11.
Ça tournait dans ma tête.
Ça tournait tellement que j'en avais le tournis, que ça me rendait malade et nauséeux.
Il n'y avait plus que ça.
Que cet échange avec ce Kim Namjoon qui m'obsédait.
Ça allait faire bientôt presque une semaine et j'étais terrifié. Les insomnies étaient revenues, les cauchemars aussi. Tout était si fragile. La mort m'envahissait, je la respirais littéralement. Cette existence m'oppressait.
« C'est n'est pas parce que ça ne peut pas changer que ça ne peut pas être différent. »
Je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire par là.
Je restais persuadé que j'avais raison dans mes choix. Je refusais de voir mon père poursuivre son infidélité et ne pas être puni pour cet acte. Ma famille allait se déchirer autour de ça et mon avenir sombrer à nouveau pour faire face à cet événement.
C'était un cauchemar, j'étais comme pris dans un manège, enchaîné à mon siège alors que le wagon montait et montait encore jusqu'au sommet de la montagne russe. Condamné à devoir la descendre sans pouvoir faire marche arrière.
Sans pouvoir sauter, m'enfuir ou m'échapper.
Pourquoi, mais pourquoi bordel, on m'avait fait remonter le temps si c'était pour me faire subir ça ?
-Mec, je voudrais pas dire mais tu as une sale gueule, lança Wooji en guise de salutation.
Je me tournai vers lui et répondis platement :
-C'est l'exact reflet de la tienne, abruti.
Jaehyo et Minho se mirent à pouffer et j'ignorai volontairement le regard inquiet d'Hoseok sur moi.
C'était la pause déjeuner et nous étions calés dans un coin de la classe. Avec tout ce que Kim Namjoon avait dit, au-delà du fait qu'il n'avait pas l'air humain et que j'étais pris d'une terreur incommensurable dès que je le voyais ou qu'il s'approchait de moi, j'avais eu du mal à me concentrer.
Ces derniers jours, tout le maigre plan que j'avais instauré, et qui continuait d'alimenter mon débat intérieur autour du fait de me contraindre à me plier au moule pour obtenir le ticket de sortie et le changement de mon existence, semblait partir en vrille.
Tout paraissait à présent réduit à néant.
Et si je m'étais planté sur toute la ligne ?
Qu'est-ce qu'il attendait de moi ?
Pourquoi me ramener ? Quelle importance ça avait pour eux de faire ça ?
Me torturer ?
Finalement, j'étais peut-être bien en enfer, à devoir revivre les mêmes choses comme dans le mythe de Sisyphe. Condamné par les Dieux à devoir pousser un énorme rocher en haut d'une colline et à voir cette dernière dégringoler avant d'y parvenir pour recommencer, inlassablement, à reprendre le processus. L'éternité à être ainsi, sans pouvoir atteindre son but, tel était le châtiment infligé.
C'était ma condamnation à moi, revivre mon passé, le moment où ma vie avant flanché pour toujours.
C'était d'une cruauté sans nom.
Était-ce vraiment ça ?
Qu'avais-je fait de mal pour être puni de cette manière ?
Ce n'était pas comme si j'avais tué des gens ou pire encore.
J'avais juste une vie minable, avec beaucoup de dettes. Je n'étais personne.
Et c'était bien là toute mon incompréhension.
Pourquoi moi ?
-Franchement demain, ça va être vraiment cool ! clama Minho, la bouche pleine de riz dont certains grains s'étaient collés à sa mâchoire.
-Qu'est-ce qu'il y a demain ? demandai-je en me reconnectant difficilement à la réalité.
Jaehyo me fixa, sourcils foncés :
-Bah le match de finale du club de volley.
Devant mon air d'incompréhension, il rajouta :
-Tu sais, la raison pour laquelle on a été en rencard, acheter des banderoles et tout ça...
-Ah oui.
-D'ailleurs, tu as des nouvelles de Minha depuis ? demanda-t-il en refermant sa boite à bento à présent vide.
