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25.

J'ouvris les paupières, une fois puis deux. Lentement, péniblement, mais avec le sentiment d'avoir bien dormi.

Pour une fois.

Cette perception agréable aurait pu encore durer quelques instants pour apprécier la chaleur de la couette et l'impression d'être enveloppé dans un confort réconfortant. Seulement je me rendis bien vite compte que j'étais loin d'être seul. Et qui plus est, l'entortillement des couvertures était provoqué par ce corps collé contre mon dos, le bras au-dessus de la couette.

Le gamin était encore venu dormir là.

Je bougeai un peu, tâchant de sortir de cette étreinte non souhaitée, soudain mécontent et de mauvaise humeur.

Il avait recommencé.

Voilà une semaine que nous avions emménagé dans cet appartement sur Seoul. Quartier Sejongo, à égale distance entre ma petite université de management et comptabilité et le lycée des arts de Kim. C'était un appartement correct, pour un prix abordable dans un vieil immeuble dont l'isolation n'était pas à beau-fixe, la qualité de la plomberie et de l'électricité ne respirait pas la modernité, mais qui abordait un balcon et une vue sur le quartier. Ce n'était pas l'immeuble le plus moderne qui soit mais ça permettait d'avoir une grande pièce de vie avec un coin cuisine ouvert, une salle de bain avec baignoire, un renfoncement qui servait de première chambre, avec des portes coulissantes pour marquer l'espace jour et nuit, et une autre chambre.

En bref, c'était le meilleur appartement à avoir avant la flambée des prix de l'immobilier et les nouvelles réglementations de construction des nouveaux bâtiments, plus sûrs et modernes certes, mais plus chers aussi. Après avoir gagné au pierre-feuille-ciseaux, j'avais écopé de la seconde chambre et investi dans un grand lit deux places. Un de mes premiers achats sur la capitale.

À la fin des vacances d'hiver, la maison familiale avait été vidée, vendue en totalité, et je n'avais conservé que l'électro-ménager le plus important, quelques mangas, quelques vêtements, ou des bibelots qui me paraissaient d'une importance symbolique. Le reste avait disparu. Il y a sept jours de cela, j'avais refermé à clef la porte d'entrée et dit au revoir au passé sur Daegu, sans me retourner.

Sans regrets, ou presque.

C'était libérateur de savoir que les choses avaient pu se délier dans un sens positif et qu'ainsi, pour la première fois, je pouvais tourner le dos au passé sans m'en inquiéter. Accepter de grandir, d'évoluer, de prendre mon indépendance et embrasser l'avenir sans crainte d'être parasité par ce qui n'avait pas été réglé.

Mais c'était tellement effrayant aussi.

Je rentrais dans un nouveau monde où cette fois tout était en roue libre, ou presque. Car rien de ce que j'allais vivre à présent n'était déjà arrivé auparavant.

Voilà, donc, une semaine que ce fichu Kim Taehyung squattait mon lit en permanence. Lorsque j'ouvrais les yeux, il était là, affalé sur la couette, collé à mon dos. C'était étrange, gênant et difficile d'en parler de but en blanc. Alors chaque matin, nous avions cette conversation :

-Est-ce que tu crains à ce point dormir seul dans ta chambre ?

J'avais lancé ma phrase à la cantonade, une tasse de café à la main depuis la cuisine tandis qu'il relevait la tête, sortant de ma chambre en traînant des pieds, dix minutes après que je m'étais levé, les cheveux en vrac.

-Je le fais pour toi, râla-t-il comme habituellement d'une voix matinale et irrégulière, pour que tu arrêtes de faire des cauchemars.

-Je ne fais pas de cauchemars.

-Bien sûr que si.

-Bien sûr que non. Cette nuit j'ai parfaitement dormi, insistai-je.

-Parce que je me suis levé tout de suite quand tu criais, soupira-t-il. Une fois que tu arrêtes de t'agiter je suis trop fatigué pour retourner dans mon lit. C'est toi qui es incapable de dormir seul, c'est pénible pour moi de devoir me relever toutes les nuits pour te rassurer.

Je refusais de croire en cette version.

Alors, comme chaque matin depuis une semaine, je finissais par proposer :

-Café ?

Et cela mettait fin à la conversation, jusqu'au lendemain.

-Hum.

