lord, save me, my drug is my baby
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Il s'était mis à pleuvoir ; les gouttes frappaient les fenêtres, roulaient le long du verre. Jisung observait les ombres immobiles sur son mur blanc. Celles dont il connaissait l'emplacement par cœur et celles qui n'étaient pas là ce matin. L'abattement extérieur de la pluie comblait le silence intérieur, allongés sous les draps, ça semblait les emmener dans un ailleurs loin de tout. Quelque part cachés dans leur bulle poussiéreuse. Minho tenait Jisung contre lui, ses jambes entremêlées aux siennes et le nez dans le creux de son cou. Du bout de des doigts, il redessinait les tatouages sur le torse nu du noiraud, s'attardant sur chacun d'entre eux pour les observer en détails. Des planètes aux serpents, passant par les fleurs fanées et les mots éparpillés ci et là. Jisung en avait plus, toujours plus.
Et sous la pulpe de ses doigts, Minho discernait le reflet d'une cicatrice sous chacun d'entre eux.
Jisung était une œuvre d'art emplie de récits secrets à lui tout seul et même si la plupart n'avait pas fins heureuses, il en était plus que fier.
— Elle était pas là celle-là, murmura Minho en passant sa paume sur une marque plus grande que les autres.
Sur sa taille, elle était plus prononcée, à moitié dissimulée par un ange à une aile. Le noiraud garda les yeux accrochés à son mur, il connaissait sa forme par coeur.
— Les risques du métier.
C'était étrange de le dire. Aussi de laisser la vérité glisser entre ses lèvres. Minho avait pris l'habitude de voir le corps de Jisung être abimé puis dissimulé sous l'encre noire mais il n'avait jamais vraiment eu le fin mot de ces histoires. En réalité, il n'en connaissait aucune, pas même un titre. Aujourd'hui, l'évidence lui sautait aux yeux. Minho se sentait stupide d'avoir été si aveuglé par ses sentiments pour ne pas voir que quelque chose clochait.
— J'aime pas ça.
— C'est ma vie Minho, il soupira.
Et il se mordit presque la langue pour ne pas ajouter que lui n'en faisait plus partie.
C'était sa vie. Jisung ne se rappelait pas d'avoir un jour fait autre chose. Dès lors qu'il avait eu l'âge de travailler, il s'était laissé embarquer dans ce monde sans poser de questions. Quand on vivait dans la misère, il fallait faire le nécessaire pour survivre. Même lorsqu'il avait ironiquement entreprit de s'inscrire en faculté de médecine, Jisung avait continué ce qu'il faisait. Il était un homme d'affaire et son business était le crime. C'était son mode de vie, ce qui l'avait tristement sauvé de ses jours sans pitié et ses nuits désespérées. Il s'était conforté dans l'idée qu'il rendait service, qu'il se confrontait à la réalité telle qu'elle était. Le monde était moche et quand bien même il ne faisait que se salir les mains, Jisung aimait contribuer au débarrassage des ordures à sa manière.
Puis il avait rencontré Minho. Une fin de journée enneigée sur le campus alors que lui passait par-là pour rentrer chez lui et que le brunet quittait la bibliothèque universitaire. C'était neuf ans auparavant. La suite, probablement les cinq plus belles années de sa vie. A défaut d'apprendre à soigner les humains, Minho l'avait soigné lui en le faisant se sentir un peu plus vivant. Un peu plus vrai aussi, en dépit des mensonges qu'il lui servait. Minho avait fait de lui un meilleur homme, il lui avait ouvert les yeux sur d'autres couleurs du monde et à présent, Jisung savait qu'il y avait aussi de la beauté quelque part à l'écart des atrocités. Que si l'ombre avait beau s'étendre, la lumière existait aussi.
L'ironie avait voulu qu'il tombe amoureux d'un garçon qui aspirait à devenir un grand avocat, qui rêvait d'égalité et d'une justice juste. C'était dangereux, imprudent. Mais c'était ce pour quoi Jisung vivait depuis des années : le danger et son adrénaline.
— C'est quoi dans ton dos ?
Il se tourna, fit face au regard lourd d'affliction de Minho. Que lui était-il arrivé ces quatre dernières années pour qu'il lâche son métier qu'il aimait tant ? Pour qu'il se retrouve avec une arme entre les mains alors qu'il en avait horreur ? Pour que son perfectionnisme qui ne jurait que par l'immaculé soit entaché par tant de cicatrices ?
Dans le fond, Jisung connaissait les réponses. Minho avait brisé son cœur et lui, il avait bousillé le moindre de ses investissements.
— J'ai eu un accident.
— Quand ?
Le brunet bascula sur le dos, un bras derrière la tête tandis que le noiraud se redressait sur un bras, le surplombant légèrement. Ce fut au tour de Minho de fixer le plafond d'un air pensif, les dents serrées. Il ne vit pas le regard soucieux que porta Jisung sur lui.
— Il y a un an, soupira-t-il. Je devais tirer mais... Je n'ai pas pu le tuer. Sur le retour, mon supérieur était tellement occupé à m'engueuler qu'il n'a pas vu la voiture qui nous fonçait dessus, il pinça les lèvres et posa son regard sur Jisung. Il est mort et pas moi.
— Je suis désolé.
Il le pensait. Avec toute la sincérité qu'il ne lui ai jamais été donné d'éprouver.
Depuis que Minho avait débarqué, Jisung avait imposé des barrières à ses songes. A trop faire le malin, on finit par tomber dans le ravin et même s'il gardait une certaine fierté et campait sur son caractère outrecuidant, une partie de lui tombait des nues. Il se disait que c'était de sa faute si Minho en était arrivé là, à tenter de lui ressembler plus que de raison alors qu'il était son complet opposé jadis. Si son corps si parfait avait été entaché de tristes histoires qui le laissaient abîmé. S'il semblait complètement paumé malgré ses éternelles prétentions.
Les aptitudes de Jisung à absolument tout anticiper avaient pris un sale coup parce que jamais il n'aurait imaginé retrouver Minho dans cet état-là. Des années avaient passé mais il savait, Jisung, que trop de choses s'étaient cassées ce jour-là. Comment avait-il pu, ne serait-ce qu'oser, espérer que le temps réparerait chaque morceaux ?
— C'est pas pour toi tout ça.
Il l'avait surtout marmonné pour lui-même d'une voix faible.
