13.
-Mec, tu as vraiment une sale tête.
Tout en refermant la porte d'entrée de la demeure parentale, je jetai un regard noir à Jaehyo qui m'attendait comme à son habitude tous les matins, les mains dans ses poches de son pantalon d'uniforme. Il leva les sourcils avec surprise avant de tenter un petit sourire taquin :
-J'aurais jamais dû te filer le dvd porno que Minho a piqué à son frère, hein ?
Je soupirai bruyamment.
Comme si ce genre de chose m'intéressait.
Face à mon manque de réaction, mon voisin de quartier s'inquiéta tandis que nous quittions les ruelles des résidences pour rejoindre la route principale :
-Tu es sûr que ça va ? Tu n'es pas malade ?
-Je suis malade de l'existence.
Il papillonna des yeux, peu sûr de comprendre et de savoir quoi répondre face à ma réplique. Il admit cependant, de manière décontenancée :
-Si tu le dis.
J'étais bien trop fatigué pour m'expliquer. J'avais affreusement mal dormi, mes cauchemars s'étaient faits nombreux sous mes paupières closes. J'y revivais ma mort et celle de l'autre, du gamin qui voulait sauter. Ne me restaient que des interrogations et une forte impression d'être démuni. Que devais-je faire maintenant ?
Attendre le jugement ultime ?
Attendre qu'on me rebascule dans mon bon espace-temps ? M'inquiéter, anticiper, prévoir la suite ? Allais-je rebasculer durant la nuit, me réveiller à l'hôpital avec de nouveau trente ans de plus ? Ou allais-je tout simplement disparaître pour avoir accompli la mission qui m'était incombée ?
Jaehyo me reconnecta à la réalité tandis qu'une quinzaine de minutes plus tard, je restais figé devant mon casier à chaussures.
-Franchement tu me fais un peu peur. Tu ne veux pas aller à l'infirmerie ? On dirait que tu vas gerber...
-Non, répondis-je d'une voix brutale que je peinais à adoucir, c'est la dernière ligne droite avant la fin d'année...
Je devais me raccrocher à quelque chose, croire en quelque chose.
Il n'ajouta rien mais son visage me renvoyait tout son désarroi, que je faisais mine de ne pas apercevoir. On fila vers notre salle de classe mais mes yeux ne faisaient que parcourir les visages des élèves rassemblés là. Même si je savais parfaitement que Kim Taehyung ne pouvait pas se trouver à mon étage, je continuais malgré tout de le chercher.
Comme si j'avais besoin de me rassurer, qu'il était toujours là et qu'il n'avait pas sauté.
Qu'il n'était pas mort et que tout ça n'avait pas été vain.
-Je reviens, j'en ai pour cinq minutes, lançai-je à mes camarades alors que Minho et Wooji n'avait pas encore eu le temps de me saluer.
Sans prendre le temps de réfléchir davantage, je filai rapidement vers l'étage inférieur et me faufilai à travers les élèves de première année qui semblaient surpris de me voir là. Ce n'était pas comme si nous nous mélangions facilement entre personnes de différents âges, notre pays aimait trop l'ordre et les cases pour qu'on se permette ce genre de choses.
Il n'y avait pas de trace de Kim Taehyung en salle de classe alors je filai plus rapidement encore vers la salle d'art au dernier étage.
Ma poitrine me faisait mal et je m'essoufflai davantage d'angoisse que d'efforts physiques mais heureusement le soulagement me prit en le voyant de dos, face à son tableau, dans la pénombre de la pièce.
Il m'entendit arriver et dans un sursaut il se retourna, quasiment sur la défensive. Ce fut presque comme si tout son corps semblait vouloir me rejeter.
-Kim, commençai-je sans vraiment savoir ce que je devais dire.
Mais il me fila entre les doigts et il prit la direction de la seconde porte coulissante. Surpris et un poil agacé, je lui barrai la route.
-Laisse-moi tranquille ! siffla-t-il en resserrant sa prise sur les lanières de son sac.
-Je dois te parler.
- Fous-moi la paix !
La sonnerie retentit brusquement et il déguerpit bien plus vite que ce que j'avais anticipé, dévalant les escaliers à toute allure presque jusqu'à s'en briser le cou.
J'eus beau l'interpeller, il ne se retourna pas.
Putain de sale gosse de merde.
Désabusé et frustré, je finis par prendre sur moi pour abandonner, du moins pour la matinée, et me diriger vers ma propre classe. Mon cerveau demeurait embrouillé et confus.
C'était comme si j'allais devenir fou.
-Mr Min, vous êtes en retard, m'accueillit notre professeur principal.
Je l'ignorai superbement avant de prendre ma place. La fatigue pouvait me rendre bien plus agressif qu'habituellement. Je devais me détendre mais j'avais du mal à gérer mes émotions.