Cette cohabitation n'avait en rien changé de celle que nous avions dans la maison sur Daegu. Ça n'avait pas rendu le gamin plus causant pour autant. De mon côté, durant l'attente des résultats du suneung puis les vacances qui avaient suivi, j'avais bossé d'arrachepied dans un fast-food et Kim avait géré l'administratif de son transfert dans un autre lycée. Depuis que nous avions emménagé dans la capitale, il n'avait pas quitté l'appartement une seule heure, pas tout seul du moins, et je gardais dans un coin de ma tête l'inquiétude que j'avais à son encontre. Sa rentrée était demain et je me demandais clairement s'il se trouvait en mesure de s'y rendre.

Il n'avait pas parlé de son père, j'ignorais comment s'était passé son départ ou ce qu'ils s'étaient dit ou même s'ils avaient eu un échange. Il était venu me rejoindre à la gare avec encore moins d'affaires personnelles que j'en avais.

Il y avait finalement de nombreux sujets que nous n'abordions pas.

Parfois, tout semblait se passer comme si nous étions à couteaux tirés. Nous avions eu notre première dispute il y a deux jours de cela, quand je lui avais ramené du magasin de fournitures d'art sur la rue principal du quartier non loin de l'appartement, une toile, quelques pinceaux et deux trois pots d'acryliques, en plus de ceux légués par son ancien professeur référent du club de peinture.

Ça ne lui avait pas plu.

Ma mère avait fini par toucher la moitié de l'argent de la vente de la maison et m'en envoyait suffisamment par mois pour payer le loyer en totalité. Elle y avait tenu et je n'avais pas insisté. Elle ne semblait pas vouloir repartir de son village natal et je soupçonnais mes propres grands-parents de tenter de la faire remarier. La connaissant, elle s'y disposerait sans mal, partisante du fait qu'une femme ne pouvait vivre seule chez ses parents sans aucune ressource.

Du fait que Taehyung ne pouvait rien payer, il faisait ressurgir sa frustration sur moi par des crises de colère, mal à l'aise d'être ainsi dépendant. L'achat des fournitures d'art n'avait fait que raviver un problème déjà présent. Il ne pouvait pas trouver de petit job car son école ne le permettait pas et il n'était pas encore majeur.

Dans le fond, nous nous battions à ne pas être redevable l'un de l'autre car cela rendait notre colocation plus compliquée et incommode qu'elle ne l'était déjà.

-À quelle heure ?

Je relevai la tête, perdu un instant dans mes pensées, et il répéta :

-Tu y vas vers quelle heure ?

-Dans deux heures, je commence pendant la pause déjeuner.

J'avais décroché, de mon côté, un petit travail dans un site de livraison de colis. Je commençai cet après-midi. Ça me permettrait d'avoir un peu de finances tout en me rendant aussi en cours.

La seule chose qui me contrariait était l'emploi en tant que tel.

Ça avait été mon dernier choix, je ne voulais pas me résoudre à prendre ce travail comme je l'avais fait plusieurs dizaines d'années en arrière mais après avoir été refoulé à dix endroits, je m'étais résolu à postuler. Dans mon autre existence, j'avais travaillé dans ce genre d'endroits et je n'y gardais pas un souvenir mémorable mais au moins cette fois, j'étais diplômé.

Et ça changeait tout.

-Et toi, que comptes-tu faire aujourd'hui ? l'interrogeai-je en sortant des pancakes surgelés du compartiment au-dessus du vieux réfrigérateur.

-Je ne sais pas...

Il avait touché à la peinture que je lui avais achetée malgré tout et la toile s'étalait déjà dans ce qui servait de salon, les pots et les pinceaux compris. À défaut d'avoir une télévision ou un canapé, choses pour lesquelles je comptais faire de la récup', l'espace ouvert semblait devenir à posteriori un grand atelier à destination du lycéen.

-Tu ne ferais pas le trajet pour demain, pour être certain de te repérer et de voir le temps que tu mets ?

-Hum.

Son manque de motivation le rendait affable et inquiétant, donnant l'impression d'un condamné devant faire le trajet jusqu'au bûcher. Il n'avait pas souri une seule fois depuis notre arrivée, pas donné son avis sur l'appartement, ni sur les pauvres repas que j'étais capable de préparer.

Finalement les moments où je l'avais vu sourire avaient été bien rares.

Je m'en voulais d'être aussi heureux de la tournure des événements alors que lui restait dans son marasme habituel. Je ne devais pas oublier pourquoi j'étais là, pour qui je l'étais.