— Qu'est-ce que tu en sais ?
Vraisemblablement, ça avait effrité l'égo du plus grand.
— J'le sais. Toi aussi tu l'sais Minho.
Jisung lâcha un rire sourd, s'assit et appuya son dos contre le mur derrière. Il n'avait ni la force ni l'envie d'entrer dans un nouveau jeu de provocation du brunet.
— J'avais oublié que toi tu me connais mieux que moi je te connais, ricana Minho. Mais quatre ans ont passés Jisung. Mets-toi à la page.
Il le voyait serrer les poings sur l'oreiller, sa mâchoire se contracter alors qu'il gardait les yeux posés sur le plafond comme s'il souhaitait qu'il explose au-dessus de leurs têtes.
Jisung ferma les siens en passant une main dans ses cheveux, tirant légèrement dessus et prenant quelques minutes pour écouter la pluie résonnant dans le loft. Elle s'accordait avec leurs respirations lourdes et la cacophonie de leurs palpitants en folie.
Autrefois, peut-être que... Peut-être que rien. Jisung ne se souvenait plus.
— Tu sais que j'ai jamais voulu te faire de mal.
— Je ne sais pas justement. Tu m'as tellement menti.
— Mes sentiments étaient vrais, protesta Jisung en haussant le ton.
Enfin, Minho leva les yeux vers lui de ses airs impassibles malgré la rancœur qui transcendait ses traits.
— Ça ne vaut plus rien.
Ce fut la douleur de cette phrase-là qui frappa le plus violemment le cœur brisé de Jisung.
Et ce fut probablement à ce moment-ci qu'il comprit qu'aucun pansement, qu'aucune pommade n'avait été mise dessus depuis cette fois à l'aéroport. Ça lui donna l'impression d'être une bombe à retardement et Jisung haït cette pensée. Parce que les bombes, c'était lui qui les posait. Il refusait l'idée d'être une victime, d'être le pion d'une opération quelconque.
— J'ai jamais fait semblant de t'aimer Minho. Jamais.
— Tu m'aurais tué si non ?
Souffle en suspend. C'était une question qui devait lui brûler les lèvres depuis longtemps.
— J'serais pas resté avec toi.
Jisung n'avait pas hésité à répondre.
Son regard s'était ancré à celui de Minho et s'était perdu dans la profondeur de la couleur de son iris.
— J'aurais préféré que tu me tues, murmura le brunet.
— J'en serais jamais arrivé là.
— Même si je t'avais dénoncé ?
Il voulait savoir, Minho. Il voulait la vraie vérité, celle de ses rêves et cauchemars qu'il avait tant ressassé et redouté.
— Oui.
Parfois, Jisung, il se demandait. S'il avait accepté de se rendre, à quel point les choses auraient été différentes ?
Le jour où tout avait basculé, plutôt que de crier colère, Minho avait essayé de le raisonner. Jisung le revoyait le supplier d'arrêter ses conneries et de se rendre. Et plutôt que de se poser pour en discuter, il avait déballé ce bout de lui. Il lui avait raconté le passé et ce qu'il avait bien pu faire. Jisung s'était confié sur ce nouveau job qu'il avait accepté en pensant que Minho comprendrait. Il avait eu l'audace de lui demander de l'aider. Après tout, sa nouvelle cible était un politicien et client VIP du brunet. L'amour était plus fort que tout, c'était ce qu'il s'était bêtement dit.
Et les indignations avaient fusé, les cris et les insultes ; déchaînements de mots aux milles regrets. Les chaises avaient valsé, ils s'étaient bousculés. Dans sa tête, Jisung pouvait parfaitement entendre Minho pleurer sa trahison, le monstre qu'il était et la sentence qui l'attendrait lorsqu'il l'aurait balancé à la police.
Il ne l'avait pas fait et puis même au cas contraire, jamais Jisung ne se serait résigné à le faire taire. Ce soir-là, il avait fait son sac et avait quitté l'appartement après un dernier regard effaré à celui qu'il nommait l'amour de sa vie.
— Et maintenant ? Finit-il par demander après un silence. C'est toi qui va me tuer ?
Parce que cette question, elle se posait aussi. Minho était entré Dieu seul savait comment dans son appartement et avait pointé une arme sur lui. Jisung savait que ce n'était pas une envie immature de frimer qui l'avait amené là.
Le brunet fronça les sourcils et s'appuya sur les coudes pour se redresser à la hauteur de l'autre. Peut-être qu'il n'avait pas envisagé la possibilité que Jisung mente en disant qu'il n'avait que faire de la raison de sa présence ici. Et puis, celui-ci ne s'était pas abruti avec les années, il restait clairvoyant malgré les rares ivresses qu'il s'autorisait à vivre.
— Je sais que t'es pas ici pour une visite de courtoisie, expliqua le noiraud. Si on me trouve, c'est parce qu'on le veut vraiment. T'es le premier à mettre les pieds chez moi sans que je l'ai invité.
Et Jisung, il n'invitait jamais personne.
Minho le fixa quelques instants, interdit. Dehors, le tonnerre gronda loin dans le ciel. Ici, la friction des draps paru comme une légère brise lorsque le brunet se laissa de nouveau tomber sur le dos. Il lâcha un soupir et le cœur de Jisung battit fort.
— Dans ce cas, j'espère que je suis un bien meilleur coup que ta blondasse.
Pas de rictus, pas de sourire en coin. Minho restait sérieux et c'était amusant de constater que même après une séparation des plus violentes et des cages thoraciques déchirées, il avait toujours ce côté possessif et ce ton empreint de jalousie qui allait avec.
— J'me disais bien qu'on nous suivait, répondit simplement Jisung d'un rire sans joie.
— Pour le meilleur tueur à gage de Londres, t'es pas le plus vigilant.
— J'avais pas le sentiment d'avoir à l'être.
Jisung pinça les lèvres dans ce qui sembla vouloir être un sourire.
Ça aussi, c'était vrai. Le noiraud était aguerri, il avait un sixième sens entraîné au fil des années. Il n'avait peut-être pas deviné que Minho était l'auteur derrière ces sensations étranges d'être observé, mais il n'avait pas ressentit le besoin de s'en méfier. Il s'était dit qu'il n'avait rien à craindre.
— Alors ?
Minho soupira lourdement.
