Chapitre 53 : ce n'est qu'un au revoir
Le centre de Lidoïlle n'était plus que ruine et dévastation. Tout autour d'eux était détruit. Cette scène, Lidonna l'avait vue dans son rêve prémonitoire. Elle devait se tenir prête à sauver Sam à tout moment. Sous les décombres se trouvaient des dizaines de corps. Morts, évanouis, comment savoir ? La jeune femme ne pouvait s'empêcher de les dévisager. Elle ne connaissait pas la plupart de ces gens qui s'étaient sacrifiés pour leur survie. Certainement beaucoup d'Ombres. Quand elle reconnut, Xander, le regard sans vie, elle eut un haut-le-cœur. Elle détourna le regard du sol. Elle ne voulait pas prendre le risque de prendre de croiser à nouveau le visage de quelqu'un qu'elle connaissait. Alors elle se concentra sur l'horizon.
Proche de la fontaine, qui n'existait plus désormais, exactement là où ils l'avaient laissé, se trouvait Harrgos. Lidonna savait qu'il était en train de grandir. Il faisait déjà bien deux mètres, il finirait par atteindre les quatre et elle ne savait pas jusqu'où il irait. Ils devaient l'arrêter avant qu'il devienne inatteignable. Bien qu'ils soient censés pouvoir le tuer même entièrement transformé en dieu, il ne valait mieux pas qu'ils prennent le risque. Plus vite Harrgos serait éliminé, plus vite ils pourraient tous retrouver une vie normale. Ou ce qui s'en rapprochait le plus du moins.
Sans attendre un mot, dans le plus grand des silences, le groupe s'approcha de leur cible. Lidonna portait l'épée des Kilidohanas. Elle avait beau être la plus jeune, peut-être la plus inexpérimentée, elle était celle qui avait la plus grosse rage au ventre. Elle était la plus déterminée à éliminer Harrgos. A – il fallait le dire – le tuer. Fini les petites filles gentilles, timides, craintives. Elle n'avait jamais été enchantée d'ôter la vie de quelqu'un. Elle n'était personne pour décider de qui devait vivre ou qui devait mourir. Tout comme Harrgos n'avait pas ce droit non plus. Et c'était précisément pour cette raison qu'elle voulait l'arrêter. Si elle fallait qu'elle noircisse son âme pour sauver tous les autres, elle le ferait. Mais surtout, elle vengerait Rordian.
Harrgos, dans sa transformation avait les yeux fermés. Il avait probablement lutté jusqu'à ce que tous ses assaillants, fuient, meurent ou n'aient plus la force de combattre. Mais cela avait probablement dû l'épuiser également. Lidonna imaginait que devenir un dieu, acquérir des pouvoirs inhumains devait être épuisant. Tant mieux pour eux. Plus elle s'approchait de lui, plus elle ralentissait le pas. Elle ne voulait absolument pas le prévenir de leur arrivée. Elle remarqua que le corps de l'homme, en plus de grandir à vue d'œil brillait légèrement. Une lueur qui semblait très divine et peu rassurante. Dans le plus grand des calmes, la jeune femme brandit l'épée au dessus de sa tête, prête à lui enfoncer la lame dans le ventre. Sam et Rivel se tenaient en retrait, lumière en main, prêts à intervenir en cas de besoin. Quand Lidonna entama son geste pour mettre fin aux jours d'Harrgos, ce dernier ouvrit subitement les yeux et d'un claquement de mains, envoya valser ses trois adversaires dans le décor. Il venait de créer une onde de choc pour se protéger de l'épée. Son regard était devenu complètement blanc. Plus d'iris, plus de pupille. Il perdait petit à petit en humanité. Physiquement, pensa la rouquine. Parce qu'Harrgos avait déjà perdu toute notion de bien et de mal. Il n'était ni rationnel, ni émotif. Il se laissait guider par son instinct détraqué. Finalement, il se rapprochait déjà plus de l'animal intelligent que de l'être humain en tant que tel.