Dans le métro je me fis la réflexion, le nez collé à la vitre, que Seoul avait changé. Il était évident qu'elle n'était pas entièrement la ville que j'allais connaître plusieurs années plus tard mais ce changement ne m'avait pas marqué pour Daegu, sûrement parce que cette ville appartenait à mon passé alors que la capitale, elle, avait fini par être la ville que j'avais adoptée.

Ou qui m'avait enfoncé.

J'y reconnaissais certains quartiers, les changements dans le paysage urbain n'étaient pas non plus drastiques mais la présence de moins de technologie, de moins d'écrans tactiles, de moins d'individus portant des masques me rappelait, à chaque fois que je quittais l'appartement, que j'étais bien à une autre époque.

Néanmoins le centre de distribution qui gérait les envois de colis aux particuliers, ça, ça n'avait pas changé. C'était moins grand que le précédent mais le principe était le même. À quelques années près, à un ou deux quartiers près, j'étais au même endroit, dans le même travail.

Et ça ne m'avait pas manqué.

J'y reconnaissais beaucoup de choses, comme si je n'avais jamais réellement oublié cette activité, sa pénibilité, l'automatisme des mouvements. La société était un gigantesque entrepôt, venté en hiver, glacial parfois, et étouffant l'été, où aucune isolation et aucune climatisation n'existait. Des mètres et des mètres de tapis électriques, des piles et des piles de colis qui arrivaient ou repartaient par différentes entrées, des ordinateurs, des imprimantes à étiquettes, des lecteurs électroniques, qui déconnaient pour la plupart, qui devaient enregistrer les codes-barres pour mettre à jour les informations pour le client ou le sociétaire. Un labyrinthe de boîtes à l'odeur particulière de carton qui embaumait l'air.

Le type qui m'accueillit pour mon premier jour ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans. Son badge indiquant le prénom Seungnim, la casquette au logo de la société vissée sur son crâne, il semblait être alloué souvent à la formation des nouveaux et son ton était automatique, fatigué et fatigable. Il me fit comprendre que durant cette semaine, il avait dû faire son monologue un certain nombre de fois.

Vingt minutes plus tard, après avoir fait le tour des locaux, signé mon contrat, vérifié les heures et la gestion de l'emploi du temps, je finis par rattraper le scanner de code barre, sous une forme de grosse télécommande, qui allait me servir toute la journée avant d'enfiler l'uniforme réglementaire.

Une simple veste de toile sans manches, kaki, inesthétique au possible mais qui comprenait une quantité de poches astronomique qui la rendait étonnement pratique. Les transporteurs et les livreurs entraient et sortaient et ça n'arrêtait pas un instant. Comme un gigantesque labyrinthe. Des chariots métalliques passaient et repassaient en tous sens dans des allées numérotées.

-Tu te débrouilles bien pour un nouveau, j'ai jamais vu quelqu'un apprendre si vite, commenta Seungnim qui me servait de binôme pour me former.

-J'ai le coup de main, commentai-je simplement en scannant le code barre et en validant directement la livraison en cours, avant de déposer le paquet sur un chariot prévu à cet effet.

-Tu n'auras pas besoin que je te supervise durant plus d'une semaine, tant mieux, commenta-t-il. C'est la période de la rentrée, plein de gens commandent des articles en ligne. On a beaucoup de boulot.

Au bout de trois heures, mes gestes furent automatiques ; à part les rares d'erreurs d'aiguillage où il fallut renvoyer le colis sur le bon tapis, ou ma difficulté de compréhension du système d'heure pour le départ de telle ou telle camionnette en fonction des quartiers, j'avais déjà capté l'organisation générale. Les trois quarts des salariés semblaient être des étudiants.

Si j'arrivais à accumuler un contrat de vingt heures, cela pourrait me donner un salaire tout juste correct pour subvenir à nos besoins. Sans le loyer, il fallait comptabiliser les factures d'eau, d'électricité, d'internet, les courses, l'assurance pour l'habitation, probablement des fournitures scolaires pour nos deux écoles. Tout dépendrait de mon emploi du temps à la fac et en fonction de mes heures de cours, il y aurait des moments où travailler les nuits s'avérerait plus pratique.

Ah, tiens, j'avais recommencé.

