Chapitre 27
Tout au long de la journée, Owen avait cherché, en vain. Aucun plan miraculeux ne lui était venu en tête. Tout ce qu'il avait trouvé, aussi stupide que sa tentative d'hier soir, était de se pointer à nouveau dans ce bâtiment désaffecté avec son pistolet et de se la jouer G.I.Joe. Mais c'était idiot, Owen ce savait plus de l'étoffe Kevin James dans le flic de mail, que Channing Tatum.
Peut-être qu'avec un peu de muscu...
Soudain, la porte de son bureau s'ouvrit à la volée, produisant un bang contre le mur, ce qui fit sursauter Owen de sa chaise d'au moins deux pieds de haut et hurler de panique.
- Owen ! s'écria Joseph, le visage rouge cerise et les yeux écarquillés, lui donnant des airs de psychopathe plutôt convaincant. J'ai trouvé ! Mon Dieu, j'ai trouvé, j'ai trouvé ! Je te dis, Owen, j'ai trouvé !
- Mais quoi ?! couina Owen, sous le choc. Qu'est-ce que t'as trouvé ?!
- Le voleur ! Bon sang, le voleur !
- Arrête de te répéter et fais-moi des phrases complètes ! Qui est le voleur ?!
Joseph leva un doigt en l'air pour qu'il patiente, l'autre main plaquée sur ses côtes alors qu'il essayait tant bien que mal de reprendre son souffle. Owen, incapable d'attendre une seconde de plus, se leva de son bureau pour rejoindre son collège, toujours coincé dans le cadre de porte.
- J'ai poireauté toute la journée à me tordre les pouces... alors tu vas me dire tout de suite ce que tu sais !
- C'est Jordan Moreno.
Owen resta interdit à la révélation, dévisageant Joseph sans trop savoir quoi penser.
- Jordan ? répéta Owen en pouffant de rire. Nah, arrête...
- Je te jure que oui ! Attends... faut que tu t'assoies avant d'entendre la suite.
- Mais, Joe...
- Je suis sérieux ! s'énerva-t-il. Allez, va t'assoir !
Owen leva les yeux au ciel en désespoir, puis retourna derrière son bureau pour se laisser tomber sur sa chaise. Il lança un regard torve à Joseph, qui restait debout devant lui, aussi austère que pût être son visage habituellement jovial.
- Il est passé à mon bureau un peu plus tôt pour une histoire que j'ai même pas compris... mais ensuite, sa voix me disait quelque chose, et là... ça m'est revenu ! C'était celle qu'on avait entendue dans l'enregistrement d'hier ! Du type dans le bâtiment, avec le robot. C'était lui ! Mais j'avais quand même des doutes parce que, tu voies... c'est Jordan. Il est gentil, prometteur, un très bon employé : pourquoi irait-il faire ça ? J'ai fait des recherches et — là, tu ne voudras pas me croire — il a un frère... ou devrais-je dire : il avait un frère... mort dans un accident de la route, en février 2049. Ça te rappelle quelque chose ?
Owen écarquilla les yeux. Bien sûr que ça lui rappelait quelque chose. Mais alors...
- Ouais, confirma Joseph, perdant un peu de sa bonne humeur. C'est sa voiture qui est entrée en collision avec celle de Violet.
Owen garda le silence, sous le choc. Comment pouvait-il ne pas être au courant de ça ? L'un de ses meilleurs employés avait de la famille avec le meurtrier de la sienne.
- Pourquoi... bredouilla-t-il.
- Tu sais, t'es plutôt célèbre pour ton travail, Owen — enfin, autant que je le suis. Les journalistes ont sauté sur l'occasion de faire un gros titre. Mais l'autre, le frère de Jordan ? Qu'importe ? C'était juste un type quelconque dans la plus grande ville de l'Amérique. Personne n'en a fait attention. Si son nom a été mentionné, il a vite été oublié.
Owen resta interdit, le regard dans le vague. Il s'en était toujours foutu de sa soi-disant célébrité. À ses propres yeux, il n'était qu'un inventeur parmi tant d'autres, avec un peu plus de talent que la moyenne. Mais jamais il n'aurait pu imaginer que cette même célébrité ait pu contribuer à lui cacher cette monstrueuse vérité qui lui pendait au nez depuis plus d'un an et demi. Peut-être était-ce à cause de ça que Jordan était au courant qu'il possédait une IA hautement performante et qu'il ait décidé de la piquer. Peut-être qu'il savait qu'Owen avait fait un robot à l'honneur de son fils et qu'il avait approuvé l'idée.
Reprenant un peu de contenance, Owen laissa retomber ses mains à plat sur son bureau avant de reporter son attention sur Joseph, qui était resté immobile devant lui.