— Tu n'es pas le centre du monde Han Jisung.
— C'est Alzheimer qui te fait répéter quinze fois la même chose ?
Il retint un sourire amusé et se laissa glisser de nouveau sur le matelas, se renfonçant sous les draps. Le coude appuyé sur l'oreiller et la tête soutenue dans le creux de sa main, Jisung se tourna dans sa direction, admirant à pleine vue le joli visage embarrassé de Minho.
De leur couple, il était celui qui disait en premier « je t'aime » le matin et le dernier de la journée avec toujours du rose sur les joues et un regard fuyant malgré sa sincérité. Jisung avait été sa première relation avec un homme. La dernière aussi. Le voir se mordre la lèvre en choisissant ses mots avec précaution ramena Jisung à ces matins où ils prenaient le temps de s'embrasser dans le lit comme si l'univers leur appartenait et le monde ne pouvait les atteindre.
Quelque part, ça lui rappela ces instants de douceur amoureuse. Jisung en oublierait presque à quel point une rancoeur sans nom planait au-dessus de leurs têtes, qu'à peine deux heures plus tôt ils se visaient du canon de leurs armes.
— Et je n'ai rien à faire là. Je ne l'avais pas prévu. Mais quand je t'ai reconnu avec elle, l'aigreur de son ton fit ricaner le noiraud, je n'ai pas pu m'en empêcher. C'était plus fort que moi.
Minho releva le nez dans sa direction, leurs regards s'accrochèrent et du coin de l'oeil, Jisung remarqua la tentative du brunet d'attraper sa main posée sur le matelas avant de se raviser. Le noiraud ne releva pas, garda pour lui la pensée surprenante qu'il aurait aimé que Minho aille jusqu'au bout de son geste.
— Donc j'suis pas le centre du monde mais on dirait que j'le suis quand même du tien, résuma-t-il, un sourcil relevé.
— Meurtrier et une grande gueule. J'ai touché le gros lot.
— Une gueule d'ange t'as oublié.
Minho leva les yeux au ciel. Il s'écoula un instant de silence durant lequel les deux hommes se fixèrent vides de mots. Le tonnerre gronda de nouveau et Jisung remarqua que son cœur battait toujours aussi vite depuis qu'ils s'étaient embrassés. Ses sentiments n'avaient jamais creusé la terre, ça crevait les yeux. Ses doigts s'entremêlèrent dans les courtes mèches brunes de Minho lorsqu'il roula sur le ventre pour poser sa tête sur celui de Jisung.
— C'est Marley que t'es venu buter, c'est ça ? Hochement de tête. Pourquoi ?
— Peut-être que t'aime son cul mais y'en a qui ont surtout parié gros dessus, il lui jeta un regard. C'est pas la plus sage des filles.
— J'suis au courant, répondit-il d'un ton plus sec qu'il ne l'aurait voulu.
Les courses illégales, c'était une chose et Jisung savait parfaitement que Marley avait un pied bien plus enfoncé dans le crime qu'elle ne le laissait paraître. Malgré sa petite enquête personnelle, il n'avait pas les détails et en vérité, il ne s'en était jamais intéressé plus que ça. Marley lui donnait ce qu'il voulait, ils s'occupaient chacun de leurs petites affaires sans poser de questions et à Jisung, ça lui convenait. Il l'appréciait, Marley. Mais il n'avait pas pensé que ça serait au point d'être touché d'apprendre qu'elle avait autant une cible dans le dos que lui.
Peut-être parce que c'était Minho qui était chargé de la viser. Ça confrontait ses deux mondes ; l'avant et l'après. C'était brutal.
— Bref, le brunet soupira. Elle les a défié là-haut et maintenant, elle a une cible sur le dos. Elle trempe bien plus dans de la merde que tu ne le penses.
Quelque part, ça raviva sa colère en dépit de son bouleversement aux mille mots. La main de Jisung glissa de son cuir chevelu à son omoplate dans laquelle il planta les ongles malgré lui et il sentit Minho se crisper contre lui.
Les moments doux du matin ne s'éternisaient jamais, Jisung s'en souvenait aussi.
— T'es plus avocat mais t'es resté un chien du gouvernement.
— C'est pas une bonne personne Jisung, murmura Minho.
— J'dis pas le contraire et j'm'en fous. Tu bosses toujours pour eux, c'est tout ce que j'retiens.
Minho se redressa brusquement, s'éloigna comme s'il venait d'entendre la pire des horreurs - peut-être que ça l'était dans sa réalité.
— Je t'interdis de me blâmer pour ça.
Il le fusilla du regard, mâchoire contractée malgré les couleurs peinées de sa voix. Jisung lâcha un rire sans joie et se pencha vivement dans sa direction en l'attrapant par la nuque, la serrant entre ses doigts. Souviens-toi, j'peux te la briser. Leurs regards courroucés s'affrontèrent de pleins fouets, collisions de vagues déchaînées sous leurs respirations erratiques.
— T'es dans mon lit Minho, je fais toujours ce que j'veux. Et si j'ai envie de te cogner parce que tu m'as baisé alors que tu taffes pour ceux qui ont mis ma tête à prix, j'peux le faire.
— Tu le mérites Jisung.
Il le savait, ô oui il le savait parfaitement. Il n'était pas en position de le lui reprocher, il n'avait pas le droit de s'emporter. Après ce qu'il s'était passé entre eux, lui n'avait pas laissé tomber son petit business alors évidemment que Minho n'abandonnerait pas ses convictions. Il aimait son pays, Minho, il aimait la justice. Et c'était la première fois que ça mettait en rogne Jisung. Ça faisait bien plus mal que son égo meurtri, il ne comprenait pas.
— M'appelle pas comme ça.
Ses doigts glissèrent le long du cou de Minho au rythme de son coeur battant la chamade. Il détourna son regard furieux et s'extirpa des draps de gestes précipités qu'il était rare de voir chez lui. Jisung enfila son sous-vêtement traînant par-là, tentant de repousser l'évidence enrageante qui le prenait aux tripes.
Il était toujours amoureux de Minho. Aujourd'hui, honnêteté à cœurs ouverts sans contours obscurcis.