Voilà que mon cerveau s'était échappé, que j'avais de nouveau tenté de compter les choses, de les analyser, de les prévoir... Tout se passait comme si ma présence dans cette ville à nouveau avait réactivé toutes mes mauvaises habitudes.

J'étais soudain tenté de m'acheter des clopes.

En repensant aux mauvaises habitudes, mon regard capta soudain la venue d'une jeune femme qui héla mon binôme :

-T'es demandé au bureau des appels, c'est encore la cliente qui demande où se trouve son colis...

Seungnim soupira, fit craquer sa nuque avant de remettre sa casquette en place :

-Je m'en occupe. Tu peux le superviser à ma place ? J'essaye de revenir vite, on n' a pas encore terminé tout le tri du nouvel arrivage de 13h.

Elle acquiesça et se positionna à mes côtés tandis que je continuais mes mouvements automatiques avant de valider l'entièreté du chariot et programmer le départ en camionnette pour ce soir.

-Étudiant ?

Il ne s'agissait même pas d'une phrase et le ton semblait délibérément traînant.

-Toi aussi ?

-On répond à une question par une autre question ?

-Ma question impliquait la réponse.

Elle se mit à rire et pivota un peu dans ma direction avec un sourire amusé. Elle n'était pas outrageusement belle mais elle n'était pas dénuée de charmes non plus. Même si elle portait l'affreuse veste sans manches pourvue d'une dizaine de poches, ses vêtements se distinguaient en dessous, un mélange de style punk et rock. Délibérément outrageant mais plutôt sexy.

Ses cheveux avaient quelques mèches orange, visibles sous la casquette qu'elle portait. Elle avait quelque chose d'un peu non-conventionnel, que ce soit dans son attitude, dans sa tenue, ou dans ses bijoux. L'entièreté de son oreille gauche étaient chargées de piercing et son maquillage était plutôt sombre sans être excessif. De quoi attirer l'attention de manière générale et rehausser son charme. Son regard pétillait et me détaillait des pieds à la tête. Je parvins à lire l'amusement dans ses yeux comme si elle m'avait déjà percé à jour, mais cela ne sembla pas me faire perdre d'intérêt car elle eut un sourire en coin, qui fit ressortir son au labret.

C'était mon type.

J'aimais ce type de fille, déjà, parce qu'il fallait l'avouer, je les trouvais généralement très séduisantes, mais j'appréciais aussi ce côté qui paraissait plus caractériel, plus compliqué aussi, mais qui évitait les faux semblant.

-Je ne suis pas étudiante, finit-elle par répondre en se mettant enfin en activité avant de réceptionner un carton, de le soupeser comme si elle cherchait à deviner son contenu.

-Je tente de passer un concours pour rentrer dans une école de design privée. Deux fois que j'essaye, je ne désespère pas.

-Tu bosses à plein temps ?

Elle eut un petit ricanement :

-Comme s'ils prenaient les gens à plein temps... Bien évidemment que non, ils auraient trop peur de nous payer trop cher. Le reste du temps je bosse dans un bar. Le patron est sympa, avant de fermer il nous laisse jouer une ou deux heures.

-Jouer ?

-Je suis dans un groupe de musique, je ne suis pas bonne guitariste mais j'aime chanter, on fait un peu de rock.

-Et vous ne vous produisez pas ?

J'avançais deux fois plus vite qu'elle, elle semblait plutôt indifférente au rendement demandé par la compagnie.

-Pas encore, ça va venir. Tu voudrais venir me voir ?

-Tu voudrais que je vienne te voir ?

Elle parut amusée encore une fois :

-Monsieur a de la répartie à ce que je vois...

-Tu ne te débrouilles pas trop mal non plus.

Elle tendit soudain la main :

-Yoon Sooyoung.

-Min Yoongi.

Ses doigts étaient fins, aussi maigres que son corps paraissait l'être. Elle paraissait se noyer sous cette doudoune de poches abominable et je me méfiais de ses bottines noires à plateformes qui la rendaient plus grande que ce qu'elle ne devait être.

-Et toi, qu'est-ce que tu fais à part donner ton temps et ton énergie à cette société et son monde de carton ?

Je n'eus pas le temps de répondre que quelqu'un arriva. L'appelant rudement, sèchement comme agacé par un élément que j'ignorais. Atteignant notre poste, une très grande jeune femme au visage anguleux, aux cheveux longs, sans aucun artifice que ce soit dans la tenue comme dans les bijoux et le maquillage, se stoppa rapidement, les poings serrés. Elle me parut grande, certainement plus que moi, élancée, les pommettes hautes et le regard vif. Elle me parut belle mais froide et intimidante.