Les Kilidohanas se relevèrent immédiatement après l'impact. La Luminaire serrait fortement l'épée, elle refusait de la lâcher, parce qu'elle savait que lorsque cela arriverait, elle devrait agir vite pour sauver son frère. Rivel tentait de maintenir Harrgos immobile grâce à la lumière et Sam utilisait son pouvoir de Dédoubleur pour chercher à déstabiliser leur ennemi tandis que Lidonna s'approchait dans le but d'asséner un coup d'épée mortel à leur ennemi. Grâce à ses deux alliés, Lidonna réussissait à courir sans être trop embêtée par Harrgos. Ils arrivaient à maintenir l'intention de l'Ombrage sur eux. Plus elle avançait vers lui, et plus elle se rendait compte à quel point il grossissait vite. Il devait avoir pris au moins un mètre depuis le commencement de leur combat quelques minutes auparavant. Il serait impossible pour la rouquine d'atteindre son cœur désormais, elle devrait le faire tomber au préalable. Alors elle visa les jambes. L'épée était légère, malléable, faite pour faciliter le combat. Elle était composée de magie et de puissance, et la rouquine le ressentait. C'était donc avec une facilité déconcertante qu'elle réussit à donner un grand coup de lame derrière les genoux d'Harrgos.
L'homme lâcha un terrible cri guttural et caverneux qui arracha à Lidonna un frisson d'effroi. Dans un réflexe il s'effondra à genoux, mais ne laissa pas le temps à son adversaire de répliquer. Il se tourna vivement vers elle et l'envoya balader à nouveau. Son corps retomba lourdement au sol. Elle commençait déjà à avoir mal et à saigner.
Elle se retrouvait à l'opposée de Sam et Rivel. Ici elle était une cible facile. Alors malgré son mal de crâne – et de corps en général – elle se força à se relever, l'épée toujours en main. Harrgos la fixait, et malgré son regard complètement blanc qui la terrifiait, elle sentit toute la colère qu'il éprouvait d'être dérangé dans son rituel. Des silhouettes de Sam apparurent soudainement à ses côtés, prêtes à l'escorter. Mais d'un seul sort, l'Ombrage réussit à les faire toutes disparaître et envoya le Dédoubleur au sol. Lidonna était à nouveau seule. Elle se concentra alors sur un rayon de lumière proche. Elle devait absolument se téléporter auprès de ses amis. A trois ils étaient forts, seule elle ne faisait clairement pas le poids face au futur dieu. Il avait déjà une puissance hors norme. Ils devaient se battre ensemble et le battre ensemble.
Lidonna avança – tituba – vers son moyen de transport. Elle se rendit compte que tout tournait légèrement autour d'elle. En tombant, elle avait pris un sale coup sur la tête. Mais sa détermination était plus grande que tout, elle réussit alors à déplacer son corps jusqu'à la lumière et à se téléporter vers ses amis. Protégés par une barrière de lumière, Rivel était en train d'aider Sam à se relever quand Lidonna apparut derrière eux, en tombant à quatre pattes. Rivel se précipita alors vers elle et l'aida à se relever :
« Ça va ? » lui murmura-t-il.
Elle hocha la tête mais ne dit pas un mot. Ce n'était pas le moment de se déconcentrer. Elle échangea un regard avec son frère, puis ils s'élancèrent, tous les trois. A sa gauche, Rivel, à sa droite, Sam, dans ses mains, l'épée. Dans sa course vers Harrgos, elle remarqua qu'il avait encore prit un bon mètre. Elle aurait tant aimé à ce moment là savoir voler. Mais elle savait qu'elle allait devoir se contenter de lui frapper les jambes jusqu'à ce qu'il ne puisse plus tenir debout.
« Lidonna attention ! » hurla soudainement Rivel.
Trop concentrée sur la manière dont elle pourrait contourner ce monstre pour pouvoir le frapper à nouveau dans le creux des genoux, la jeune femme n'avait pas vu qu'Harrgos avait ramassé des débris de bâtiments au sol pour les leur lancer. Au dernier moment, elle esquiva en se jetant sur le côté. Elle avait mal partout, elle commençait à s'épuiser. Mais elle était déterminée, alors elle se releva immédiatement et reprit sa course vers l'ennemi.
« Arrêtez de vous faire du mal pour rien, vous ne pouvez pas gagner. » gronda Harrgos.
