Chapitre 16
Et enfin, l'heure de l'action était venue. Korie avait réussi à éviter Bella et Adam pour tout le reste de la journée, et cette mini-victoire le rendait euphorique. Il sautillait d'impatience quand Levis et Tobias arrivèrent, les deux en même temps, comme à leur habitude. Korie leur fit signe d'un doigt de le suivre, puis dévala les marches devant l'école pour trouver une cachette. Finalement, après avoir parcouru quelques centaines de mètres sur les trottoirs de Manhattan, il se réfugia dans le premier café qu'il vit. Il s'installa à une table près de la longue baie vitrée qui faisait tout un mur et sortit de son sac un ordinateur portable, un drone minuscule qui ressemblait étrangement à une simple boule légèrement ovale, et une manette de jeux vidéos. Levis et Tobias s'assirent en face de lui pendant qu'il se mettait à bidouiller sur la manette à l'aide d'un tournevis.
- Qu'est-ce que tu fais, maintenant ? demanda Tobias.
- Je connecte le drone avec la manette. Ensuite, le drone avec l'ordi. Parce que je trouve que la manette est meilleure pour contrôler le drone, mais j'ai quand même besoin de l'ordi pour voir ce que je fais.
- Attends, ça va te prendre combien de temps pour faire tout ça ? Je veux pas passer la journée...
- J'ai fini.
Le temps que Tobias se rende compte qu'il était sérieux, Korie avait déjà remis le tournevis dans son sac et allumait l'ordinateur. Levis et Tobias échangèrent un regard : il avait été si rapide qu'ils n'y avaient rien compris.
Korie poussa le drone vers Tobias.
- Va le mettre dehors, s'te plait. Le lâche pas tant qu'il se sera pas envolé.
- Envolé ? Il a même pas d'aile.
- Il va flotter, si tu préfères.
- Mais... enfin, où t'as trouvé ça ?
- Je l'ai fait moi-même, dit Korie avec un sourire fier. Pourquoi, tu l'aimes pas ?
Levis et Tobias échangèrent encore un autre regard. Korie soupira, repoussa son ordinateur et se pencha au-dessus de la table.
- Quoi ?
- Rien, dit Levis, c'est jusque que...
- T'es vraiment impressionnant, acheva Tobias.
- Pourquoi je suis impressionnant ? s'étonna Korie.
- Tu te rends même pas compte de ton talent.
Korie haussa les épaules, légèrement embarrassé, puis reporta son attention à l'ordinateur. À l'écran, il voyait Tobias et une petite partie de Levis par l'œil du drone.
- Va le mettre dehors, s'il te plait.
Tobias soupira, sans insister, et s'exécuta. Il était toujours parfaitement visible par la baie vitrée : Levis lui fit même un coucou de la main quand il s'arrêta près de leur table. Korie continua de pianoter sur l'ordinateur, puis prit la manette, empoignant le joystick pour les directions et les boutons pour contrôler la hauteur. Le drone s'envola ensuite, jusqu'à une altitude de cent mètres, avant de filer au-dessus des rues. Tobias l'observa un instant, impressionné, et revint à l'intérieur.
- Et maintenant, tu fais quoi ? demanda-t-il une fois de retour à sa place.
- Je pars à la pêche aux gros poissons, dit Korie avec un demi-sourire. Tout à l'heure, j'ai mis un traceur dans la poche d'Adam. Venez voir !
Levis et Tobias se levèrent d'un bond pour se poster de chaque côté de Korie, regardant par l'écran de son ordi. L'image s'était divisée en deux : d'un côté, ils avaient une vue aérienne de la ville par l'œil unique du drone, et de l'autre, une carte de tout le sud-ouest de Manhattan. Quelque par en son centre, un point rouge clignotait.
- Ce point rouge, c'est là qu'est Adam. Ça m'a l'air d'être un immeuble, alors c'est probablement son appartement. C'est parfait !
- Tu vas entrer par infraction chez lui ? s'écria Tobias.
- Mais non, qu'est-ce que tu racontes ? Je suis juste assis dans un café, à m'amuser avec mon ordi. Je vois vraiment pas pourquoi tu me portes de telles accusations.
Korie se tourna à moitié sur sa chaise pour lui faire un clin d'œil sans aucune subtilité, puis reporta son attention à l'écran. Levis éclata de rire, puis donna une claque dans le dos de Korie.
- Ça me fait chier de l'avouer, mais tu m'impressionnes.
- Merci, dit Korie avec un grand sourire.
- Attention, tu vas attraper la grosse tête, l'avertit cette fois Tobias.