-Qu'est-ce que tu fais là ? Je t'attends sur le tapis de l'allée B7 depuis plusieurs minutes !

-Désolée, le chef m'a dit de rester là en l'attendant, il est parti gérer un problème téléphonique. Tu sais, cette femme qui appelle tous les jours pour un colis qu'on n'a jamais vu...

Sooyoung se tourna vers moi :

-Yoongi, voici Sun, elle bosse avec moi depuis quelques mois. On est en général partenaires de section et de galère.

-Sun, m'étonnai-je, c'est un surnom ?

-Bah non, tu vois pas que je suis une grosse boule de feu à des milliards d'années lumières de là ?

Le ton était clairement sarcastique et en voyant ma confusion, elle reprit, sèchement :

-C'est un surnom abruti. Je me fais appeler comme je veux. Ça te pose un problème ?

Pas fine celle-ci, décidément.

Sooyoung ne sembla pas avoir l'air de s'en étonner et je haussai les épaules en décidant de continuer à faire ce que j'étais en train de faire.

Au final je sortis cinq heures plus tard de l'entrepôt, avec une douleur aux talons et un regard noir de la part de Sun mais le numéro en poche de la jeune femme aux piercings à la lèvre. Certes, ça venait contredire tout ce que j'avais tâché de me rappeler le matin même, mais elle me l'avait proposé. Je n'avais pas pu refuser.

En entrant à l'appartement, Kim Taehyung n'avait pas bougé d'un iota. Il ne s'était pas changé non plus et encore moins coiffé. En l'absence de chevalet, il avait posé la toile au sol et semblait n'avoir fait que ça depuis mon départ. S'il n'avait pas déjeuné avec moi avant que je le laisse, se serait-il nourri ? J'en doute. Il entendit à peine mon arrivée.

Ce ne fut qu'une heure plus tard qu'il déboula dans ma chambre, de la peinture plein les mains, tenant un de ses pinceaux, le visage bloqué dans une expression de surprise :

-Pourquoi tu n'as pas dit que tu étais là ?

-Je te l'ai dit mais tu ne m'as pas entendu... Tu n'es pas sorti faire le trajet, finalement ?

-Ne commence pas, me menaça-t-il soudain avec son pinceau.

-Ne commence pas quoi ?

-À prendre ce ton moralisateur à la noix.

-C'était une simple question, me défendis-je. Fais gaffe à ta peinture, ça va tacher le sol.

-Je suivrai le GPS demain, et c'est tout.

Il repartit dans la pièce principale comme il était venu, le pas lourd comme si son corps était inconfortable. Après un soupir je le suivis, fronçant le nez sous l'odeur de peinture qui avait envahi les lieux.

Consultant l'heure, je finis par lancer :

-J'ai acheté quelques trucs pour manger sur le chemin du retour. Tu veux quoi comme ramyeon ?

-M'en fiche...

Mais alors qu'il tirait le tiroir pour les baguettes, je l'arrêtai in extrémis :

-Tes mains. Tu vas tout tacher.

Il soupira lourdement mais s'y employa alors que mes yeux se tournèrent soudain vers le sol, là où il avait laissé sa toile.

-Le sol est taché.

-Le sol est pourri de tout façon.

-Kim, pense à notre caution ! m'exclamai-je, agacé par son ton désintéressé.

-J'ai pas fait exprès... Ça va partir.

-Je m'en fous que tu n'aies pas fait exprès, si tu peins par terre, mets du papier journal, quelque chose pour empêcher de tacher le sol !

-Tu recommences, grogna-t-il en secouant ses mains au-dessus de l'évier avant d'aviser un torchon.

-Je recommence quoi ? soufflai-je lourdement.

-À râler, radoter sur les prix, à te comporter comme un ad...

-Kim, ce n'est pas être un adulte que de râler à propos de l'entretien des locaux et du logement, c'est du bon sens.

-Tu fais chier, scanda-t-il, les poings soudain fermés.

-C'est toi qui fais chier.

-Si c'est comme ça, je ne mange pas.

-Bah ne mange pas, répliquai-je.

Nous étions des gamins.