Cette voix avait beau être plus profonde et caverneuse, monstrueuse, Lidonna reconnaissait parfaitement le timbre de l'Ombrage. Elle l'avait tellement souvent entendu leur baratiner à quel point il était plus fort qu'eux, à quel point ils ne valaient rien face à lui, qu'elle connaissait sa voix et qu'elle la connaissait bien. Mais surtout elle reconnut la phrase de son rêve prémonitoire. Elle lança un regard rapide vers Sam, totalement effrayée. Il fallait qu'elle le sauve, il fallait absolument qu'elle le sauve !
Elle esquiva alors à nouveau des jets de pierres tout en continuant à la fois de foncer sur Harrgos et de guetter le moment où elle échapperait l'épée. Elle virait à droite à gauche. Roulait sur le côté, se baissait. Pour l'instant elle évitait chaque frappe de leur ennemi et ses amis aussi. Elle s'approchait d'Harrgos qui envoyait ses frappes de plus en plus vite. Il gagnait en vitesse, en puissance alors qu'eux ne faisaient que s'épuiser. Lidonna ne l'avait touché qu'une seule fois, ce n'était pas ça qui leur permettrait de le battre.
La jeune femme arriva à son niveau, mais l'homme se décala d'un côté sur le côté et lui frappa violemment le dos. Elle avait beau avoir rêvé toute cette scène, elle avait tellement été concentrée sur le décor qu'elle n'avait pas pris attention aux agissements de son adversaire, alors elle n'avait pas vu venir ce coup. Elle fut à nouveau projetée plusieurs mètres plus loin, mais la violence de recevoir un coup de poing d'un géant de quatre mètres directement dans le dos l'avait fait lâcher l'épée qui était retombée trop loin d'elle. Elle ressentit alors l'urgence d'aller ramasser l'arme la première, comme dans son rêve. Mais cette fois, elle garda précieusement en tête qu'il fallait qu'elle sauve Sam également. A peine relevée, elle aperçut Harrgos et Sam se précipiter vers l'objet. Son frère fut le premier à arriver. Et alors qu'il se baissait pour ramasser l'épée, un rayon d'ombre perça l'air et Lidonna, dans un cri de détresse, réussit à stopper l'attaque d'Harrgos à l'aide d'une puissante barrière de lumière.
Samuel avait l'épée et la vie sauve. Elle avait déjoué l'avenir. C'était la première fois qu'elle y arrivait et elle s'en sentait extrêmement soulagée. La rouquine eut envie de pleurer de joie jusqu'à ce que l'Ombrage se venge sur son fils. Il envoya une onde de choc sur Rivel qui accourait auprès de ses amis. Il fut soulevé de plusieurs mètres dans les airs et atterrit au sol dans un bruit sourd. Lidonna attendit qu'il se relève comme ils l'avaient fait à chaque fois, mais le Luminaire resta au sol.
« Rivel ! hurla-t-elle.
— Je te l'ai dit ! tonna Harrgos. Vous ne pouvez pas gagner. »
Lidonna l'ignora et se précipita vers son ami. Il avait de la poussière, de la saleté et du sang partout sur le corps et le visage. Elle prit alors le temps de vérifier les battements de son cœur et sa respiration. Rivel était en vie. Mais la jeune femme savait qu'il ne se relèverait pas tout de suite. Ils n'étaient plus que deux pour battre Harrgos.
Sam ne l'avait d'ailleurs pas attendu pour reprendre le combat. Lui et tous ses doubles fonçaient épée en main vers le géant. Samuel s'amusait à provoquer Harrgos à chaque nouvelle création de clone.
« Eh Harrguignol par ici ! Non par là ! Raté ! Retente ta chance ! »
Harrgos supprimait ses ennemis un à un, espérant toucher l'original pour les faire disparaître en même temps. Mais à chaque fois qu'une silhouette s'évanouissait, deux nouvelles apparaissaient. Pendant qu'il était occupé avec Sam, Lidonna chercha à déstabiliser le monstre. Elle forma dans ses mains une grosse boule de lumière et l'envoya directement dans les pieds d'Harrgos. L'impact provoqua un soulèvement des débris et un léger tremblement de sol qui déséquilibrèrent l'homme. Pas assez pour le faire tomber, mais assez pour laisser le temps à Sam de l'atteindre et lui mettre un violent coup dans les tibias.
