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𝟏. 𝓽𝓱𝓮 𝓭𝓪𝓷𝓮𝓼

L'air était doux. Une légère brise s'insinuait sous les tuniques, balayait les feuilles mortes qui jonchaient la cour, et faisait frémir les bourgeons sur les branches. Le printemps était là.

AEstrid scrutait les fourrés, impatiente. Elle avait vu la biche y bondir, quelques instants auparavant, et distinguait faiblement son bruit de mastication. Elle était tout prêt.

C'est alors qu'elle apparu de nouveau, son pelage brun, éclairé par les maigres rayons qui perçait dans la forêt, prenait une teinte dorée. Levant son museau vers la cachette de l'enfant, elle s'arrêta de mâcher son lierre. Elle l'avait repéré, mais ne semblait pas apeurée.

Après tout, pourquoi l'aurait-elle été ? AEstrid, tout juste âgée de trois hiver, n'avait rien d'impressionnant avec sa frêle carcasse, sa tunique grise, et son épaisse tignasse, dans laquelle s'étaient mêlé feuilles, tresses, et branches. En fait, de loin, elle devait tout au plus lui faire penser à un gros écureuil. Et puis, elle ne lui souhaitait aucun mal. Elle n'était pas armée, et même si elle l'avait été, elle n'aurait jamais frappé la pauvre bête.

Tapis derrière le buisson, la petite fille observait le cervidé avec fascination. Elle aurait voulu la toucher, son poil avait l'air doux, et chaud. Mais, malheureusement, quand elle fit mine de se relever pour approcher, une voix éclata dans le silence de la forêt, faisant fuir l'animal;

AEstrid !

Oh non. Fermant les paupières, la petite brune replongea au sol, serra les dents, et coupa sa respiration, à l'instant même où le craquement des branches sous les bottes atteint sa cachette. Ne pas respirer. Ne pas se faire repérer. Ne faire qu'un avec la nature.

Trop tard. Elle était trop lente, il l'avait vu. Une moue tordit sa bouche, c'était une lamentable performance. "La prochaine fois, il ne me trouvera pas" se jura t-elle. Mais elle se le promettait chaque jour, et pourtant, il la retrouvait, immuablement. Il était trop fort — enfin, c'était sur elle, pas maline, qui adoptait toujours la même tactique.

 S'étalant pratiquement ventre à terre, pour se retrouver face à elle, le grand garçon renifla, condescendant;

— Veux-tu bien sortir de là ?

Aucune réponse.

AEstrid, soupira-t-il, à bout de patience.

— Non.

— Très bien.

D'une prise ferme, il l'attrapa par le dos de sa robe verte, la plus jolie —celle que Mère lui avait bien spécifié, le matin même, de ne pas mettre—, la coinçant sous son bras musclé. Vaincue, l'enfant poussa un petit jappement colérique, consentant avec dépit, à être transportée comme une barrique de vin, jusqu'à sa demeure.

— Père Beocca t'attends, lui apprit-il, sautant par dessus un tronc. 

— Je veux pas y aller.

À l'orée du bois, le transport, loin d'être stable, lui donna la nausée. Il dût, d'une façon ou d'une autre —sûrement car son ventre s'était tordu dans un gargouillement inquiétant— s'en apercevoir, car il gloussa, et d'un geste un peu brut, la reposa à terre, faisant un rempart de son corps, entre la foret et elle. Courir n'était pas une option, ses jambes, trois plus grandes que les siennes ne lui en donnerait pas l'occasion. Elle ne pouvait plus, à son grand damne, s'enfuir.

— Je ne crois pas que tu aies le choix. Ta mère me coupera la tête si tu manques encore une leçon.

Courroucée, elle accepta son sort, non sans frapper quelques cailloux sur le chemin, en guise de puissante protestation. Un jour elle mènerait une révolte contre les gens comme lui. Les casses-pieds qui empêchait les enfants, comme elle, qui avaient pourtant un besoin vitale d'évasion, de s'amuser jusqu'au coucher du soleil.

De plus, il avait tort, Mère ne le tuerais pas. Comment aurait-elle pu ? Après tout, il était l'héritier de Bebbanburg, comme il aimait si souvent s'en enorgueillir.

Uhtred était son frère aîné. Demi-frère en réalité, sa mère était morte depuis longtemps, peu de temps après sa naissance. C'était un beau jeune homme de dix-neuf ans, dans la force de l'âge. Avec ses cheveux châtain, de la couleur qu'ils avaient tous hérité d'Uhtred —leur père, dont le nom s'héritait de fils aîné en fils aîné— son nez busqué, et ses grands yeux bruns, il était tout à fait charmant.

AEstrid aimait beaucoup son frère. Enfin, pas quand, comme à cet instant, il l'obligeait à écourter ses escapades en forêt, jugée "imprudente et sauvageonne" par Mère, pour se rendre à une stupide leçon d'écriture du Père Beocca. Mais quand il ne la trahissait pas, il était une compagnie, disons, plus qu'acceptable.

En passant les portes de la forteresse, l'enfant poussa un énième soupir, arrachant un éclat de rire à Uthred, qui lui ébouriffa la tignasse —retirant au passage quelques feuilles mortes— défaisant sa tresse serrée, qui lui piquait le crâne depuis que les servantes lui avait faite;

— Hé ! Rechigna-t-elle en ricanant.

AEstrid ! Je vous cherchais. Uthred.

