Chapitre 19
En arrivant à son cours de chimie avec quelques minutes de retard, Korie retrouva sa place derrière Levis, qui se contenta de lui lancer un coup d'œil intrigué pour aussitôt reporter son attention au prof Moreno, celui-là même qui l'avait conduit chez le directeur un peu plus tôt.
- Alors, monsieur Buchanan, j'espère que vous avez eu ce que vous méritiez !
- Yep ! dit joyeusement Korie. Rien du tout ! Même pas pour le coup de pied que je lui ai balancé !
Korie se retourna sur sa chaise et fouilla la salle de classe jusqu'à croiser le regard de la basanée. Il lui fit un clin d'œil sans aucune subtilité, auquel elle répondit d'un sourire un peu niait.
- Très bien, fit le prof dans un grognement qui laissait présager son mécontentement. Taisez-vous et écoutez, maintenant.
Korie hocha la tête, essayant de retrouver son sérieux, et sortit son livre de note et un stylo de son sac. Il avait peut-être assez joué avec le feu pour aujourd'hui, ou au moins pour l'heure. Oui, pour l'heure seulement. Malgré ses efforts, un sourire étirait ses lèvres en pensant aux deux prochains jours qui s'annonçaient.
Avec autant de subtilité que possible, Korie se pencha au-dessus de son pupitre et donna une petite tape dans le dos de Levis avec le bout de sa plume. Celui-ci se retourna, un sourcil plus haut que l'autre. Tobias les regardait aussi, attentif.
- Alors, vous avez trouvé de bonnes idées, pour ce soir ? murmura Korie, une main cachant partiellement sa bouche.
- Oh, oui, répondirent Levis et Tobias en même temps. (Ils se lancèrent une œillade amusée, avant que Tobias ne reprenne :) On va bien se foutre de toi, tu comprendras plus rien.
- Parfait, fit Korie avec un sourire pervers.
*
La journée avait passé comme une fusée. En dehors d'Adam et Bella qui lui jetaient des regards noirs dès qu'il les croisait, rien ne réussit à entacher son bonheur. Il avait même commencé à lancer des invitations à quelques amis pour la fête qu'il avait si hâte de faire demain, toujours en privé et en face à face pour ne pas attirer l'attention de n'importe qui. Il voulait bien accueillir une dizaine, voir une vingtaine de personnes chez lui, mais il préférait éviter que toute l'école ne se ramène.
Quand le dernier cours s'acheva enfin, Korie attendit Levis et Tobias sur les marches de l'école, comme il en avait maintenant l'habitude. Il tripotait les bretelles de son sac à dos, de plus en plus nerveux. Il savait Levis et Tobias trop coincé pour avoir des idées vraiment insultantes, mais il n'appréhendait pas moins ce qui risquait de lui arriver.
- Hé, Korie ! fit la voix de Tobias derrière lui. Tu stress ?
- Non ! dit-il aussitôt avec un rictus. Pas le moins du monde !
Il se retourna pour leur faire face, Tobias souriant et Levis grimaçant. L'un avait visiblement plus hâte que l'autre.
- Allez, Tobi. Je suis prêt ! dit Korie en se frottant les mains comme une mouche. Envoie la sauce !
Tobias hocha la tête en même temps de baisser les yeux vers la montre à son poignet.
- OK, on se dépêche. Faut aller au zoo.
- Au zoo ? s'étonna Korie. De central Park ?
Tobias ne répondit rien, se contentant de faire un sourire diabolique particulièrement réussi. Dans quoi je me suis foutu...
- Tu veux pas que je me fasse bouffer par un grizzli, j'espère ?
- Bien sûr que non, fit Levis d'un air détaché. Un ours Kodiak serait plus drôle. Ce sont les plus féroces, tu sais.
Korie déglutit nerveusement. Il empoigna fermement les bretelles de son sac, les remonta sur ses épaules et, levant la tête bien haute pour ne rien laisser paraitre, s'engagea sur le trottoir en pavé uni.
- Vous me faites même pas peur. J'adore les animaux, et en plus, ça fait toujours de jolies photos.
- Tu adores les ours Kodiak, aussi ?
- Arrête, avec tes ours !
Levis présenta ses mains en signe de soumission. Tobias, incapable de garder son sérieux, se cacha la bouche pour pouffer de rire. Korie soupira, les yeux au ciel, puis sortis son téléphone pour appeler son chauffeur, la flemme de marcher la distance. Mais un coup d'œil vers Levis lui fit plutôt appeler un simple taxi, qui arriva au bout de cinq minutes.
- Un taxi ? marmonna Tobias. Pourquoi ? Il est malade, ton chauffeur ?
- Bah... je croyais que Levis aimerait pas.
Levis avait le regard rivé sur le taxi, une vieille épave jaune avec de la rouille autour des roues.
- Je suis contre l'arrogance des gosses de riches, mais je cracherais pas sur le confort des sièges en cuirs. Bah ! m'en fiche.
