Chapitre 28 : Confidence pour confidence
Les jours passaient et Loïs ne s'était toujours pas réveillée. Mais elle reprenait des couleurs et une bonne forme. L'inquiétude pour son état s'envolait petit à petit chez tous ses proches. Camaé était particulièrement confiante, au point qu'elle avait préféré laisser le corps de l'Empathe se remettre seul.
Mais Lidonna avait d'autres préoccupations. A la seconde où ils ont annoncé avoir administré l'antidote, la rouquine et son petit ami avait été réquisitionnés par le Conseil pour parler de l'attaque prévue contre Raya et du futur interrogatoire de Nick.
Elle n'avait pas eu le temps de se reposer et elle était épuisée psychologiquement. Entre les questions insistantes du Conseil sur des quelconques détails que Lidonna aurait pu avoir sur l'attaque et celle concernant son ami ex-membre des Ombres et son propres stress, elle avait constamment l'impression que son crâne allait exploser. Lidonna par-ci, Lidonna par-là, elle ne savait plus où donner de la tête.
Elle n'avait pas pu avancer sur l'affaire de l'attaque parce qu'elle n'avait pas fait de nouveau rêve. Elle avait essayé de provoquer une prémonition, mais elle n'avait pas réussi. Elle ne savait même pas si c'était possible... Alors elle s'était concentrée sur l'interrogatoire de Nick. De toute façon elle préférait ça.
Lidonna se dirigea silencieusement vers la salle de téléportation en compagnie de Sulvan et Rordian. Elle se sentait mal à l'aise... Avec Sulvan qui aimait jouer les charmeurs et Rordian qui détestait tout simplement Nick... Bien que l'un et l'autre aient promis de se tenir à carreau, la rouquine n'était pas dans une position des plus confortables. Les prisons étaient soumises au sort de protection du Cocon mais n'étaient accessible que par téléportation, alors Lidonna supposait qu'elles étaient localisées ailleurs, sans réellement en avoir la confirmation.
« Je vous en prie, ne provoquez pas Nick. Si vous avez une question à lui poser soyez doux. Il a assez souffert comme ça. Et ce n'est pas en le brusquant qu'on obtiendra quoi que ce soit.
— Maintenant que je peux lire ses pensées, ne t'inquiète pas que l'on va obtenir ce que l'on veut.
— Rordian, le réprimanda-t-elle.
— Je ne serais pas violent, je te l'ai promis. Mais je ne vais certainement pas me gêner à lire ses pensées. »
Elle hocha la tête en lui prenant la main. Elle n'aimait pas cette idée, mais elle savait que c'était nécessaire. Même elle aurait du mal à lui faire confiance. Nick leur avait menti pendant des mois, il n'y avait aucune raison pour qu'il ne recommence pas. Depuis qu'ils lui avaient mis un bracelet bloquant ses pouvoirs, ils avaient des moyens sûrs d'établir s'ils pouvaient ou non se fier à lui.
Lidonna se tourna vers Sulvan, le regard sévère, en attendant qu'il lui confirme lui aussi qu'il ménagerait leur prisonnier.
« Ne t'inquiète pas, on te laissera faire. Je ne le connais pas. Moi je ne suis là que pour te dire s'il ment ou non. »
Satisfaite, elle attrapa la main que l'Empathe lui tendait puis Rordian les téléporta.
Les prisons des Papillons n'étaient pas très grandes. Elles n'avaient pas été conçues pour accueillir un grand nombre de personnes. Cinq cellules se succédaient dans le long couloir de pierre. Nick était assis au sol derrière les barreaux de la première prison. Pas de garde, pas de chaînes, simplement le bracelet bloquant. Les Papillons semblaient persuadés qu'ici, il ne pourrait pas s'enfuir.
« Je commençais à me sentir seul. » souffla Nick en entendant du bruit.
Il releva la tête vers ses trois visiteurs puis afficha soudain un visage inquiet :
« Vous venez me torturer ? »
Lidonna sentit Rordian se tendre à ses côtés.
« Tu plaisantes là ? demanda-t-elle en posant la main sur le torse de son petit ami.
— Pour quelle raison est-il là alors ? demanda-t-il en désignant Rordian de la tête.
— Lire tes pensées connard, répliqua-t-il les dents serrées.
— Rordian s'il te plaît... »
Elle se tourna vers lui, le regard doux. Nick le cherchait c'était évident. Mais Rordian était plus intelligent que ça. Elle le savait, elle lui demanda en pensées de le lui prouver. Le garçon prit une grande respiration, hocha la tête et se retint d'embrasser Lidonna.
