Chapitre 37
« - Détends-toi, il ne va pas te tuer.
- Qu'est-ce que tu en sais ? Ce gamin est un sauvage quand il le souhaite ! »
Geonhak tournait en rond autour de la table de sa chambre. Le prince était élégamment apprêté d'un ensemble se voulant sobre mais classe. Un pantalon droit noir recouvrait ses jambes fuselées, son haut était une simple chemise blanche un peu ouverte dévoilant le haut de son torse musclé et cela suffisait amplement. Les cheveux coiffés approximativement, le prince de Zéphyr ne cessait de les tripoter tant il était stressé. De ce fait, Youngjo avait jugé inutile de les dompter puisque son ami détruirait son travail méticuleux en quelques secondes.
« - Tu vas juste lui parler, il ne va pas te planter un couteau en plein cœur.
- Je suis certain qu'il en serait capable, confessa avec angoisse le Kim. C'est un vrai petit chien enragé.
- Les chiens te font peur maintenant ?
- Uniquement ceux s'appelant Dongju ! »
Le domestique eut simplement le temps de rire avant qu'une personne vienne toquer à la porte brisant l'ambiance si particulière qui régnait dans la pièce. Geonhak sursauta en lançant un regard stressé, voire légèrement noir, à l'entrée tandis que Youngjo s'avançait vers la cloison boisée en conseillant son ami de se calmer. Le servant était certain que tout irait bien, son instinct lui murmurait que ce choix était le bon.
« - Bonjour Wooseok, commença le serviteur du futur Roi.
- Bonjour Youngjo. Le prince Son est habillé, j'ai réussi à lui faire enfiler une tenue. Vous pouvez aller le rejoindre dans sa chambre le temps que j'aille aux cuisines pour ramener son plateau repas. »
Pour associer ses paroles à des actes, il pointa avec un petit mouvement de tête le déjeuner reposant sur un chariot. L'assiette n'avait pas été touchée, l'ensemble était toujours parfaitement dressé. Seules les marques de lèvres sur le verre montraient que le marié de Geonhak avait bu un peu d'eau, sûrement sous conseil de son serviteur inquiet. Ce dernier avait toujours ces prunelles sombres qui trahissaient sa peur, son cerveau semblait fonctionner à plein régime à chaque instant de la journée afin de trouver une solution à son maître. Et, aujourd'hui, il en avait peut-être une devant ses yeux et elle s'appelait Kim Geonhak.
« - Nous ferons de notre mieux pour l'aider. Essaye de te reposer un peu le temps qu'on applique notre plan, Wooseok. Je te rejoindrai dans la chambre du prince Son si les deux ont réussi à rejoindre le point de rendez-vous en un seul morceau. »
Un petit sourire fut échangé entre les deux domestiques tandis que Geonhak s'approchait tout penaud du duo puisqu'il voulait entendre ce qu'ils disaient. Hélas, le garçon n'eut pas cette chance puisque Wooseok s'en alla en saluant le serviteur du futur Roi avant de rejoindre la cuisine avec son chariot.
Youngjo entraîna son ami dans le couloir, étant assez proche de la sortie il dût simplement lui donner un petit coup de coude afin qu'il sorte de la pièce. Avec un regard complice, le domestique rassura son camarade paniqué qui remettait en cause ce plan depuis quelques jours alors qu'il était à l'origine de ce dernier. Kim Geonhak craignait d'être rejeté une énième fois, que son mari finisse par montrer une fois de plus les crocs avant de lui vociférer des horreurs qui pourrait lui faire perdre la raison.
C'était pour ce dernier motif qu'il avait convaincu son domestique de l'accompagner jusqu'à la chambre du petit prince : Youngjo devait s'assurer que tout puisse se passer correctement et dans une grande diplomatie.
Le trajet entre les deux chambres fut, hélas, plus court qu'il ne pensait. Le Ajri sentait une boule se former dans sa gorge, une sueur froide roulait le long de sa nuque tandis que ses pupilles étaient dilatées tant il appréhendait l'instant. Son cerveau était inondé par l'adrénaline, ses idées se brouillaient sous les quantités de dopants naturellement sécrétés et sa main se figea devant la cloison qui le séparait de son compagnon de vie : il n'osait pas frapper à la porte. Son esprit fut envahi de questions inutiles, sa lâcheté revint à la charge voulant le convaincre d'opérer un demi-tour immédiatement mais Youngjo déposa sa main sur l'épaule de son maître ce qui lui permit de se recentrer.