Jisung se trouva pathétique. Il avait perdu un bout de lui qu'il pensait indestructible depuis longtemps et il ne parvenait pas à en vouloir au brunet. Sa grandeur avait disparu, il n'était pas un homme dépourvu de faiblesses et la sienne semblait étaler sa supériorité un peu plus à chaque secondes. Est-ce que Minho avait seulement remarqué qu'il avait gagné la bataille depuis le début ?
— Tu veux que je te rappelle qu'on a baisé — non, fait l'amour —, rectifia-t-il en s'étranglant, des centaines de fois alors que toi tu tuais pour de l'argent en sachant que moi je me battais au tribunal contre des meurtriers ? Que tu m'as demandé de te donner le dossier sur Seo Changbin pour te remplir les poches en l'assassinant ?
— J'ai pas touché un seul de ses cheveux.
Jisung avait protesté avec componction, le dos tourné. Ses épaules s'étaient affaissées alors qu'il fixait son arme posée sur la table basse un peu plus loin. Il était furieux mais il avait laissé tomber. C'était contre lui-même qu'il avait la rage.
Derrière, Minho s'était redressé sur ses genoux, les poings serrés et l'envie de lui sauter à la gorge fourmillant aux doigts. Comment ne pas lui en vouloir ? Jisung ne se voyait même pas résister à une éventuelle attaque. A défaut de haïr Minho pour le chaos qu'il lui apportait, Jisung se détesta d'être aussi faible, lui qui s'était toujours battu contre.
— C'est tout ce que tu as à répondre ? Il attendit une réponse qui ne vint pas. Très bien, il sortit à son tour du lit. Laisse moi ajouter que maintenant tu sais ce que ça fait d'être pris pour un con. Et encore, j'estime que c'est rien à côté de ce que tu m'as fait vivre.
« Ce que tu m'as fait vivre ».
Minho aussi avait aimé à en crever. Jisung avait égoïstement cru qu'il avait été seul à ressortir anéanti de cette bataille. Et de toute évidence, ses blessures ne s'étaient jamais refermées.
Il serra les dents, retint un rire nerveux et s'avança jusqu'à sa table basse. Il saisit la crosse de son arme, un pistolet Sig-Sauer P229 qu'il gardait toujours dans ou près de son lit. Jisung l'avait légèrement fait customiser pour lui donner un aspect plus éclatant et graver le petit nom qu'il lui avait donné : Maggie. Il y a longtemps, on lui avait, une fois, fait la remarque qu'il aimait plus les armes que les humains. Jisung se souvint qu'il s'était longuement laissé interroger sur le sujet. Elles étaient les seules éternelles entre ses mains, comparé à l'éphémère de l'homme et quitte à ne vivre qu'en leur seule compagnie, le noiraud s'était habitué à se dire qu'elles étaient ses meilleures amies.
Jisung ravala sa salive, caressant du bout des doigts le canon du pistolet avant de le désassembler rapidement dans geste mécanique puis de le réassembler à la même allure. Il fixait le vide, manipulant son arme d'un geste distrait et même si Minho ne voyait pas ses mouvements avec exactitude de là où il était, il devina sans mal que Jisung était tourmenté. A sa manière de dissimuler sous souffle erratique, son silence soudain et sa concentration perdue dans les limbes de son esprit. Monter et démonter son arme était devenu un automatisme pour lui, quelque chose de satisfaisant à faire qui l'aidait parfois à mieux réfléchir. Comme il assemblait les pièces dans un ordre et un rythme précis, ses pensées suivaient le mouvement.
Jisung cherchait à calmer les battements de son coeur qui le prenaient à la gorge, à reprendre contenance parce que Minho avait réussi à foutre trop de bordel pour qu'il parvienne à garder l'équilibre. Il prit une grande inspiration, assembla et désassembla. Et pour la première fois depuis ce qui semblait être un siècle, Jisung se rendit compte qu'il ne savait pas quoi faire. Il ne savait pas comment interprêter la situation, ce qu'il devait en conclure. Il ne savait pas quoi faire de Minho, de Marley. C'était plutôt drôle, il n'avait pas envie que quelqu'un meurt et qu'un autre tue. Jisung imaginait un reflet repoussant de sa propre personne et cette pensée le révulsa.
Dans son dos, il devina les mouvements du brunet sur son parquet alors qu'il contournait le lit pour s'approcher de lui. Est-ce que Minho craignait que Jisung ne pointe à nouveau son arme sur lui ? Remonté comme il était, l'homme pouvait bien croire que le noiraud aurait la gâchette facile.
— Pourquoi t'es là Minho ? Finit-il par demander après un long silence ponctué du bruit de la pluie et celui de son arme.
— Je dois tuer Marley.
Jisung se crispa mais gardant son ricanement cynique pour lui. Minho tenait vraiment à son discours de l'espion parfait, ça devenait ridicule.
— C'est pas une mauvaise personne.
— C'en est pas une bonne non plus.
Jisung assembla une dernière fois Maggie et fit mine de la charger. La douille sauta, il la récupéra en vol avant de tourner les talons. Minho s'était aussi revêtu de son sous-vêtement et le fixait durement, bras croisés. Il semblait machouiller l'intérieur de sa joue sous ses sourcils froncés et Jisung devina que lui aussi devait pas mal être anxieux de l'immersion de cette discussion. Parler sentiments, ça n'avait jamais trop été leur fort.
— Et ? Moi non plus. J'te dégoûte et j'suis qu'un monstre à tes yeux pourtant tu m'as pas l'air le plus enclin à me tirer une balle dans la tête, il le pointa de son arme d'un geste vague, refreinant avec difficulté son rire amer.
— Tu l'aimes ?
Elle paraissait sortir de nulle part mais sa question, Minho l'avait posé avec toute l'appréhension du monde.
— Non.
Et la réponse qui suivit ne frôla aucune hésitation.
— Alors ne t'occupe pas de ça.
— J'te laisserais pas tuer quelqu'un Minho.
Ils en revenaient là et Jisung commençait à en être fatigué. La fougue avait disparu, l'amertume devenait toxique et plus rien était amusant. Le noiraud regrettait peu à peu l'intime tranquillité dans laquelle ils avaient baigné sous les draps juste avant que cette conversation ne vienne sur le tapis. Jisung en avait marre de parler, il voulait bouger, faire quelque chose qui évacurait toute la tension accumulée.