« Tu te doutes bien, qu'on a quelques questions à te poser.
— Oui. Je vais vous dire tout ce que je sais. Mais je préfère vous prévenir tout de suite, je ne sais presque rien. Mon père...
— Attends, on va aller dans une salle spéciale pour qu'on puisse enregistrer la conversation. »
La rouquine ouvrit alors la porte. Nick se releva, soupçonneux, et Rordian l'empoigna fermement, surprenant l'Ombrage.
« Ne t'inquiète pas mon pote, lui murmura-t-il à l'oreille. Je vais te guider. »
Le ton mielleux et le sourire satisfait sur les lèvres du Liseur exaspérèrent Lidonna. Il ne pouvait pas s'empêcher... Mais tant qu'il ne s'énervait pas, la jeune femme s'en contenterait.
Rordian téléporta alors son prisonnier.
« Merci de respecter ta parole, soupira-t-elle à Sulvan quand ils furent seuls.
— Pour toi je ferais n'importe quoi chérie. » se moqua-t-il.
Lidonna sentit la colère monter en elle. Ils voulaient réellement la pousser à bout. Elle prit une grande respiration pour se calmer. Sulvan voulait juste s'amuser. Avec ses nerfs, certes, mais ce n'était pas méchant.
« Désolé, murmura-t-il n'arrivant tout de même pas à effacer son sourire taquin. Allons dans la salle d'interrogatoire. »
Elle ne put empêcher ses lèvres de s'étirer, alors elle baissa la tête, espérant que Sulvan ne le remarque pas.
« Je ne vois peut-être pas ton visage, mais je suis le meilleur Empathe que tu connaisses, et je sais que ma petite blague t'a fait rire dans le fond.
— Oui, bon, monsieur l'Empathe, on y va. »
Elle saisit fermement la main de Sulvan pour lui intimer l'ordre de les téléporter.
La salle d'interrogatoire était sombre. La seule source de lumière était un petit spot artificiel au dessus de leur tête. Faites de briques d'un gris fer et d'une frise anthracite qui accentuaient l'ambiance oppressante de l'espace. Ces couleurs rapetissaient l'espace et donnait presque l'impression que les murs se rapprochaient vers eux et les étouffaient.
Nick et Rordian étaient assis l'un en face de l'autre, séparés par la grande table d'une couleur similaire au sol gris ardoise. Lidonna voyait le sourire réjoui de son petit ami, elle lui lança un regard inquiet. Alors le Liseur s'exclama :
« Nick est prêt à tooooout nous raconter !
— Qu'est-ce qu'il s'est passé entre vous deux ?
— Rien du tout. Je peux simplement lire ses pensées... Et c'est jouissif ! »
La satisfaction qui brillait dans ses yeux ne semblait pas malsaine, alors Lidonna s'obligea à se détendre. Ils avaient un interrogatoire à mener. Alors elle fit le tour de la table et se posta à côté de Rordian.
« Allez zou, lève-toi c'est ma chaise. » ordonna-t-elle.
En se levant, Rordian se pencha à son oreille et murmura à Lidonna :
« Je t'ai fait une promesse que je compte bien tenir. Mais ça ne signifiait absolument pas d'arrêter de le provoquer. Simplement de ne pas me laisser atteindre par la sienne. »
Il déposa un doux baiser sur la joue de la rouquine et lui offrit volontiers sa place face à Nick. Il ancra ses pieds à sa droite, symétriquement à Sulvan puis croisa ses bras sur son torse.
« Je suis obligé de me livrer devant eux ? murmura l'Ombrage.
— Si tu veux qu'on te fasse confiance il faut que tu les laisses te sonder. Il n'y a que comme ça qu'on te laissera sortir des prisons.
— Très bien. De toute façon ce n'est pas comme s'il n'avait pas déjà utilisé son pouvoir sur moi, soupira-t-il.
— Je vais mener l'interrogatoire. J'ai le droit de faire comme je le sens. Ils n'ont rien à dire là dessus, expliqua-t-elle en désignant ses compères. Alors je veux que tu commences par m'expliquer ta vie, tes motivations, comment tout ceci a pu se produire.
— Qu'est-ce que... »
Elle se tourna vivement vers Rordian et le fusilla du regard.
« Tu n'as rien à dire. »
D'autant plus qu'au delà de connaître la vie de son ami, elle était sûre qu'il ne mentirait pas là-dessus. Peut-être s'était-il entraîné à masquer ses pensées et ses sentiments pour camoufler ses potentiels mensonges ? Alors comme ça, ses amis pourraient comparer en cas de besoin.