Je haussai simplement les épaules. L'appétit me manquait pour ma part.
-J'ai écrit à Anhee mais elle ne me répond pas, se plaignit Minho.
-Je crois que tu devrais laisser tomber, l'informa Wooji, à mon avis elle est pas intéressée.
-Mais je comprends pas, ça s'est tellement bien passé...
-De toute façon, on n'aura pas le temps même de les revoir lors de nos jours de repos, soupira Hoseok, la fin d'année approche.
Cette simple phrase me déclencha une suite de frissons incontrôlables. Dire que ça faisait déjà quatre mois que j'étais là, que j'étais revenu. Que j'étais bloqué dans ce corps.
Je regardai les quatre illuminés qui me servaient de camarades, m'attardant davantage sur le profil d'Hoseok déjeunant près de moi.
Est-ce que je devais leur en parler ?
Est-ce que je devais leur expliquer ou...
Non, c'était complètement stupide comme idée.
Ils allaient me prendre pour un cinglé
C'était de moi qu'il s'agissait, je devais régler ça par moi-même.
Néanmoins à la fin de la journée, après mon tutorat avec Kim Seokjin au sommet de sa froideur, parce que je n'avais pas été très concentré durant toute l'heure, je fus surpris de voir Hoseok m'attendre à la sortie de la bibliothèque.
-Je te ramène en carrosse, hyung ?
-Il fait pas un peu froid pour faire du vélo...
-J'ai pris une paire de gants supplémentaire...
J'hésitai avant d'acquiescer.
-Tu m'as l'air contrarié, m'informa-t-il en reculant son bolide flambant neuf pour le sortir de l'abri prévu à cet effet. Ça se passe mal avec tes tutorats ?
-Kim Seokjin est pire que nos professeurs et plus sévère encore
-Il a l'air vraiment impressionnant, confia le jeune adolescent. Et Kim Taehyung ?
-J'ai abandonné avec lui... éludai-je en soupirant malgré moi.
-Il a encore séché ?
-Ouais, qu'il se débrouille avec Young pour régler ses problèmes.
-C'est dommage, n'empêche, murmura-t-il en montant sur son vélo.
-J'ai fait de mon mieux mais s'il ne veut pas, je ne peux pas le forcer.
-Et c'est ça qui te met en colère ? interrogea-t-il.
-Non, je m'en fous.
-C'est quoi alors le problème ces derniers jours ?
-Hoseok, râlai-je, ne pose pas de questions.
-Mais pourquoi ? s'écria-t-il alors que je m'asseyais sur l'emplacement du porte-bagage.
-Parce que, j'ai besoin de faire le point moi-même cette fois.
-Je veux savoir !
-Non.
-Si !
Il resta à me regarder avec défi sans même tenter de pédaler :
-Je ne bougerai pas tant que tu ne m'auras pas dit.
Je soupirai lourdement.
Il était pénible.
-D'accord, donc si je te dis : « C'est n'est pas parce que ça ne peut pas changer que ça ne peut pas être différent. » tu en penses quoi ?
Son visage marqua la surprise.
-Euh...
-Voilà, donc maintenant, pédale, ordonnai-je. On se les pèle.
Il hésita puis enfourcha son vélo. Dans la soirée sombre on se faufila à travers les ruelles mal éclairées en direction des quartiers résidentiels. Les mains accrochées à sa taille, je grimaçais tandis que le vent glacé me fouettait le visage, m'asséchant la peau et les lèvres. Malgré les gants en laine, mes mains étaient gelées.
Peut-être parce que c'était l'hiver, la saison durant laquelle j'étais mort, qui me renvoyait cet inexorable sentiment de danger ?
Comme si tout pouvait s'écrouler d'une minute à l'autre.
Hoseok me déposa chez moi et mentalement je priai pour que mon géniteur ne soit pas là.
-À demain, le hélai-je.
-Hyung.