Voyant que je ne l'écoutais pas, le professeur claqua son livre sur le coin de son bureau ce qui me fit relever la tête :
-Vous avez entendu Min ? À la pause déjeunée, le proviseur adjoint veut vous voir.
J'acquiesçai sans un mot et mon attitude docile mais clairement désintéressée sembla malgré tout le satisfaire car il n'utilisa pas ses dix longues minutes habituelles avant le début des cours pour nous servir sa morale et son sermon sur le respect des règles de l'école.
Les cours commencèrent ensuite sans difficulté, sans accroche, dans l'ennui habituel qui les caractérisait tant, mais j'avais beaucoup de difficultés à me concentrer. Mon cerveau ne cessait de tourner, calculer, anticiper et d'être envahi par des pensées parasites que je ne savais pas contrôler.
Rien ne me garantissait que Kim Taehyung ne recommencerait pas.
Rien ne garantissait rien.
Tout ce que j'avais réussi à faire avait été de déplacer le problème à une date ultérieure.
Allais-je disparaitre ? Rester ? Être soulagé ? Condamné ?
La pause déjeuner arriva plus rapidement que prévu mais au moment où j'allais me diriger vers mes camarades, Wooji me rappela que j'étais demandé en salle des professeurs.
Je fis coulisser, quelques minutes plus tard, la porte coulissante de la salle professorale avant de m'incliner nonchalamment, en les informant de ma présence, puis de rentrer. D'un pas peu déterminé, je m'avançai vers le bureau au fond de ce grand open-space.
Pas de trace de Kim Namjoon.
Mes pensées désorganisées et au bord de la folie qui se noyaient sous mon crâne se figèrent quand j'aperçus Kim Taehyung, fraîchement arrivé, déjà debout devant le bureau du proviseur adjoint. Comme toujours son corps était légèrement incliné, sa maigreur ressurgissait même derrière nos uniformes scolaires, ses cheveux étaient sales et trop longs. Je ne pouvais avoir une vision globale de son expression de visage mais je voyais ses lèvres gercées être crispées d'angoisse et d'anxiété.
L'homme d'une cinquantaine d'années, dans un costume qui ne le sciait pas vraiment, parla d'un ton de voix posé mais sévère, les mains jointes sur le dessus de son bureau.
Personne ne prononça un mot, nous demeurions stoïques face à cette soi-disant autorité d'établissement qui nous faisait un discours plein de remontrances pour avoir accédé au toit sans autorisation et manqué une activité sportive importante pour la représentation de notre lycée.
Je m'en foutais comme de l'an quarante de leurs conneries.
Je n'étais même plus en colère, même plus en rage face à ce genre de choses, ne demeurait que l'idée obsédante et peu rassurante que Kim Taehyung était toujours là et que je comptais bien m'assurer, peu m'importe les moyens, de faire en sorte que son passage à l'acte ne se reproduise pas à nouveau.
Dix minutes plus tard, alors que ça n'en finissait pas et qu'avait déjà pesé sur nos têtes la menace d'une exclusion temporaire, la sentence tomba : Nettoyage de réserves inutilisées pendant notre seul jour de week-end sous la surveillance d'un des professeurs.
En sortant, il ne restait que cinq minutes de la pause déjeuner avant la reprise des cours et mon ventre criait famine, mais mon esprit était bien trop emmêlé pour être réceptif à ce genre de détails. Le gamin, lui, avait déjà prévu de me fuir et j'eus à peine le temps de refermer la porte coulissante de la salle des professeurs qu'il avait commencé à courir pour s'éloigner.
Mais parce que je l'avais anticipé, le retenir ne fut pas difficile. Me contrôler, par contre, demanda plus d'efforts.
-Écoute Kim, grognai-je, j'ai besoin qu'on cause un peu d'hier.
Il se libéra dans un mouvement sec et me toisa, le corps crispé dans une attitude défensive, virulente :
-Laisse-moi tranquille !
-Non. Pas question. Je ne te laisserai pas réessayer !
-Ce n'est pas tes affaires ! Qu'est-ce que ça peut te faire ?
-Tu as écouté ce que j'ai dit hier ? sifflai-je en parvenant à le retenir une nouvelle fois. Ce sont mes affaires et ça me concerne !
Il ricana :
-Comme si j'allais croire à ton délire...
J'inspirai lourdement pour ne pas avoir à avoir à sortir de mes gonds.
-Écoute-moi bien, gamin, je ne laisserai pas ça se reproduire alors s'il faut que je te colle, que je te suive ou que je reste avec toi pour m'en assurer, je le ferai.
-T'es complètement cinglé ! s'écria-t-il. C'est du harcèlement !