« Très bien... Alors euh... Harrgos à rencontrer ma mère et lui a fait un enfant qu'il espérait être un Kilidohana. Loupé ce ne fut que moi. J'ai grandi avec Rivel et Dæxor puis ma mère a compris qui était réellement Harrgos et où elle se trouvait. Quand j'ai eu cinq ans, elle a cherché à s'enfuir avec moi, mais mon père avait besoin de moi pour son plan tordu qu'il avait prévu depuis déjà plusieurs années.
— Son plan ?
— Ne l'interrompez pas ! les engueula Lidonna.
— Mais tu avais dit qu'on pouvait poser des questions si on en avait ! s'offusqua Sulvan.
— Pas quand il est en train de parler ! soupira la jeune femme. Continue Nick.
— Bref... Harrgos nous a retrouvés un an plus tard et il a empoisonné ma mère. Ce jour-là, il m'a regardé entre quatre yeux, et il m'a expliqué, moi l'enfant âgé de six ans, que si je ne lui obéissais pas, je serais celui qui la tuerait. Je n'ai compris que bien plus tard, au détour d'une conversation que je n'aurais dû entendre, comme à chaque fois que j'apprenais quelque chose, que c'est lui qui l'empoisonnais et la gardait d'un état de demi-mort pour avoir un moyen de pression sur moi. »
Nick baissa la tête. Raconter son histoire, toujours endeuillé du choix qu'il avait du faire, faisait monter les larmes. Et il voulait les contenir...
« Je n'ai jamais voulu vous trahir. Ça ne m'a jamais fait plaisir... Mais j'avais toujours cet espoir, au fond, que je puisse sauver ma mère... »
Il secoua la tête.
« Je suis vraiment stupide...
— Non. Pas du tout... »
Lidonna avait la gorge serrée. Elle comprenait parfaitement cette douleur. Elle avait perdu Willôde et Keitel quelques semaines auparavant... Elle avait eu cet espoir qu'elle aurait pu les sauver... Espoir qui s'était avéré vain...
« Et si tu nous parlais de la raison pour laquelle ton père avait besoin de toi ? » proposa alors Rordian sincèrement doux, face au silence de la rouquine.
Même lui avait été touché par l'histoire de Nick. L'honnêteté envahit la pièce accompagnée par une souffrance qui n'était pas dissimulable. Sulvan qui savait d'ordinaire se détacher des sentiments des autres, avait beaucoup de mal tellement ce que Nick ressentait était puissant et sincère. L'Empathe était envahi par l'amour prépondérant que Nick portait à sa mère. Il avait voué les douze dernières années de sa vie à obéir dans le seul but de sauver sa mère et c'était désormais ancré en lui.
« Je ne sais ce que cherche à faire mon père... Tout ce que je sais c'est qu'il comptait sur moi pour vous affaiblir psychologiquement. Il cherche à vous désunir, à vous pousser à bout pour que vous commettiez des erreurs qui pourraient lui être bénéfique. Il voulait que je sois ami avec Lidonna, avec vous, pour mieux vous trahir par la suite. »
Il avait la tête baissé tellement il avait honte et regrettait tout ce qu'il avait dû faire. Pour rien... Il s'en voulait réellement.
« Harrgos n'avait pas confiance en moi parce que ma fidélité ne tenait qu'au fil de son chantage. Alors je ne suis au courant de rien. Mais ce que je peux vous dire c'est que pendant des années il a regardé les Ombres se gérer seules et mettre en place leurs propres objectifs et leurs propres combats contre vous, les Papillons, sans intervenir. Il a pris des tas de notes de ses observations dans des centaines de cahiers qu'il garde sous clés dans un de ses bureaux.
— Il... observait ?
— Oui. Il a laissé ses chefs de section tout gérer. Il ne répondait pas aux questions, il ignorait tout le monde et il observait dans l'ombre, littéralement, pour ne pas qu'on le voit. Je ne sais pas pourquoi. Je ne peux pas vous l'expliquer. Je sais juste qu'il a commencé à revenir petit à petit quand Lidonna est arrivée sur Kayolina.
— C'est étrange. Tu es sûr qu'il ne donnait pas d'indications de manière... comment dire... furtive ?
— Certain. Il observait et prenait des notes. Demandez à Rivel, il vous le confirmera.
— Ok... J'ai l'impression que tu ne nous seras pas d'une grande utilité... soupira le Liseur.
— Rordian !