Il mit la béquille de son autoproclamé carrosse et fronça les sourcils :
-Elle est bizarre, ta phrase, c'est toi qui le penses ou quelqu'un te l'a dit ?
-Quelle importance ? éludai-je.
-Je pense que le terme « changer » et le terme « différent » ne sont pas les mêmes, donc en soit ça me parait vrai.
Je fronçai automatiquement les sourcils.
-Hein ?
-Tu voulais savoir ce que je pensais et bien je pense que la phrase est bien tournée et que la personne qui a dit ça a raison.
-C'était pas pour entendre ça que je te l'ai dit ! m'exclamai-je.
-Ah bon ? gloussa-t-il. Bah, pourquoi tu me l'as dit alors ?
Ça me prenait la tête.
-Oublie.
-En même temps, on pourrait aussi dire « Ce n'est pas parce que c'est différent que ça a changé ». C'est une drôle de phrase mais tu vois ce que je veux dire, non ?
Je me figeai, sac sur le dos, gelé dans mon uniforme, la main sur la poignée de la porte.
-Mais si on ne change rien ça ne peut pas être différent, rétorquai-je.
Il papillonna des yeux.
-Tu crois ? Qu'est-ce qu'il faut changer alors ?
-Je me le demande, persiflai-je.
- moins qu'il faille définir ce qu'est une différence et ce qu'est un changement et si les deux sont liés. Est-ce que quelque chose peut être différent sans changement ?
-J'en doute.
-Alors c'est quoi un changement finalement ?
-Stop, l'arrêtai-je en me pinçant l'arête du nez, arrêtons-nous là. Cette conversation n'a pas de sens et on se les gèle, rentre chez toi.
-Il peut y avoir un changement physique ou un changement de point de vue, reprit-il sans m'avoir écouté. Et ce n'est pas le même type de changement du coup...
Puis il s'illumina :
-Le changement, c'est nous ! On ne change pas mais notre point de vue peut changer et rendre les choses différentes !
Ma bouche s'ouvrit puis se ferma et il sautilla, fier de lui :
-J'ai bon ?
-Aucune idée.
Je le laissai là tandis qu'il m'appelait mais en refermant la porte, réchauffé par la chaleur de la maison, mon cerveau se mit à réfléchir à toute vitesse. Il m'avait encore embrouillé mais j'avais l'impression qu'il avait touché du bout du doigt quelque chose sur lequel je n'arrivais pas à mettre des mots.
-On passe à table.
Je sursautai et relevai la tête, contemplant ce qui me servait de père dans son costume et ses traits tirés.
Je déglutis difficilement, la gorge nouée. Kim Namjoon allait-il surgir si je faisais quoi que ce soit maintenant ?
En même temps...
« On ne change pas mais notre point de vue peut changer et rendre les choses différentes. »
C'était ça alors qu'on attendait de moi ? Que ce soit moi qui change mon point de vue ?
Je me mis à ricaner, la colère revenant au galop s'écouler dans mon corps.
Conneries.
Plusieurs heures plus tard, après avoir fait de mon mieux sur mes devoirs et les exercices donnés par Kim Seokjin, je m'étais écroulé de fatigue, persuadé de dormir du sommeil du juste. Pourtant, je me réveillai au milieu de la nuit, terrorisé, le corps en prise avec une terreur nocturne comme je n'en avais jamais vécue.
Je me mis à respirer fort, comme si je m'étouffais, mes mains tremblaient mais j'étais immobilisé, paralysé, incapable de bouger.
Que mon corps ne me réponde plus, me fit paniquer, je me sentis m'affoler intérieurement, presque à m'asphyxier. Il me fallut une force considérable pour parvenir à contrôler ma main. Dans la noirceur la plus totale de ma chambre, j'eus l'impression d'être en enfer, en train de me noyer, aveugle et suffocant. Mes gestes saccadés arrivèrent enfin à allumer ma lampe de chevet pour chasser les ténèbres oppressantes.
Je n'étais pas en enfer, j'étais encore là, encore dans cette chambre, et mon souffle se calma légèrement. Mon cœur battait à la chamade, je me mis à déglutir.