Levis haussa les épaules et s'avança vers le taxi pour s'assoir à l'arrière. Tobias et Korie échangèrent une œillade qui ne voulait rien dire, et allèrent à leur tour dans la voiture. Tous trois se serrèrent comme des sardines sur la banquette, Korie avec son gros sac sur les genoux. Une odeur de vieux flottait dans l'habitacle et il fronça le nez, souhaitant que la balade se fasse rapidement. J'aurais dû appeler mon chauffeur, pensa tristement Korie.
- Le zoo de Central Park, s'il vous plait, dit Tobias en se penchant légèrement en avant pour être entendu par le chauffeur. Et Korie, t'as un couvre-feu ? J'ai des idées pour toute la soirée.
- Normalement, oui, sur les jours de semaine, il faut que je sois de retour à la maison à vingt-et-une heures... mais aujourd'hui, pas vraiment. Mes parents sont partis à D.C., ils ne sauront jamais à quelle heure je serais entré.
- Moi, j'ai seulement jusqu'à dix-neuf heures, dit Levis. Alors vous devrez continuer sans moi.
- Non, on peut pas le faire sans toi ! s'indigna Tobias. Ce serait nul !
Levis haussa à nouveau les épaules et tourna la tête vers la vitre. Le taxi avait démarré pendant qu'ils parlaient et ils étaient maintenant coincés dans le trafic, avançant à à peine quarante kilomètres à l'heure.
Korie soupira, observant par son côté de fenêtre les autres voitures sur la route. Est-ce que Levis faisait exprès d'être aussi rabat-joie ? Ça commençait à lui tomber vraiment sur les nerfs.
Le reste du trajet se fit dans un silence un peu embarrassant. Même le chauffeur leur lançait régulièrement des regards par le rétroviseur, mais aucun des trois ados ne sembla le remarquer. Quand ils arrivèrent enfin devant l'entrer la plus proche de central Park, il ne s'était écoulé qu'une dizaine de minutes, mais ils avaient tous eu l'impression qu'il s'en était écouler trente.
- Vous voici, dit l'homme en appuyant sur un bouton de sa machine qui comptait les tarifs. Ça vous fait neuf et cinquante.
- Trois et quinze pour chacun, dit aussitôt Korie. Le cinq cents en trop se divise pas, alors je vais me sacrifier. Me saute pas dessus en criant à l'arrogance des millionnaires pour cinq cents, Levis.
- Je me retiens.
Korie leva les yeux au ciel, puis sortit la monnaie qui trainait au fond de ses poches. Il donna quatre-vingts cents de plus en pourboire, sois tout ce qu'il avait pu trouver, puis quitta le taxi en laissant la porte ouverte pour Tobias. Il prit une grande inspiration d'air frais — ça puait atrocement dans ce taxi — et regarda autour de lui. Droit devant, des arbres à perte de vue ; derrière lui, des immeubles et des voitures. Le contraste était frappant, lui faisant presque un choc.
Levis et Tobias le rejoignirent trente secondes plus tard. Tobias lui donna une petite tape amicale dans le dos et Levis se contenta d'enfoncer ses mains dans ses poches. Sans un mot, ils s'avancèrent dans le parc entre les arbres et les bancs, d'autres gens jouant avec leurs chiens et des enfants qui se coursaient en criant. Korie eut un sourire en coin, appréciant la vue, et fit basculer son sac de ses épaules pour attraper son appareil photo qui trainait tout au fond.
- Viens, Korie, dit Tobias derrière lui. Le zoo, c'est par là.
- J'arrive.
Korie se mordit la langue en ajustant les réglages de l'appareil. Il ajusta la luminosité, vérifia la direction des ombres. Il s'avança un peu vers les enfants pour les contourner vers la gauche pour que leur ombre soit derrière eux. Puis il les bombarda de photo, l'appareil produisant une continuité de clic, clic, clic, clic, clic...
- Korie, tu fais quoi ? s'impatienta Tobias.
- Oh, j'arrive !
En soufflant, Korie prit une dernière photo au hasard avant de passer la corde de l'appareil autour de son cou et de le laisser pendre à hauteur de son ventre. Il tourna enfin les talons et revint vers Tobias et Levis qui l'observait d'un drôle d'œil. Il leur renvoya leur regard et s'expliqua :
- J'aime la photographie.
- Figure-toi qu'on avait deviné, dit Levis, les sourcils remontés.
Korie ouvrit la bouche pour répliquer, mais la referma aussitôt, jugeant que sa pique serait peut-être un peu déplacée. Il souffla, leva la tête et prit les devants de la marche en direction du zoo, dans un sentier entre deux rangées d'arbres.
- Dit, Levis. Tu dois bien avoir des hobbies, non ? Autre que faire chier les gosses de riches ? Y'a surement quelque chose qui te passionne. C'est quoi ?
Levis garda le silence. Korie se retourna pour avancer à reculons, dévisageant Levis en attente d'une réponse. Il se mordait la lèvre en regardant partout, cherchant visiblement de l'inspiration. Même Tobias, qui marchait à ses côtés, l'observait avec un peu de pitié.
- Allez, tu peux tout dire. Même si tu avoues avoir une passion pour la porno, c'est pas grave, je le dirais à personne.