Tenant des parchemins, bien enroulés, sous l'aisselle, le Père Beocca venait à leur rencontre. Sa façon de trottiner gauchement, manquant de marcher sur sa robe, et de s'aplatir, face contre le pavé, à tout instant, amusa follement la fillette.

Beocca était le prêtre de Bebbaburg. Du même âge que Père, ou légèrement plus jeune, il n'était pas très grand, chauve, mais drôlement sympathique.

AEstrid l'adorait, ou plutôt, elle adorait le tourmenter. Lui parler des païens, ou employer des termes graveleux —péché auprès des adultes, lors de banquet où la bière coulait à flot— qu'une enfant aussi jeune ne devrait pas connaitre, était un bon moyen de le rendre chèvre.

— Êtes vous prête pour votre leçon ? Demanda t-il avec un sourire.

Non, elle ne l'était pas. Ce n'était pas divertissant d'écrire, ça faisait mal au poignet, l'alphabet lui brûlait la rétine, et l'encre lui empoissait les doigts.

Elle allait conter tous ces bons arguments, dans l'espoir qu'ils la dispenserait pour aujourd'hui, quand le clapotis des sabots lui parvint. Des chevaux, plusieurs, lancés au galop. Son frère l'écarta du chemin des cavaliers, au dernier moment, alors qu'ils déboulaient dans la cour, ahane et nerveux.

Sautant prestement de son frison, noir comme la nuit, Père en tête de groupe, semblait agité. C'était un grand bonhomme, aux yeux couleur océan —ceux qu'elle-même possédait— et à la posture de roi. Il était impressionnant, d'autant plus là, irrité par sa balade sur la plage;

— Uhtred, l'interpella-t-il immédiatement, retirant ses gants. Pars à la rivière avec six hommes. Des païens sont arrivés. Observe-les, compte-les.

— Entendu.

— Ne fais rien de plus.

L'adolescent hocha la tête sous les ordres, tandis que AEstrid reculait d'un pas, surprise par l'agitation ambiante des hommes autour d'elle. Chacun semblait en proie à une panique terrible, se mouvant dans l'espace telles des fourmis dans une fourmilière. Elle ne comprenait pas bien la situation, mais sentait à la tension sur les traits des gens, que le danger était bien réel.

Sa mère, Glenna, descendit les marches, ou plutôt, les avala, la robe relevée, et un air sévère torturant ses traits, d'habitude si doux. Quand elle atteignit le sol de la cour, un garçon s'étala contre le pavé—exactement comme elle avait imaginé Père Beocca le faire, quelques secondes auparavant— en s'extirpant trop vivement de son cheval.

— Obsert, qu'y a-t-il ?

— Des navires, répondit l'enfant en s'essuyant les genoux. J'en ai vu arriver sur la plage.

— Quels navires ?

— De Danois, sur la rivière.

Glenna se récria, une main devant la bouche;

— Que les saints nous protègent. Ils n'ont pas d'âmes.

Affolée, elle rejoignit son mari, qui donnait ses dernières consignes à son fils aîné, qui partit sur le champ.

AEstrid, elle, ignorée ou bousculée par les gens, profita du remue-ménage pour s'enfuir. Elle voulait les voir, ces bateaux qui semblaient terrifier toute la forteresse.

Manquant de rentrer dans un garde, qui arc au poing, rejoignait son poste, elle trouva un bon point de vue. Une meurtrière pas bien grande, qui, fâcheusement, était bien trop élevée pour elle. Elle se mit sur la pointe des pieds, mais son front arrivait à peine à la fente, tenta de sauter, une fois, deux fois, en vain.

— Tu veux de l'aide ?

Les lèvres pincées, elle jeta un coup d'œil timide derrière son épaule, et exhala, soulagée. Ce n'était pas Père, mais Osbert. 

Lui aussi était son frère, plus jeune qu'Uhtred, et plus âgé qu'elle, il était né de la seconde union de leur père. Sa mère était morte en couche, et malgré les efforts de Glenna pour qu'il l'a voit comme une mère, il n' avait jamais pu s'y résoudre.

— Oui, je peux pas les voir.

Il acquiesça, avant de la soulever de terre en puisant dans ses maigres forces de jeune garçon. Il était de neuf ans son aîné, mais était déjà très grand pour son âge, chose qui, la plupart du temps, faisait baliser sa cadette. Mais pas là, en cet instant il était assez grand pour atteindre la meurtrière, et c'était le plus important.

Plissant les yeux, AEstrid n'eut aucun mal à trouver les envahisseurs. Huit bateaux étrangers, toute voile dehors, acheminaient leur trajet vers la terre ferme. Elle n'éprouvait aucune peur face à ce danger, il était loin, perdu sur les flots. En revanche, en contrebas, les villageois qui se marchait dessus, motivés par la panique, pour rejoindre le fort, eux, lui inspiraient la crainte.

Obsert finit par la relâcher avec un râle, elle n'était tout de même pas légère. Guettant à son tour les environs, les sourcils froncés, la bouche pincée, il fixait les bateaux d'un air intrigué.

— Pourquoi j'affaiblis les villages en faisant venir les hommes ici ?

Les enfants se raidirent, les poils sur leurs nuques et leurs bras se dressèrent. Pivotant sur leurs talons, avec une appréhension flagrante, ils rencontrèrent les pupilles de leur père. Mains derrière le dos, il sondait son fils, ignorant sa fille;

— C'est ça, ta question ?

Trop intimidé pour même balbutier, Osbert cessa de respirer.

