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Pour la Moisson - 1

L'histoire que je vais raconter à présent se déroule au début de l'hiver, deux mois après la signature du traité de paix entre Kenjara et les Six Armées. Peu à peu, nous cessions de désigner ce conflit comme "la guerre", seule et unique réalité de nos vies pendant trop longtemps, et nous commencions à la renommer "la guerre de la naissance", comme si ces quinze années de combat n'avaient été que le lent et douloureux accouchement de notre pays.

Nous n'avions même pas de calendrier unique pour célébrer cette date : le 10 octobre 1620 pour les arciens, le 4ème reffe de Käalis pour les fremiens, la mi-hénianne de l'an 51 de Naganiret pour les mandalans. C'était à la moitié de l'automne. Et pourtant, cela nous semblait déjà bien loin.


Cet après-midi là, le froid humide avait laissé place à froid venteux bien plus glaçant, et nous sentions que la neige était proche. Les cols seraient bientôt bloqués et les kenjariens resteraient blottis dans leurs maisons, attendant le retour de la belle saison pour s'atteler à nouveau à l'immense tâche que nous menions tous : construire notre pays, pierre à pierre, champ après champ, jusqu'à le rendre aussi grandiose que nous l'avions rêvé en émigrant sur ces terres.

D'ici là, il nous faudrait tenir sur nos réserves.

Et des réserves, nous en avions fait : avec la paix les routes commerciales s'étaient ouvertes et des caravanes entières de victuailles étaient entrées triomphalement dans Kenjara. Nous nous étions tous jetés dessus. Notre peuple utilise comme monnaie de l'or au poids, car personne n'a pris le temps de faire fondre des pièces, et rognures, poussière, grains et pièces de toutes les nations nous servent à nos échanges.

Autant dire que lorsque les marchands nous amenèrent de pleines charrettes de blé, la transaction dépassa leurs rêves les plus fous. Pour éviter que les prix ne s'envolent, l'Alliance avait imposé un tarif fixe. Et pour que les marchands établissent durablement leurs comptoirs à Kenjara et parce que chez nous l'or coulait à flots, ce tarif établissait d'échanger les céréales contre leur poids en métal précieux.

Les longues caravanes venues nous nourrir avant les grands froids étaient le cadre de scènes surréalistes. La quasi totalité des habitants de Kenjara venaient d'ailleurs et connaissaient la valeur de ce qu'ils achetaient. Et pourtant ils arrivaient en portant sur leur dos, sur une brouette, dans les fontes d'un âne, leurs économies pour se constituer des réserves pour l'hiver. Les étrangers stupéfaits, nous voyant plus riches et plus fous encore que les légendes ne le racontaient, se crispaient d'horreur en nous voyant verser sans précaution de la poudre d'or sur les plateaux des balances pour arrondir le poids des bijoux déjà posés, et balayer les paillettes accrochés à nos vêtements d'un geste distrait.

Oui, chaque peuple a la sagesse de savoir que l'or ne se mange pas et que notre survie dépend de la terre qui nous nourrit. Mais il est bien difficile, apparemment, de s'imaginer à la place de gens qui ont réellement plus d'or que vivres. Ces marchands nous regardaient comme ils auraient regardé un peuple de fées fêtard gaspiller toutes leurs ressources sans penser à l'avenir, consternés devant cette sottise et en même temps avides d'en profiter tant qu'ils le pouvaient.

Qu'ils nous regardent ! Et qu'ils racontent autour d'eux ce qu'ils ont vu. Nous étions certains, de notre coté, que dès l'année prochaine nous leur offririons un tout autre spectacle. La vie avait été difficile à Kenjara et les soldats n'étaient pas rentrés du front à temps pour ensemencer convenablement la terre. De plus, les cavernes de dragon qui pullulent dans nos montagnes l'ont rendue difficile à cultiver. Mais nous étions nombreux et avions à présent le temps de nous atteler tous ensemble à la tâche.

Il faudrait peut-être compléter nos provisions par des achats quelques années avant que le pays soit indépendant, mais nous avions bien l'intention d'avoir chaque année moins besoin de leur aide. Nous avions beau les couvrir d'or, nous n'avions absolument pas oublié que les six Armées nous avaient affamés pendant quinze ans. Et l'or finirait par revenir, d'une façon ou d'une autre. Nos seigneurs étaient des dragons.


Mais je discoure dans un vocabulaire guerrier qui n'a pas sa place en temps de paix. En réalité, je ne sais pas moi-même pourquoi je me sens aussi hostile envers de simples marchands qui, réellement, ont permis à Kenjara de trouver le temps de prendre des forces avant d'être véritablement autonome.

Bien sûr, auparavant les stocks de blé étaient complétés par des contrebandiers qui se jouaient du blocus avant d'être accueillis en héros par les assiégés que nous étions, et leur riche récompense semblait beaucoup plus méritée. Bien sûr, notre armée avait allégé l'effort de guerre de nos paysans en pillant allègrement les réserves ennemies. Bien sûr, il était évident que ces marchands profitaient de notre situation difficile momentanée pour s'enrichir.

Mais cette situation, ils n'en étaient pas la cause, et nous aurions regretté de les voir rester chez eux.

J'avais sans doute peur de voir perdue cette formidable solidarité dans laquelle nous nous sentions invincibles, de voir la fin des débrouilles et des partages, d'imaginer le moment où plus personne ne se soucierait d'amener ses restes de nourriture dans les grands chaudrons collectifs où bout en permanence un ragoût qu'on offre à tous ceux qui en font la demande.

Isadora a promis que nul ne mourrait jamais de faim à Kenjara et elle comme les autres membres de l'Alliance se donnaient du mal pour tenir cette promesse. Nous savions pourtant tous que leurs efforts seraient insuffisants s'ils n'étaient pas soutenus par la population. Mais quel peuple accepterait de vivre sans fin un temps de sacrifice, alors qu'il était venu de si loin et s'était battu courageusement pour un pays où il serait heureux ?

Je devais bien admettre qu'il était important de trouver des solutions valables pour les années à venir et que nous ne pouvions pas vivre d'espoir et d'air pur éternellement. Même si nous étions tous fiers de nous en être contentés jusque là.


Mon futur lecteur, que j'espère bien avoir un jour, pourra me reprocher de digresser avec cette longue introduction. Il n'en est rien. Au contraire, je plante le décor d'une nouvelle enquête. Car j'espère, si je suis lu dans un temps lointain, que ceux qui parcourront ces pages ne connaîtront rien à la faim ni à la peur de tout perdre, et qu'ils auront bien besoin de ces explications pour mesurer l'immense valeur qu'ont eu, à nos yeux, deux jarres de céréales.



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