-C'est de la sécurité ! Le harcèlement est un acte malveillant alors que là j'essaye de te sauver la vie ! Qu'est-ce que tu ne piges pas au juste ? Je n'ai aucune certitude que tu ne recommenceras pas. Tout ce que j'ai fait pour t'en empêcher une fois, tout ce pourquoi je suis là sera foutu !
Il me fixa de manière venimeuse, j'entraperçus un œil derrière quelques mèches espacées.
-En gros tu fais tout ça pour toi et uniquement toi mais tu n'en as rien à foutre de moi !
Je roulai des yeux et lâchai sarcastiquement :
-Bienvenue dans la vraie vie.
Il s'éloigna brutalement, une grimace déforma son visage et je me repris en soupirant bruyamment. Je n'étais pas doué pour la communication et là, toutes mes tares et mes faiblesses me ressurgissaient à la gueule pour mieux m'enfoncer.
-Je ne vais pas te raconter de conneries mielleuses, admis-je. Je ne te connais pas, tu ne me connais pas. On n'a rien en commun. Y a des choses que je fais pour moi comme tout individu sur cette planète mais ça ne veut pas dire que je suis dénué d'empathie.
Il se figea, son expression sembla se glacer et j'insistai, tentant d'expirer pour relâcher une pression intérieure :
-Ce que j'essaye de te dire, c'est ce que ta vie a de l'importance.
Il ne me croyait pas, ça se voyait sur lui et ce, même sans voir complètement son visage.
-Je sais que tu recommenceras.
Il eut un imperceptible mouvement et je poursuivis d'une voix que j'essayai ne pas être trop dur ou sévère mais que j'arrivai difficilement à adoucir :
-Et je serai là, à chaque fois, pour t'en empêcher.
-T'es complètement cinglé...
Il avait l'air désabusé mais je ne flanchai pas :
-File-moi ton numéro et...
Ce fut à cet instant-là, comme dans un réflexe, qu'il se barra. Il se mit à courir à toute vitesse et je le suivis en jurant. La sonnerie se mit à retentir alors qu'il gravissait les escaliers bien plus rapidement :
-Reviens là ! Kim Taehyung !
Il me sema au premier étage et dans un geste rageur je manquai d'enfoncer mon poing dans le mur. L'angoisse revint rapidement et je me mis à calculer, à m'obséder pour des détails que je ne contrôlais pas. Je pouvais m'assurer de toujours le trouver ici mais une fois sorti, une fois chez lui, je resterais démuni.
La frustration n'allait pas tarder à me rendre fou.
J'allais devenir fou à l'idée de ne rien pouvoir contrôler, ni sa vie et encore la mienne, à devoir attendre, à être toujours en vigilance concernant les événements, les surprises, les imprévus...
À vivre, tout simplement.
J'étais malade, fou d'exister.
*******
J'avais tenu deux jours.
Mais j'étais au bord de l'implosion.
Mon état d'épuisement était visible et, même si mon esprit paralysé par l'angoisse ignorait par habitude les sensations de mon corps, cette fois il m'envoyait des signes d'alertes.
Je ne pouvais pas dormir, chaque seconde, chaque minute m'effrayaient à l'idée que ce gamin pouvait mourir à tout instant. J'étais terrorisé par les conséquences de cet acte. Pour lui, certes, mais aussi pour moi.
Hier, la nouvelle était tombée dans le lycée : le professeur Kim Namjoon était rentré en Australie pour une « urgence », il ne reviendrait pas dans notre établissement.
C'était très certainement une connerie mais c'était surtout une catastrophe.
Cet inhumain professeur d'anglais m'effrayait bien plus que la mort elle-même. C'était mon garde-fou, celui qui me ramenait à la réalité, la preuve tangible dans mon existence, que tout ce que j'avais vécu était vrai. Il semblait avoir été le gardien au bon déroulement des choses, notamment pour que je sois là au bon moment, au bon endroit.
Et maintenant rien ?
Il se foutait de ma gueule.
Il disparaissait en me laissant ainsi ? Comme ça ? Condamné ?
J'ignorais si j'avais mis un pied dans la folie et que rien de tout ça, n'était vrai, si j'avais rempli ma mission et qu'à présent la vie du gamin ne me regardait plus ou au contraire que j'étais devenu le gardien de ce type, voué à le poursuivre tout le reste de mon existence pour l'empêcher de mourir.
Je n'avais plus de carte, plus de règles du jeu. J'étais piégé. Piégé dans cette vie, avec ce destin.
Le gosse, lui, tentait de nouvelles techniques pour me fuir.