- Oh, pas de danger. Je l'ai déjà.
Levis et Tobias hochèrent de concert, approuvant totalement les dires de Korie. Le silence se prolongea ensuite, alors que le drone filait tranquillement au-dessus de la ville, à un peu plus d'un kilomètre de là.
- Il doit me rester encore cinq minutes avant d'arriver à destination, estima Korie. Allez vous chercher un truc à boire ou à manger, en attendant.
Korie se pencha légèrement sur sa chaise, essayant d'atteindre son portefeuille dans la poche arrière de son jean. Levis l'arrêta aussitôt.
- Oh non, t'inquiètes ! Je veux pas que tu payes pour nous.
- Non, je voulais seulement que tu achètes quelque chose pour moi.
Tobias pouffa d'un petit rire au malentendu. Levis, lui, était toujours aussi embarrassé. Korie attrapa finalement son portefeuille et tendit un billet de vingt à Levis, qui le prit du bout des doigts.
- L'argent te rend mal à l'aise ?
- Ton argent me rend mal à l'aise.
- N'y pense pas, c'est tout.
Levis ouvrit la bouche, la referma. Il souffla, et dit enfin :
- Tu veux quoi ?
- N'importe quoi, je suis pas difficile.
- Et à boire ?
- Pareil.
Levis haussa les épaules et alla à la caisse, entrainant Tobias avec lui. Alors que Korie pilotait toujours son drone avec son joystick, il lança un regard furtif en direction des deux amis, qui observaient les choix de sandwichs, paninis, wraps et salades derrière le comptoir. Il ne l'avait pas montré, mais la réaction de Levis l'avait vraiment intrigué. Pourquoi en fait autant pour vingt dollars ? À l'échelle de Korie, vingt dollars valait moins de vingt cents.
Hier, il avait expérimenté l'acheteuse compulsive qu'était Bella, et aujourd'hui, il y avait Levis qui avait peur de lui prendre vingt dollars. C'était d'un extrême à l'autre, et Korie ignorait lequel était le mieux.
Quand il sortit enfin de ses rêveries, Levis et Tobias étaient revenus à la table, l'un portant trois paninis aux jambons et fromages, trois gobelets de trois breuvages différents, sous différentes teintes de bruns, et une dizaine de biscuits, soit un de chaque saveur proposée par le resto.
- Tiens, il te reste ça, dit Levis en lui tendant approximativement quatre dollars et de la petite monnaie.
- Garde-le, pour le service.
- Non. Tu reprends ton argent !
Korie le dévisagea une seconde, intrigué de son ton presque menaçant, et prit les billets froissés pour les glisser dans sa poche. Un peu embarrassé, il prit un biscuit au macadam, le cassa en deux et mit l'une des moitiés dans sa bouche. Il reprit vite fait le contrôle de son drone qui faisait du surplace dès qu'il le lâchait, répandant des traces graisseuses sur la manette.
Tobias prit l'un des paninis et croqua dedans, laissant une trainée de poudre blanchâtre sur ses lèvres.
- Alors, ton drone, il est arrivé chez Adam ?
- Presque. Ah, je crois que je vois l'immeuble...
Tobias et Levis se levèrent à nouveau pour se poster derrière Korie, observant les images envoyées par le drone. Selon la moitié map de l'écran, il était déjà à plus de six kilomètres de leur emplacement.
- Il capte drôlement loin, ton petit drone.
- Théoriquement, il devrait capter jusqu'à cinquante kilomètres.
- Purée, tu pourrais le ventre à l'armé ! s'exclama Levis.
Korie répondit d'un sourire en coin. Son père avait bien créé quelques drones depuis son entreprise, et l'armée avait été un bon vendeur. Mais ils n'avaient pas à le savoir.
- Ça y est, je suis arrivé.
Korie mit en grand écran les images du drone, retirant de leurs vues la map de Manhattan. Ils voyaient maintenant un immeuble à appartement en brique de cinq étages, zébré d'escalier de secours depuis les fenêtres.
- Comment tu vas trouver Adam, là-dedans ? demanda Levis.
- Eh bien, on cherche.
Le drone s'avança vers la porte en fer du bâtiment, ressemblant étrangement à une clôture de prison, et zooma vers le tableau à sonnette. Un nom et un numéro étaient apposés à côté de chaque bouton.
- Là, dit Levis en pointant l'écran du doigt. Watts, c'est son nom de famille. Numéro 42... il doit être aux quatrièmes étages.
- Tu vois, il t'arrive d'être intelligent, dit Korie avec un sourire en coin.