Frigorifié
Le sentiment de danger était revenu au point où je crus que Kim Namjoon se tenait dans ma chambre, m'observant, me menaçant, m'impressionnant avec son visage et son sourire capable de se distendre de manière démoniaque
Mais il n'y avait rien, personne, seulement les ténèbres.
Je remontai mes cuisses contre ma poitrine et plongeai ma tête entre mes bras.
J'étais en train de devenir fou.
*******
L'école était en émoi, une excitation courait les couloirs et même les professeurs semblaient de bonne humeur, enhardis par cette atmosphère festive.
La journée était aussi identique et banale que celle d'hier mais l'excitation des élèves en vue de l'après-midi, où toute l'école assisterait à la finale de volley pour encourager l'équipe de leur lycée, rendait les choses différentes.
La pause déjeuner fut bien plus bruyante que d'habitude et tandis que je revenais des toilettes les mains encore fraîches après les avoir lavées à l'eau gelée, déplorant le manque de robinets d'eau chaude dans ce bâtiment, je captai une conversation entre des filles qui s'enthousiasmaient :
-... j'ai vu les caméras ce matin !
-J'arrive pas à croire qu'on va être filmés, s'empressa de dire une autre.
-Peut-être que l'année prochaine j'irai m'inscrire au club de volley...
-Quelle importance, râla une troisième, les garçons et les filles sont séparés...
-C'est pas pour ça, je trouve ce sport cool en fait !
Je continuai mon chemin avec peu d'intérêt pour les bruits de couloirs mais arrivant devant ma classe, la main sur la porte coulissante, il y eut comme un son dans ma tête.
Comme un air de déjà-vu.
Je clignai plusieurs fois des yeux en me figeant.
J'avais déjà vécu cette scène, je me souvenais de cet instant ; ce fut comme si un éclair m'avait traversé, que quelque chose avait été ramené à ma mémoire.
C'était étrange.
Des impressions de me rappeler de certaines choses, j'en avais tous les jours, mais des impressions de déjà-vu, cette émotion particulière, insaisissable, inexplicable, c'était rare.
Ce qui était assez ambivalent en soit puisque ces derniers mois auraient dû être uniquement des impressions de déjà-vu, car j'avais déjà vécu cette vie. Pourtant le sentiment était bien différent.
Pourquoi aujourd'hui ?
Il nous restait trois heures de cours avant que chaque classe de manière organisée et méthodique comme seuls les coréens pouvaient le faire, se rendent dans l'un des plus grands gymnases de la ville. Sur certaines tables, des banderoles et des bandeaux d'encouragement commençaient à fleurir. Visiblement Minha et ses copines avaient bien travaillé. Mais au fur et à mesure des heures cette impression ne diminua pas, me saisissant dans un grand sentiment d'étrangeté.
Est-ce parce que j'étais devenu confus et complètement obsédé par tout ça que, tout d'un coup, je ressentais ça ?
Non, c'était autre chose.
Je fouillais au fond de ma mémoire mais j'étais incapable de me rappeler cette journée dans son entièreté. Je me souvenais de la salle, de la couleur des maillots et c'était tout.
Mais c'était comme s'il me manquait quelque chose, un élément important.
Le dernier cours de cet après-midi fut, à mon plus grand malheur, le cours de Kim Namjoon. Le charmant professeur d'anglais réussit à faire participer toute sa classe dans un cours dynamique et porté sur la compréhension orale mais, quand sonna l'heure, lui-même amusé par la difficulté de ses élèves à se concentrer au fur et à meure de l'approche du match, il se mit à sourire, les informant qu'il les libérait cinq minutes plus tôt.
C'était fou qu'un simple match, pour une équipe dont tout le monde se fichait des mois plus tôt, rassemble une école, trop heureuse de sortir de son éternel quotidien répétitif et sa morosité rigide. Même ceux pour qui les études importaient plus que leur propre existence se permettaient de lâcher prise, le temps de quelques heures avant d'aller à leur cours du soir.