— On peu rebâtir un village, expliqua néanmoins Uhtred. Mais un guerrier ne meurt qu'une fois. Les Danois se dirigent peut-être vers Eoferwic, mais ils massacreront tous ceux sur leur chemin.

C'était des paroles dures, mais ses enfants se devaient d'affronter les faits. Uhtred faisait preuve d'une grande intransigeance, lorsqu'il s'agissait de leurs éducations. Il n'était pas complètement dénué de sentiments envers sa progéniture, mais de son point de vue —un peu tordu— son amour se gagnait. Et, jusqu'à présent, ses deux derniers n'avaient rien fait qu'il juge assez digne, pour ne serait-ce que leur accorder un compliment, ou dans le cas d'AEstrid, un regard .

Effleurant d'une main l'épaule de son fils, il ordonna;

— Pars chercher le prêtre. Emmène ta sœur.

— Oui, Père, consentit mollement le garçon, attrapant la minuscule main de sa cadette. AEstrid, viens.

Sans demander son reste, elle suivit son frère, évitant soigneusement le regard d'Uhtred. Leur relation n'avait jamais été bonne. Ils se contentaient de la politesse obligée, entre un père et sa fille.

Sans demander son reste, elle suivit son frère, évitant soigneusement la pâleur des yeux d'Uhtred. Leur relation n'avait jamais été bonne. Ils se contentaient de la politesse obligée, entre un père et sa fille.

De fait, Uhtred pouvait se montrer rude. Aussi bruyant que le tonnerre, et effrayant qu'un éclair, ses colères n'étaient pas rares, et chacune d'elles éloignait encore davantage la petite fille — terrorisée par ces crises—de son paternel.

La cabane de Beocca se trouvait à l'Est du fort, elle aimait bien cet endroit. Avec un seul vitrage, fichtrement petit, éclairé à la bougie, la lumière y était en partie absente. Cette ambiance sombre qui déplaisait à ses aînés —particulièrement Uhtred, qui avait pendant longtemps, eut une peur bleue de l'obscurité— l'apaisait.

À peine avaient-ils dépassé la lourde porte, qui grinça sur ses boulons, que le prêtre les avaient repéré;

— Approchez, ne restez pas tapi dans l'ombre.

Obéissant, ils avancèrent. AEstrid comptait les toiles d'araignées qui s'étendaient sur les murs de pierre, avec une certaine exaltation. Plus elles étaient grosses, plus elles les appréciaient.

— Il veut savoir si vous êtes prêts, formula Osbert.

— Presque.

Assis à son pupitre, le profil jaunis par la lueur d'une chandelle, il les invita à s'approcher d'avantage;

— Savez-vous ce que j'ai à faire ?

Contrairement à son père, Beocca se faisait un point d'honneur, à toujours inclure AEstrid dans les discussions, quel que soit le sujet. Il se fichait bien de son genre, de son âge, ou du sujet. C'était une enfant de Dieu, et c'était la seule chose dont il avait cure.

— Hum, une lettre ? Proposa Obsert.

— Répondre à une lettre, corrigea l'homme de foi, pointant un papier. Cette lettre. Qui vient du roi AElle.

Osbert le rejoignit pour lire le contenu de la lettre, quant à sa sœur, elle s'éloigna vers le fond de la pièce, ayant repéré une grosse tarentule, déambulant sur les étagères poussiéreuses du prêtre.

— Il demande l'aide de votre père, son soutien, son armée, afin de récupérer la ville de Eoferwic. D'où l'importance de savoir lire et écrire.

Il appuya ses dires par un regard inquisiteur en direction de la petite fille, qui, l'araignée dans la paume de la main, lui afficha joyeusement toutes ses dents —enfin celles qu'elle n'avait pas déjà perdues— dans un sourire insolent qui fit soupirer l'homme.

Mais le fin rictus qu'il avait au bord des lèvres trahissait son amusement.

— Père ne sait aucun des deux, argumenta Osbert.

Se détournant de l'enfant, Beocca se gratta l'oreille;

— Pour ton père, c'est trop tard.

— Le roi AElle aurait pu envoyer un cavalier.

— Mais comment peut-on être certain qu'il dit vrai ? Ou qu'il se souvient du vrai message ?

N'écoutant absolument pas l'homme, AEstrid se précipita sur son frère, tira sa manche, avant de lui ficher l'araignée, qui grimpait tranquillement sur son poignet, sous le nez. Obsert recula d'un bond, surpris, avant qu'un rictus ne fende son visage;

— Elle est jolie, murmura-t-il, s'éloignant tout de même d'un pas.

Si Osbert, contrairement à leur père, ne répudier pas complètement la passion de sa sœur pour les insectes, ils les préféraient loin de lui, ou écrasés sur un mur.

— Je vais l'appeler Berthe, déclara-t-elle.

— Berthe ?

— Oui, elle a une tête de Berthe.

Sur ces belles paroles, la fillette repartie, s'asseyant sur une malle sale —finissant définitivement d'abimer sa robe— pour converser avec sa nouvelle amie à huit pattes, couvée par le regard —similaire au sien— affectueux de son grand frère.

Beocca poursuivit sa leçon de vie, et AEstrid ne prêta l'oreille, que lorsqu'ils se mirent à converser des danois;

— J'ai entendu dire qu'autrefois, fit Osbert, jouant avec une épée de bois. Nous étions païens. Que Woden et Oden ne faisaient qu'un.

— C'est vrai ? S'intéressa la brune, l'œil pétillant.