Chaque matin je devais m'assurer qu'il était venu, qu'il était là, qu'il n'était pas décédé. Cette omniprésence de contrôle m'épuisait et me rendait de plus en plus fou. Je m'insupportais moi-même mais j'ignorais comment faire autrement.
Ce jour, nous étions dimanche, fameux jour où nous avions notre retenue. J'en étais presque soulagé, tenir une journée de week-end sans m'assurer qu'il allait bien m'aurait paru trop difficile. Mais l'état dans lequel j'étais physiquement et psychologiquement en quittant la maison familiale me fit peur.
Je devais trouver un moyen de sortir de cet enfer, d'une manière ou d'une autre, ou j'allais y laisser ma peau.
Le lycée était vide en ce jour froid et gris, mes mains étaient gelées dans mes gants. Ce fut Mr Baek qui nous attendait, le professeur de sport, avec tout le matériel de ménage. Armé de son sifflet, qui ne semblait jamais le quitter et qu'il utilisait à outrance pour nos pauvres oreilles, il me salua avec froideur.
Kim Taehyung était déjà là en uniforme alors que j'avais revêtu une tenue plus confortable. Nous n'étions pas un jour de semaine, nous n'avions donc pas obligation de le porter.
-Dépoussiérez et nettoyez toutes les réserves de ce bâtiment et des salles de sport, je repasserai dans trois heures pour vérifier.
Sur ce il nous planta et je soupirai lourdement. Tout mon corps était faible et courbaturé par le manque de sommeil. Au moment où j'allais ouvrir la bouche le gamin attrapa bruyamment le matériel :
-Je m'occupe des salles de sport et toi de ce bâtiment.
Le ton était clairement fuyant, soufflé avec un mélange de maladresse et de supplication. Je le vis disparaître rapidement.
Je me sentais tellement fatigué.
La punition fut loin d'être une partie de plaisir et même si cela restait physiquement peu épuisant, ça ne m'aidait pas. Ça ne faisait qu'empirer mon problème.
Empirer mes pensées et mes obsessions.
Et s'il en profitait pour retourner sur le toit, cette fois aussi ?
N'y pouvant plus, j'abandonnai la serpillère que je tenais et quittai rapidement mon bâtiment. La détresse augmenta au fur et à mesure que je le cherchais dans les différentes salles de sport.
Il n'était nulle part et pourtant il prenait toute la place dans ma tête.
J'ouvris à la volée une dernière porte, le faisant sursauter alors qu'il terminait de balayer la minuscule réserve qu'utilisaient les clubs de volley et de basket.
On se toisa et j'arguai, férocement :
-Ça ne peut pas durer plus longtemps !
-Je ne veux pas te parler, rétorqua-t-il en reculant brusquement.
-Eh bien moi si ! arguai-je en m'avançant. Je vais finir cinglé avec tes conneries !
Je devais avoir une tête à faire peur vu comment il s'éloignait.
-Pourquoi veux-tu mourir ? Pourquoi tu veux faire une chose pareille ?
-Ça ne te regarde pas, tu ne peux pas comprendre !
-Bien sûr que je peux comprendre !
-Tu es comme eux, comme les adultes, comme les profs de cette école, tu n'en as rien à faire ! répliqua-t-il durement.
Il ne semblait pas habituer à crier autant parce qu'il paraissait essoufflé simplement en haussant le ton.
-Écoute gamin, je ne dors pas la nuit, je m'inquiète à chaque putain de secondes de savoir si tu vas passer à l'acte ou non...
-Mais qu'est-ce que ça peut te faire ! s'époumona-t-il à nouveau.
-Tu crois vraiment que j'ai remonté le temps pour ta petite personne pour rien ? Il y a une raison à ce qu'on t'empêche de mourir mais je ne la connais pas ! Mais si on veut autant t'éloigner de la mort c'est qu'il y a quelque chose que tu dois surement réaliser dans ta vie ! Tu comprends ce que je te dis ?
Il secoua la tête :
-Tu répètes encore des choses complètement cinglées...
-Mais je suis cinglé !
Il sursauta si violemment que ça me calma instantanément et je repris à m'en arracher les cheveux :
-Cette situation me rend fou... Qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour que tu arrêtes de vouloir mourir, hein ?
Il ne répondit pas, pas tout de suite en tout cas, sa bouche se referma avant qu'il ne murmure :
-Tu ne peux rien faire pour ça.
-Je veux faire quelque chose !
-Ça ne changera rien...
-Bien sûr que si !
Sa tristesse parvint à se faufiler à travers les affres colériques que mon esprit voulait à tout prix relâcher. J'avais tellement de rancœur en moi, tellement de choses à évacuer mais malgré la fatigue et mon évidente entrée dans la folie je parvins à me ressaisir et relâcher mes épaules.
-Tu n'as pas peur de regretter ? prononçai-je plus calmement.