L'espace d'un instant nous devenions un lycée normal, pas poussé vers l'excellence, juste pour savourer la probable victoire de notre école.
Probable.
Je n'arrivais pas à me rappeler du résultat, je me souvenais que les journaux locaux en avaient parlé mais...
Pourquoi ça me paraissait soudain si important ?
Je me levai en ramassant mes affaires. Au loin, figé, Kim Namjoon me fixait, un doux sourire sur son visage avenant.
Mes sourcils se froncèrent automatiquement.
J'avais comme un mauvais pressentiment.
-Veuillez-vous rendre dans la cour à l'emplacement de votre classe, informa-t-il les élèves.
Tout le monde bougea dans un brouhaha de tables et de chaises raclant le sol, Minho et Wooji étaient très excités mais je ne les regardais pas ou à peine car j'échangeai un jeu de regard à quatre mètres de distance avec la créature qu'était Kim Namjoon.
Quelque chose clochait.
Pourquoi j'avais encore cette sensation de danger comme une alarme résonnant dans ma tête ?
Ce fut lui qui avança après avoir attendu que tout le monde sorte. Je n'avais pas bougé, debout entre ma chaise et mon bureau d'étudiant et il s'arrêta à un mètre de ma personne.
-Alors, avez-vous trouvé la bonne question à poser ?
-Parce qu'il y avait un délai ? maugréai-je avec hargne pour ne pas me laisser envahir par la terreur qu'il m'infligeait.
-Croyez-vous ?
Je pris une grande inspiration un peu tremblante :
-Non, je n'ai rien compris à votre charabia de la dernière fois.
-Dommage, répondit-il simplement en reculant.
Mon esprit balisa en le voyant s'en aller. Déçu, perturbé, terrorisé, je fis quelques pas en avant, faisant racler ma chaise :
-Est-ce qu'il va arriver quelque chose aujourd'hui ?
Il pivota, m'offrant un petit sourire et ses yeux se mirent à briller d'une étrange lueur.
-Pourquoi dites-vous cela ?
-Une impression... j'ai... comme une impression étrange depuis tout à l'heure, bafouillai-je.
Il m'ignora encore, remontant l'estrade pour récupérer son beau sac de cuir posé sur le bureau.
-Vous... vous allez me renvoyer aujourd'hui, n'est-ce pas ? Je vais repartir dans l'autre sens ? C'est ça, hein, la sensation ?
Il s'arrêta, tournant lentement la tête vers moi. Il sembla peser le pour et le contre et répondit alors dans un coup d'œil qui me fit me crisper, m'accrocher à la première table venue.
Comme s'il allait se jeter sur moi.
-Tout n'en revient qu'à vous alors ?
Mes sourcils se froncèrent automatiquement :
-Pardon ?
Il ne bougea pas, semblant mesurer la portée de ses propos alors que j'ouvrais une nouvelle fois la bouche.
-Ça vous amuse de jouer avec moi, de me faire peur exprès...
-Il faut que vous posiez la bonne question, répondit-il platement. C'est aussi simple que cela.
Il y avait tant de candeur dans son aspect, tant de chaleur dans sa voix ; comment pouvait-il être aussi angélique et démoniaque à la fois ?
-Mais je ne sais pas de quelle question il s'agit ! m'époumonai-je de panique.
-Vous aviez pourtant toutes les cartes et tous les indices.
Aviez.
-Attendez ! l'arrêtai-je tandis qu'il s'approchait de la porte. Vous dites ça comme si c'était perdu d'avance, comme si j'avais raté le coche !
Il me fixa sans rien dire et mon cœur battit soudain à vive allure.
-Laissez-moi encore essayer, paniquai-je, je n'ai pas perdu !