— Non, coupa sèchement le prêtre. Nous nous trompions, Rome nous a guidés.

— On dit que les païens ont des dieux féroces.

— Quels dieux ? Sourit AEstrid, faisant passer l'araignée de sa main gauche, à sa main droite.

La veine sur la tempe du prêtre, qui gonflait sous sa peau, ne faisait qu'accroître l'hardiesse des enfants.

— Nous avons raison, ils sont dans l'erreur. Osbert, nous sommes bénis. Je devrais te faire jurer sur la tombe de saint Cuthbert de ne plus jamais évoquer Woden.

Nonchalant, comme à son habitude, le petit garçon arqua un sourcil;

— Mais si j'avais un chien qui s'appelait...Woden ? Que feriez-vous ?

Son habile parade, dérida sur l'instant l'homme, et fit pouffer sa sœur.

— Mais tu n'en as pas, ricana Beocca, en se levant. Allons voir votre père.

Le talonnant de près dans les couloirs, reprenant la main d'AEstrid, qui avait, a contrecœur, relâché son amie Berthe, Osbert continua sur sa lancée;

— Et un cochon appelé Thor ?

Secouant la tête face à ces inepties, le prêtre leur ouvrit la voie. Dehors, l'agitation n'était pas retombée, loin de là, guerriers, femmes et enfants, tous semblait sur le qui-vive. Rejoignant la cour intérieure, plusieurs personnes saluèrent le trio.

— Sais-tu où est ton père ? S'enquit Beocca.

— Il se tapait la servante.

— Tu mens, Obsert.

— Non.

— N'es-tu pas las de provoquer ?

— Non.

Le rictus sur le visage du jeune seigneur était tout à fait crispant, mais, même si elle ne devinait pas le sens de leurs paroles, AEstrid trouvait la situation affreusement cocasse.

Cependant, la bonne humeur les quitta rapidement, quand les cors, de par et d'autres des tourelles, sonnèrent l'alerte;

— Des cavaliers approchent !

Échangeant un regard entendu, la fratrie s'élança vers les remparts, à toutes jambes.

Leur père était déjà là, tout comme leur oncle, AElfric, celui-ci les vis arriver, Beocca aux trousses mais ne put guère les arrêter. Évitant de justesse d'être attrapée par le prêtre,qui tendait la main pour saisir son bras, AEstrid nicha sa tête entre les piques de bois, pour saisir la scène.

Ouvrant de grands yeux, elle haleta.

Juste devant eux, à quelques pas du pont, des cavaliers en fourrures étaient positionnés. Les Danois. Ils étaient arrivés jusqu'à eux. Pourtant Père avait affirmé qu'ils ne viendraient pas, alors que faisaient-ils là ? Aux portes de leur demeure ?

Rongée par la curiosité, elle s'immisça un peu plus entre les barricades, jusqu'à sentir ses pommettes souffrir. Elle les examina tour à tour. Ils n'étaient pas grands, en tout cas moins que les hommes qu'elle avait pu rencontrer. A leurs bras, des boucliers ronds, coloré, à son grand désarroi, et malgré ses efforts, elle n'en distingua pas les motifs. Elle les trouva tout de même magnifique, bien différent de ceux en chêne, banale et terne, des saxons. Des anneaux d'or et d'argent retenaient leurs longues chevelures en de somptueuses tresses.

En les voyant se déplacer, fier sur leurs destriers, elle eut une pensée, qu'elle se garda bien de partager avec ses pairs; C'était des dieux.

Celui en tête de troupe s'avança, enveloppé dans des laines de mouton, son cheval blanc était aussi coloré, de rouge — elle était bien trop jeune pour le voir, mais c'était de sang dont était maculé la bête, et non pas de peinture . Elle plissa les yeux, intriguée. Il retira sa capuche, dévoilant un visage tout en barbe, et un regard bleu, intense, qui transperça la fillette.

Mais, quand il dévoila son bras, jusqu'alors caché derrière son dos, elle poussa un cri de terreur. Dans sa main pendait, pâle, les paupières closes, la tête de son frère aîné.

Écarquillée d'horreur, elle s'écarta rapidement des remparts, et trébucha, s'écroulant au sol. Des sanglots lui entravaient la gorge, et sa vision s'était embuée.

Osbert, dans les bras de Beocca, qui tentait de le soustraire à cette vision, se mit à hurler;

— Non. Non !

Le cœur d'AEstrid battait la chamade, son souffle était court, et tout son petit corps tremblait d'effroi. Elle ne le sentit même pas, quand le prêtre la souleva, pour l'emporter loin de l'épouvante. Elle était paralysée.

Il les emmena, elle et son frère, derrière un pilier. Osbert frémissait, le regard dans le vide, tandis qu'elle chouinait, le nez dans la robe de Beocca.

— Enterrez ce qu'il reste de lui, exigea froidement leur père.

Il les frôla, sans un mot, ni un regard, et redescendit les marches, les laissant seuls, faisant face, pour la première fois, à la barbarie des danois.

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Le soir même, Osbert était rebaptisé Uhtred, fils d'Uhtred, héritier de Bebbanburg. Et le lendemain, à l'aube, le seigneur et son armée partait vers Eoferwic, rejoindre, comme promis, les autres rois.

Quand elle s'éveilla ce matin-là, le visage dans les fourrures, AEstrid eut un frisson. Les combattants avaient déserté le fort, et dieu seul savait s'ils reviendraient. La chimère de son frère, sans corps, avait hanté sa nuit, la laissant somnolente.