Mais Minho était là, à débiter encore et encore, l'enchaînant dans un échange de paroles qu'il ne souhaitait pas. Ça n'avait plus aucun intérêt. Seulement, Jisung savait que Minho ne le laisserait pas se jeter sur ses lèvres pour le faire taire comme auparavant. Alors il restait là à le fixer, serrant et desserrant sa prise sur son arme en tentant de s'imprégner du son de sa voix qu'il avait fini par presque oublier.
— C'est l'hôpital qui se fout de la charité. C'est toi le tueur et tu me demandes de laisser la vie sauve à quelqu'un ? Il rit et passa une main sur son visage. Oh c'est vrai, j'oubliais... Attends que j'aille chercher mon portefeuille.
Le brunet fit mine de tourner les talons et Jisung se fit la réfléxion combien l'autre pouvait être puérile lorsque son égo était frappé de plein fouet. Ça, ça n'avait de toute évidence toujours pas changé.
— T'es pas un meurtrier Minho.
— C'est ce qu'on verra.
— T'es tellement déterminé à me le prouver que ça en devient pathétique, grogna Jisung.
— Ce qui est pathétique c'est ta manière de voir les choses. J'ai une mission, un job qui est important et qui rend service à beaucoup de monde, il fit un pas dans sa direction et le pointa du doigt. La différence, c'est que mes raisons sont légitimes et que les tiennes sont égoïstes.
Jisung posa sa main libre sur sa hanche, se retenant de lever les yeux au ciel.
— Quelles raisons ? Tu suis les ordres comme un clébard.
— Mais moi je ne suis pas un traître.
Jisung serra les dents. Minho cherchait sérieusement à l'énerver pour de bon. Ce n'était plus une conversation à coeurs ouverts baignants dans le sang. C'était devenu un combat à celui qui aurait raison, celui qui détenait le réel point final à cette histoire.
— Mais tu deviendras autant un monstre que moi. Peu importe la raison Minho, tu resteras celui qui est employé pour appuyer sur la détente.
Et dans les tréfonds de ses pensées, Jisung réalisa à quel point il pouvait se retrouver lui-même dans ces mots qu'il balançait à la figure de l'autre homme. Combien, malgré son appréciation pour son job et son amour pour les gros billets, il était utilisé comme un pion pour assouvir les désirs de ses patrons. Jisung n'arrivait même pas à se souvenir de la dernière fois où il s'était senti réellement libre, sans multiples plans en tête et objectifs à cocher sur sa liste. A quel moment avait-il pu croire qu'il pouvait être maître de tout ? Lui aussi était une cible après tout.
— Et j'sais que c'est la dernière chose que tu veux. J'suis même persuadé que t'as jamais voulu ce job et que t'en veux toujours pas.
— Je ne trahirais pas mon pays.
— J't'ai rien demandé.
Jisung haussa les épaules, fit quelques pas dans sa direction et se stoppa sous son nez. Il prit soin de détailler une nouvelle fois chacune de ses mimiques, chaque tics de ses muscles faciaux. Il pouvait aisément deviner ce qui se trouvait derrière chacun d'entre eux, mettre quelques ébauches sur les pensées qui pouvaient affluer derrière ses yeux. Même dans ces moments-là, Minho restait affreusement beau et Jisung n'avait qu'une envie : caresser à n'en plus finir les traits de son visage.
— Tu cherches à me faire culpabiliser pour te donner raison.
— T'es toujours aussi putain de borné.
Il lâcha un rire sourd avant de soupirer longuement. Cette conversation n'avait plus de sens et Jisung sentait le manque d'action courir de plus en plus le long de ses membres. Alors sans réfléchir, il poussa violemment Minho sur le lit. Ce dernier, surpris, saisit son bras pour tenter de contrer l'attaque mais Jisung restait plus fort que lui. Le noiraud gardait une main ferme dans le creux de son cou, l'incitant à rester assis parmi les draps sans pour autant le blesser. Penché sur lui, Jisung s'autorisa à se perdre quelques secondes dans la pureté des couleurs de ses iris grandes ouvertes à son attention. Ils s'observèrent, cherchant à sonder les bas-fonds de leurs âmes au fur et à mesure que leurs genoux se touchaient.
Au rythme du sang pulsant dans la jugulaire de Minho, les battements de cœur de Jisung s'étaient accélérés à lui en faire perdre pied. La prise du brunet s'était légèrement desserrées sur son avant-bras, ne devenant qu'un toucher d'un éclat sur ombre. Les doigts de Minho glissèrent délicatement jusqu'à son poignet lorsque Jisung se redressa. Le noiraud posa le regard sur cette main si enclinte à saisir la sienne et songea alors à quel point cette histoire était ridicule depuis le début, le tout début.
Jisung soupira en détournant le regard sur son arme, lisant et relisant le nom gravé sur la crosse. Il le caressa de son pouce et serra les dents avant de la saisir fermement.
Minho n'eut aucun mouvement de recul lorsque Jisung pointa le canon dans sa direction. Un tir et le sang peindrait ces draps témoins d'impureté lubrique.
En fin de compte, toutes les histoires de Jisung avaient une seule et unique fin.
— Si tu dois buter quelqu'un, tue-moi alors.
Accompagnant ses mots soudains, le noiraud fit tourner Maggie entre ses doigts, retournant sa propre arme contre lui-même et offrant à Minho le plaisir de saisir la crosse de son précieux pistolet.
— Quoi ?
Le brunet fronça les sourcils, yeux grands ouverts et saisit brusquement l'arme pour la jeter plus loin sur le lit. Et derrière, Jisung constata pour de bon combien Minho était quelqu'un de bien. Qu'il ne méritait pas de mettre les pieds dans un univers aussi sombre et cruel. Reste loin de tout ça.
— J'veux être ton premier pour ça aussi.
— Le crime t'es monté à la tête ? S'exclama Minho en se levant vivement. Tu es fou !
— De toi, oui.
Il l'avait repoussé en arrière, le rejoignant sur le matelas sans pour autant chercher à instaurer un contact physique.
Jisung paraissait être la personnification même de la blague sur le moment pourtant, jamais il n'avait été aussi sérieux. Si Minho avait été son début à quelque chose de vrai, il pouvait aussi en être la fin. Elle était là, la seule issue à cette histoire à deux. Minho voulait tuer ? Très bien. Il allait devoir réellement lui prouver combien il était déterminé. Jisung aussi, il pouvait être puérile quand il voulait.