Le drone remonta jusqu'à la quatrième rangée de fenêtres et les passa une à une. C'était parfois un salon, parfois des toilettes. Korie craignait que l'appartement d'Adam soit centré dans le bâtiment et qu'il n'ait pas de fenêtre dans sa chambre — comme c'était son cas — et commençait à désespérer. Il cherchait un plan B quand il trouva enfin : juste sous une fenêtre menant à une chambre à coucher, il y avait un bureau. Et sur celui-ci, un stylo Bic d'apparence toute simple. Mais Korie l'avait reconnu au premier coup d'œil.
- Mon laser ! s'exclama Korie avec le même entrain qu'un maitre retrouvant son chien après une semaine de dure séparation.
Sans réfléchir, il fit avancer le drone qui se cogna contre la fenêtre. Il fit un « poc » qui résonna faiblement depuis les hautparleurs de l'ordinateur et chuta sur un petit mètre avant que Korie ne parvienne à le stabiliser et le faire remonter. Levis ricana, comme pour se moquer de sa mauvaise manipulation, mais en vérité, il était aussi captivé que s'il regardait un film d'espionnage. C'était un peu le cas, de toute façon.
- Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ? demanda Tobias, penché au-dessus de son épaule gauche tout en continuant de manger son panini, répandant quelques miettes de pain sur Korie. Défoncer la fenêtre ? Avec des explosifs, tiens ? Ou d'autres rayons lasers ?
- J'aime tes idées, mais j'ai bien plus simple...
Ce qu'il fit n'était pas visible à l'écran, mais en réalité, le dessous du drone s'était ouvert pour laisser passer deux bras articulés terminés par trois doigts, telles des pinces. Ce qui fut visible n'était que le bout de ce qui semblait être des pattes avant de T rex en métal, qui se mirent à remuer le loquet de la fenêtre dans tous les sens.
- Attends, dit Levis qui ne comprenait plus rien. S'il y avait ces bras dans le « ventre » du drone, où est son moteur ? Et les piles ?
- Au-dessus. Dans l'espace qui reste.
- Et du coup, ton moteur fait deux centimètres carrés ?
Ce fut au tour de Korie de ricaner. Ce n'était pas pour le simple plaisir de connaitre certains trucs sur la mécanique, mais juste pour se venger de Levis. Celui-ci rougit sévèrement devant le sourire satisfait de Korie.
- Pas deux centimètres carrés. Il est fait sur le long, comme une cartouche.
- Aah...
- T'inquiètes, dit cette fois Tobias, la bouche toujours pleine. Moi, je le trouve cool, ton drone.
- Merci !
À force de secouer le loquet, la fenêtre avait fini par céder. Avec ses bras, il la leva et traversa l'ouverture — Korie se mordit la langue à la difficulté de manipuler plusieurs boutons et le joystick en même temps. Enfin, il était dans la chambre d'Adam. Nerveux de se faire prendre en flagrant délit, il haussa le volume de l'ordinateur, pour entendre ce qui se passait dans l'appartement, puis alla chercher le Bic. Encore une fois, c'était compliqué : il n'avait plus qu'une seule pince pour soulever la fenêtre. Korie s'acharna dessus une minute entière, avant de perdre patience et de laisser retomber le drone sur le bureau.
- bloqué, fit Levis avec un petit sourire en coin.
- Je me laisserais pas avoué vaincu pour si peux ! Faut juste que je réfléchisse...
Il prit la deuxième moitié du biscuit au macadam et but une longue gorgée du breuvage brunâtre qui ressemblait le plus à du café — et qui, en fin de compte, n'en était pas — dans l'espoir de stimuler un peu ses neurones. Quand il reporta son regard sur l'écran, il vit la porte s'ouvrir et Adam entrer.
Le cœur de Korie fit un bond dans sa poitrine et il se couvrit la bouche de sa main pour s'empêcher de recracher son cappuccino – ou peu importe ce que c'était. Tous trois observèrent le géant avec angoisse, persuadé qu'il allait remarquer le drone d'une seconde à l'autre. Mais il leur tourna le dos et une deuxième personne pénétra dans la pièce.
Bella.
Korie grogna comme un chien devant le facteur. Cette fille le répugnait un peu plus à chaque seconde qui passait.
- Il faudrait peut-être trouver une solution rapidement, avant qu'ils ne se mettent à faire des choses qui seraient étranges pour nous de regarder, alors qu'on est dans un café et que d'autres gens peuvent facilement voir ce qu'on fait, dit Tobias à pleine vitesse.