Son regard se fit plus appliqué comme attendant quelque chose et mon esprit se mit à carburer à vive allure. Ce fut le chaos dans ma tête et je répétai à voix haute tout ce que je savais jusque-là : j'étais revenu trente ans en arrière, le jour d'un accident de voiture mais je ne pouvais pas tout changer. Je ne pouvais pas toucher à la maitresse de mon père, ni interrompre son infidélité. Pourquoi ?
Comment ?
Pourquoi j'étais revenu si ce n'était pour rien changer ?
Pourquoi me renvoyer moi si...
« Tout n'en revient qu'à vous alors ? »
Je me figeai, une pensée passa dans mon esprit interrompant le capharnaüm de tout le reste.
Et si...
Je balbutiai d'une voix blanche :
-Et si vous ne m'avez pas ramené pour que change quoi que ce soit de ma vie alors...
Kim Namjoon recommença à sourire, aucune ombre ne grandissait derrière lui et il avait l'air parfaitement humain ainsi. Cela m'effraya tout autant. Ma pensée prit de l'ampleur, ainsi formulée à voix haute, elle effaça tout le reste, annihila tout le chaos.
-Alors... balbutiai-je, si vous ne m'avez pas ramené pour que ça change, vous m'avez ramené pour que ce soit différent.
Il demeura un peu plus attentif encore et mon cœur loupa un battement.
Je chauffais.
-Pas pour que ce soit différent pour moi mais pour... quelqu'un d'autre ?
Je ressentis un grand vide soudainement comme si mon esprit s'éclairait après avoir été si longtemps dans le noir.
-Vous voyez, finalement vous avez trouvé.
C'était ça.
C'était si évident maintenant.
Mais le vide ne demeura pas longtemps, le soulagement fut de courte durée car fusa une question, une première inquiétude :
-Mais... mais enfin... pour quoi me ramener moi alors si c'est pour quelqu'un d'autre ? Ça n'a pas de sens.
-Vous devriez filer, un match de volley vous attend.
-Mais...
Il s'éloigna et mon corps eut un sursaut, une sorte de blocage, comme s'il avait perdu le sens des mouvements avant de bouger. Abandonnant mon sac et mes affaires comme le reste ma classe, je partis à sa suite sans savoir si je voulais le rattraper ou non.
Je touchais du bout du doigt quelque chose mais je restais déboussolé par cette révélation.
Alors il m'avait ramené trente ans en arrière pour quelqu'un d'autre ?
Je n'avais donc aucune importance ?
-Je ne comprends rien...
Ça sembla l'amuser et il s'éloigna davantage dans l'escalier, ses grands pas semblaient avaler les mètres.
-Ne soyez pas en retard, ce serait dommage.
Une nouvelle sonnerie sembla se déclencher dans ma tête et je me figeai la main sur la rampe.
-Pardon ?
-Pour le rassemblement avant le départ jusqu'à la salle, votre classe va vous attendre, précisa-t-il.
Il disparut au détour d'un couloir tandis que je continuais de rejoindre le rez-de-chaussée. L'air était glacé et cette fraîcheur me fit comme l'effet d'une claque au visage. Je rejoignis rapidement ma classe et le professeur principal me disputa férocement et devant tout le monde alors que le reste de l'école était aligné par classe où chacun faisait leur compte avant le départ organisé jusqu'au gymnase.
Je me mis non loin de Jaehyo qui me demanda :
-Mais tu étais passé où ?
-Je discutais ave Kim Namjoon.
-Le prof d'anglais ? Tu crois que c'est le moment de parler des notes ? Pour une fois qu'on peut sécher les cours de l'après-midi...
Mais je ne l'écoutais déjà plus, j'étais à mille lieux de ça suivant le mouvement de mes camarades, on marchait à bonne allure ce qui nous échauffait considérablement.
Si ce n'était pas pour moi, pour qui avais-je donc été renvoyé ?
Ça n'avait pas de sens, pourquoi il me renverrait moi et pas lui ou elle ?
Pourquoi en passer par moi ?
Je soufflais bruyamment faisant lever les sourcils de Jaehyo à côté de moi.
Réfléchissons.