A nouveau Harrgos poussa un cri venant de ses tripes. L'épée n'était définitivement pas normale. Ces coups étaient plus que de simples égratignures. Lidonna n'aimerait pas être à sa place, la grimace que ce géant – de cinq mètre désormais – affichait montrait qu'il souffrait le martyr. Et pourtant, ils ne l'avaient frappé que deux fois.
Sam donna alors un deuxième coup à Harrgos, lui arrachant un nouveau hurlement de douleur. Refusant de prendre un nouveau coup de lame, l'Ombrage passa outre sa douleur et lança un grand coup de pied pour éloigner son assaillant. En voyant son frère décoller, Lidonna écarquilla les yeux de panique. Plus il attaquait, plus Harrgos réussissait à les faire voler haut, et plus la chute pouvait être mortelle. Sans réfléchir la rouquine s'élança pour tenter d'amortir la chute de Sam. Elle ne savait pas comment le faire à part en utilisant son corps, alors elle le laissa tomber sur elle. Immédiatement, elle eut le souffle coupée.
« Sam. » peina-t-elle à souffler.
Mais il ne répondit pas. Il ne bougeait pas. Lidonna était coincée. Elle tenta de bouger mais son frère l'écrasait de tout son poids, probablement évanoui à son tour. Ils n'allaient pas perdre comme ça ?! Elle faisait dos à Harrgos, pourtant elle l'entendait se déplacer. Se rapprocher... Non... Non.
« Non ! » hurla-t-elle.
L'adrénaline se déversa dans tout son être. Une force surhumaine de son corps. Face au sol, elle poussa sur ses bras pour se soulever. En position de pompe, elle réussit à se retourner. Elle était désormais sur le dos, sur le corps de Sam. Lidonna avait la respiration haletante. Elle n'en pouvait plus. Elle était épuisée et elle savait qu'elle n'était pas au bout de sa peine. Alors elle se releva. Lentement et difficilement, elle se pencha pour attraper l'épée qui était tombée juste à côté de Sam. Heureusement, la transformation en dieu rendait l'Ombrage lent.
Elle faisait à nouveau face à Harrgos. Elle tenait l'épée à deux mains, tremblante d'efforts.
« Allez Lidonna, arrête.
— Jamais ! »
La rouquine s'avança alors. Elle titubait. Elle ne voyait pas où elle mettait les pieds. Elle manqua de tomber un nombre incalculable de fois mais elle avançait. Elle ne se rendait même pas compte qu'elle avançait bien trop facilement alors qu'elle était fatiguée et que personne ne la protégeait. Mais tant qu'elle s'approchait, elle n'en avait en réalité rien à faire. Sans attendre, elle donna un violent coup d'épée dans les jambes d'Harrgos qui une nouvelle fois ne pu s'empêcher de crier. Il lâcha un ruminement de colère. Lidonna le vit approcher sa main d'elle, alors elle en profita pour lui lacérer la paume.
Harrgos recula de quelques pas, manquant à nouveau de tomber. Lidonna avait l'impression que malgré sa prise de puissance, il s'était considérablement affaibli. A moins que ce soit une projection de ses désirs plutôt que la réalité. Alors qu'il grimaçait de douleur, la rouquine s'élança à nouveau sur lui. Elle n'allait pas s'arrêter en si bon chemin. Mais elle se heurta à un mur invisible de plein fouet. Elle tomba alors à la renverse, sonnée. Harrgos s'approcha et plaça un pied sur son corps.
S'il avait voulu, il aurait pu l'écraser comme si elle n'était qu'un moucheron. Pourtant, il se contenta de la bloquer, assez pour quelle ait l'impression d'étouffer mais pas pour la tuer. Lidonna tenta de mettre de nouveaux coups d'épée à Harrgos, mais elle gesticulait plus qu'elle ne frappait consciencieusement. Elle se mit vite à paniquer parce qu'elle avait l'impression qu'elle manquait d'air... Et sans qu'elle s'en rende compte, l'Ombrage, du haut de ses cinq mètres – voire plus – réussit à lui faire lâcher l'arme. En sentant sa main se desserrer malgré elle, le désespoir envahit la jeune femme. Le tintement de l'épée sur le sol fut le son qui signa sa défaite. Leur défaite.