Et puis aussi, il ne voulait plus ressentir ce poids douloureux consumant son énergie vitale au fur et à mesure que son cœur ne résonnait qu'avec son nom.
Parfois, il arrivait que Jisung ne calcule pas tout avec exactitude. Qu'il soit une victime, lui aussi. C'était ce genre de dégâts que ça causait, l'amour. Jisung, il détestait en faire partie.
— Qu'est-ce tu fous là ? Demanda-t-il d'un ton ferme. Chez moi, dans mon pieux.
Il se laissa tomber sur le dos et rebondit sur le matelas avant de se redresser sur les coudes. Jisung leva les yeux sur son plafond et leurs silhouettes brumeuses qui s'y dessinaient. Dehors, il avait cessé de pleuvoir et les gouttes coulaient seules le long des fenêtres du loft. Figé à quelques centimètres, Minho semblait réfléchir à toute allure, trouver interprétation à cette nouvelle couche de peinture. Ses yeux parcouraient les tatouages sur le corps de Jisung, capturaient les cicatrices apparaissantes sur les courbes de ses muscles. Il ouvrit la bouche avant de la refermer aussitôt. Jisung voulait qu'il le tue, que pouvait-il bien répondre de toute manière ? Mise à part protester et démontrer qu'il s'écrasait face à son raisonnement.
Minho était incapable de tuer.
— J'ai... Je ne trahirais pas mon pays Jisung.
Le noiraud baissa les yeux sur le visage désemparé du brunet et soupira lourdement.
— Redis-le et j'te pète le nez.
Minho se fit violence pour ne pas lever les yeux au ciel. Il se rapprocha alors de Jisung, se traînant dans les draps et se dressa au-dessus du noiraud, l'incitant à s'allonger. Ça ressemblait à toutes ces fois où ils s'apprêtaient à coucher à nouveau ensemble pour évacuer les tensions remises sur le tapis et atténuer la puissance de leurs ressentiments. Jisung se souvint que ça pouvait durer quelques minutes comme des nuits entières et s'il avait apprécié chacun de ces ébats-là, l'amertume remédiante avait rendu rares et précieux ceux qu'il avait aimé.
Mais alors que Minho passait les doigts sur cette phrase gravée à la clavicule, Jisung se fit la réfléxion que ce moment-là faisait partie de l'unique de ces nuits chaudes et étoilées. A croiser son regard lointain, le noiraud comprit également que Minho, non plus, il n'avait pas oublié l'effervescence d'un eux. Que quelque part, peut-être que son cœur battait toujours aussi fort que le sien et qu'il n'était jamais parvenu à tirer un trait sur eux.
Han Jisung ne remettait jamais en question ses principes. Donner son cœur y faisait exception. Une seconde fois.
Love made me crazy.
Minho passa une dernière fois les doigts sur l'encre noire avant de caresser délicatement le menton du noiraud.
— Je connais un Mason Lee qui a une maison à Singapour. Une super belle baraque. Et je sais qu'il aimerait beaucoup qu'un certain Peter Han l'y rejoigne.
Jisung fronça les sourcils. Ça aussi, ça sortait de nulle part.
— Singapour ? Hochement de tête. Et la Corée du Sud ?
— Mason Lee s'en moque.
Il chercha la plaisanterie, Jisung, il la chercha pendant de longues minutes. Parce que jamais il n'aurait imaginé Minho, amoureux de sa patrie, songer une seule seconde à s'en aller sans se retourner.
Lee Minho ne touchait jamais à ses convictions. Les lèvres de son premier amant y faisaient exception. Une seconde fois.
Jisung se redressa, attrapa les doigts de Minho pour les serrer entre les siens. Il avait l'impression que cette mascarade n'était qu'une ruse, qu'il avait quelque chose de bien plus fort et destructeur entre les lignes de cette page vierge. Le coeur du noiraud battait fort. Il ne comprenait pas. Il était bien trop perdu pour une seule soirée, trop en élevation dans le rêve d'une fausse utopie et Jisung savait parfaitement qu'en chuter était bien plus douloureux que l'impact d'une balle. Il n'avait pas envie de ça, il haïssait ce sentiment. Tout ce par quoi Minho l'avait fait passé depuis qu'ils s'étaient battus, Jisung voulait en vomir. C'était nocif, ces émotions-là. N'était-il pourtant pas le maître de l'interdit ?
— Il est fou.
— Fou de Peter Han.
Le noiraud le fixa droit dans les yeux pendant de longues secondes. Il cherchait la moindre once de mensonge, l'infime petite vague qui prouverait qu'il lui fallait appuyer sur la détente. On est jamais trop prudent aima-t-il se répéter à cet instant. Ridicule sachant qu'ils partagaient alors le même lit. Jisung avait beau être un as dans son domaine, il savait que Minho aussi, il en avait sous le coude. La colère, ça faisait faire des folies aussi.
Mais il avait beau sonder le regard de l'autre homme, Jisung ne voyait rien d'autre que l'étincelle d'une sincérité qu'il lui avait déjà loué auparavant. Et qu'il lui avait toujours voué en réalité.
— Il a de la chance, un petit rictus prit place sur ses lèvres.
Cette fois, Minho ne se retint pas de lever les yeux au ciel. Jisung avait un amour inconditionnel pour sa propre personne ; ça non plus, ça n'avait pas changé.
— Oh oui, crois-moi, souffla le brunet face à son air satisfait.
Le silence s'installa de nouveau. Le temps de se perdre dans l'abîme de leurs regards, de redessiner chaque imperfections si parfaites de leurs traits, d'écouter le son de leurs respirations et celui du vent qui s'était mis à frapper dehors. Puis ils s'allongèrent côte à côte, yeux sur le plafonds et parfois sur leurs mains qui ne s'étaient pas lâchées tandis que leurs pieds se frôlaient parmi les draps. D'une douce ardeur, Jisung prit soin d'ancrer la sensation du toucher de Minho contre son épiderme aussi douloureusement que l'encre noire imprégnant sa peau.
Non loin de sa tête, Maggie gisait sur les oreillers et le noiraud savait qu'il n'avait qu'à tendre le bras pour la saisir. Le froid grisant du métal contre la chaleur animée d'un corps. Ça arrivait parfois à Jisung de se demander lequel il préférait.
— Il l'aime ?