« - Tout va bien se passer. »
Des mots bien sobres qui résonnaient comme un conseil maternel à l'oreille du prince qui soupira en fermant ses paupières afin de se concentrer sur ce conseil et cette main enlaçant son épaule : il avait raison. Dongju n'était pas un monstre, c'était un humain perdu dans un Royaume qui n'était pas le sien, souffrant à cause d'un tyran que Geonhak connaissait trop bien. La pire chose que le prince du Lotus pourrait lui faire serait de lui briser quelques os et créer quelques plaies en plus de l'humilier mais... Qu'est-ce donc à côté d'une vie ? Car, oui, la vie de Dongju était clairement en danger à son stade de dépression.
Toc, toc, toc.
Le silence résonna dans le lieu, la respiration du futur souverain s'était stoppée en attente de cette réponse qui ne semblait pas arriver.
Toc, toc, toc.
Il retenta l'expérience en sentant la pression autour de son épaule être renforcée. Son courage était monté d'un cran, ses coups furent plus francs et forts faisant qu'il était clairement audible à l'intérieur de la pièce. Néanmoins, il n'eut toujours pas de réponse et Geonhak se sentait abandonné l'idée. Sa main glissa le long de la paroi jusqu'à rejoindre sa cuisse, sa tête se baissa et il s'apprêtait à tourner les talons tout en disant à Youngjo qu'il rentrait lorsque, soudain, une voix s'éleva de l'autre côté de la porte.
« - Entre Wooseok, tu n'as pas besoin de frapper tu sais. »
Figé dans son action de résiliation, les iris orageux de Geonhak croisèrent les prunelles rubis de son domestique qui l'encourageaient avec son regard flamboyant. Sa main captura la poignée sur laquelle il appuya avant de pénétrer le lieu camouflant l'existence du prince Son : il était tellement inerte que des rumeurs couraient dans le palais insinuant que Dongju n'existait pas. À l'intérieur, quelques rayons de soleil se diffusaient timidement dans la pièce créant une lueur tamisée. Les meubles étaient parfaitement alignés, aucuns objets ne traînaient comme si personne n'habitait ici. Seul le lit était en désordre puisque les draps étaient froissés et une maigre silhouette était assise sur le bord de ce dernier en étant dos à la porte.
Dongju fixait le vide, ses mains posées sur ses jambes devenues squelettiques à cause de l'alimentation quasi-inexistante : le jeune prince s'était métamorphosé en un mois. Ses racines brunes étaient visibles sur le haut de son crâne créant un fort contraste avec ses longueurs blondes qui semblaient si ternes et fourchues. Le plus terrifiant, du point de vue de Geonhak, était les mains du garçon qui ressemblaient œil pour œil à celle d'un squelette. Les os n'étaient plus visibles à ce stade, c'était devenu l'élément majeur de sa main et seul l'épiderme du garçon englobait ses phalanges afin de leur donner cette teinte crème caractéristique de la peau de Dongju à l'état de vivant.
« - Putain... »
Geonhak n'avait pas pu retenir ce juron en face de ce triste spectacle et Youngjo, lui-même, était stupéfait de l'état du plus jeune. Pourtant, ils avaient entendu les paroles alertées de Wooseok, ils avaient vu ses larmes d'inquiétude rouler sur ses joues, ils avaient écouté ses descriptions pointilleuses mais la réalité surpassait l'image qu'il s'était fait du prince Son. Ce dernier, surpris de ne pas ouïr la voix de son serviteur, se retourna tout en ayant un mouvement de recul et ces yeux charbonneux rencontrèrent ceux orages de son mari qui se sentait affreusement coupable.
« - Que... Que fais-tu là ? »
La voix du jeune prince était faible et rocailleuse. Il parlait toujours de manière occasionnelle, faisant que ses cordes vocales étaient « rouillées » et douloureuses : même sa voix avait changé en quelques semaines.
« - D-Dongju. C-ce... C'est vraiment toi ? »
Geonhak n'arrivait pas à y croire et, comme s'il avait croqué dans le fruit de la culpabilité, il sentit son cœur devenir douloureux tandis que son estomac se retournait de honte : il l'avait abandonné à son triste sort.