Elle était totalement bloquée. Elle tentait en vain, de lancer de la lumière et de récupérer son arme mais lorsqu'Harrgos éloigna l'épée pour qu'elle lui soit hors d'atteinte, elle sut. A ce moment elle comprit que c'était la fin. L'Ombrage la maintenait au sol tandis qu'il tentait de détruire le seul objet capable d'obtenir son trépas. Il ne pouvait pas la toucher sans souffrir alors il tentait d'en venir à bout grâce à ses pouvoirs. Mais l'épée résistait. La lueur d'espoir qui brilla en voyant que son arme tenait bon fut immédiatement soufflée quand Harrgos se pencha pour attraper l'arme et la lancer à l'horizon.
L'opération se fit dans un cri et une blessure certaine pour lui, mais désormais Lidonna n'y aurait plus jamais accès, il le savait. Il avait gagné. Alors il retira son pied du corps de la rouquine qui prit une grande inspiration en se relevant. Elle ne pouvait pas y croire. Une rage s'empara d'elle, balayant sa désolation. Elle se saisit de la lumière proche d'elle et lança une attaque puissante contre Harrgos. Une attaque qui dura de longue minute, qui la vida complètement de toute son énergie, et qui n'eut pas l'ombre d'un effet sur son ennemi.
Quand elle le vit parfaitement debout après s'être pris de plein fouet un rayon intense de lumière, elle afficha un visage totalement meurtri, la bouche ouverte d'étonnement et de désespoir.
« Je te l'avais dit. Vous ne pouviez pas gagné. Mes rêves m'ont permis d'absolument tout prévoir. J'avais une parade pour chacun de vos mouvements. Je préparais ça depuis bien trop longtemps pour laisser quelques gamins, aussi gentils soient-ils, m'empêcher d'accomplir mon destin. Ce monde doit disparaître pour que je puisse en faire renaître un de ses cendres. Un monde meilleur où tous les habitants seront plus comme toi que comme Leeham.
— Vous ne pouvez pas faire ça Harrgos... »
Les mots étaient sortis de la bouche de Lidonna dans un souffle, un peu malgré elle. Ses yeux étaient plein de terreur. C'était impossible... Son corps s'effondra de lui-même à genoux, puis ensuite sur les coudes. Elle frappa le sol puis hurla de colère, de rancœur... de peur.
« Nous ne sommes pas tous comme Leeham. Vous ne pouvez pas tous nous punir parce que certains se sont laissés aller au mal.
— S'ils n'étaient que quelques uns, ma grande, je n'aurais pas eu besoin de tout faire disparaître. Mais le mal ronge les cœurs des Kayoliens. Ils ont trop de haine en eux. Ils n'arrivent plus à s'en défaire.
— J'ai vu des femmes et des hommes bons, qui m'ont tendus la main même s'ils n'avaient rien !
— Je n'en doute pas. Mais combien étaient-ils ? Sur Nainou ou Lilipucine tous les habitants ou presque sont prêts à tendre la main aux autres et aux inconnus. Gobelina a été obligé de se fermer aux mondes à cause de l'avarice des Kayoliens qui ne supportaient pas qu'on leur refuse un bien précieux. J'aurais préféré que tu ne sois pas Kayolienne, parce que tu ne mérites pas tout ça. J'ai été assez impressionné par tes amis et toi. Mais je n'ai pas le choix de faire de vous des dommages collatéraux. Il faut que Kayolina disparaisse.
— Mais Harrgos, vous êtes aussi un Kayolien !
— Une simple erreur de parcours. Ma vraie nature est d'être un dieu. »
Des rivières de larmes silencieuses coulaient le long des joues de Lidonna.
« Vous voyez ! Tout le monde fait des erreurs !