Les mots étaient sortis en même temps qu'une envie de vin rouge le prenait à la gorge.
— Il en sait trop rien, Minho répondit dans un souffle. C'est compliqué.
Jisung hocha la tête. Après tout, ce n'était pas facile depuis le début. Ils n'auraient peut-être jamais dû s'obstiner à vouloir croiser le chemin de l'autre.
Il suivit des yeux les doigts de Minho passant et repassant sur cette vieille cicatrice ornant le dos de sa main, souvenir d'un coup de couteau qu'il n'avait même pas senti sur le moment. Celle-là, il n'avait pas voulu la recouvrir. Jisung avait voulu garder cette preuve d'un travail acharné dans ce combat vital qui durait depuis des années. Probablement que Minho devait se questionner sur son histoire à elle-aussi, comment elle était arrivée là et la douleur qui en avait découlé. Jisung retira alors sa main de ses doigts, laissant la sensation d'une brise contre le toucher du brunet alors qu'il se tournait sur le côté pour faire face à son profil. Minho l'imita et se redressa, soutenant sa tête dans le creux de sa paume.
— Alors ?
— Tu risques plus gros que moi.
Parce qu'un déserteur, c'était peut-être pire qu'un tueur à gage.
— Mason s'en moque.
— Et Minho ?
Il le vit appuyer la langue contre sa joue dans la retenue d'un soupir.
— Il flippe.
— Avoue ça t'as arraché les couilles de l'dire, ricana Jisung.
— Ta gueule.
Il détourna le regard, agacé par son aveu et la mine moqueuse de l'autre. Ses faiblesses, c'était quelque chose que Minho avait du mal à reconnaître et admettre. Il aimait paraître fort et imperturbable.
— Tu viens ? Il demanda à nouveau.
Ce ton venu d'un espoir enfoui dans le supplice de sa requête. Vieille réflexion ponctuée de et si à l'infini.
— Laisse-moi terminer mon contrat avant.
Un silence.
Jisung le devina méditer sur les circonstances de ce contrat et imaginer ce qu'il avait bien pu faire. Il s'attendit à l'entendre grogner, le sermonner sur la stupidité monstre dont il pouvait faire preuve et la dangerosité périlleuse du plan foireux qu'il lui proposait. C'était un sans faute qu'ils devaient réaliser, pas le droit à l'erreur ou ça serait comme se pousser dans les chaînes du fond de gouffre.
Mais Minho, il semblait avoir oublié que Jisung ne ratait jamais.
— Après tu arrêtes ?
— Je verrais ça avec Peter.
Jisung, il semblait aussi ne pas avoir parfaitement compris que plus jamais les billets ne tomberaient au rythme de l'écoulement du sang.
Minho hocha longuement la tête, l'air soucieux face au petit sourire de Jisung. Il l'observa pendant de longues minutes, retenant le soupir grossissant dans le fond de sa gorge. Il se demandait sûrement où tout ça allait les mener, si c'était une bonne idée ou au contraire, une vitesse supplémentaire vers la fin de tout.
Et puis Jisung attrapa sa nuque sans prévenir et plaqua ses lèvres contre les siennes. Il en crevait d'envie depuis bien trop longtemps. Aussi, les dissenssions s'évaporaient toujours un peu mieux ainsi. L'après c'était pour l'après ; Jisung n'avait aucunement envie d'y songer et il n'aimait pas passer autant de temps à peser le pour et le contre. Minho y résista quelques secondes pendant que leurs lèvres s'effleuraient dans le goût du jeu et du désir. Ils s'embrassèrent pendant de longues minutes dans les bras l'un de l'autre et sans faire de vague, se blotissant dans la chaleur et les souvenirs de l'autre. C'était comme s'ils se découvraient pour la première fois, comme s'il ne s'était jamais rien passé et qu'ils se retrouvaient après s'être consumés dans un amour manquant. C'était virulent mais tendre, passionné mais doux. Rempli de sentiments sur lesquels il n'y avait peut-être pas de mots à mettre mais desquels ils s'en imprégnaient comme l'évidence même.
— Je vais devoir y aller. Je suis pas censé être là et j'ai perdu trop de temps.
— Pas d'ma faute si j'rends nos baises incroyables.
Minho le repoussa après un dernier baiser et s'étira silencieusement avant de chercher ses vêtements éparpillés ci et là. Jisung admira ses muscles s'étendre et se contracter à chacun de ses mouvements, il contempla la grande cicatrice tâchant l'imaculé de son dos en se rendant compte combien il avait envie de la caresser pour en ôter la mocheté. Jisung appréciait les siennes, il les chérissait même mais lorsqu'il avait posé sur celle de Minho, l'homme n'avait pu qu'en tirer l'image horrifique qu'elle renvoyait. C'était amusant, contrariant... mais amusant de constater que quelque part, Minho lui ressemblait plus que ce qu'il n'aurait cru.
— Tu reviendras ?
— Quand ton contrat sera terminé.
Il boucla sa ceinture dans un son sec et métallique accompagnant l'amertume derrière sa phrase.
— J'suis pas facile à trouver tu sais.
— Singapour, Jisung.
Il lui lança un regard lourd de sens et le dénommé comprit que ça ne serait qu'une fois le sol singapourien foulé qu'il pourrait de nouveau avoir le loisir de l'embrasser et le toucher comme bon lui semblait. Jisung pinça les lèvres, hocha la tête et glissa hors du lit pour le rejoindre dans le séjour alors qu'il cherchait sa veste qu'ils avaient balancé par là. Il jeta un vague coup d'oeil à son verre aux mille morceaux coupants et le vin rouge luisant sur le parquet comme si quelqu'un avait été blessé. Il ramassa le couteau tombé de la tenue de Minho et lui tendit, main enroulée autour de la lame tranchante. L'autre le fixa quelques secondes et parut presque embarrassé de ne pas avoir remarqué plus tôt qu'il lui manquait une arme alors que son pistolet reposait sagement dans son holster. Minho saisit vivement l'objet face au sourire moqueur de Jisung et le rangea rapidement à l'intérieur de sa veste avant d'en ajuster les pans comme si de rien était.
