La Tour Blanche - 13
Croisant l'une des servantes, je lui demandais de prévenir Jilom de venir nous aider, sans cesser de courir... alors qu'Ijja s'arrêta net. L'épée au clair, elle décapita la servante d'un seul moulinet.
La tête retomba au sol et rebondit lentement de marche en marche, tandis que le corps s'écroulait. La magie avait cessé d'opérer. C'était bien un elfe.
Je murmurai, encore sous le choc :
— Je... tu n'étais pas censée les tuer, on avait dit...
Ijja haussa les épaules :
— Dans la caverne, je n'arrivais jamais à toucher les monstres... De toute façon, on doit sauver les mages et la Tour. Ce n'est pas le moment d'hésiter, Loc ! Tiens, prends ça !
Elle me donna une de ses dagues. Longue comme mon avant-bras, l'arme faisait pâle figure en comparaison de sa rapière, mais je la trouvais bien trop lourde et dangereuse à mon goût. Mes armes, ça avait toujours été les mots ; j'étais un enquêteur, pas un assassin. En outre, je n'avais pas eu la potion de vision. Et si je blessais quelqu'un parce que j'étais envoûté par les sorts des elfes ?
Ijja dû voir, à mon visage, que je n'appréciais guère d'avoir une arme dans les mains, et m'ordonna :
— Ne fait pas le dégoûté, il faut au moins que tu puisses te défendre ! Si tu la brandis devant toi, ils n'oseront pas t'attaquer de front. J'ai promis à Aïna que je veillerai sur toi, alors ce n'est pas le moment de me faire mentir.
J'acquiesçai avant de reprendre ma course.
Atteindre l'amma ne fut pas long. Je ne me souviens plus de si je m'attendais à quelque chose de précis, ou si j'étais complètement dépassé par les évènements à ce moment-là. Quoi qu'il en soit, l'orbe bleuté flottante ressemblaient bien à ce qu'on pouvait s'imaginer concernant une âme magique. En revanche, jamais je n'aurais cru voir un jour des elfes mettant directement leurs mains dans cette âme.
Ijja s'écria d'une voix forte :
— Halte ! Enlevez immédiatement vos mains de cette amma ! Au nom de l'Alliance de Kenjara, vous êtes tous arrêtés ! Si vous résistez... ça va mal se passer !
L'avertissement était honnête. Ijja non plus n'avait pas la moindre idée de ce que nous pourrions faire pour les arrêter sans les tuer. Elle fit quelques moulinets de sa lame, dégageant un passage jusqu'à l'amma. Tous s'écartèrent. Sauf un.
Était-ce la mage qui m'avait ensorcelé auparavant ? Je ne parvenais plus à me le rappeler. Quoi qu'il en soit Ijja ne fit pas dans la délicatesse et pressa la point de son épée contre la gorge de la créature.
— Enlève tes mains ou...
L'elfe se métamorphosa sous nos yeux, devenant une petite fille humaine frêle et innocente.
J'avais encore de quoi rompre une illusion et activai le parchemin. Juste à temps pour voir que pendant que nous étions concentrés sur cette elfe, l'un des siens s'apprêtait à nous attaquer par-derrière. Je le menaçais de mon mieux de ma dague, ce qui fut suffisant pour le convaincre de s'écarter. L'autre elfe ôta ses mains de l'amma.
Nous nous retrouvions exactement dans la même situation que dans la caverne, nous n'étions pas assez puissants pour les vaincre ou les repousser, ils n'étaient pas assez puissants pour nous attaquer ou nous envoûter. La seule différence était l'absence de Jilom. Lorsque le parchemin ne ferait plus effet, il m'en resterait un, après quoi nous allions tôt ou tard succomber à leurs sortilèges...
Un grondement se fit alors entendre, d'abord lointain, puis de plus en plus rapproché, un grondement de tonnerre et de tempête, percé çà et là par le craquement de la foudre.
Faraäd l'aermestre apparu au sommet de l'escalier, en pleine forme à présent que l'amma était sauvée, et fou de rage. Il était bien plus colossal que dans mon souvenir, l'air s'alourdissait surnaturellement sur son passage. La foudre crépitait dans la paume de ses mains et se lança sur les elfes. Les malheureux qui étaient touchés tombèrent au sol, tandis que les autres s'enfuirent et disparurent en un instant hors de notre portée.
Je ne pus m'empêcher de crier :
— Vous n'aviez pas à les tuer !
— Silence, mortel ! Ceci est ma Tour, et ces créatures vont...
— Oh, la ferme ! Ceci est votre erreur, mais ce n'est pas une guerre que nous menons, c'est une enquête ! Nous avons des coupables à capturer et à mener jusqu'à la justice des dragons ! Maintenant, il faut qu'on les retrouve !
Le mage me foudroya du regard, mais heureusement garda ses véritables éclairs pour lui. Il se tourna vers Ijja et lui demanda :
— C'est vous qui avez pris la potion ? Laquelle ?
— Aucune idée, c'est Jilom qui l'a préparée... ça a pris du temps et il a dû aller dans cet entre-deux-mondes pour le faire, il disait que ce serait dangereux pour l'équilibre de la Tour. En attendant, j'arrive à les voir, mais au milieu du labyrinthe de votre Tour, ça va être compliqué.
— Et bien, regardez, alors !
Dans un effet de manche, il effaça purement et simplement murs, plafonds et ornements de notre vue.