Il releva un peu la tête, je ne le voyais pas froncer les sourcils mais je le supposais.
-Tu imagines tout ce qui risque d'arriver, tout ce que tu vas louper...
-Je m'en fous, ça n'en vaut pas la peine !
-C'est aussi ce que j'ai cru, lui répondis-je, mais la vie, c'est une surprise. C'est une putain de salope mais elle a aussi ses bons côtés.
Il ne voulait pas entendre ça, je m'en doutais, moi non plus je n'aurais pas voulu entendre ça à son âge mais c'était la vérité.
-Tu n'as que seize ans, tu n'es qu'au début de l'existence, tu ignores encore ce qu'elle te réserve...
-Je m'en fous de ce qu'elle me réserve ! Je veux juste être soulagé maintenant ! Pas plus tard, pas dans dix ans ! Tu ne comprends rien ! s'écria-t-il.
-Tu veux une solution à ton mal-être actuel mais la mort c'est pas une solution, c'est une fin définitive.
Je m'approchai de quelques pas de lui.
-J'ai pas les bons mots de toute façon pour te soulager de tout ça, je ne suis personne et encore moins la meilleure personne pour le faire. À mes yeux, la vie a toujours été une salope jusqu'à maintenant, jusqu'à récemment. Aujourd'hui je suis mitigé mais je ne veux pas me laisser abattre. Tout ce que je sais, c'est que tu es important.
Sa bouche se referma à nouveau avant de se tordre douloureusement.
-Tu dois vivre, assurai-je d'une voix plus sûre, et si je dois devenir ton gardien, je le ferai. Si c'est la tâche qui m'incombe le reste de ma fichue existence, je l'accepte.
-Je ne vois pas pourquoi tu ferais ça...
-Parce que je t'ai rencontré, admis-je. Nos chemins se sont croisés et je ne peux pas l'ignorer. Je peux vivre avec l'idée d'être un garant mais pas avec l'idée de ne rien avoir pu faire.
Il recula, et cracha dédaigneusement :
-Mais on ne se connaît pas, tu l'as dis-toi même ! Toi et moi, on n'a rien en commun !
-Et alors ? Ça nous empêche pas de nous causer, là.
-Tu me stalkes, c'est pas pareil !
-Je suis censé faire quoi d'autre ? répliquai-je, tu me fuis !
-Je le fais parce que tu es cinglé !
-Je suis cinglé mais toi, tu es un lâche.
Il recula encore comme si je venais de le blesser.
-Tu veux quoi ? Dis-moi la vérité, je suis prêt à faire ce que tu voudras pour te retirer ce mal-être qui te pousse à vouloir te faire du mal.
Il s'apprêtait à répondre mais je le repris brutalement :
-Je ne te foutrai pas la paix ! le meilleur moyen de se débarrasser de moi c'est de m'assurer que tu ne recommenceras pas !
Le silence demeura alors, il flotta entre nous, entre mon corps décharné et le sien.
-Si tu n'es pas capable de me l'assurer, alors je resterai là.
-Bien, je l'admets, je n'en ai plus envie, lâcha-t-il soudainement.
Mes yeux se plissèrent.
-Tu me prends vraiment pour un con, tu crois que je vais te croire ?
Il bougea enfin, secouant la tête. Il ressembla vraiment à un gosse paumé, dont les épaules semblaient porter tout le poids du monde.
-Laisse-moi t'aider, soufflai-je une nouvelle fois.
Il releva la tête violemment :
-Comment ? En devenant mon « ami » ? c'est ça ta brillante idée ?
-Pourquoi pas, affirmai-je en haussant les épaules. Je peux juste être un hyung aussi.
-Tu ne comprends rien...
-Si tu ne m'expliques pas je ne comprendrai pas grand-chose.
Il eut un ricanement :
-T'expliquer, parler, parler, vous n'avez que ces mots-là à la bouche !
Cette fois, il commençait à me courir sur le haricot méchamment, je n'avais finalement pas tenu longtemps. Mon agacement revint, faisant vibrer ma voix de mécontentement et d'irritation.
-Personne n'a la science infuse, personne ! Ça ne veut pas dire qu'on ne s'intéresse pas aux gens, ou qu'on est égoïstes ! On n'est juste pas tout puissant, on n'est pas parfaits. Il y a des choses qu'on ne sait pas, qu'on ne peut pas savoir si on nous en parle pas. Nous sommes des foutues créatures faillibles. Tu ne peux pas attendre des autres qu'ils devinent qui tu es, ce que tu es et ce que tu penses simplement en te regardant.
