Korie flottait sur un petit nuage. De vendredi soir jusqu'à lundi matin, il avait passé tout son temps libre à envoyer des messages et des blagues stupides à Emma. Elle lui accordait enfin un peu d'attention, et juste pour ça, Korie souriait à s'en faire mal aux joues, au point qu'il devait appuyer dessus avec ses paumes pour qu'elles redescendent un peu.

Au moins, il pouvait affirmer qu'il commençait à la connaitre. Elle était gentille et avait un assez bon sens de l'humour. Korie fut même étonné d'apprendre que, malgré son nom de famille, elle ne savait pas aligner deux mots d'espagnol. Emma avait un esprit logique, elle avait des facilités en maths, mais était redoutablement nuls dès qu'on parlait de littérature ou d'art. Elle aimait la musique, mais ne savais pas lire la musique. Ni en jouer, d'ailleurs. Elle savait l'écouter et l'apprécier, à condition que ce soit directement dans son genre, soit la pop et rien d'autre.

Korie préférait ne pas s'en faire. Personne ne peut être parfait, après tout. Quelques petits défauts par-ci, par-là, ne faisait qu'ajouter encore plus de valeur à tout le reste.

Ce que Korie trouva le plus amusant, ce fut de constater qu'Emma était le parfait opposé de Bella. Même s'il ne lui avait pas dit directement qu'elle était belle – il jouait plutôt la subtilité dans ses techniques de séduction — il avait su comprendre, en lisant entre les lignes, qu'elle ne se sentait pas si jolie que ça. Elle était banale. Elle était fière de la couleur de ses yeux, d'un gris profond, mais c'était tout. Elle ne se trouvait pas laide simplement parce qu'elle savait qu'il y avait pire, comme si ce n'était qu'un petit élan de gentillesse qui lui avait empêché d'affirmer le contraire.

Bella était belle grâce au maquillage. Emma, elle, l'était encore plus justement parce qu'elle n'usait d'aucun artifice.

Malheureusement, toute bonne chose à une fin. Korie le réalisa rapidement quand, au retour des classes le lundi matin, il croisa Emma dans le corridor. Il lui fit un sourire, il leva même la main pour faire un coucou. Elle lui répondit d'un regard noir, les yeux plissés et les lèvres pincés. Valérie était juste à côté d'elle, comme toujours. Officiellement ennemie, se rappela Korie avec amertume. Elle était sérieuse.

En soupirant intérieurement, Korie alla à la cafétéria pour y retrouver Tobias et Levis. Pour la première fois en trois jours, sa gaité avait redescendu d'un cran. Il s'assis près de Tobias, secoua les mains devant leurs visages pour leur faire taire au milieu de leur conversation, puis les referma en poings pour les laisser tomber lourdement sur la table.

- Les gars, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle.

- Tu vas mourir et tu me lègues ta fortune ? demanda Tobias en baissant les yeux vers son téléphone.

- Non.

- Tu pars à Kingston et on aura la paix tout le reste de l'année ? fit cette fois Levis.

- Non ! Bah... c'est encore à voir. En fait, ça concerne Emma.

Korie se tue, attendant l'effet dramatique, s'imaginant Levis et Tobias lever précipitamment la tête vers lui d'un air alarmé en le bombardant de questions. Ce fut à peine s'ils lui accordèrent un regard et un mouvement de sourcils.

- Tout n'est pas perdu. Ça fait trois jours qu'on s'envoie plein de messages ! Je crois même qu'on commence à bien se connaitre !

- Cool ! fit Tobias. Mais la mauvaise nouvelle, là-dedans ?

- Ben... on est « officieusement » amis, dit Korie en mimant les guillemets.

- Officieusement, répéta Levis. En public, c'est une autre histoire ?

- Une tout autre histoire, affirma Korie dans un soupire résigné.

- Ah ! C'est la vie, fit Tobias en haussant les épaules.

- Ah ! C'est Valérie ! rectifia Korie.

- Ah... les filles, termina Levis.

