elle était sourde, froide, un brin différente de toutes celles que j'avais connues venant de lui. Sa voix n'était qu'un constat réaliste d'un problème épineux. Il me semblait prendre le problème avec recul, avec une nonchalance que je n'aimais pas.
Peut-être était-ce la raison pour laquelle ma nuque était si douloureuse. Ma tête était si lourde après tout.
-Non, tu ne me gênes pas.
-Je ne te crois pas.
Il reprit après une profonde inspiration nasale. Je voyais presque un ton ironique dans ses réponses.
Ça aussi c'était nouveau.
-Peut-être qu'il serait temps qu'on fasse appartement à part.
Cette fois aucune trace de sarcasme : il avait l'air outrageusement sérieux. Je secouais la tête, rejetant l'idée.
-Non.
-C'est ce qu'il y a de mieux. Comme tu dis, on a eu chacun notre vie et nos habitudes à présent et puis, on a eu la preuve que je pouvais vivre loin de toi, sans que je n'aie eu à sauter d'un immeuble...
Pourquoi ne parvenais-je pas à identifier quel était son ton entre le sérieux, le rancunier ou l'ironique ? Pourquoi fallait-il qu'il complique son langage en s'exprimant face à moi ?
Pourquoi devait-il être si changeant quand j'avais l'impression de rester si constant ? Ce fut sa phrase suivante qui me mit sur la piste :
-Après tout, visiblement ça n'a pas l'air d'être plus marquant pour toi que ça...
Cette fois c'était clairement sarcastique.
-C'est ce que tu crois, que je m'en fous ?
-C'est l'image que tu donnes en tout cas.
-Ce n'est pas le cas, bien au contraire. Je suis très heureux et fier de toi aussi, admis-je honnêtement.
Cette sincérité me gêna, m'intimida comme si me confier sur mes sentiments était un exercice que j'avais oublié de faire. Me raclant la gorge, je repris :
-Peut-être que c'est ça qui a changé, cette vie loin, sans l'un et l'autre. De nouvelles choses sont apparues et c'est difficile, non ? C'est difficile de se reparler, de revivre cette vie, de se réhabituer à une présence...
-D'où le fait qu'on devrait sûrement arrêter.
-Non, l'interrompis-je plus fermement que la première fois.
Ses bras retombèrent le long de son corps, il parut soudain moins hostile mais peu convaincu. Pourtant cela ne m'embrouilla que davantage :
-Toi, tu as envie de partir d'ici ? de cet appartement ?
Il me fixa, se tordant les lèvres avant de vérifier que la porte était bien refermée et d'enlever à nouveau ses chaussures comme si malgré tout il avait effectué un choix à nouveau.
-Je ne sais pas...
On en resta là et je fus perturbé par cette phrase toute la soirée.
Si tu ne sais pas alors que nous reste-t-il à faire ?
*******
La semaine qui suivit, nous la passâmes dans un silence gêné. Si l'ambiance avait été maladroite à son retour de voyage, à présent, elle devenait plus écrasante. Cela ne fit qu'empirer mon état de confusion. Que ce soit Sun ou Hoseok, tous constataient que quelque chose ne semblait pas tourner rond mais je peinais à leur répondre. Avais-je été naïf de croire qu'au bout de quelques jours j'aurais fini par mettre le doigt sur une piste ?
Sûrement.
Tout se passait comme si mon esprit me trahissait, refusait ostensiblement de se plier au travail d'introspection que je lui imposais. Mais est-ce que je le lui imposais vraiment ? Je restais démuni face au constat du vide de mon esprit en écho avec celui de mon cœur.
Je ne pouvais lui jeter la pierre d'avoir changé, n'attribuer qu'à lui une faute qui finalement me touchait seul. Quelque chose clochait en moi et je ne comprenais toujours pas pourquoi.