Mais avant qu'il ne réussisse à s'enfuir à nouveau, car je pressentais qu'il ne supportait pas ce sujet, je réussis à lui barrer la route :
-Les humains sont cons, Kim, cons pour communiquer et pour pleins d'autres trucs. Mais ils peuvent aussi faire de bonnes choses, des choses vraiment incroyables. Le meilleur moyen de réussir à se comprendre, c'est de se parler. Parfois on doit dire aux autres ce qu'on pense qu'ils devraient savoir ou ce qu'on aimerait qu'ils sachent. Parfois, dire les choses à voix haute fait qu'on a aussi des choses à dire à soi-même.
-Comme si ce qu'on avait à dire pouvait être entendu...
-Ça, c'est encore autre chose, reconnus-je. Certains n'ont pas envie d'entendre parce qu'ils sont en prises avec leurs propres problèmes. Je n'excuserai pas ces gens-là, ce n'est qu'un constat.
Je m'avançai encore un peu :
-Moi, je suis prêt à t'entendre et t'écouter pour pouvoir faire quelque chose pour toi.
-Pour toi-même, tu veux dire, riposta-t-il d'une voix sifflante.
-Et pour moi-même, ajoutai-je avec honnêteté, mais c'est donnant-donnant Kim, tu sais. Tu le fais pour toi, tu le fais pour moi, je le fais pour toi, je le fais pour moi, c'est ainsi que fonctionnent les choses.
-Fonctionnement de merde...
Il avait susurré ces deniers mots et j'avais dû tendre l'oreille pour les entendre. Son corps semblait encore une fois se rabougrir sur lui-même et il me parut presque aussi fatigué que je ne l'étais.
Plus faible, plus fragile encore.
Il me lança un dernier regard, j'aperçus un œil brun derrière ses cheveux qui lui obscurcissaient le visage. Je ne réussis par à interpréter ce qui s'y noyait à l'intérieur de ses pupilles. D'une voix aussi inaudible, il marmonna, avant de quitter la réserve pour de bon et de s'éloigner littéralement :
-C'est ainsi, c'est tout ce que j'ai et tu ne pourras rien y faire.
*******
Hoseok me toisait, les sourcils froncés, la mine pincée tandis que j'essayais de l'esquiver.
Une nouvelle semaine avait commencé, un nouveau jour puis encore un autre. J'étais comme pris dans une boucle sans fin. En ce mercredi de fin janvier, j'avais attendu en me rongeant les ongles la pause déjeuner pour retourner à la recherche de Kim Taehyung.
Qui lui, trouvait de bien meilleures cachettes pour me fuir.
Si hier Jaehyo, Wooji et Minho avaient essayé de m'attraper avant que je ne commence à tourner dans tout le lycée, ce jour ce fut le tour d'Hoseok. Et il était plus rusé.
-Je n'ai pas le temps... grimaçai-je.
-Hyung, qu'est-ce que tu as ? Qu'est ce qui se passe ?
-Rien...
J'essayai de me décaler, en vain, il me barrait le passage au beau milieu du couloir. Son expression ne me disait rien qui vaille. Essoufflé, et toujours aussi fatigué, je finis par soupirer bruyamment.
-Ton attitude me laisse perplexe, avoua-t-il en défaisant ses bras croisés sur sa poitrine, qu'est-ce qui ne va pas ?
-C'est compliqué... je n'ai pas beaucoup de temps durant le déjeuner, laisse-moi passer et je t'expliquerai plus tard.
Mais il posa sa main sur mon avant-bras et mes épaules retombèrent.
Je reconnaissais cette bouille entre mille.
-Faire tes yeux de chiens battus ne marchera pas...
Il empira davantage sa petite moue et ses yeux humides et je détournai le regard.
-Hoseok, dégage de ...
Ma voix avait vacillé et je fermai les yeux face à mon propre manque de volonté devant ce visage suppliant.
-Hyung, je peux t'aider, dis-moi ce que je dois faire...
Je lui jetai un coup d'œil en coin, il avait gardé sa main sur mon avant-bras et malgré son attitude douce et bienveillante, sa poigne était ferme. Il ne comptait pas me lâcher. Ma nuque me faisait mal, mes épaules aussi, je me sentais à bout. Je ne tiendrais pas ce rythme plus longtemps. Je n'avais aucun contrôle sur l'angoisse et la terreur, aucun moyen de me rassurer autrement que de vérifier chaque jour que Kim Taehyung était toujours de ce monde.
Je me sentais dépossédé de tous mes moyens, prisonnier d'un nouveau rôle que je ne voulais pas. J'avais joué toutes mes cartes, que devais-je faire maintenant ?
-Aide-moi à trouver le gamin, avouai-je à demi-mot, je t'expliquerai après...
-Le gamin ? s'étonna-t-il décontenancé, quel gamin ?
-Le hoobae du tutorat, Kim Taehyung
Hoseok fronça les sourcils en se reculant, faisant tomber sa main qui tenait mon avant-bras. Il paraissait surpris, s'attendait-il à autre chose ? Quel genre d'image je donnais à présent ?
Cependant il se garda bien de m'interroger et prononça :
-Ok. Je vois à peu près à quoi il ressemble, je pense pouvoir le reconnaître...
-Je prends l'aile gauche et toi l'aile droite, envoie-moi un message si tu le vois...
Non sans une grimace de circonspection, Hoseok partit dans l'autre sens et je me mis à courir.
Peu de chances que le gosse soit dans la salle d'art, il avait bien compris que je me rendais là-bas systématiquement. Où s'était-il encore fourré ?
Pris d'un doute, comme tous les jours, je vérifiais que la porte qui menait au toit était verrouillée correctement. Une fois rassuré, je me mis à courir et déambuler dans le reste du bâtiment. Une vibration m'informa d'un message et je sortis précipitamment mon téléphone de ma poche.
« Trouvé. Il est dehors, devant le local du club de jardinage. »
Travailler à deux était vraiment bien plus efficace que prévu.
Je rejoignis Hoseok dans le hall pour changer de chaussures rapidement et me rendre à l'extérieur en contournant le bâtiment. Dehors, dans le froid désagréable de ce début d'année, ne portant que son simple uniforme, Kim Taehyung se tenait assis dans un coin. Il mangeait du bout des lèvres un melon pan (nda : brioche en forme de melon) qui se trouvait dans les distributeurs du lycée.
-Maintenant que tu l'as trouvé, on fait quoi ? demanda Hoseok qui se frottait les bras pour se réchauffer.
J'hésitai, plus sûr de rien mais au moment où je secouais mes cheveux pour me reprendre, le gamin tourna la tête et nous vit. Il se carapata en quatrième vitesse et je jurai violemment.
-Wow, il est rapide, remarqua Hoseok en levant les sourcils.
Je me mis à courir à sa suite alors qu'il s'engouffrait dans le bâtiment sans prendre le temps de changer ses chaussures, bousculant un groupe de filles, et je le perdis rapidement de vue.
De quel côté s'était-il enfui, cette fois ?
-Donc tous les midis vous jouez à cache-cache, en fait ?
Je me tournai brutalement vers Hoseok qui me fit un petit sourire amusé.
-Ce n'est pas drôle, crachai-je.
-C'est drôle de te voir perdre en tout cas...
Il se mit à rire plus fort tandis que je fermai les yeux pour garder mon calme.
Je ne devais pas lui hurler dessus, ni me disputer avec lui simplement pour ça... Je m'étais promis de tout faire pour conserver mon amitié avec lui et pourtant, en cet instant, je n'avais qu'une envie : sortir de mes gonds.
Me défouler sur quelqu'un.
Quand est-ce que ce cauchemar allait prendre fin ?
-Allons déjeuner, reprit-il plus doucement comme s'il assistait à mon débat intérieur. Les cours ne vont pas tarder à reprendre.
Dépité, je me laissai faire, mon estomac vide se compressait douloureusement depuis déjà quelques minutes. On retourna sur nos pas et sur le trajet il souffla, de manière bien plus sérieuse cette fois :
-Tu m'expliques maintenant ?
Le devais-je ?
Je n'avais eu aucun mal à balancer à Kim Taehyung que j'avais fait un bond dans le temps mais avec Hoseok, c'était différent. Tout était différent avec lui. Parce qu'il était important et que je ne voulais pas qu'il se retrouve mêlé à ça. Cette ignorance ressemblait davantage à une tentative de protection de ma part envers lui.
Pourtant une part de moi avait envie de tout lui balancer tant j'étais esquinté par ce jeu du chat et de la souris. C'était ridicule, j'étais l'adulte dans l'histoire et lui le gosse mais l'idée même d'avoir quelqu'un sur qui me reposer, me rassurer, me réchauffait le cœur bien plus que je ne voulais l'avouer.
-Ce gosse, le jour du match de volley... il a essayé de se jeter du toit.
Le visage d'Hoseok se barra immédiatement d'une expression choquée puis affolée :
-Quoi ?
-Il veut se suicider et j'essaye de l'en empêcher.
-Tu en as parlé aux profs ? s'exclama-t-il, il faut les alerter !
-Non.
Hoseok fronça durement les sourcils :
-Hyung, c'est grave ce que tu dis là. Il faut en parler à quelqu'un !
-Je ne crois pas en eux et de toute façon ça empirerait le problème, soupirai-je en m'asseyant sur un banc et en laissant mon crâne reposer contre le mur.
-Donc tu joues à cache-cache avec lui, c'est ça ton idée ? répliqua-t-il sarcastiquement.