- Ça résout un mystère qui en apporte encore plus. Pourquoi et comment a-t-il volé l'IA ? Comment savait-il que je l'avais ? Était-il au courant pour Korie ? Pourquoi n'a-t-il pas propagé les rumeurs, dans ce cas ? Il aurait dû le faire, s'il me déteste en croyant ma femme responsable de la mort de son frère. Il l'aurait fait pour me le faire payer. Mais non, il est toujours souriant avec moi, comme s'il ne s'était jamais rien passé !
- Je n'en sais rien, souffla timidement Joseph.
- Et pourquoi avoir attendu tout ce temps ? continua-t-il pour lui-même. Un an et demi plus tard ! Était-ce parce qu'il venait tout juste d'apprendre pour l'IA ? Comment l'aurait-il su : il n'y avait que nous deux pour être au courant !
- Je sais pas, Owen, répéta Joseph avec une pointe d'agacement dans la voix. Je suis au même niveau que toi, là ! Tu ne crois pas plutôt qu'on devrait songer à ce qu'on va faire, au lieu de ressasser des questions auxquels nous n'avons aucune réponse ? Si on attrape Jordan, il pourra bien nous éclairer sur ses intentions.
Owen hocha distraitement la tête, perdu dans ses pensées. Malgré la proposition logique de son collège, il voulait la réponse maintenant. Et c'était même simple de sauter directement aux conclusions : en dehors de lui-même, qui aurait pu parler de l'IA ? La seule option possible, à ses yeux, était bien Joseph, à un demi-mètre devant lui, les paumes appuyées sur le bureau.
- Owen, s'énerva-t-il en claquant des doigts sous son nez. Je sais que ça te perturbe, tout ça, mais fait au moins un effort. Il faut qu'on l'arrête nous-mêmes, ou la police va nous enfermer !
- Et on ferait quoi de Jordan, après ? Il faudra le donner à la police de toute façon, et il parlera contre nous. Si on ne l'y emmène pas, il continuera à se la couler douce. Même si on reprend l'IA et qu'on détruit le robot, il est assez intelligent pour tout refaire lui-même. Vraiment, je vois pas ce qu'on peut faire...
- Oh, tu m'énerves quand tu es aussi pessimiste. Regarde : si on ne fait rien, ce fichu androïde va massacrer tous les gens qu'il croisera sur son chemin. C'est pas une raison suffisante pour au moins tenter de faire quelque chose ? Est-ce que tu te souviens quand tu as créé cette IA ? À peine insérer dans un robot test qu'il a essayé de t'étrangler. Si je n'étais pas arrivé au bon moment, il t'aurait tué.
Si seulement... pensa Owen, qui réussi de justesse à ne pas le dire. Si seulement le robot test l'avait tué, il n'aurait pas souffert de la solitude pendant dix-huit pénibles mois. Et maintenant, il ne serait pas coincé dans cette histoire loufoque d'automates qui se prend pour Pinocchio et d'un autre pour Terminator. Il serait tranquille, dans les nuages, à aimer sa femme et gâter son fils.
Devant le manque de réaction d'Owen, Joseph soupira longuement. Il l'avait bien compris : c'était à lui de prendre les décisions. Il contourna le bureau et vint derrière l'inventeur pour le secouer doucement par les épaules pour le faire réagir.
- Si tu veux rester là à déprimer, tant mieux. Mais moi, je vais faire quelque chose. Montre-moi où tu caches ton pistolet et ton taser.
- Non, attends ! Tu ne peux pas faire ça seul, c'est dangereux.
- Alors, viens avec moi !
Owen pesta à mi-voix. Il avait l'impression de revivre les conseils et questions existentielles dont il abreuvait Korie, dans sa phase « ado insouciant » qui lui allait comme un gant.
- Si on te dit de sauter d'un pont, tu le ferrais ?
- Pourquoi pas ? Je sais nager.
Korie avait toujours le mot juste pour le faire rager. Malheureusement, Owen n'avait pas son talent. Maintenant coincé dans cette même situation, il était incapable de ne pas sauter avec son ami. C'était la moindre des choses, à ce qu'il parait.
- D'accord, grogna Owen. Je vais le faire. Mais uniquement parce que je sais que tu vas te faire tuer en moins de trente secondes.
- N'importe quoi. J'ai des réflexes de guerrier. J'ai passé mon enfance et mon adolescence sur les jeux vidéos.
- Oui, et c'est pourquoi tu fais de l'embonpoint.
Joseph s'empourpra, ne sachant plus quoi répliquer. Owen soupira en détournant le regard.
- Joe... tu as une idée comment il a su, pour l'IA ?
- Je t'ai déjà dit que non, Owen...
L'inventeur hocha la tête, sans insister. Il était sur, ou peut-être devenait-il paranoïaque, que Joseph en savait plus qu'il ne le laissait croire. Mais il savait aussi que maintenant n'était le bon moment pour lancer un interrogatoire. Il fallait d'abord se battre et poser les questions ensuite.
- OK, dit-il en tapant dans ses mains, essayant de se donner un peu d'entrain par la même occasion. Allons sauver le monde, alors.
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