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Chapitre 70

« - On doit le sauver.

- Mais comment ? Tu es drôle à dire des choses aussi limpides mais expose-nous un plan plutôt. »

Seoho perdait clairement patience. Cette nouvelle facette de sa personnalité s'était dévoilée lorsqu'il avait été envoyé au camp après que les mariés s'étaient enfuis du Palais dans le but de protéger Dongju qui allait extrêmement mal. Des gardes avaient longuement torturé l'adopté, prenant un malin plaisir à étudier les différences de son corps puisqu'il n'était pas un Ajri pur mais un hybride ou un monstre comme ils le disaient si bien.

Ses ailes rougeoyantes étaient constamment embrasées depuis, ne cachant plus sa situation de mi-Djegur aux autres. Maintenant qu'il était dévoilé comme traître, Seoho voulait assumer ses origines. De plus, ce brasier constant lui permettait de se protéger puisqu'on avait tenté à plusieurs reprises de lui couper son plumage. Cependant, ses flammes étaient si intenses que les lames des couteaux et autres ciseaux fondaient rendant la tâche impossible.

Ses canines pointues sortirent tandis qu'il faisait les cent pas dans cette salle à l'abri des regards, du moins, pour quelques minutes puisqu'on allait bientôt retrouver leurs traces.

« - Dongju ne va pas tenir longtemps, souffla Wooseok. On doit le sauver maintenant sinon il sera trop tard. »

Depuis l'entretien avec le Roi Kim, l'ancien servant du Tokësor était plongé dans un état dépressif accru. Ses yeux étaient constamment voilés, les larmes perlaient sur ses joues et il peinait à tenir son rôle de serviteur tant ses forces l'abandonnaient.

Wooseok était dépassé par la situation, son esprit était tellement troublé que ses pouvoirs reprenaient parfois le dessus semant un petit chaos dans les couloirs ou les cuisines du château. Le domestique était en train de s'effriter, il voyait l'état de Dongju s'empirer à chaque fois qu'il passait par la salle du trône pour servir le Tyran lors des repas : c'était horrible de voir son ami ainsi.

« - Wooseok a raison. Il nous faut agir sinon Dongju va mourir sans qu'on n'ait rien pu faire et Geonhak ne surpassera jamais cette épreuve. »

Youngjo était le seul stable mentalement. Son sang-froid était surprenant et les deux autres étaient fascinés par cela et ils n'arrêtaient pas de lui demander son secret pour tenir le coup. Cependant, l'aîné répondait toujours la même chose et ces paroles étaient si floue, indescriptible dans l'esprit des deux. Zieutant dans l'embrasure de la porte afin de s'assurer qu'aucun garde n'avait repéré leur cachette, l'ami de Geonhak regarda les personnes présentes dans la pièce avec détermination.

« - On doit raisonner Geonhak. Il est le seul à pouvoir nous aider à sauver Dongju. Nous trois, cela ne sera pas suffisant pour le protéger. On est beaucoup trop surveillé, jamais on ne pourrait s'approcher de Dongju aux vues de notre garde rapprochée.

- Penses-tu réellement qu'il pourrait le délivrer ? Il est tout aussi surveillé que nous, ajouta Seoho en croisant ses bras.

- Beaucoup moins. J'ai observé tout ça et Geonhak est de moins en moins épié. Le Roi n'a pas suffisamment d'hommes de confiance pour nous surveiller tous les quatre donc il est plus laxiste avec son fils puisqu'il pense l'avoir totalement sous son contrôle.

- Il n'a pas tort, gronda Wooseok qui ne portait pas le prince dans son cœur depuis l'épisode du camp. Le prince Kim a quand même tué ce gamin. Normal qu'il le pense sous son contrôle, il l'est totalement. »

Youngjo soupira en se retournant vers son collègue qui semblerait avoir du mal à pardonner au noble mais, un jour, il comprendra la situation et lui aussi verrait combien Geonhak souffrait.