Nous étions suspendus dans les airs dans une Tour qui n'était qu'un grand tube creux et dont les proportions étaient à présent parfaitement identiques à ce qu'on pouvait en voir de l'extérieur. Merrohé était là, elle dormait en flottant dans les airs en dessous de l'amma. D'étranges objets formaient un cercle autour d'elle. Plus bas et tout aussi parfaitement aligné se trouvait Jilom, entouré de nombreux livres et de quelques caisses qui ne tenaient pas de l'illusion. Tout en bas, dans le sol, la porte vers l'entre-deux-monde était scellée, mais deux elfes s'escrimaient à l'ouvrir. Ils disparurent dès que notre regard se posa sur eux.
Du moins c'est ce que moi je distinguais. Ijja, passé le premier recul du vertige, ne mit pas longtemps à trouver ceux qu'elle cherchait et s'exclama :
— Là, avec Merrohé !
Immédiatement Faraäd nous fit voler jusqu'à elle en même temps que Jilom la rejoignait par le voyage d'ombre. Mais le temps d'atteindre la mage, la créature avait à nouveau fui.
— Ils ne sortiront pas d'ici, gronda Faraäd, j'ai scellé les portes. Mais ils sont plus rapides que nous... Jilom, donne-moi la potion que tu as préparée pour le chevalier ! Nous n'y arriverons jamais si c'est la seule à les voir !
— Impossible, maître, j'ai juste eu de quoi faire la dose pour une personne...
— Donne-moi la recette, je vais m'en occuper moi-même ! Vous, vous restez avec Merrohé, que personne ne lui fasse de mal. Moi, je vais travailler à côté de l'amma.
— Bien, maître.
Un geste de la main et l'intérieur titanesque de la Tour réapparut. Jilom, Ijja et moi étions restés auprès de Merrohé, dans ce qui était sans doute sa chambre, tandis que la mage dormait dans son lit sculpté de coquillages.
Jilom soupira :
— Il a fini par se rendre compte que les elfes nous ont réellement suivis, n'est-ce pas ?
— Oui, et il n'y va pas par quatre chemins, malgré nos interdictions... Il t'a fallu du temps pour préparer cette potion, est-ce que ton maître ira plus vite ?
— Pas beaucoup, on ne peut pas presser certaines étapes si on veut la magie ait le temps de se développer...
— Parfait, alors il faut qu'on trouve un moyen de les arrêter avant qu'il les ait tous tués.
— Comment tu comptes faire ça ? demanda Ijja.
— Ils sont plus rapides que nous, donc ça ne sert à rien de leur courir après. On va leur faire croire qu'ils peuvent nous tendre un piège et les capturer.
— Je crois qu'ils se méfient maintenant...
— Ils se méfient de ton épée, de tes yeux, des ombres de Jilom et de mes parchemins. Mais ils n'ont jamais réussi à m'ensorceler complètement, j'étais influencé, mais pas... enfin vous voyez.
— Pas envoûté, compléta Jilom. Vu votre sang, c'est normal. S'il n'était pas aussi dilué, vous ne seriez même pas affecté du tout.
Je réprimais une grimace à l'idée de mon apparence dans ce cas de figure. Non, être délavé était déjà bien assez bizarre à mon goût. J'expliquai :
— Je ferais l'appât...
— Tu fais toujours l'appât, protesta Ijja.
— Qu'est-ce que tu racontes, quand est-ce que c'est arrivé ?
— Avant que j'arrive, d'après les rapports, et je te garantis que ça n'arrivera plus. Tu n'es pas immunisé et c'est trop dangereux !
— Je suis le seul à faire un appât digne de ce nom !
— Et comment on les capture, s'il te plait ? Je n'arrive même pas à les toucher, à part par pure chance !
— Et bien on...
Évidemment c'était la faiblesse du plan, mais après tout c'était un travail en cours de réflexion. Je me tournais vers Jilom, plein d'espoir. Il nous sourit avec arrogance :
— Vous êtes dans une Tour de mage. Nous avons plein d'artefacts qui pourraient capturer la foudre elle-même.
Il ouvrit un passage d'ombre et y plongea le bras, farfouillant sans doute parmi du matériel qui pouvait être n'importe où dans la Tour. Il finit par en ramener triomphalement une gourde. Elle était grosse, assez pour contenir cinq ou six litres d'eau, mais certainement pas un elfe de ma taille.
Je protestai :
— Le but est de les capturer pour les avoir vivants, pas liquéfiés...
— Ne soyez pas absurde, pourquoi est-ce qu'elle liquéfierait quoi que ce soit ? Elle attrape, c'est tout. Il y a largement la place pour stocker un village entier à l'intérieur, et ils ressortiraient sans mal.
— Elle a déjà contenu des êtres vivants ? Et ils en sont sortis entiers ?
— Bien sûr ! Mon ancien maître avait... heu, enfin bref, les prisonniers ne craignent rien là-dedans, à part l'ennui. Il n'y a pas besoin de leur donner à boire ou à manger, les corps ne vieillissement pas. La prison idéale.
— J'en déduis que tu adhères à mon plan, toi !
— Bien sûr ! Vous avez une tête à faire un excellent appât, on a tout de suite l'impression que vous êtes facile à tuer.
— Mer...ci. Je suppose. »
Ijja n'avaitpas l'air d'apprécier, mais nous étions à deux contre une et pressés par letemps. Elle céda et nous aida dans les préparatifs du piège.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro