Maudits - 4
Je l'écoutais donc le reste de la matinée me parler des différents types de magie, ponctuant de temps à autre son discours de "vraiment ?" et autres "fascinant !" pour marquer mon intérêt.
Un intérêt tout à fait réel, d'ailleurs. J'avais, comme beaucoup, entendu mille et une théories sur le fonctionnement de la magie, ses sources et ses limites, mais je n'avais jamais encore eu l'occasion d'entendre un exposé de première main. Aïna m'expliqua tout d'abord la principale différence entre un mage, un sorcier et un alchimiste.
Le premier dispose naturellement d'un accès à une puissance magique dans laquelle il puise dans la limite de ses forces, mais qui peut lui échapper s'il va trop loin. Son apprentissage consiste essentiellement à brider et à contrôler cette puissance. Ces êtres sont extrêmement rares et presque immortels, les légendes en mentionnent une dizaine à travers le monde, et leurs secrets ne se transmettent que de mage à mage.
Un sorcier quand à lui n'est pas né avec une telle magie, mais peut en acquérir en passant un pacte avec une puissance surnaturelle. Ces forces peuvent demander un accès à notre monde matériel, la promesse d'effectuer une tâche particulière ou de prendre soin d'un endroit précis, un organe du sorcier, son âme, ou des sacrifices.
Certaines religions interdisent donc toute sorcellerie, tandis que la loi kenjarienne, plus pragmatique, interdit uniquement la magie noire : le fait de tuer ou de faire souffrir d'autres personnes. Si ce sont ses propres organes que le sorcier veut offrir, c'est son problème. La loi interdit également l'usage néfaste de la magie, au même titre que l'usage néfaste de n'importe quel outil.
Cette tolérance n'empêchait pas les vieilles méfiances de revenir à la charge et beaucoup de sorciers, venus à Kenjara pour échapper aux persécutions, étaient mal vus par la population. Cette même population qui faisait leur fortune en les sollicitant à tout bout de champ et en payant leurs services à prix d'or.
Les alchimistes, en dernier lieu, ne possèdent pas la moindre particule de magie en eux-mêmes, et ont appris à s'en passer. Ils utilisent en matériaux de base des objets eux-mêmes chargés de puissance magique, généralement venus de créatures possédant la magie, et les modèlent, brûlent, distillent, dissèquent, et autres opérations barbares, jusqu'à créer des artefacts répondant à leur volonté.
Loin de se contenter d'appliquer les effets connus des plumes de phénix sur le feu ou des crochets de basilic sur le poison, leur idéal est la transmutation, la transformation de la matière, et pas uniquement du plomb en or comme je l'avais toujours entendu dire, mais bel et bien de n'importe quoi en n'importe quoi d'autre. Une de leur plus belle réussite ? Changer la pierre en lumière...
Pour ma part, je trouvais que créer un globe lumineux à partir des pierres était bien plus impressionnant que le "sortilège de lumière" que je m'imaginais jusque là, mais Aïna avait l'air de m'avouer un trucage un peu embarrassant.
Apparemment, l'essor inégalé de l'alchimie à Kenjara n'était pas dû à un afflux de talents, mais à un avantage très net en terme de matière première : la draconite, pierre saturée de magie draconique, se trouve à peu près n'importe où dans notre pays. On la reconnait à ses jolis reflets irisés, et de nombreuses personnes s'en servent pour décorer leurs maisons.
La croyance populaire lui prête de nombreuses vertus, allant du remède contre toutes sortes de maladies au porte-bonheur, et j'avouai à Aïna que j'avais moi-même acheté une amulette de protection en pierre grise... ce qui la fit éclater de rire. Elle m'expliqua qu'à l'état naturel, cette pierre ne servait pas à grand chose, et qu'il fallait lui faire subir de nombreuses transformations avant de pouvoir en tirer de la lumière, de la chaleur ou un explosif utilisable, et encore bien davantage pour lui faire émettre un sort de protection valable. Étant donné que je l'avais payée trois grains d'or, il y avait peu de chance pour qu'elle me soit plus utile qu'un simple caillou.
Encore un peu dépité, je lui demandai :
‒ Et toi, sur quoi voudrais-tu travailler ? Puisque tu en as assez de faire des armes et que tu n'es pas taillée pour les Libellules, il y a un domaine qui t'intéresse ?
‒ Et bien... je ne sais pas vraiment. J'aime beaucoup l'alchimie et je suis sûre qu'elle va permettre à Kenjara de devenir un beau pays prospère. Ce qui me gêne, c'est que l'Alliance cherche avant tout à nous faire réaliser ce dont elle a besoin aujourd'hui. Maintenant que la paix est là, elle va nous faire travailler sur l'amélioration des terres agricoles et du système de récolte. C'est sans doute indispensable, mais c'est d'un ennui !
‒ Qu'est-ce que tu aimerais faire, à la place ?
‒ Je... et bien... enfin...
Je la laissai prendre son temps. Elle allait bien finir par y arriver.
‒ J'aimerai travailler à comprendre la nature de la magie !
‒ Comment ça ? Elle a une nature ?
‒ Elle en a forcément une. Tout ce qui nous entoure obéi à des règles logiques, sauf la magie. Il doit y avoir une raison
‒ Heu... personnellement, j'aurai dit que c'est la définition même de la magie, de fonctionner sans avoir de raison...
‒ Ce n'est pas parce qu'on ne peut pas encore comprendre pourquoi elle fonctionne qu'on n'y arrivera pas un jour. Tâtonner jusqu'à trouver accidentellement un nouveau sortilège, ce n'est pas une façon correcte de développer nos connaissances ! Enfin, tu n'aimerais pas percer un mystère aussi colossal que celui-là ? Comprendre enfin ce qu'est réellement la magie ?
‒ Je dois t'avouer que je ne m'étais jamais posé la question...
‒ Vraiment ? Moi elle m'obsède. Après, je sais que je n'aurai sans doute jamais les moyens, ou même l'intelligence, d'aller jusqu'au bout, mais au moins je veux en découvrir le plus possible avant ma mort, et pouvoir laisser cette œuvre derrière moi !
Je me tus, méditant sur cette étrange idée. Qu'on veuille posséder de la magie, ça me semblait normal : dans notre monde, la magie peut permettre d'accomplir à peu près tout ce que l'on peut souhaiter. Mais pourquoi vouloir la comprendre ?
Aïna ne semblait même pas vouloir percer son mystère pour mieux l'utiliser. Elle décrivait comme le but ultime de sa vie le simple fait de satisfaire sa curiosité. D'une certaine façon, c'était une fouinarde, tout comme moi.
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