« - Ne sois pas trop dur avec lui Wooseok.

- Et toi, ne sois pas trop clément avec lui, Youngjo.

- Il est sous drogue. Combien de fois devrais-je te le répéter ? Le Roi le manipule à cause de cette substance, jamais Geonhak ferait cela de son plein gré.

- Je continuerais de douter tant que je n'aurais pas la preuve de ce que tu dis. »

L'aîné claqua sa langue sur son palais tout en lançant un regard vers Seoho dans l'espoir d'avoir du soutien de sa part mais ce dernier n'entra pas dans le débat. Au contraire, il y mit fin à cause de l'arrivée d'un garde à l'angle du couloir.

Mécaniquement, ils se séparèrent en trouvant chacun leur issue. Seoho resta sagement dans les lieux tandis que les domestiques prirent une sortie réservée au personnel afin de fuir l'endroit sans être vu : leur sortie était parfaitement orchestrée, les gradés n'y voyaient que du feu à chaque fois.

La porte s'ouvrit à l'instant même où Wooseok avait refermé le battant de l'armoire qui servait d'issue et l'adopté tourna lentement son regard vers le nouveau venu. Cependant, la personne qui apparut ne fut pas celle escomptée, bien au contraire, cela était une surprise totale.

Les yeux écarquillés de stupeur, Seoho ouvrit la bouche mais aucun son ne fit vibrer ses cordes vocales. Que faisait-il ici ? Les ailes de flammes du Djegur perdirent leur brasier tandis que son regard se déposait sur ce corps si fatigué. Que lui avait-il fait ? Les yeux gris du garçon étaient limite translucides, aucun éclat scintillait dans ces derniers et cela terrifiait Seoho qui se demandait s'il n'allait pas finir comme ça prochainement. Après tout, le Roi avait besoin de lui pour son plan. L'adopté devrait finir par plier genou pour exécuter cette mission de grande ampleur. Mais quand est-ce son tour arrivera ?

« - Ge... Geonhak ? »

Seoho était brusquement calme. Sa haine pour les Ajri n'était plus. Voir son petit frère aussi détruit, mourant, était une chose qu'il n'arrivait pas à gérer, à supporter. Son cœur s'effrita, ses pas se rapprochèrent à tâtons de cette silhouette métamorphosée qui se tenait devant lui tout en l'observant avec une détresse sans nom.

« - Geonhak... Je... Désolé. »

L'adopté était proche de son frère, sa main tendue devant lui mais il n'osait pas toucher le corps de Geonhak de peur qu'il finisse par se mettre à hurler d'effroi ou parte dans une crise de panique incommensurable. De ce fait, l'aîné laissa sa main dans l'air avec l'espoir que le Kim vienne lier ses doigts : il voulait l'aider, le sortir de cet Enfer qu'il allait sûrement rejoindre tôt ou tard.

« - Je... J'ai voulu protéger Youngjo et Wooseok. J'ai f-fait de mon mieux pour partir rapidement mais il était bien trop futé pour ça... Il avait tout prévu : ta fuite et la nôtre. Il nous attendait au point de sortie comme si tout avait été divulgué. D-désolé mon frère... »

La culpabilité rongeait le plus vieux. Il n'avait parlé de tout cela à personne, son cœur était lourd de regrets depuis que l'adopté avait failli à sa tâche de protéger les deux domestiques. Il voulait bien faire mais il avait échoué de manière pathétique : le Roi avait été plus malin que lui, il avait déjà plusieurs tours d'avance.

Une larme roula sur la joue du plus vieux, son regard était brisé et les morceaux n'arrêtaient pas de s'éparpiller dans son organisme. Il avait besoin de lui, de son frère, pour aller mieux mais ce dernier s'éteignait à vue d'œil, comme son mari.