Les joues humides, d'avoir si longuement pleuré la veille, dans les bras d'abord du père Beocca — qui l'avait longuement consolée, flattant sa tête jusqu'à ce que son cœur s'apaise— puis de sa mère, elle se leva.

Le chant des oiseaux matinaux fut le seul bruit accompagnant sa traversée des couloirs, pour rejoindre la grande salle. Ce silence inhabituel, dans la lumière blafarde du petit matin, donnait aux murs de pierres, une allure encore plus lugubre.

En pénétrant dans la salle, vide, elle se posta près du feu. Quelques bûches, fendues la veille, crépitaient dans le foyer. Elle frictionna ses mains devant, ses petits membres étaient gelés. Elle ne savait déterminer si c'était à cause du froid, ou du deuil.

AElfric, son oncle, débarqua peu de temps après, s'accordant un copieux repas. Il était aisé de voir, à la manière dont il s'empiffrait, qu'il n'était en aucun cas chamboulé par la disparition de son neveu.

Il n'avait jamais été friand des enfants, et a bien des égards, était encore plus dur que Père. Il obéissait et servait son royaume, autant qu'il le pouvait, mais elle l'avait plus d'une fois surpris, à s'asseoir sur le trône, taillé dans le frêne, de son père, avec un rictus complaisant.

AEstrid ne lui accorda que de brèves œillades méprisantes, en le voyant faire entrer une tranche entière de pain dans son gosier, avant de déglutir. Elle, incapable d'avaler quoi que ce soit, se contenta de jouer, sans un bruit, avec les figurines de bois qu'elle avait laissé trainer.

Et, quand au milieu de son jeu, pour une raison qu'elle ne s'expliqua pas, les larmes se remirent à couler sur ses joues, et qu'elle renversa furieusement les villageois qui l'amusait tant d'habitude, son frère, encore dans sa tenue de nuit, passa la grande porte dans un fracas, apostrophant son oncle;

— Où sont les gens ? Les soldats ?

Accoudé à la fenêtre, écrasant sous ses dents un morceau de viande séchée, AElfric lui adressa un rapide coup d'œil.

— En route pour Eoferwic, menés par ton père, pour s'allier aux autres rois de Northumbrie.

Le garçon exhala, les mains devant la bouche;

— Sans moi ?

— Tu dois rester à Bebbanburg avec ton oncle. Je te protégerai. On s'affrontera au bras de fer.

— Où est le prêtre ?

— Avec ton père. Mange.

Chipant un bout de fromage, qu'il enfonça dans sa bouche, AElfric pointa son doigt vers le plateau de mets sur la table. Mais le garçon secoua farouchement la tête.

— Tu as du travail, Uhtred, gronda son oncle. Dans l'étable. Ils nous reste des chevaux. Mange.

— Je n'ai pas faim.

— Nous avons du travail. Du crottin de cheval à ramasser. Rejoins-moi quand tu auras fini.

Et avec ça, il quitta la pièce. Sans la voix grave de l'homme pour les couvrir, les petits reniflements d'AEstrid cheminèrent jusqu'à son frère, qui jusqu'alors, n'avait même pas remarqué sa présence.

Il la regarda par dessus son épaule;

AEstrid ? Tu pleures ?

— Non !

Essuyant rageusement ses joues avec sa manche, elle lui tourna le dos. Poussant un soupir à s'en fendre l'âme, Osbert fit volte-face, pour rejoindre la porte dérobée sous un rideau, qui servait normalement aux serviteurs.

AEstrid affecta l'indifférence, jusqu'à ce qu'elle n'entende plus aucun son. Il était réellement parti. Promptement, épouvantée de se retrouver seule dans cette pièce sinistre, elle se remit sur ses pieds, glissant son chien de bois dans sa poche, elle lui courut après

— Où vas-tu ? S'inquiéta-t-elle d'une petite voix, tandis qu'il s'enfonçait dans un autre couloir.

— Je dois rejoindre Père.

— Mais-

Il continuait son chemin, sans s'arrêter, la laissant derrière lui. Ses petites jambes n'aidaient pas à la filature, aussi, quand elle atteignit enfin la chambre de son frère, il en sortait déjà, un sac en tissu sous l'aisselle.

AEstrid, souffla t-il, en la trouvant sur le seuil. Ne reste pas là, va rejoindre Mère.

— Non, proclama-t-elle, les poings sur les hanches. Je viens avec toi.

Éberlué, il la fixa comme si une citrouille lui avait poussé sur le crâne. Puis, battant des cils, il la contourna d'un pas pressé;

— Tu ne peux pas venir.

— Et pourquoi pas ?

Il dévalait les escaliers, quatre à quatre, récupérant des pommes, puis un bouclier de bois, scrutant les alentours d'un air effrayé. AEstrid lui flanqua le train jusqu'à l'écurie, où il sella un jeune cheval à la hâte, sans cesser de le supplier.

— Je veux venir, s'entêta-t-elle, rouge de colère.

Le talon sur l'étrier, il lui jeta un coup d'œil exaspéré;

— Tu ne peux pas. C'est trop dangereux. Va trouver Mère.

— Très bien, consentit-elle, arquant un sourcil, vicieuse. J'irais la trouver, et je lui dirais que tu es parti te bagarrer.

— Voilà, fais ça.

Voyant que ça ne l'arrêtait point, elle tenta une autre tactique. Les bras tendus de chaque côté, elle lui barra le passage, revêche. Roulant des yeux, il pesta;

— Pousse-toi.