Alors c'était ça la raison pour laquelle il y avait des choses que je ne pouvais pas changer ?
Qu'est-ce que Kim Namjoon avait dit vis à vis de ça déjà ?
« Dans votre existence même il y a des milliards de choix, de probabilités, chacun étant rallié et multiplié à bien plus encore. »
Donc j'étais rallié à d'autres existences que la mienne ? Ma vie impliquait celle des autres ?
Quels autres ?
Je fis le décompte des gens autour de moi mais je perdis le fil de ma réflexion.
Je pensais à Hoseok.
Est-ce qu'il s'agissait de lui ?
Non, non ça n'avait pas de lien avec ce foutu système d'alarme qui s'était déclenché aujourd'hui.
Pourquoi cette journée me revenait en particulier ?
Merde.
Au bout d'une bonne vingtaine de minutes de marche, nous arrivâmes enfin à la salle, chaque classe prit place dans les gradins et bientôt l'ambiance fut survoltée et l'odeur particulière du terrain de volley me reconnecta avec la réalité.
-Franchement, souffla Jaehyo sans me regarder comme s'il ne voulait pas accorder de l'importance à ce qu'il disait alors que ce n'était pas le cas, tu es bizarre. Si y a un truc qui ne va pas, on peut en parler, ne reste pas avec ça.
Je secouai la tête avant de me mordre la lèvre. Wooji et Minho avait réservé des places près d'eux et on dépassa nos camarades pour les rejoindre. Plus loin, avec sa classe, Hoseok nous faisait de grand signe de main avec toute la bonne humeur dont il était capable.
Je crus aussi apercevoir Kim Seokjin avec sa classe de dernière année, comme prévu les rares filles autour de lui le regardaient en coin en chuchotant entre elles.
Filles d'un côté, garçons de l'autre, rien ne changeait même dans les rencontres sportives.
Les caméras étaient là et les spectateurs battaient avec leurs mains en rythme.
Le gagnant de ce match aurait la possibilité de s'inscrire au championnat des équipes de lycée. Ce n'était pas rien et ça figurerait sur leur dossier pour l'université. Eux au moins pourraient envisage le sport comme carrière s'ils étaient recrutés.
Toutes les classes furent finalement arrivées lorsque l'équipe de l'école rejoignit le terrain pour un dernier rassemblement avec leur entraineur, le professeur d'histoire de l'école. L'ambiance était intense et Wooji et Minho criaient à s'en briser les poumons pour les encourager plus fort que les supporters de l'équipe d'en face. Les banderoles d'encouragement s'affichaient partout autour du stade.
Mes yeux parcourent la foule.
Je devais me souvenir de quelque chose, je le savais.
Les professeurs arrivèrent enfin à leur tour tandis que l'arbitre demandait le rassemblement des joueurs près du filet. Le match fut lancé et mon regard balaya la foule. Je croisai le regard calme de Kim Namjoon avec sa figure habituelle et son petit sourire charmant.
Je le sentais comme une menace envers ma personne
Comme s'il me défiait.
-Franchement on dirait que tu vas faire une syncope, s'inquiéta Jaehyo.
Je le fixais encore, la respiration coupée.
Je devais me souvenir de quelque chose.
Je sentais que c'était aujourd'hui sans l'expliquer.
Je fermai les yeux serrant les poings m'enfonçant dans le noir de mon esprit.
Qu'est-ce que j'avais oublié ? Pourquoi je l'avais oublié ?
J'entendais les bruits des chaussures crissant sur le sol, les rebonds de la balle, les encouragements mais je tentai de couper le son.
Souviens-toi, souviens toi, souviens-toi
Mon esprit forma une image, celle du seul souvenir que je gardais de ce jour-là, trente ans auparavant. Un journal. Je le revoyais posé sur la table de la cuisine dans la demeure familiale.
« Le match de de l'équipe de lycée... »
Mon esprit freinait les derniers mots.