Dès que j'étais avec lui, je redevenais un gamin, me disputant pour rien, me vexant pour pas grand-chose, et c'était insupportable. Je ne savais pas ce que cette colocation allait donner à l'avenir mais pour l'instant, elle n'était pas au beau fixe.

Peut-être que je craignais, dans le fond, qu'elle ne le soit jamais.

*******

Je ne devais pas me réjouir.

Je ne devais pas tirer des bénéfices de tout cela.

Alors pourquoi je n'y arrivais pas ?

Je me répétais inlassablement ces phrases-là depuis quelques semaines maintenant et pourtant, je ne parvenais pas à les appliquer. J'avais si longuement lutté pendant plus d'une année et demie contre moi-même, contre le temps, la peur, l'angoisse de mort qu'à présent j'étais comme récompensé.

Et c'était difficile de se soustraire à cette reconnaissance.

Tandis que je quittais l'université, prenant le métro, traversant les rues hivernales tout en observant le ciel, profitant du simple fait de pouvoir marcher, rentrer chez moi sans m'inquiéter pour l'argent, j'eus à nouveau cette impression de ravissement.

Ce n'était pas non plus le bonheur avec un grand b, mais c'était nouveau, agréable, jubilatoire presque. J'avais la vie d'étudiant que je rêvais d'avoir, que j'avais toujours rêvé, envié et jalouser aux autres. Je me sentais libérer du poids de mes parents, des responsabilités qui n'étaient pas les miennes, d'un rôle que je n'avais jamais souhaité.

J'étais libre.

Libéré d'une autre vie presque en totalité, car je gardais encore quelques griefs contre mon géniteur qui ne disparaîtraient jamais vraiment. Je me sentais au paradis, après avoir douté si longtemps être en enfer. Je marchais dans les rues de Seoul comme une âme légère, peu atteint par la froideur de l'hiver, réchauffé par une perspective plus grande que celle que je n'avais jamais vu : J'avais un avenir.

À l'exception près, peut-être du bâton de nicotine coincé entre mon majeur et mon index, répandant sa fumée âcre et entêtante.

Mon téléphone sonna et je consultai rapidement la notification tout en tournant au coin d'une rue et y repérant notre immeuble. Coinçant la cigarette entre mes dents, je répondis rapidement à Sooyoung qui me demandait quand est-ce qu'étaient mes prochains horaires de boulot.

Voilà dix jours que cette vie avait commencé.

Dix jours fatigants, d'une concentration et d'une organisation nouvelle. Une semaine et demie où j'avais l'impression de vivre un rêve.

Puis, en ouvrant la porte de l'appartement quelques minutes plus tard, mes yeux tombèrent directement sur Kim Taehyung qui m'envoya un regard noir depuis la pièce principale avant de détourner son attention de ma personne et de continuer à peindre.

Une nouvelle toile, encore une.

Il avait fait une crise mais son lycée avait donné une liste de fournitures et de matériels à posséder, je n'avais pas eu d'autre choix que de les lui payer.

Pourquoi paraissait-il toujours aussi malheureux ?

Sa simple vue me fit immédiatement culpabiliser de tirer autant de bénéfice de la situation. Il voyait que je me plaisais dans cette vie et ça ne le rendait que plus sombre et plus déprimé qu'avant.

-Ça a été au lycée ? m'enquis-je en déposant les sacs du combini au sol à défaut d'avoir une table.

-Hum.

Puis il fronça le nez :

-Tu as fumé.

-Une seule, en rentrant.

-Je te demandais pas de te justifier.

Je lâchai un soupir lourd en retirant mon manteau :

-Ta manière de me le dire me fait penser à l'inverse.

-J'ai pas de problème avec ça, maugréa-t-il, ce qui me dérange, c'est l'alcool, c'est tout.

-Je sais...

Parfois, malgré nos discussions étriquées, sèches, il arrivait qu'entre deux bouchées de ramens ou de plat préparé au riz et au kimchi on se mette d'accord sur quelques règles au sein de la colocation. Pas de soirées, pas de fêtes, pas d'invités surprise sans avoir prévenu l'autre. On ne touchait pas aux affaires de l'autre et surtout, on achetait et on ne consommait pas d'alcool.

Kim ne m'empêchait pas de boire à l'extérieur mais refusait de me voir alcoolisé ou même buvant dans l'appartement. Il ne l'avait pas dit, mais j'avais su, que c'était très certainement pour éviter de revivre les mêmes situations qu'avec son père.