— Non ! Si tu ne me prends pas avec toi, je hurle.

— C'est ça-

Il sauta de sa monture, imposant et menaçant, elle ne cilla pas. À l'instant où il avança les mains, pour la pousser, elle émit un cri strident, qui lui vrilla les tympans. Apeuré, il plaqua sa main sur sa bouche, couvrant le son. Il frémit à l'idée que son oncle ne le trouve, ou pire, qu'après son jappement, il soit déjà en route, et accepta;

— D'accord, d'accord, tu peux venir, mais ne crie pas.

Avec un brin d'appréhension, il retira sa paume. Pas un bruit. Ses lèvres ne formaient plus qu'une mince ligne, honteusement effrontée. Agacé, il l'attrapa sans un semblant de délicatesse, et l'installa sur son canasson blanc, avant, d'une simple poussée, de se glisser derrière elle. Et au triple galop, ils quittèrent les murs protecteurs de la forteresse, observé sans le savoir, par l'œil avide leur oncle.

______________________

Avachie sur l'herbe, AEstrid croqua goulument dans la pomme qu'avait chipé son frère. Le jus lui dégoulina sur le menton, et elle se débarbouilla avec sa tunique. Mère aurait rouspété, mais elle n'était pas là. D'ailleurs personne n'était là. Au cœur de la forêt, le silence régnait, comme si la nature elle-même, appréhendait la bataille à venir.

Ils avaient établi leur camp de fortune contre un arbre, Osbert avait dormi sur le sol, l'épée serrée contre la poitrine, prêt à agir en cas de danger, et elle, contre le flanc chaud de leur équidé.

Celui-ci poussa un hennissement de satisfaction, lorsque, la paume tendue vers ses lèvres, elle lui offrit la moitié de sa pomme, partageant volontiers le fruit avec l'animal épuisé. La veille, ils avaient chevauché jusqu'au déclin du soleil, quand en haut, sur la colline, leur était apparue la fumée du campement de leur père .

— Cesse de le nourrir, lança Osbert, remontant ses bas. Il doit déjà peser dans les trois-milles livres grâce à toi.

Revenant du fond de la forêt, où il était parti se soulager, il lui fit les gros yeux;

— Il doit être prêt pour le combat.

— Il sera bon à rien, si il n'a rien dans le ventre, assura-t-elle, comme une adulte, en se levant. Et toi non plus.

Plongeant la main dans le sac, elle en sortit une pomme, la plus grosse, rouge comme le sang. Elle la soupesa, l'eau à la bouche, avant de l'envoyer sur son frère, qui la réceptionna habilement.

— Merci.

Il esquissa un léger sourire, le premier depuis la mort d'Uhtred. Rassemblant ses affaires, il finit de lacer le tissu, protégeant son épée, qui reposait sur la croupe du cheval.

Lorsqu'AEstrid reposa les fesses au sol, sans envie particulière d'être utile à son aîné, un grand bruit retentit, faisant presque trembler la forêt. Les corbeaux s'envolèrent en croassant, le poulain dressa une oreille, et l'organe de la petite fille, entre ses côtes, accéléra, tambourinant en rythme, avec ce qu'elle reconnut comme étant les cors de guerre.

Si elle n'en était pas certaine, Osbert le lui confirma rapidement, en lâchant un grand cri affligé;

— Non, pas sans moi !

Il se jeta sur elle. Ou plutôt, sur le bouclier près de sa hanche. Dans une roulade AEstrid l'évita, alors qu'il enfilait en hâte sa lourde cotte de maille, dans des gestes enfiévrés, poussé par la crainte de ne point arriver à temps sur le champ de bataille. Il récupéra son heaume, son bouclier, et se rua vers son poney.

Sa sœur l'observa, sur ses deux pieds, hébétée, l'esprit en ébullition Si bien que, quand il chevaucha et s'élança entre les chênes sombres, il lui fallut quelques minutes pour concevoir la situation dramatique dans laquelle elle se retrouvait.

Il l'avait abandonné.

Son frère venait de l'abandonner. Là, au cœur des bois, seule, sans défense, hantée par les beuglements lointains des soldats qui périssaient au front, et les narines assaillies par une vive odeur de brûlé. Cela sentait le cochon à la broche, mais, même si elle doutait que cette terrible odeur proviennent d'un dîner porcin, elle tâcha de s'en convaincre.

Mais ce réconfort fut de courte durée. Bien vite elle prit l'ampleur de sa position, eut une réaction digne d'un marmot de son âge: elle s'écroula sur la terre, la caillasse et les feuilles, blessant ses genoux, et, rejetant sa tête en arrière, se convulsa dans de gros sanglots;

— Je veux rentrer ! Exigea t-elle en reniflant. Obsert !

Bien entendu, son désespoir ne trouva aucun public. Son frère était sûrement arrivé dans la bataille, ou du moins, il s'en approchait. Il n'y avait personne, elle était seule. Affreusement seule.

Elle chouina un moment, jusqu'à ce que la peau de ses joues et de son cou, se teinte du rouge le plus écarlate, et que son nez, qui ressemblait à un bouton de rose, se soit souillé de sa dernière morve. Ainsi, quand les pleurs cessèrent —car son petit corps avait échappé chaque fluide qu'il était capable de contenir— que sa gorge était asséchée, et sa panique disparue, elle se releva sur des jambes molles.

