Pour la Moisson - 20
Comme je le pensais, Bira fut immédiatement partante pour l'idée. Il faut dire que ses recherches sur les éventuels complices du than n'avaient pas encore abouties. Uchen, en revanche, était plus réservé, mais n'avait pas d'autres alternatives à proposer.
Nous commençâmes donc à réfléchir sur la mise en place du piège, et comme j'aurais pu m'y attendre, Bira avait de nombreuses idées sur la question. Trop nombreuses. Très vite, je fus mis à l'écart et prié d'attendre que les spécialistes - Libellules - aient mené le plan à bien.
Je me retrouvais, désœuvré et dépité, errant dans le couloir menant à la salle prêtée aux prisonniers, lorsque j'entendis quelqu'un qui approchait. Aïna sursauta en me voyant, comme prise en faute. J'étais tenté, pour marquer le coup après notre dispute, de l'ignorer ou de lui lancer à la tête que d'autres personnes tentaient de faire avancer notre enquête. Mais ça n'aurait rendu que plus visible que je n'avais, pour l'instant, rien à faire.
Au lieu de quoi je lui demandais ce qu'elle venait faire ici, et si je pouvais l'accompagner. Je pris la peine de préciser que je ne faisais qu'attendre que Bira "en fait fini avec le than", bien sûr. Ce qui n'empêcha pas Aïna de m'adresser son sourire le plus reconnaissant.
"Alors, qu'est-ce que tu vas tenter ?
— Une confrontation avec les trois villageois à la fois. Je ne suis pas sûre du tout que ça marche, bien sûr. Mais puisque tu... que vous vous occupez de l'autre piste, je me suis dis qu'au moins j'en aurai le cœur net. Et puis, j'ai interrogé les soldats qui les connaissaient, et les servants de l'auberge. Je sais que je suis... moins douée que toi pour cerner les gens, mais je pense que j'ai une bonne idée de leur caractère à tous les trois et de ce qui a pu se passer. Et de comment les prendre pour les coincer.
— Vraiment ? Tu as trouvé des failles ?
— Justement, tout tourne autour de cette histoire de faille... Et de la loyauté. C'est pour ça que je veux les voir ensemble. Il y a eu une trahison de cette loyauté, et si j'arrive à la mettre en lumière, ils devraient avouer. Ou plutôt se dénoncer les uns les autres. Après, à nous d'en tirer quelque chose.
Un plan qui ne mènerait nulle part, si c'était bien l'Ok-Berenn le responsable, mais je regrettais mon emportement et voulais faire un geste. Je lui demandais donc :
— En quoi je peux t'aider ?
— Guette, tu veux bien ? Je vais essayer de les confronter trop vite pour qu'ils mettent en place quelque chose de crédible, mais je n'arriverai pas à être attentive à tout. Et pour le moment, je ne sais pas qui l'a fait des trois, ou même si ce sont les trois ensembles. Tout ce que tu pourras voir me sera utile.
— Compris."
Nous entrâmes dans la pièce, prêts à la confrontation.
En d'autres temps, le lieu aurait été accueillant. Une cheminée où ronflait un bon feu, des tapisseries aux murs, plusieurs petites tables garnies de tabourets et des bancs le long des murs. Une compagnie d'une vingtaine de personnes pouvait facilement y passer une bonne soirée.
Installés autour de l'une des tables, Guémon, Ajja et Ijja nous attendaient.
L'homme était assis entre les deux jeunes filles, mais semblait complètement ignorer Ijja, son attention alternant entre sa précieuse Ajja et nous. Il semblait aussi méfiant qu'épuisé. De son coté, Ajja gardait le dos rond, les yeux fixés sur ses mains, déjà prête à pleurer ses malheurs. Je n'aurais pas dû lui en vouloir pour ça, sa technique avait plutôt bien fonctionné jusque là. Enfin, Ijja était la seule qui semblait parfaitement à son aise, comme si nous étions vraiment réunis pour passer la soirée ensemble. Elle s'étira, semblant profiter de la chaleur du feu dans son dos, et nous sourit aimablement.
Nous nous assîmes en face des trois villageois, fermant le cercle. Quelqu'un avait déjà déposé à manger et à boire sur la table, bien que personne n'y ait encore touché, et je me demandais si c'était Aïna qui avait fait cette commande ou s'ils comptaient prendre leur repas quand ils avaient été prévenus pour l'interrogatoire.
Je vis qu'Aïna tentait de se donner une contenance. Depuis que nous travaillions ensemble, ça avait toujours été moi qui démarrait les interrogatoires. Cette fois je n'étais là qu'en soutien, et ce changement de position me déstabilisait presque autant qu'elle.