Ce fut dans cet état-là, qu'un matin début juin, tandis que le thermomètre avait déjà décidé que nous étions en été, je me levai. La routine avait de quoi meubler le temps qui passait même si elle n'aidait en rien mes réflexions. J'avais besoin de cette constance, de me raccrocher à quelque chose de tangible. Je fus surpris de tomber sur un Taehyung déjà levé et habillé.
Ou plutôt, sur un Taehyung pas couché et pas changé depuis la veille.
-Tu n'as pas dormi ? m'étonnai-je.
Il parut surpris de ma venue, soudain hagard comme s'il reprenait pied dans la réalité et je fis le constat du désastre qui avait eu lieu dans le salon. Il y en avait partout cette fois, dans tous les sens, au point où, pour accéder à la machine à café, je n'avais nulle part où poser mon pied.
Afin d'éviter une nouvelle dispute, je préférai ne pas pinailler, puisque de toute façon mon état de fatigue ne me le permettait pas. L'odeur était entêtante, plus forte qu'habituellement, mélangée à l'acétone qui piquait le nez. Plutôt que de choisir un café, j'entrepris d'accéder à la porte-fenêtre pour aérer la pièce.
-Il est déjà cette heure-là ? s'étonna-t-il en regardant son écran de téléphone.
Ce n'était pas un constat affolé et encore moins ennuyé, c'était surtout agacé comme si le temps l'avait mystérieusement trahi. Une brise de fraîcheur rentra dans le salon, mais à peine avais-je eu le temps de me retourner qu'il s'était approché, à grand pas, ses grands yeux fixes qui ne cillaient pas, posés sur moi.
C'était la première fois qu'il me regardait comme ça. Comme si ce n'était pas moi.
-Yoongi, tu tombes bien, il faut que je te parle de quelque chose.
Le voir si éveillé tandis que j'étais si somnolent me poussa à reculer, à marquer la distance entre ma difficulté à sortir du sommeil et le besoin d'y résister de son côté.
-Quoi donc ? grognai-je, ennuyé.
Mon cerveau ne fonctionnait que pour deux raisons à cette heure-là de la matinée : du café et une clope.
-J'ai un devoir à rendre dans un mois pour l'école, un nouveau projet en couleurs, et j'ai pensé à énormément de choses, mais je crois que ce qui m'est apparu cette nuit, c'est...
Le début de ses mots me heurtait comme si on me les matraquait. Peut-être était-ce le rythme, le ton, la présentation et j'espérais surtout que l'odeur serait chassée par l'air.
-Il faut que tu m'aides.
Je n'avais pas tout écouté mais plutôt que de se fâcher de mon manque de neurones connectés à cette heure-là de la matinée, il repartit de plus belle. Bougeant en tous sens, débarrassant, changeant, revenant, remettant ses toiles à d'autres places, empilant les pots puis les désempilant.
Ça n'avait aucun sens.
Est-ce que j'étais dans un rêve où le sens et la cohérence m'échappaient ?
-T'aider à quoi ?
-Mettre en couple le corps et la peinture.
-Le quoi ?
-Je pense que je peux trouver la teinte exacte de ta peau. J'ai besoin que tu sois mon modèle. La toile doit être le corps, peindre en trompe-l'œil, ne pas mélanger les couleurs mais les associer, les rendre impossibles à l'œil de les distinguer de...
Je n'avais retenu qu'un seul mot : modèle.
-Je ne poserai pas à nouveau.
-Ce n'est pas tant poser, c'est être peint. J'ai besoin de ton corps pour peindre, il n'y aura pas de modèle, je sais quoi faire...
-Tu viens de dire que je n'allais pas être ton modèle.
-C'est un mot habituel qui n'a pas le sens que tu lui associes.
Il fit quelques pas, chercha son carnet à croquis pendant plusieurs minutes. J'en profitai pour activer la machine à café et sortir une cigarette de mon paquet. Je n'eus pas le temps de retourner au balcon qu'il me présenta sous le nez ses dessins. Cela me parut une éternité depuis que je les avais vus pour la première fois, au lycée ; son style avait changé, il s'était épuré, affiné et se montrait détaillé.