Dans un élan rageur, elle balança son pied dans un tas de feuilles, qui s'envolèrent dans un panache de couleur. Il l'avait abandonné. C'était inacceptable, un outrage de la pire espèce, et lorsqu'elle en parlerait à Mère, en rentrant, il se ferait sévèrement remonter les bretelles.

Son plaisir à l'esprit, d'aller lui annoncer qu'elle comptait tout dire à sa mère et son oncle, elle se mit en route, les poings serrés le long de ses flancs, écrasant d'un pas furieux le sol mousseux de la forêt.

Dans le sillage des sabots, Obsert avait laissé une longue traînée de terre labourée, parfaitement visible, permettant à sa sœur de le pister avec aisance, tout en ajoutant—à peu près tout les deux mètres— à sa route, une flopée d'injures, qui firent s'enfuir les quelques malheureux oiseaux qu'elle croisa.

— Mère va le gronder, oh oui, elle va l'enfermer dans sa chambre, et ce sera bien fait !

Prononçant ses terribles représailles à foison, avec pour seule oreille, celles des arbres et peut-être de ce fameux dieu, dont le Père Beocca lui rabâchait le crâne à longueur de journée, elle dû s'arrêter net, lorsqu'elle ouïe un bruit familier.

Quand elle releva le nez, qu'elle avait sciemment gardé, tout comme ses yeux, rivés au sol, afin d'être sûre de ne point se perdre, elle rencontra une croupe blanche et immaculée. Le poney d'Obsert se tenait là, hennissant, ses oreilles pointues quillées.

En l'apercevant, AEfrid fut prise d'un si grand soulagement, que les larmes lui montèrent de nouveau.

— Hector !

Filant aussi vite qu'elle le pouvait, un large sourire sur la ganache, elle rejoignit le canasson. Celui-ci commença par se tasser, sur ses gardes, avant de finalement se détendre sous la pression qu'exerçait la paume de l'enfant contre son flanc. Il portait toujours certaines des affaires de son frère, mais lui était introuvable.

La fillette enfonça son visage dans le cou de l'équidé. Il puait le foin mouillé, l'herbe et l'urine, mais elle s'en fichait. Même sans Osbert, Hector pourrait la ramener chez elle, et cette certitude fit se répandre une chaleur au creux de son estomac. Bientôt elle serait à la maison.

Seulement cet instant de béatitude ne dura pas.

Derrière l'épais rideau d'hêtres à sa droite, quelqu'un poussa un hurlement. Un tel son...Cela n'avait rien d'humain. Le sourire, si large, si pur, d'AEstrid se tordit, avant de s'évanouir. Hector frappa le sol de son sabot. Une bête était là dans ses bois. Une terreur primitive l'anima, et quand elle perçut d'autres cris, très humains cette fois, qui transmettait une souffrance sans nom ni visage, elle couina.

L'épais troncs des arbres la laissait aveugle à la situation, mais une seule chose était certaine, elle ne pouvait pas rester là. C'était la mort, lente et cruelle, qui l'attendait derrière.

Fuis, fuis !

Alors, ni une ni deux, elle posa un pied sur l'étrier. Elle n'était montée seule qu'une seule fois —poussé par ses frères, qui l'avait traité de poule mouillée— et cela s'était soldé par un échec cuisant, et une humiliation telle, qu'elle n'avait plus jamais réessayé. Cependant là, il le fallait.

Accrochant ses mains tremblantes à la selle, elle se hissa gauchement. Son bassin glissa sur le cuir, et elle arrima ses bras autour du cou d'Hector afin de ne pas tomber. Une fois haut perchée —si un poney pouvait être considéré comme haut— elle ficela ses mains aux rênes.

Alors le tonnerre gronda. Figée sur sa selle, elle déglutit, et fixa le ciel. Il était gris, blanc, mais aucune trace de la couleur sombre, si spécifique à l'orage. Ce n'était pas l'orage. C'était le même bruit qu'elle avait entendu des centaines de fois, à l'aube, alors que les soldats de son père s'entraînaient, suant, haletant, de la boue jusqu'aux genoux. C'était le bruit de l'acier se fracassant sur le bouclier.

Le son sauvage ne s'était toujours pas arrêté. Houh, houh, houh. Quel genre de bête était-ce ? Sa curiosité manqua de l'emporter, mais sa peur, vive et aussi palpable que le crin de son destrier, l'empêcha de rechercher davantage.

Forte d'avoir longuement observé les garçons, depuis la tour qu'était sa chambre, elle tira sur les rênes, se détournant de ce petit bois morbide. Elle rentrait chez elle. Immédiatement.

Mais, alors qu'elle s'apprêtait à lancer Hector, une exclamation, assez puissante pour couvrir le tonnerre, et faire taire les bêtes s'éleva par delà les arbres;

— Père !

Obsert.

Son sang se glaça dans ses veines. Paralysée, indécise et terrifiée, AEstrid clos les paupières. Son frère était avec les créatures, à leur merci, elle avait pris son poney, et si elle partait alors, elle aussi, l'abandonnerait. Il serait tout seul, comme elle quelque temps auparavant.

Dépassant, en puisant dans une braverie qu'elle ne se soupçonnait pas, sa couardise, AEstrid ravala ses pas, et avec une forte pression de ses talons, tout en se répétant qu'elle voulait rentrer, fit s'élancer Hector, au galop, vers la mort.