— J'entends bien, mais il faut chercher à les corriger. Personne ne corrige plus ses erreurs. Mieux vaut affirmer que l'on avait raison. Que ce soit vrai ou non.
— Il y a tellement d'innocents. Tellement d'innocents que vous ne connaissez pas qui vont mourir ! Harrgos vous ne pouvez pas faire ça !
— Je n'ai pas le choix. »
La jeune femme le dévisagea. Elle n'avait plus d'argument. Elle avait tout tenté. Mais elle savait au fond que rien n'aurait pu le convaincre. Pour l'arrêter il aurait fallu le tuer. Et elle avait échoué.
« Passe ces dernières heures avec ceux que tu aimes Lidonna. Et ne te torture pas. Je te l'ai dit, tu ne pouvais pas gagner contre moi. Le jeu était pipé. Désolé. »
Harrgos fit alors un geste de la main et il disparut. Plus exactement, il avait téléporté Lidonna ailleurs. Elle ne savait pas où elle était. Elle n'avait pas la force de chercher à le savoir. Alors elle s'assit, parmi les ruines et se prit la tête entre les mains. Elle ne pleurait pas, elle était bien trop lasse pour ça.
« Lidonna ? »
La jeune femme sursauta et se retourna. Derrière elle se trouvait ses amis. Sulvan, Cyn, Loïs, Firân, Sam, Rivel. Tous échangeaient des regards plein d'incompréhension. Sulvan était encore chez les Pieds-nus à les aider quelques minutes auparavant. Le dernier souvenir de Cyn, Loïs et Firân étaient Harrgos qui envoyait dans le décor des dizaines d'assaillants. Et les deux Kilidohanas étaient debout, presque en pleine forme.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda le Charmeur.
— Il a gagné. »
Prononcer ces mots à haute voix lui fit un choc. Elle se sentait terriblement responsable. Malgré ce que lui avait Harrgos, elle avait l'impression qu'elle avait condamné Kayolina.
Ses amis ne cherchèrent pas à avoir plus de détails. Cela ne servait à rien de remuer le couteau dans la plaie. Alors ils s'assirent tous autour d'elle, faisant abstraction du décor de guerre dans lequel ils étaient. S'ils vivaient réellement leurs derniers instants tous ensembles, alors ils devaient profiter. Lidonna les regarda tous un par un. Pourquoi eux particulièrement ? Elle ne savait pas. Était-ce Harrgos qui avait choisi par rapport à ce qu'il avait observé ? Ou bien était-ce son cœur qui inconsciemment s'était dirigé vers ces six personnes là ? Il y avait tant de gens encore que la rouquine aurait aimé enlacer une dernière fois. Beaucoup parmi eux étaient déjà morts, elle le savait. En voyant Rivel et Firân se tenir la main elle ne put s'empêcher de penser à Rordian et à la douleur qu'il avait laissé, comme si aujourd'hui il manquait une partie de son cœur à la jeune femme. Mais les bras de Sam l'aidaient à apaiser sa souffrance et sa culpabilité. La tête posée contre l'épaule de son frère elle voulait se forcer à oublier leur destin et profiter. Profiter d'eux pour la dernière de sa vie.
« Je vous aime tellement fort. » leur murmura-t-elle.
Ils s'approchèrent tous et s'amassèrent en un câlin collectif. Lidonna aurait voulu que cet instant perdure pour l'éternité. Les yeux fermés, elle profitait des battements de cœur et des respirations. Étrangement, elle se détendit et elle se rendit compte qu'elle était presque sereine. L'acceptation. De son sort, de son destin. Il n'y avait plus rien à faire. C'était comme ça. Et peut-être retrouverait-elle Rordian.
Toujours dans les bras de ses amis, Lidonna rouvrit les yeux. Derrière eux, elle aperçut un monarque. Ses couleurs flamboyaient au soleil. Seul signe de vie, elle se souvint alors de ce que lui avait dit Nick un jour : on n'en voyait jamais sur Kayolina. Symbole d'un renouveau et d'une libération, leur apparition promettait un grand changement.
Lidonna tendit la main vers l'insecte et Kayolina disparut à l'instant où le papillon se posa sur son doigt.
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