— Non mais, sans méchanceté ! Il ne sait rien, ce n'est pas sa faute, mais on ne peut pas nier que ça ne nous sert à rien.
— Il a raison, confirma Nick. Je suis vraiment désolé.
— Non ! Ne t'excuse pas. Je... Je pense qu'il vaut mieux qu'on te pose les questions quand même. Au cas où quelque chose te revienne. Ça te va ?
— Il n'a pas le choix, répliqua Rordian. Et puis il veut nous aider. Alors continue. »
Lidonna soupira. Jamais elle n'aurait imaginé que simplement poser des questions puisse être aussi désagréable. Elle savait que chaque nouvelle question faisait émerger des mauvais souvenirs en Nick et elle aurait aimé éviter tout ça... Mais ce n'était pas possible...
« J'ai fait un rêve prémonitoire dans lequel Harrgos tuait...euh...Éthène. »
Savait-il que la Reine avait été remplacée par une Métamorphose ?
« Je n'ai pas d'information là-dessus. Enfin sur l'attaque en elle-même. Je sais que mon père veut installer son pouvoir. Ils sont plus nombreux que vous. S'ils tuent Éthène ils sortiront de l'ombre, c'est le cas de le dire. Harrgos a besoin d'imposer sa loi pour son plan... S'ils tuent Éthène vous allez avoir du mal à vous en sortir et à les empêcher de mettre en place un gouvernement de Kayolina... »
Eh bien... Au moins maintenant ils savaient qu'ils devaient à tout prix protéger Raya. Quand ils auraient fini cet entretien, Lidonna aurait au moins quelque chose à raconter au Conseil concernant l'attaque.
« Vous avez bien fait de placer une Métamorphose et de ne pas laisser le trône vide.
— Comment tu es au courant ?
— Mince j'aurais peut-être dû commencer par là ! Y'a une taupe parmi vous...
— Oui on sait. Tu peux nous dire qui c'est ?
— Je ne connais pas son nom, je ne l'ai jamais vu, j'ai juste entendu sa voix. Une fois.
— Tu pourrais la reconnaître ?
— Oui. Assurément. »
Lidonna se sentit soulagée. Elle avait l'impression qu'il y avait enfin quelque chose de positif. Ils allaient pouvoir déterminer qui les trahissait et enfin construire des plans sans devoir se méfier de tout le monde ni craindre qu'il fuite.
« Bon... Je n'ai plus de questions, déclara Lidonna.
— Moi j'en ai une, intervint soudain Sulvan. Tu as dû visiter plusieurs planques des Ombres ?
— Trois.
— Il faudrait que tu laisses notre Mentaliseur faire de tes souvenirs des projections, pour que l'on puisse tous s'y rendre en cas de besoin. »
Nick hocha vigoureusement la tête pour accepter.
« Je ferais n'importe quoi pour vous aider. N'importe quoi.
— Ok. Tu m'as semblé honnête de A à Z. »
Rordian se tourna vers Sulvan pour attendre une confirmation de sa part. L'Empathe acquiesça silencieusement. Il n'avait pas senti une seule fois du mensonge, pas même une once.
« On va te mener maintenant à Jored. »
Il fit signe à Nick de se lever et de le suivre. Quand ils sortirent de la pièce d'interrogatoire, l'Analysateur ouvrit de grands yeux ébahis.
« Alors je suis dans le Cocon ? murmura-t-il admiratif.
— Oui et tu n'es plus prisonnier puisque tout s'est bien passé.
— Merci... Merci mille fois ! »
Nick se jeta dans les bras de Rordian qui fut surpris par ce geste. Il resta les bras ballants et les yeux écarquillés jusqu'à ce que le garçon le lâche.
« Ne refais plus jamais ça, se contenta-t-il de dire.
— Ok. Pardon. »
Pendant que Lidonna suivait Rordian et Nick et que Sulvan repartait à ses activités, ils furent interrompus par Firân qui se jeta dans les bras de l'Analyseur.
« Je ne pourrais jamais assez te remercier pour ce que tu as fais. Merci infiniment pour ton sacrifice. Merci. Merci. Merci. Merci. Merci... »
Nick ne réussit pas à répondre. Le souvenir d'avoir abandonné sa mère était toujours extrêmement douloureux. Il était heureux d'avoir pu sauver Loïs mais... Mais il avait nourri tant d'espoir ces dernières années qu'il se sentait brisé...
« Firân... murmura Lidonna. Est-ce que Loïs est...
— Réveillée ? Oui... Et elle va vraiment bien. »
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