Les branches la griffaient, lui lacéraient les joues, mais elle ne s'arrêta pas, elle continua. Les larmes ruissellent sur son visage, apaisaient ses blessures. A mesure qu'elle approchait, si vite que le reste de son paysage s'était flouté, le tonnerre s'intensifiait, et avec lui, l'odeur nauséabonde du cochon brûlé.

Sans crier gare, Hector se cabra. AEstrid atterrit au sol, le souffle coupé, manquant de peu, un caillou pointu, qui lui aurait valu une sacrée entaille.

Toussant, AEstrid s'essuya le visage, sur lequel, terre et larme, s'était mêlée. Son corps était douloureux. C'était pire que la première fois, où, bien que dégoutant, le crottin dans lequel elle avait fini, avait protégé ses membres.

— Non !

Obsert. Sans attendre, elle se redressa, et, dépassant Hector, se mit à courir à travers les arbres. Obsert. Elle devait trouver son frère.

Bientôt ses bottes ne foulèrent plus la caillasse et les feuilles, mais une terre noire, aride, carbonisée, et, avant qu'elle n'ai pu le réaliser, elle se retrouvait au cœur de la bataille.

Des corps s'entassaient là où elle marchait, les corps de saxons, certains inconnus, d'autres avec qui elle avait grandi. Obsert. Elle se détourna.

L'affrontement était toujours violent, les lames scindaient les peaux, les boucliers brisaient les crânes, elle ne regardait pas, elle courait, à travers les épées, les cris, et le sang.

Obsert, Osbert, Osbert.

Un énorme guerrier, assailli par un soldat saxon la bouscula. Son poids s'écrasa sur le sien, et elle chuta, le nez contre la cendre, coincée sous la masse chaude et inerte. Mort, elle était sous un mort.

— Obsert ! S'égosilla t-elle, la vision embuée, ses côtes aplati par le corps, alourdi d'armes et de mailles. Obsert !

Sa voix se brisa. De sa main libre, elle griffa la terre, sans réussir à se dégager. Non, elle ne voulait pas rester là. De toutes ses forces, elle tenta de remuer les hanches. Elle se tortillait, les dents serrées, le visage couvert de cendres, sillonné par ses larmes brûlantes.

L'air ne voulait plus rejoindre ses poumons, et elle sentait le sang de cet étranger se répandre dans ses cheveux, dont les tresses devaient s'être emmêlées durant sa chevauchée.

— Osbert ! Tenta-t-elle une dernière fois.

Mais rien. Rien que les grognements des combattants, les gémissements des soldats à terre, agonisants, et le crépitement des flammes, qui consumaient encore certains arbustes.

Épuisée, tant physiquement que émotionnellement, elle cessa de se battre. Sa main se relâcha la terre, ses jambes s'immobilisèrent, et dans un dernier souffle, elle laissa sa joue se fondre avec les débris.

— Os', souffla-t-elle du bout des lèvres.

Puis ses yeux se fermèrent.

______________________

— Qu'est-ce que c'est que ça ?

— Une fille, enfin je pense, elle était sous le corps de Bjorn.

— Elle vie ?

"Évidemment que oui" Pesta AEstrid, mais elle ne put prononcer une syllabe. Elle était plongée dans un brouillard, une sorte de demi-conscience. Elle voulait se réveiller, répliquer à ces hommes —puisque les voix étaient graves et profondes— qu'elle était bien vivante. Mais c'était impossible.

Son corps le lui refusait obstinément.

— Oui, en tout cas, elle respire.

— Tu crois qu'elle était avec le garçon ?

— Peut-être, mais elle n'a pas vraiment l'air d'une saxonne.

L'autre ricana grassement.

— Avec tout ce sang, difficile d'en juger.

ll se joignit à lui.

— C'est vrai.

Cette voix, malgré son écho qui bourdonnait dans son cerveau était plus claire, comme si il était plus près. Réveille-toi.

— Si elle meurs, jette-la, si elle vie, tu en prendras la responsabilité.

— Très bien.

Pendant un temps plus rien, si bien qu'elle pensa avoir rêvé. Oui, c'était cela, elle rêvait, et elle allait se réveiller dans ses fourrures à Bebbanburg, elle boirait un lait de chèvre chaud —son préféré—puis irait jouer et embêter Obsert et Uhtred. Mais, la voix revint, comme une main tendue à travers la brume, pour l'aider, la relever.

— Elle vivra.

Son timbre était confiant.

— C'est une enfant de Freyja.

Sans comprendre un traître mot de ce baragouinage, elle voulut quand même riposter. Tant et si bien, qu'elle finit, après un long acharnement à battre des cils. Rien de ce qu'elle voyait n'était net, et tout était si étrange. Elle comprit qu'elle était simplement dans une position absurde, le corps en travers d'un cheval, comme un paquet.

Quand sa vision s'adapta, elle dû faire un effort presque insurmontable pour ne pas repartir dans les nuages. Contractant chaque muscle de son corps, ballottée, elle faillit dégorger son dernier repas en examinant ce qui l'entourait.

Du feu, des tas de corps entassés, certains hurlants encore, les boyaux tout dehors, et la plaine, autrefois verte et luxuriante, ravagé par les flammes et le sang. Si ce que Beocca racontait était vrai, alors cela, cette scène macabre, devait être la chose la plus proche qu'il existe de l'enfer.

Et, tandis que son esprit repartait dans un lieu moins chaotique, elle songea;

Je ne rentrerai jamais chez moi.

Gigi

ça a pris un peu de temps, mais voilà, l'histoire de kings débute ;)

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