« - Pourquoi je t'ai écouté ?
- J... Je... Je n'ai p-pas... B-besoin de toi.
- Si, coupa Geonhak en faisant un pas en avant. Bien sûr que si tu as besoin de moi. Enfin, pas forcément moi en particulier mais tu as besoin de quelqu'un à tes côtés en plus de Wooseok.
- N-non.
- Arrête de faire ta tête de mule Son Dongju. T'es-tu vu ? As-tu observé ton reflet ces derniers temps ? Tu te laisses mourir ! Tu as besoin d'aide ! Ce n'est pas normal de ne plus manger, de vivre dans une obscurité quasi totale et de ne plus parler à personne.
- Je... Je n'ai pas besoin de...
- Tais-toi ! »
Geonhak avait les larmes aux yeux face à ce spectacle qui lui faisait mal au cœur. Ses jambes avaient avancé d'elle-même en s'approchant de ce petit corps tremblant de froid à cause de sa perte de poids et de sa faiblesse physique. Le futur souverain de Zéphyr s'agenouilla devant ce garçon qui était à la fois fatiguant mais étrangement attachant, les paumes du souverain vinrent prendre celle du Tokësor et ils plongèrent leurs regards dans celui de chacun. Le plus vieux avait les iris larmoyantes, sa gorge était nouée mais il réussit à murmurer à voix basse quelques mots.
« - Tais-toi, je t'en supplie. Arrête de dire que tu n'as besoin de personne. Cesse de me mentir et de te mentir Son Dongju. Oui, je suis la cause de la destruction de ton ancienne vie. C'est parce que j'existe que tu as été marié de force avec moi et qu'on t'a obligé à quitter les tiens. Je suis désolé de te faire vivre tout ça. Je n'ai jamais voulu cela, comme toi. »
La sincérité de Geonhak se faisait ouïr dans sa voix et ce simple détail obligeait Dongju à ne rien faire d'autre qu'écouter ce que son mari avait à lui dire tout en le fixant avec ses prunelles sans vie.
« - Donne-moi une chance d'apprendre à te connaître. Je ne veux pas être ton mari, juste une personne qui peut t'aider à mieux vivre au Palais tout en te protégeant de ce tyran qui nous a rendus prisonnier de l'un et l'autre. Mon géniteur est un monstre, je le sais trop bien. »
Le contact visuel entre les deux époux fut brisé quelques instants puisque Geonhak lança un coup d'œil à Youngjo qui regardait distraitement par la fenêtre comme s'il avait la tête ailleurs, dans un souvenir ou un rêve qui semblait peu joyeux puisque ses pupilles rubis brillaient à cause des larmes s'y formant.
« - Juste quelques heures, supplia Geonhak. Donne-moi quelques heures à partir de maintenant et je pourrais te montrer que je ne veux pas être hostile envers toi. Je veux t'aider, réellement. Ce... Cela me rend malade de te voir dans un tel état alors qu'il y a un peu plus d'un mois tu semblais débordant de vie. »
Geonhak observa une nouvelle fois le corps décharné de son époux et cela lui donnait la nausée tant ses os étaient visibles même sous une couche de vêtement : il n'osait pas imaginer quel sordide spectacle cachait les pièces de tissus. La main du prince vint timidement se poser sur le matelas à côté de la hanche de Dongju et le Ajri baissa la tête afin de ne pas dévoiler les larmes de honte et de culpabilité qui commençaient à rouler sur ses joues. Geonhak n'avait pas réussi à protéger un prince ? Comment pourraient-ils protéger son peuple ? Sans Youngjo pour lui faire ouvrir les yeux, Geonhak aurait laissé le tout couler et Dongju serait sûrement mort au moment où le prince aurait décidé d'aller vérifier de l'état de santé de son mari.
Ses doigts vinrent serrer les draps froissés, ses dents prirent d'assauts sa lèvre tandis que ses pensées se troublaient. Tout d'un coup, son esprit égaré devint immédiatement apaisé alors qu'une douce chaleur se diffusait sur le dos de sa main s'accrochant à la draperie et une voix douce, mais brisée, s'éleva dans la pièce surprenant les deux personnes présentes.
« - Montre-moi. »
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