Tobias pouffa le rire en hochant la tête, mais Korie se contenta de grogner. Encore et toujours les filles ! Bon sang que la vie serait simple si j'étais gay. Ou bi, à la limite.

- J'ai soif ! Je reviens.

Korie se leva de table et s'éloigna vers de la cantine tout en plongeant la main dans la poche de son jean pour en ressortir un peu de monnaies et des billets froissés. Il avait autant soif qu'envie de changer de sujet. Les filles lui polluaient le cerveau, il avait besoin de l'aérer avec un peu de lait au chocolat. Il s'en acheta un petit carton, l'ouvrit dans un coin et prit une longue gorgée avant de revenir en direction de ses amis. Mais à moitié chemin, une fille de plus apparut pour lui pourrir la journée. Bella était là, lui barrant la route. Sans la voir à temps, il la heurta et renversa son lait sur lui, imbibant son teeshirt et son blouson. Alors qu'il était complètement figé, ressentant la désagréable sensation du liquide s'infiltrant jusque dans son caleçon, il se demanda si Bella n'aurait pas planifié le coup. Il leva les yeux vers elle et comprit qu'il avait vu juste dès qu'il aperçut son sourire éblouissant.

- Salut, Koko ! Ça fait longtemps !

- Pas assez à mon gout, fit Korie dans un grognement. Tu me veux quoi ?

Bella éclata de rire, pas le moins du monde impressionné par son ton menaçant, et se mit à côté de lui pour l'entourer de ses épaules. Elle gardait tout de même une certaine distance pour éviter de se tacher avec le lait au chocolat.

- Je suis venu t'accorder une chance de te faire pardonner. De ce que j'ai vu, ton crush du moment, la petite Black, ce fout complètement de ta gueule. Moi, je peux te donner tout le respect que tu voudras !

- Les affaires vont mieux qu'elles n'y paraissent, figure-toi. J'ai pas besoin de ton aide.

Korie tenta de se dégager, mais Bella resserra sa poigne sur son épaule. Korie lui lança un regard noir pour bien lui faire comprendre qu'il voulait qu'elle le lâche, mais il était malgré tout curieux de ce qu'elle avait à dire.

- Malgré les apparences, elle s'intéresse à toi ? Ah, du coup, elle fait juste son intéressante ! Tu devrais te méfier, Koko. Elle cache son jeu.

- De quoi tu parles, maintenant ?

- Enfin, Ko. Dans ton genre, t'es plutôt banal. La seule chose que tu as qui puisse la faire flancher, c'est ton argent. Elle est là que pour ça.

Avec un clin d'œil, Bella lui lâcha l'épaule et retourna d'où elle était venue. Korie la regarder s'éloigner, l'esprit confus. Il savait qu'elle disait n'importe quoi rien que pour le faire douter, mais il était incapable de s'en empêcher.

Et si elle avait raison ?

Il se souvenait parfaitement de ce qu'Emma avait dit, quand ils étaient dans le bureau. Moi, je voulais seulement faire mon intéressante en te laissant mariner un peu.

Bella avait au moins eu raison sur un point. C'était suffisant pour douter.

Quand Korie sortit enfin de ses idées confuses, il remarqua que presque tout le monde dans la cafétéria le dévisageait. Il se souvint alors de ses vêtements imbibés de lait au chocolat et revint s'assoir à la table avec Levis et Tobias.

- Eh, ça va ? demanda Levis après un instant de silence malaisant.

- Ouais. Ça va, on va dire...

- Elle te disait quoi, Bella ? fit Tobias.

Korie baissa la tête vers son téléphone. Tout en envoyant un message à sa mère pour qu'elle lui apporte du linge propre, il répondit, un peu malgré lui :

- Plein de choses sensées...

Il soupira, avant d'enchainer :

- Les mecs, faut que vous me changer les idées. Et si on sortait, ce soir ?

- On est lundi.

- Et alors ?

Tobias leva les yeux au ciel et secoua la tête.

- Oh, et qu'est-ce qu'on a perdre ?