Je rouvris un œil.
-C'est la seule solution que j'ai trouvée, je dois m'assurer qu'il vient bien au lycée, qu'il est toujours en vie...
Hoseok semblait secoué et j'observai sa réaction avec curiosité. Était-ce donc ainsi qu'on devait véritablement se sentir face à cette annonce ? Mes raisons étaient tellement différentes que c'en était effarant.
- Comment tu as su, pour le toit ?
- Je l'ai su c'est tout, j'ai vu les signes voilà...mais tu as vu, le gamin me fuit.
-Tu as essayé de lui parler ?
Je roulai des yeux en répondant d'une voix automatique :
-Oui, j'ai essayé de lui parler.
Je me frottai le visage en me redressant, sans faire attention au passage dans ce couloir fréquenté et au bruit ambiant.
-Il ne veut rien entendre et surtout pas me voir, il m'insulte et me traite de stalker...
-Tu penses qu'il a envie de recommencer ?
-Bien évidemment... s'il a été tenté une fois je ne vois pas ce qui peut le retenir une seconde fois ! Je n'ai fait que repousser l'inévitable...
Il y eut un silence avant qu'avec sa mine inquiète, et ses sourcils doucement froncé, Hoseok ne demande sourdement :
-Pourquoi ça t'accapare autant ?
-Pourquoi ça ne m'accaparerait pas ?
-Tu le connais à peine, ce hoobae, tu l'as même à peine vu en tutorat, tu pourrais en faire part aux profs. Ce serait de leur responsabilité mais tu en fais une affaire personnelle...
-C'est aussi de ma responsabilité.
-Est-ce que c'est vraiment le cas ? interrogea-t-il.
Il se reprit :
-Dans un sens, je comprends que tu puisses penser que c'est ta responsabilité si tu l'as empêché de sauter, mais nous ne sommes que des élèves, c'est aussi la responsabilité de l'école, de nos professeurs et de ses parents même... il y a des choses qui ne nous appartiennent pas. Tu ne peux pas le sauver à toi tout seul.
Pourtant, j'avais bel et bien l'impression que c'était la tâche qui m'incombait car c'était ce pour quoi j'étais revenu, trente années en arrière. Je ne comprenais pas encore les tenants et les aboutissants mais j'admettais être incapable de lâcher prise. Bien qu'il s'agisse d'une responsabilité collective, je le prenais comme une obligation.
Comme la seule raison de mon existence actuelle.
On attendait quelque chose de moi.
Ou était-ce moi qui m'accrochais à cette mission car, sans ça, il ne me restait rien ?
Maintenant que j'avais trouvé, maintenant que je savais qu'il ne s'agissait pas de ma vie mais de la sienne, je demeurais vide.
Ça n'avait plus de sens.
Je n'étais qu'un instrument utilisé pour en sauver un autre.
Qu'allais-je devenir ? Est-ce que ça importait vraiment à quelqu'un ?
-En tout cas, le poursuivre dans toute l'école est une mauvaise idée, soupira Hoseok.
-Si tu as d'autres idées je suis preneur, répliquai-je, maussade.
-Tu devrais l'inviter à déjeuner avec nous !
Je mis quelques secondes à comprendre ses mots et me tournai vers lui, une expression contrite sur le visage.
-Quoi ?
-La sociabilité passe aussi par l'estomac, s'exclama-t-il en prenant son air docte accompagné de son grand sourire de bienheureux.
-C'est quoi cette connerie, encore ?
-Langage, hyung ! me reprocha-t-il.
Il reprit avec certitude :
-Apprends à le connaître pour comprendre ses motivations, et pour ça il faut manger avec lui. Il faut tenter une approche. Manger, c'est la vie et ça, il a l'air d'en avoir besoin.
-Tu racontes n'importes quoi...
Mais il semblait tellement sûr de lui que je me mis à envisager cette option. Tel était le pouvoir d'Hoseok et ça me faisait râler de me sentir si faible par rapport à lui.
Son éclat de rire résonna dans le hall tandis que la sonnerie retentissait. Il perdit la face, redevenant soudainement un enfant pris en faute, et me fixa, ahuri :
-Hyung, on n'a pas eu le temps de déjeuner...
Visiblement, c'était surtout son estomac qui l'inquiétait tant.
En retournant vers nos classes respectives, il me tapota l'épaule :
-Il a eu de la chance, ce hoobae, murmura-t-il, de tomber sur toi. Ce que tu fais, c'est vraiment bien, hyung.
Ça me donna du baume au cœur, aussi simplement que ça et pour la première fois depuis des jours, je me sentis un peu rassuré.
Je me sentis à ma place.
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Chapitre corrigé par automnalh
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