- Mais t'es con ! s'énerva Levis en arrachant quelques feuilles à une branche basse pour les lui lancer à la figure.
- Ouais, c'est pas gentil de fouiller dans ses données ! renchérit Tobias.
Levis grogna et poussa Tobias à l'épaule, qui s'affala contre le tronc d'un arbre. Il éclata de rire en s'accrochant à l'écorce pour ne pas tomber, alors que Levis rougissait de honte.
- J'ai pas de passion pour la pornographie ! fit Levis en grimaçant. Bon, j'avoue avoir regardé quelques fois... par curiosité ! Mais c'est tout ! En fait... (Il souffla à nouveau, faisant redescendre la pression. Les rougeurs sur ses joues avaient disparu.) J'ai peut-être un hobby, mais pas au point de nommer ça une passion. C'est... oh, ça fait tellement con de le dire à toi.
- Pourquoi ? s'étonna Korie. Je vais pas me moquer.
- Évidemment que tu vas te moquer.
Levis releva la tête pour croiser son regard, puis s'avança pour prendre les devants de la marche. Korie échangea un coup d'œil intrigué à Tobias, qui haussa les épaules d'incompréhension.
Korie suivit Levis qui s'approchait du zoo, mais n'insista pas. Il était curieux, mais pas au point de s'immiscer dans sa vie privée. Mais Levis aurait peut-être préféré, car au bout d'un moment, il soupira et se retourna vers Korie.
- J'aime bricoler, dit-il enfin.
Korie garda le silence quelques secondes de plus, se demandant ce qui pouvait bien y avoir de honteux là-dedans.
- Je comprends pas. Pourquoi je te jugerais ? Moi aussi, j'aime bricoler. Je le fais tout le temps. Tiens, fouille dans mon sac, tu vas trouver assez de vis et d'écrou pour construire une cabane à moineau.
- Mais justement ! s'écria Levis en levant les bras en l'air. Toi, t'es super doué ! Tu te promènes avec des rayons lasers dans les poches, tu construis des purées de drones en un après-midi... figure-toi que moi, si je veux construire une cabane à moineaux, j'y travaille toute la semaine, et à la fin, c'est une boite avec un trou !
Levis prit une grande inspiration, essayant de se calmer, alors que Korie était figé devant lui sans plus savoir quoi dire. Tobias se tenait légèrement à l'écart, préférant éviter de se faire embarquer dans cette « discussion ».
- Désolé, souffla Levis tout en passant une main dans ses cheveux bruns. Je m'emporte pour rien... De toute façon, la cabane à moineau... il faut des clous, pas des vis. C'est mieux pour le bois.
- Ouais, heu... ça va. Si ça peut te réconforter, tu m'as appris quelque chose. J'ai pratiquement jamais manié du bois, je savais pas pour les clous. Et puis, ajouta-t-il d'un air un peu plus sérieux, tout ce que je sais, ça vient de mon père. Si on échangeait les rôles, c'est sûr que tu serais plus doué que moi...
- Oh, je sais pas. T'as quand même un sacré QI, hein.
- Arrête de me lancer des fleurs. À un moment, tu m'insultes ; à un autre, tu dis que je suis le meilleur. Je sais plus où donner de la tête, moi !
Levis pouffa de rire, avouant qu'il se contredisait un peu. Il se retourna et continua à marcher dans le sentier, suivi de Korie qui ne savait plus quoi penser. Est-ce que c'était un autre facteur qui faisait en sorte que Levis l'avait d'abord détesté ? Était-il jaloux de Korie sur autant de points différents ? L'argent — forcément, même s'il ne l'avait pas dit, il en était toujours question —, un père présent, un talent certain pour la création d'objets technologiques. Et Levis, il avait quoi ? Une cabane à moineau.
- Eh, Levis. Si tu veux, je pourrais t'apprendre ce que je sais.
- T'es pas tenu au secret professionnel ?
- Quoi ? dit Korie en riant. Depuis quand c'est un secret de savoir manier une soudeuse ? Vraiment, je pourrais t'apprendre tout ce que tu veux.
Levis garda le silence, hochant pensivement la tête. Korie n'insista pas, préférant le laisser réfléchir à la proposition. C'était tout de même un peu plus audacieux que d'aider Tobias avec la chimie.
Quand Korie reporta son attention au décor, il aperçut la fin du sentier, les arbres s'écarter pour laisser place à l'entrée du zoo. Un grand panneau surmontait la petite bâtisse, inscrit « Central Park Zoo » sur un fond de fourrure de girafe. Dans les vitrines, on pouvait voir toutes sortes d'animaux exotiques en peluche. Tobias, qui menait la marche, tint la porte pour Levis et Korie. Ils payèrent sans faire la queue — il ne restait pas plus d'une heure avant sa fermeture — et ils furent enfin dans le zoo.
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Pour un chapitre exessivement long, je l'ai coupé en deux. La suite viendra samedi (si j'oubli pas...)
Aussi, la description du zoo est parti complètement en couille... Ça ressemble pas du tout à ce que je dis, c'est un peu amélioré pour les besoins de l'histoire, disons. À ne surtout pas prendre au pied de la lettre !
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