-Ton personnage est nu, fis-je remarquer.
-Oui, c'est un corps nu, il ne peut pas y avoir de vêtements. Le corps est la toile, le vêtement empêche de peindre.
-Je ne me mettrai pas à poil.
-Ce n'est pas la nudité qui compte, s'enflamma-t-il d'un ton si haut qu'il manqua de me faire sursauter.
-Tu devrais aller dormir.
-La nudité n'a pas un sens sexualisé dans l'art. Bien au contraire ! L'art sublime la nudité, ramène le corps à autre chose qu'un désir, qu'à une image sexuelle ou un objet. Un corps, c'est beau, cela doit être montré, ça peut porter des messages, raconter des histoires et...
Il y avait trop d'informations, trop de choses pour que j'arrive à enregistrer. Il était surtout trop tôt pour tenir un débat sur le sujet.
-Crois-tu que le David de Michel-Ange aurait eu le même impact s'il avait porté un slip ?
Cette phrase marqua une coupure, une alternative à ce début de parole incongrue. Je me mis à rire et il se reprit, gloussant.
-Je ne suis pas le David de Michel-Ange.
-Et je ne suis pas sculpteur.
-Taehyung, je ne me sens pas à l'aise de me retrouver modèle, ou je ne sais quoi, mais encore plus si je dois ne pas porter de vêtements...
-J'ai besoin de toi, j'ai besoin de ça, insista-t-il. J'ai cette idée dans ma tête depuis deux heures du matin, je n'arrive pas à l'enlever, je dois la mettre en pratique. Je dois pouvoir générer autre chose que des peintures, trouver un compromis, une réflexion, évoluer dans ma pratique et avec le corps. Il y aurait tant à dire sur le corps, sur la couleur, sur ce que voit l'œil qui regarde...
-Tu dois dormir, insistai-je en secouant la tête face à sa logorrhée. Depuis ton retour de voyage, tu ne sembles pas avoir retrouvé un rythme normal et voilà que tu te retrouves encore décalé.
-Dormir, c'est de la perte de temps, éluda-t-il rapidement. S'il te plaît, dis oui, et je préparerai tout. Je ferai de toi l'œuvre centrale de mon projet. Tu seras magnifié hyung, superbe dans –
-Taehyung, arrête de déblatérer des inepties.
Je parlais à un mur, un mur particulièrement enflammé, exalté, euphorique et il fallut lever la voix pour lui dire d'aller se laver. Cet état dura trois jours où il me rendit la vie impossible.
Je ne le comprenais pas, j'ignorais ce qui lui prenait. Jusqu'alors, il n'avait jamais été ainsi. C'était à peine s'il dormait. Il s'éparpillait, parlait beaucoup, se lançait dans mille et une choses à la fois, mais ne finissait jamais rien. Sa tête était toujours bourrée de projets dont je ne comprenais rien. Il ne me parlait plus à moi, il se parlait à lui-même. Chaque instant de vide était rempli par ses ruminations, soliloquant à chaque instant. Quand j'étais là, je n'étais destiné qu'à être convaincu de l'ampleur de son projet.
Je finis par comprendre ce qui n'allait pas : les médicaments.
-Depuis combien de temps tu ne prends plus ton traitement ?
-Je sais ce que je fais, m'asséna-t-il le nez dans sa peinture avant de se lever et de décider qu'il devait aller photographier les paysages urbains.
-Il faut que tu retournes voir le psychiatre, insistais-je.
-Tu ne comprends pas, ripostait-il, si je les prends je vais être fatigué et je vais dormir alors que là, je ne me suis jamais senti aussi bien, aussi plein d'énergie, d'idées, j'ai des projets à profusion, c'est extraordinaire !
-Tu ne dors plus...