Je crus que j'allais saigner du nez, que mon cerveau allait exploser, que j'allais me briser en mille morceaux à pousser mon esprit ainsi :
« ... mis en arrêt... lycée... »
J'y étais presque, j'y étais presque.
Que s'était-il passé ce jour-là pour que ce soit si important ?
Pourquoi m'avait-on ramené en arrière ?
« Le match de ...mis en arrêt... suicide... »
Mes yeux s'ouvrirent brutalement.
Je me relevais d'un coup, affolé.
Oh putain.
Dans mon esprit tout s'enchaîna à toute vitesse, tandis qu'au loin le sourire de Kim Namjoon s'agrandissait.
L'accident, le retour en arrière, le lycée, le tutorat, Kim Seokjin, Kim Taehyung, mon père, sa maitresse, ma mère, Kim Namjoon.
J'étais revenu pour quelqu'un d'autre...
Quelqu'un qui ne pouvait pas revenir en arrière.
Le tableau noir, l'attitude étrange, les tremblements, le comportement de celui qui rasait les murs, tête baissée...
« Tout ça n'a plus aucune importance, ce que je veux c'est finir mon tableau, tu ne peux pas comprendre... ».
Je cherchai des yeux la classe des premières années, mes yeux balayant les visages à toute vitesse avant de m'arrêter sur le visage d'un gamin aux joues rebondis que j'avais déjà-vu.
Park quelque chose, le gamin qui n'avait pas voulu me dire où était Kim Taehyung la première fois.
En parlant de lui, où était-il ?
Nulle part.
Je bougeai, bousculant mes camarades qui grognaient alors que Jaehyo m'appelait.
Je me mis à courir, à quitter le stade bruyant, affronter l'air gelé de l'extérieur et son silence écrasant. Mes pas martelèrent le sol en direction du lycée, j'enfilai les mètres à vive allure, la respiration coupée et une douleur saisissante dans la poitrine.
J'avais l'impression de courir contre la montre, contre ma propre vie
Rien n'avait encore de sens mais je sentais le désespoir m'animer.
Comment avais-je pu oublier qu'il y a trente ans quelqu'un s'était suicidé dans mon lycée ?
Je savais pourquoi : le temps, la vie, les galères, on en oubliait les morts, les vivants et on s'oubliait soi-même.
Ma vie n'avait pas a changé, elle était pourtant différente. Des différences minimes s'étaient glissées dans ce retour spécifique.
Ce tutorat pour lequel je m'étais inscrit.
Ainsi deux nouveaux individus, que je n'avais que croisés à l'époque dans les couloirs du lycée sans même leur accorder de l'importance, avaient pris part dans mon existence. Ainsi on se liait et on se déliait aux autres aussi simplement. Et nos actes, nos choix avaient des conséquences même sur le simple individu dont on croisait la route.
Je passai le portail, suant comme un bœuf, la gorge en feu et ouvrait les portes violemment, je me mis à respirer, fort et bruyamment avant de grimper les étages, encore et encore
Pourquoi moi ?
Pourquoi pas quelqu'un d'autre ?
Qu'est-ce qu'il y avait chez moi de différent pour que ça tombe sur ma personne ?
J'avisai la salle d'art, entièrement vide et jurai vulgairement avant de repartir au pas de course et de me diriger vers l'escalier de secours dont un panneau indiquait pourtant une interdiction aux élèves.
Le verrou de la porte semblait cassé.
J'enfournai les marches et poussa le battant en métal qui claque contre le mur dans un bruit tonitruant.
J'arrivai sur le toit qui ouvrait sur le ciel maussade et glacial, le vent ébouriffa ma tignasse.
Quelqu'un était debout, embrassant le vide, prêt à se jeter du dernier étage.
Kim Taehyung se tenait là.
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Chapitre corrigé par automnalh
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Vous imaginez bien que j'aime beaucoup ce chapitre et notamment sa fin 😇😈.
J'espère que ça vous aura plu, on se retrouve dans quinze jours~
Merci pour tous vos retours ❤️💜
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