-Tu sais, certains de mes camarades, Mujin notamment, ont plein de plans pour récupérer des meubles pas cher dans les sorties d'usine notamment. Tu crois que la priorité serait quoi, une table ou un canapé ?

-Canapé.

-Je me dis que le mois prochain on devrait investir dans un petit cuiseur à riz, ça nous ferait des économies sur les repas, poursuivis-je.

-Si tu le dis.

Je m'interrompis dans le déballage des courses, quelques repas préparés tout au plus, du gel douche, du café, des yaourts et des canettes de soda.

-Taehyung, tu es sûr que tout va bien ?

Il releva la tête avec fatigue :

-Personne ne me harcèle, si c'est ce que tu veux savoir.

- Je veux le savoir mais est-ce que tu as réussi à parler à tes camarades ? Tu sais, tenter de créer du lien...

- Non. Je ne le veux pas.

Sur ce sujet, aucune discussion n'était possible.

-Tu sais, peut-être que tu devrais...

-Je ne veux pas parler du lycée, c'est tout, ce n'est pas intéressant.

-Ok.

L'un en face de l'autre, assis en tailleur à même le sol de notre appartement, la toile inachevée – noire pour changer – entre nous, j'eus envie de lui demander s'il m'en voulait pour quelque chose. Pourquoi notre colocation ne semblait pas s'arranger ? Pourquoi est-ce que, plus le temps passait, plus l'écart se creusait, me rendant trop heureux et lui trop morose ?

-T'as rien écrit.

Je relevai la tête tandis qu'il était debout, après avoir jeté l'emballage dans la poubelle et il désigna rageusement la porte du frigo où figurait une liste de compte.

-Je le ferai plus tard.

-Tu le fais maintenant, asséna-t-il. Je te rembourserai ce que je te dois au centime près.

-Taehyung l'avertis-je.

-Yoongi, répliqua-t-il sur le même ton.

Je n'appréciais pas qu'il utilise mon prénom, j'ignorais pourquoi ça m'agaçait. Probablement le son que ça faisait dans sa bouche, la manière traînarde qu'il avait de prononcer le « i » et son utilisation répétée aux moments de nos disputes.

Ça puait l'embrouille à plein nez.

-Il y a un crayon dans le tiroir à baguette, note-le toi-même, le ticket de caisse est encore dans le sac.

Il s'y employa rapidement et je fixai cette pauvre feuille blanche barbouillée de chiffres, me demandant combien de temps il allait rester si têtu. Ce qui paraissait naturel et normal pour moi était visiblement insupportable pour lui. Et inversement.

-Taehyung.

Il se tourna dans ma direction après avoir rempli sa tâche, très certainement pour ranger ses pinceaux. C'était l'une des rares choses qu'il faisait consciencieusement.

Il resta un silence tandis que je laissais mes baguettes trainer dans le bol en plastique des nouilles instantanées.

-Tu m'en veux ?

-Pas vraiment.

Contrairement à l'instant d'avant, le ton ne me parut pas si sec et implacable.

-Tu es malheureux depuis qu'on est là...

-Je serai toujours malheureux, lâcha-t-il avec nonchalance en récupérant son matériel et en revenant vers l'évier.

Ça me faisait du tort d'entendre ça mais ce qui m'importait n'était pas réellement cette question-là.

-Est-ce que tu as envie de mourir en ce moment ?

Il se figea, ses épaules me parurent se crisper et l'eau coulait toujours dans le petit évier en inox ; puis sans éteindre le flot, lavant ses pinceaux dans des gestes vifs, presque nerveux, il répondit :

-Oui.

Pui il reprit, d'une voix si basse que je l'entendis à peine :

-Tous les jours.

Je me levai alors, m'approchant de lui :

-Qu'est-ce que je peux faire ? demandai-je en tenant de pas laisser le désespoir percer dans ma voix.

Il arrêta le robinet, déposa ses pinceaux lavés sur le rebord, l'eau noir glissa de manière presque effrayante jusqu'à la bonde. Malgré le lavage des ustensiles, ses poignets étaient encore tachés mais il ne s'en préoccupait guère. D'un ton qui me parut soudain mélancolique mais sans méchanceté aucune, il marmonna :

-C'est bien là le problème, tu ne peux plus rien y faire.




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Chapitre corrigé par automnalh

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