- Mais on s'en fout ! s'exclama Levis. Ne bouge pas, Korie. Au moins pas avant que Bella ait retiré son soutien-gorge.
- Bon sang, Levis... marmonna Korie dans une moue dégoutée. Y' a rien à voir là, elle est hyper rembourrée.
- Vraiment ? fit Levis, visiblement déçu.
- Ouais, j'ai vu ce qu'elle a acheté, hier, avec sa séance de magasinage à mes frais. Sur la facture, c'était clairement écrit « 32-B ».
- Oh, dans ce cas... il faut vite sortir de là !
- Je sais ! J'y travaille !
En attendant d'avoir l'idée du siècle, Korie avait baissé le volume de l'ordi, ne voulant même pas entendre ce que Bella et Adam étaient en train de se dire. Tendit que l'un fermait doucement la porte de sa chambre, l'autre explorait la pièce, observant les affiches de groupe de rock sur les murs, puis se pencha devant une cage renfermant deux cobayes aux poils roux et longs. À cet angle, Korie, Levis et Tobias ne pouvaient que loucher sur ses fesses, oubliant momentanément où était l'urgence.
- Si elle a des seins de taille moyenne, on peut pas nier qu'elle a tout un beau cul ! s'exclama Levis.
Une dame assise à la table d'à côté, indignée de ce qu'elle entendait, lui envoya sa grosse sacoche dans les côtes. Levis hurla un « purée ! », qui ramena enfin les trois ados en pleine puberté au moment présent. Korie appuya sur un bouton de sa manette — une photo des fesses de Bella — et tourna le drone pour qu'il fixe cette fois le mur.
- Même si t'es coincé, je dois avouer que je tire beaucoup de plaisir à avoir été témoin de tout ça, dit Tobias.
- Tu vois que c'est payant de trainer avec moi, dit Korie d'un air suffisant.
- J'ai jamais dit le contraire !
Soudain, l'image à l'écran se mit à bouger d'elle-même, alors que Korie ne touchait plus rien. Il fronça les sourcils, sans comprendre, et la grosse tête d'Adam apparut brusquement devant lui, avec une vue parfaite sur l'intérieur de ses narines poilues. Korie eut un sursaut de surprise, puis de dégout, et enfin de panique. Le son toujours sur mute, il ne put que deviner ce qu'Adam disait, soit « Korie ? » ou peut-être « Oh, oui ? » mais il penchait pour la première option.
Agissant sur un coup de tête, il referma le poing de l'une des pinces mécaniques du drone et l'envoya à pleine vitesse dans le pif d'Adam. Sous les exclamations enjoués de Tobias et Levis, aussi captivé qu'à une partie de football américain à la télé, il s'envola de la prise d'Adam pour tourner en rond dans le plafond de sa chambre, pendant que Korie cherchait désespérément une sortie. Adam lui courrait après, les mains écartées, comme prêt à l'écraser entre ses paumes comme un moustique, alors que Bella criait dès que le drone s'approchait d'un peu trop près.
- Tu lui as explosé le nez ! s'écria Levis, qui sautillait sur place.
- Je voulais pas, j'ai paniqué !
- M'en fiche ! J'adore !
Tobias, lui, riait comme un petit fou. Il avait reposé la moitié restante de panini dans son plateau, et c'était surement une bonne chose, pensa Korie, car il se serait certainement étouffé avec.
Le drone filait comme une minuscule fusée dans la chambre d'Adam. Au désespoir, toujours aussi paniqué, Korie tenta d'ouvrir une dernière fois la fenêtre. Mais une mauvaise manipulation de son joystick lui fit foncer à travers la vitre, qui explosa à son passage. Les yeux de Korie s'agrandirent comme des billes en réalisant ce qu'il venait de faire, alors que, un pas derrière lui, Levis et Tobias lançaient des cris de joie et que d'autres clients du café les regardaient d'un œil noir.
- T'as explosé sa fenêtre ! T'as explosé sa fenêtre, purée !
- Merde, fut la seule chose que pu répliquer Korie. Mon père va me tuer.
Levis et Tobias éclatèrent d'un rire encore plus bruyant. Enfin, Korie souffla, le corps tremblant d'adrénaline. Même si ce n'était pas prévu, il était fier de son coup.
Il fit réapparaitre la map de la ville sur l'ordinateur pour guider le drone jusqu'à lui. Le laser était toujours coincé dans l'une de ses pinces et d'ici cinq minutes, environ, il sera de retour à son propriétaire, à qui il avait tant manqué.
- Enfin, murmura Korie, qui se sentait libéré d'un énorme poids. Et si on allait fêter ça ?
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