Elle prit une grande inspiration, se tenant très droite, et commença son discours d'un ton pincé d'aristocrate détaillant un fait peu reluisant :
"J'ai voulu vous voir tous les trois parce que nous avons retrouvé comment les graines des raingan ont été sorties du refuge. Nous savons également comment le voleur comptait les récupérer. La seule chose qui nous manque, c'est de savoir lequel de vous trois a commis ce vol. Si vous ne collaborez pas, vous serez considérés comme coupables tous les trois.
Bien sûr, ce bluff fit immédiatement réagir Guémon, qui se leva et commença à clamer son innocence et celle de sa fille. Ajja, quand à elle, se réfugia dans ses bras et fondit en larmes. Seule Ijja resta calme, ne marquant sa surprise que d'un léger écarquillement des yeux, et demanda :
— Qu'est-ce qui vous permet de dire ça ?
— La faille. Tous les gamins du coin ont tenté un jour ou l'autre d'entrer dans les failles, non ? Ce sont eux qui en savent le plus long sur les galeries qui ont été abandonnées par les dragonniers.
Satisfaite, Ijja se contenta de hausser les épaules devant l'argument, tandis que Guémon jurait ses grands dieux que jamais, au grand jamais, ni lui ni sa fille n'auraient posé le pied dans une de ces failles. Ils n'étaient ni stupides, ni - et il chargea le mot de son mépris - des aventuriers.
Intéressant.
Je demandai, de mon air le plus innocent :
— Doutez-vous du courage de votre fille, M. Guémon ?
J'eu droit à un double regard foudroyant, dans un bel unisson père-fille. Puis le père m'expliqua d'un air hautain :
— Vous avez peut-être l'habitude de fouiller partout et de faire n'importe quoi, comme certains, mais chez nous on se montre raisonnables, monsieur ! Jamais on n'irait faire quelque chose d'aussi dangereux !
Les yeux d'Ajja lançaient des éclairs. Si Ijja n'avait pas menti sur leurs rêves d'enfants, le danger ne lui faisait pas peur... du moins autrefois. Que s'était-il passé depuis ? Et qu'est-ce qu'Aïna cherchait à démontrer ? Elle n'avait rien et ne pouvait rien, à part dérouler ses hypothèses et espérer qu'ils se trahissent. Ce qu'elle fit :
— La raison du vol est de tirer profit vous-mêmes de ces céréales. Ce qui implique soit de les revendre, ce qui est risqué, soit de les faire pousser dans un endroit discret. Dans un cas comme dans l'autre, vous comptiez bien évidemment les récupérer, ce qui prouve que vous saviez très bien où arrivait la faille du refuge.
— C'est stupide !" cria Guémon. "Vos accusations sont non seulement mensongères, mais en plus stupides ! Vous pouvez demander à qui vous voulez, personne ne sait où arrive le... la... ce qui sort du refuge ! Et personne ne s'en est jamais occupé !
— Je ne sais pas comment vous avez trouvé comment y accéder, ni lequel d'entre vous l'a fait. Mais je sais que vous l'avez utilisé. Ce n'était que de l'engrais, et avec cette terre infestée de magie, de l'engrais ne se refuse pas.
Ajja répondit, faisant de son mieux pour garder son contrôle :
— Évidemment, nous l'aurions utilisé si nous en connaissions l'existence. Mais ce n'est pas le cas. Et nous accuser de vol, c'est...
Elle se cacha le visage dans les mains. Ijja insista :
— Vous n'avez pas d'autres hypothèses ? Nous sommes innocents et prêts à collaborer, mais pour ça il faut qu'on sache ce que vous recherchez. Sinon, c'est impossible de prouver qu'on n'a pas fait quelque chose.
— Exactement", appuya Guémon, "exactement. C'est sans doute un coup de ce ménestrel, c'est ce qu'on se disait entre nous, ou du fou blanc... sans vouloir vous vexer.
Aïna leva la main, leur faisant signe de se calmer. Elle poursuivi :
— Vous dites que si vous aviez connu l'arrivée de cette faille, vous l'auriez utilisé. Qui l'aurait utilisé ?
— Que..." sursauta Guémon. "Comment ça, qui ?
— Qui aurait été au courant ? Qui aurait ramené les chargements de fumier ? Pour l'usage de quels champs ?
— Mais... je ne sais pas, on aurait résolu cette question si elle s'était posée...
— N'essayez pas d'accuser Guémon de favoritisme" dit Ijja d'une voix légèrement menaçante. "Il est honnête et a aidé de nombreuses familles, dont la mienne, lorsque des membres étaient absents. Jamais il n'a rechigné à partager.
— Tout à fait," appuya Guémon soulagé. "Nous avons bâtit ce village ensemble, et nous nous serrons les coudes.
Aïna fixait Ajja pendant ce discours. La jeune fille semblait crispée. C'était tout ce que je pouvais voir pour l'instant. Où que ma partenaire veuille aller, il me semblait important qu'elle y aille vite.
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