« - S-Sau... Ve... L-le... »

Geonhak avait une voix naturellement grave mais, cette fois, elle était encore plus profonde. On avait cette l'impression que ses mots sortaient des profondeurs de son corps, de son âme. Ces deux termes avaient été murmuré avec tellement de difficulté, ses lèvres s'étaient mises à trembler après tellement d'effort et un filet de sueur recouvrait le front du Kim qui respirait péniblement : on avait l'impression que ce dernier avait couru marathon en prononçant deux mots.

Inquiet, Seoho se rapprocha mais Geonhak eut un mouvement de recul mécanique et cela le fit grimacer imperceptiblement : il perdait le contrôle. Son esprit, qui avait été clair quelques minutes, devint à nouveau brumeux et son cerveau redevint possédé par la substance injectée quelques heures auparavant. Ses yeux translucides se fermaient, ses paupières battirent puis la teinte gris terne recolorait ses iris surprenants Seoho.

L'aîné voulut dire quelque chose, faire un geste vers son petit frère mais il n'eut pas le temps car ce dernier quitta la pièce de manière robotique. Ses gestes étaient artificiels, sa posture exagérément droite tout comme sa tête. Dans le couloir, on pouvait entendre le rythme caractéristique de ses pas avec cette cadence bien trop régulière et parfaite.

« - Geonhak ! »

Seoho quitta la salle en panique, son cœur brisé pulsait dans tout son corps tandis que son souhait d'aider son cadet était démesurément fort. Ses jambes poussèrent sur le sol, en quelques foulées il était proche de Geonhak et il s'apprêtait à lui attraper le poignet lorsqu'une main saisit son épaule le faisant basculer violemment en arrière. Sa tête frappa le carrelage, sa vision s'assombrit quelques secondes à cause du choc qui avait coupé sa respiration.

« - Te revoilà le monstre, on te cherchait partout ! »

Seoho battit des paupières, la vue revint lentement et il discerna le visage des gardes l'épiant sans cesse. Ces derniers prenaient un malin plaisir à frapper le noble et le rabaisser à cause du fait qu'il était Djegur : du racisme pur et dur.

Les ordures donnèrent deux ou trois coups de pieds à l'adopté en lui ordonnant de se lever car il avait un truc de prévu mais ce dernier se focalisa sur le corps de son frère qui s'en allait à l'angle du couloir. À aucun moment il ne s'était retourné, Geonhak ne lui avait même pas lancé un coup d'œil triste. Non... Il était juste parti comme si tout était normal, que rien de grave ne se passait.

« - Ne me laisse pas. »

Seoho souffla ses paroles dans une respiration coupée par l'assaut d'un des gardes qui lui ordonnait encore de se lever. Ce « rendez-vous » effrayait l'adopté, sa voix intérieure lui hurlait de fuir immédiatement mais son acte aurait des conséquences directes sur Dongju : il ne voulait pas diminuer davantage l'espérance de vie du plus jeune.

Tremblant, le Djegur finit par se redresser et les gardes le poussèrent sans hésiter vers l'endroit mystérieux. Qu'allait-on lui faire ? Seoho ne savait pas mais cela le terrifiait. Ces derniers jours, on n'arrêtait pas de l'étudier, l'analyser sous tous les angles et cela lui rappelait beaucoup trop ses premiers mois à Zéphyr : la Sélection.

Ses pas étaient presque fatalistes, son regard chercha de l'aide dans le personnel mais tout le monde le regardait avec méchanceté et dédain : il était un monstre à leurs yeux, une erreur de la Nature. Seoho était un Djegur, un habitant du Pays du Feu, une abomination de ce monde.

Il n'était pas accepté ici, dans ce peuple aux idées extrêmes à cause de leur Roi tyrannique. Si Seoho était lapidé sur place, personne ne lèverait le petit doigt pour lui, certains lui jetteraient même quelques pierres : il devait mourir, c'était ce qu'on lisait dans leurs yeux.

« - Allez, entre, le monstre. »

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