Il se racla la gorge, sembla énumérer mentalement ce qu'il avait sur lui pour s'assurer qu'il ne manquait rien avant de regarder Jisung de haut en bas. Même en sous-vêtements il paraissait assuré comme jamais, d'une aura écrasante de son hégémonie malgré la vulnérabilité que sa presque nudité renvoyait. Pourtant il avait ce regard moins dur, moins dédaigneux qui semblait ne jamais le quitter. Minho ne sut pas s'il devait être rassuré ou au contraire, toujours s'en méfier.
Après tout, il savait que ce n'était pas quelques coups de reins bien placés qui pouvaient changer une personne.
Ils étaient rares, ces lendemains où leurs différends avaient été réglés après une nuit mouvementée.
Seulement cette fois, il décida d'y faire confiance - certes avec parcimonie - parce qu'il l'avait dit lui-même : quatre ans avaient passé. Et Jisung, il n'était pas totalement un monstre.
— Je suis toujours en colère.
— Je sais.
Il toucha sa joue légèrement rebondie du bout des doigts, en glissa la pulpe le long de son cou jusqu'à revenir se nicher dans le creux de sa clavicule. Jisung frissonna à chacun de ses gestes, se délectant de leurs douceurs sur les ratures de son corps.
— Mais je crois que je t'aime plus que ça.
Jisung ne répondit pas. Il sourit, le cœur battant et l'image de futurs souvenirs mêlés aux anciens plein la tête. Une nouvelle fois, ils s'embrassèrent à l'ombre du loft et à la lumière d'un Londres nuageux. Dans le mensonge et la vérité, la peur et l'espoir. Des et si pleins la tête et des peut-être éparpillés ci et là. Jisung regarda Minho traverser son séjour, laissant l'empreinte d'une présence unique entre les murs alors qu'il disparaissait derrière la porte d'entrée après un dernier regard en direction du noiraud.
Il s'était laissé tombé sur son canapé, jambes sur les accoudoirs et bras croisés derrière la tête. Jisung avait pensé qu'il devait nettoyer le vin avant que ça ne tâche trop son parquet mais avait préféré aller saisir un nouveau verre pour siroter un peu de sa rouge richesse. Il fixa son plafond un peu trop haut, effleura du bout des doigts le revolver caché sous le canapé et imagina pendant un instant une vie pleines de vies. Une existence sous le soleil de Singapour, coeur et corps entre les mains de Minho à l'écart du sang et des balles. En somme, ce qu'il avait osé rêver des nuits durant par le passé. Alors est-ce qu'il était prêt à tout quitter encore une fois pour vivre une nouvelle vie ? Jisung porta sa main à son tatouage, celui qui avait tant retourné Minho et qui avait valu une balle entre les deux yeux de Oliver. Love made me crazy. Il était fou Jisung, complètement dingue. Mais à quel point ?
Non loin, son téléphone vibra et ce fut dans un souffle ennuyé qu'il se traîna jusqu'à sa veste en cuir balancée hasardeusement pour en récupérer son cellulaire. Il but une nouvelle gorgée de vin, en lécha ses lèvres légèrement rougies alors qu'il appuyait sur la seule et unique notification.
「 Avis de réception :
Virement externe
Montant de 34 360£ 」
Jisung lâcha un petit rire, remarquant une nouvelle fois que ce patron-là payait plutôt bien pour un rien. Il passa en revue son compte en banque, compta le nombre d'investissements qu'il pouvait réaliser avec ces chiffres jusqu'à subvenir à une vie entière ou même deux à l'abris de la précarité. Il pouvait planifier le reste de sa vie comme bon lui semblait à présent ; plus besoin de faire les poubelles, de faire la manche et plus besoin de se demander dans quelle rue il allait pouvoir dormir. Jisung pouvait rêver king-size, vins hors de prix et paysages de cartes postales à volonté sans craindre que tout s'envole brusquement. Il avait droit à une retraite anticipée bien méritée. Alors pourquoi est-ce qu'il ne faisait que fixer ses armes comme si elles étaient d'un précieux divin ?
Une nouvelle notification le sortit de ses songes. Jisung prit le temps de se rendre jusqu'à la baie vitrée où résidait encore l'empreinte de son corps chaud pressé contre celui de Minho et la fraicheur du verre. Il but une nouvelle gorgée de son vin et haussa les sourcils dans un soupir las pendant qu'il appuyait sur le message apparant. Son nez se retroussa, un rire sans joie résonna dans le fond de sa gorge alors qu'il faisait défiler les lignes sous ses yeux. Le montant exhorbitant qui s'afficha enflamma sa poitrine et il manqua de recracher son alcool. Jisung laissa sa main tomber dans le vide, retenant à la dernière seconde son verre alors qu'il retournait s'asseoir dans son cuir tant il était abasourdi.
Une dizaine d'années dans le métier et l'homme n'avait pas souvenir d'avoir une seule fois eu une proposition d'un tel montant. Plus de six zéros, c'était inédit, une chance à ne pas manquer.
Et dans le feu de l'adrénaline, son coeur s'emballa à vive allure lorsqu'il ouvrit la photo envoyée par ce potentiel patron provisoire.
Cheveux bruns, un nez droit, des yeux de biches plissés en deux demi-lunes et une plaque militaire pendue au cou.
Jisung serra les dents, le regard alternant entre les chiffres et le portrait avant de prendre une grande gorgée de son vin. Une vie d'adrénaline et d'émotions, aisée et éphémère parmi mille et une existence. Recommencer encore et encore sans jamais laisser l'excitation du risque se tarir. Tout avait une fin pourtant le corps de Jisung en avait encore pleins, des histoires à raconter.
Dehors la pluie s'était remise à tomber, moins violente mais battant avec autant de frénésie sur les fenêtres. Ici, le froid de l'un de ses revolvers transcendant la peau de sa cuisse, Jisung vidait sa bouteille dans la sophistication, fixant la beauté de sa cicatrice sur sa main porteuse de la mémoire d'un toucher au fantôme amoureux.
Les règles étaient faites pour être transgressées mais Han Jisung ne touchaient jamais aux siennes.
Les promesses, il les tenait lorsqu'elles étaient contourées d'une puretée dorée.
« Je crois que je t'aime plus que ça ».
Le dernier « je t'aime », c'était lui et personne d'autre qui le dirait.
┅
the end.
PART 2/2
⸢ 7895 mots ⸥
je vous laisse à vos interprétations pour la suite, j'espère que ça vous aura plu 🤓
surtout à toi LINOSAUR <3
┅
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