-C'est une phase, m'annonça-t-il d'un ton sérieux, tu sais comme moi qu'après celle-là je me sentirai mal, déprimé, incapable de tenir un pinceau, je n'aurai plus la force de rien. Il faut que je profite de ce temps, de ce moment.
Et il ajouta d'une petite voix :
-Je t'en prie.
-Ça peut être dangereux...
-Dangereux pour qui ? Pour quoi ?
La réponse apparut le lendemain : c'était dangereux pour mon compte bancaire. Dans son coup de tête autour de ce rapport à mon corps et à l'art, il avait dépensé l'argent destiné aux courses dans de nouvelles peintures, des projecteurs, des pinceaux, des rouleaux. Eut lieu une dispute complètement lunaire, où je faisais face au gamin qui n'était pas capable de se concentrer suffisant pour me porter une attention. Il ne comprenait pas ce que je lui reprochais comme s'il ne parvenait pas à saisir le sens de mes mots. Il était inarrêtable, convaincu, convaincant et cette hyper-activité qui le saisissait l'empêchait aussi de manger. Il était en roue libre, hors cadre, hors réalité, alimenté seulement par son impulsion.
Sun qui passa à l'appartement le vendredi soir, s'y colla elle aussi : elle n'obtint pas plus de résultats que moi. Pour elle, mon colocataire était dans une situation dangereuse et préoccupante au point où elle souhaitait que j'appelle les secours. Éreinté, peu au clair quant à ce qu'elle essayait de me dire, sûrement dans le déni aussi, je finis par opter pour une autre solution : négocier.
-Si j'accepte de poser pour ton projet, est-ce que dès le lendemain tu iras chez la psychiatre ?
Dans ses yeux rouges, écarquillés, à deux doigts de la déraison, il se mit à acquiescer, sa tête se secouant comme si son cou allait se briser. Dans un croisement entre l'adulte et l'enfant, je finis par lui demander de me le prouver. Je le vis appeler le secrétariat, demander un rendez-vous, l'obtenir et me rendre l'appareil avec un grand sourire comme si nous venions de clore un accord commercial. Heureux, il me fit une accolade spontanée, tellement différentes de toutes celles qu'il m'avait un jour données et je le repoussais, râlant que ses mains venaient de tacher ma chemise.
Le lendemain, il m'avait acheté huit autres chemises.
Ce fut sûrement à ce moment-là, que je compris que Taehyung était bel et bien malade.
Inconsciemment, je l'avais toujours su mais je n'avais jamais osé le penser, le verbaliser, l'admettre. Jusqu'alors j'ignorais que quelqu'un de dépressif pouvait se révéler complètement différent à certains moments. Comme s'il était deux personnes à la fois, opposées même. Le paradoxe vivant.
Le seul espoir que j'avais, c'était que dans trois jours, il verrait un médecin, quitte à ce que je l'y traîne de force, et tout pourrait alors se stabiliser. En attendant, je me tenais là, face à l'immondice qu'était devenu notre appartement auquel il avait désespérément essayé de mettre de l'ordre. Il n'en restait qu'un résultat morcelé.
Peut-être était-ce tout ce qu'il était actuellement, éparpillé, des morceaux de sa personne disloquée à travers l'espace.
-Tout est prêt ! me lança-t-il avec enthousiasme le vendredi soir jour prévu pour son « projet ».
Ses cernes étaient alarmants et son teint avait viré au gris, mais pourtant à aucun moment cela ne semblait entacher son sourire de bienheureux, exubérant même, comme si ce qui se déroulait en cet instant était le meilleur moment de sa vie.
Le décalage entre la réalité et ce qu'il semblait ressentir me mit mal à l'aise.
Encore habillé, j'observais le décor avec appréhension. L'appartement s'était doté d'une échelle qui venait de je-ne-sais-où pour photographier en hauteur. Il avait déroulé un papier épais de quatre mètres sur un sol jonché de toiles, de pinceaux, de pots de peinture, de gobelets d'eau sale où il trempait ses instruments, de quelques récipients d'acétone. On ne savait plus démêler ce qui était utile et inutile.
J'étais là, convaincu que je faisais une connerie monumentale et pourtant, au fond de moi, je ne pouvais pas m'empêcher de vouloir me trouver là.
Pourquoi ?
Est-ce que j'avais peur qu'en le refoulant il s'enflamme, perde ce qui lui restait de raison et d'adaptation à la réalité ? Ou avais-je envie de lui montrer que non, nous ne pouvions pas quitter cet appartement ? Que je regrettais mes propos ? Qu'il y avait encore là un lien et un intérêt à cette colocation ?
Ou, tout simplement, est-ce que je cherchais encore une réponse que je ne trouvais pas sur ce qui clochait chez moi ?
-Tu sais, je ne suis pas certain... tentai-je.
-Tout ira bien, s'exclama-t-il.
Son ton était trop haut, trop aigu pour être naturel, mais il ne s'en rendait pas compte. Il me présenta une palette dont il prit une petite quantité de peinture qu'il apposa ensuite sur mon poignet.
-Plus beau qu'un fond de teint, s'enthousiasma-t-il, j'étais certain que c'était la bonne couleur.
Je ne comprenais toujours pas le sens, ce qu'il voulait en faire et il reposa rapidement ce qu'il tenait, me pressant avec une frénésie qui me semblait anormale.
Tout me semblait anormal à présent.
-Je vais te badigeonner de peinture. T'inquiètes pas, j'ai pris quelque chose qui n'est pas toxique pour la peau, ensuite il faudra que tu t'agenouilles sur la toile, le dos et la tête penchée sur la toile et je vais procéder aux essais photos qui...
Mon cœur s'était malhabilement emballé et je n'arrivais toujours pas à comprendre ce qui m'arrivait. Ce n'était qu'un exercice après tout, et on ne verrait pas mon visage encore moins ma nudité. Etait-ce cela qui me gênait ? Depuis quand étais-je devenu si pudique ? Pourquoi ça avait de l'importance ? Avais-je peur qu'il me regarde ? De sentir un regard sur mon corps ? Je repensais à ses mots sur la sexualisation et je me sentis honteux de projeter ce genre de pensées sur lui.
Il n'en avait que faire de mon corps, je n'étais qu'une toile à sa peinture, il n'y avait là pas d'intimité, seulement une autre définition, fonctionnelle, symbolique de la peau.
Mais moi ce corps, je ne l'aimais pas, je ne le voyais pas si clairement et ce même si j'avais réintégré cette carcasse avec ce retour dans le temps.
Qu'avais-je peur qu'il ne l'aime pas ce corps autant que je ne l'aime pas moi-même ? Ou qu'au contraire il l'aime et que cela change la donne à cet événement que j'aurais pu appeler professionnel ?
-Je vais t'aider ! s'élança-t-il vers moi.
Malhabilement, je défis ma chemise et la sensation de malaise empira. Pourtant, elle ne venait que de moi, Taehyung ne semblait pas se préoccuper de mon état, il ne portait pas sur mon corps un regard différent d'habituellement.
Pourquoi alors m'avait-il regardé si étrangement, si intensément la dernière fois, lors de la séance photo alors pourtant que l'occasion ne s'y prêtait pas ? Et là je me mettais à nu et il n'avait pas l'attitude qui collait.
Mis à nus.
Etait-ce vraiment une question de nudité finalement ? Qu'est-ce que j'enlevai en me déshabillant, des choses qui me cachaient, des vérités que j'oblitérais ? Dans le fond, qu'est-ce que je voulais vraiment ? Qu'il me regarde différemment ?
-Allez, m'encouragea-t-il en posant les mains sur le bouton de mon pantalon, ne soit pas prude, j'en ai vu d'autres des corps.
Il ne me restait que le bas à retirer, mais j'arrêtai son mouvement, brusqué. Son impatience me rendait nerveux, angoissé.
Dans le fond, je voulais fuir.
-Je le sens pas, on arrête ça, marmonnai-je en cherchant des yeux ma chemise.
-Yoongi, roula-t-il des yeux avec condescendance, ce n'est qu'un pénis, on ne va pas en faire un foin, baisse ce pantalon.
Il insista, posant ses mains sur la fermeture éclair et je sentis le tissu glisser, entraîner mon caleçon dans sa chute, mes derniers vêtements, mes dernières défenses allaient tomber ensemble, me rendre complètement nu et la panique me saisit cette fois. Elle arriva comme une grande claque avec cette impression horrible, honteuse, de n'être qu'un objet, un mannequin de bois qu'on déshabillerait à sa guise.
-Arrête !
Mes mains avaient saisi ses poignets pour figer son mouvement.
-Mais désape-toi, putain ! s'emporta-t-il brutalement dans ses excès d'instabilité qui le faisaient passer du froid au chaud sans transition. Tu crois qu'il va se passer quoi ? Que je vais rougir, m'écrouler de rire ou tomber en pâmoison devant ton engin ? Mais ressaisis-toi ! C'est qu'un corps, comme le mien, comme le tien comme celui de tas d'autres mecs ! Ce genre de blocage ridicule ça n'a pas de place dans mon art !
Je ne compris pas ce qui se passa ensuite, je le repoussai brutalement, si brutalement qu'il tomba en arrière. Sa chute fit rouler deux pots de peinture heureusement scellés qui vinrent se cogner contre le bas de l'échelle, la faisant trembler dans un grincement métallique.
J'avais peur, peur comme un gamin, peur comme si je me sentais en danger. J'avais envie de pleurer et c'était un sentiment tellement nouveau, tellement étrange, tellement fort que ma bouche s'arracha un hoquet. Ma vulnérabilité ne m'avait jamais autant sauté aux yeux et j'avais envie qu'on m'enveloppe, qu'on m'enferme dans une étreinte et qu'on vienne me dire que tout irait bien. Je me sentis puéril, honteux de désirer cela dans un moment comme celui-ci.
Cette mise à nue me mettait face à moi-même, face à mes désirs, à des émotions que je ne comprenais pas qui se libéraient de mon cœur si longtemps resté inerte.
-Je veux tout arrêter, lançai-je d'une voix tremblante, je ne veux plus le faire.
-C'est quoi ton problème ? me cria-t-il en se relevant.
-Tu me fais peur putain ! hurlai-je.
Même ma voix me surprit et je reculai, pantelant, tandis qu'il clignait des yeux, comme soudain enfin capable de se concentrer, de me porter une attention qui n'était pas parasitée par ses idées.
-Tu me fais peur, répétai-je dans un sanglot, et j'ai peur de moi, je ne sais pas ce qui se passe, laisse-moi tranquille.
L'émotion me gagna, elle fut si forte contre ma volonté qu'elle m'emporta, me rendant soudain pathétique à pleurer au milieu de mon salon, les mains cramponnées à mon pantalon.
Ça le choqua, je le vis à son visage, mais ce qui fut pire, ce fut son regard d'incompréhension, son jugement, son rejet qui m'abîmèrent. Il était un autre que je ne connaissais pas et c'était cet autre qui m'avait mis à nu, mais qui me faisait mal car il ne me regardait pas. Je ne me voyais pas dans ses yeux, je me sentais aliéné, si vide, si pauvre. C'était dans ce moment qui n'aurait pas dû être une intimité, mais que je semblais avoir désiré vivre comme tel, qu'il était venu saisir en moi ce que je ne parvenais pas à toucher et auquel je ne pouvais toujours pas donner de mot.
Je m'enfuis alors, dans mon seul endroit de repli, fermant la porte de la chambre.
Je ne m'étais jamais senti aussi mort et aussi vivant qu'en cet instant.
Dans le plus grand paradoxe de mon existence.
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Chapitre corrigé par automnalh et pina_lagoon
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