KARMA
La vie! Le sort! Le destin!
Peut-être la fatalité!
Toutes ces notions si intimement liées et autour desquelles tourne notre existence dans un mouvement cyclique et pernicieux ont fini de m'ôter ma joie de vivre. Qui l'aurait prédit?
Moi qui étais né pour briller, gagner, rayonner. Aujourd'hui, mes rêves de gloire sont brisés et je n'oserai plus jamais la regarder dans les yeux, elle qui était si chère à mon cœur, si tant est que, j'en avais un.
Non seulement, j'avais trahi sa confiance mais je lui ai pris un bien précieux, son cœur à elle, si pur et si tendre offert, pourtant, sur un plateau d'argent.
Une brute n'aurait pas mieux fait.
Je sais. Je n'ai pas toujours été un saint. J'ai goûté à tous les interdits, transgressé toutes les règles, vaincu tous ennemis et adversaires qui osaient se mettre sur ma route. Je suis même allé jusqu'à piétiner un ami, le meilleur que l'on ait pu rêver avoir. Tout ça, pour l'amour du pouvoir, des honneurs et des richesses, de la vie tout court.
Ce serait me jeter des fleurs que de dire que je ressemblais à une loque. Pire que ça, j'errais, je ressassais, je mourrais à petit feu, seul et au milieu de nulle part.
Dire qu'elle est partie, les yeux pleins de souffrance et d'interrogations. Aucune haine au fin fond de ses pupilles dilatées. Trop noble et trop digne pour connaître ce genre de sentiment néfaste et sans intérêt. Sans intérêt, ai-je dit?
Un sourire narquois m'échappa. La vie avait de drôles de manières de nous éduquer. Je l'ai appris à mes dépens.
Pas plus tard qu'hier, on était encore un couple mais HIER était déjà si loin. J'avais la désagréable impression d'avoir bousillé ma vie pour des broutilles, des miettes. Les choses les plus importantes, je les ai foulé au pieds, indifférent à la souffrance des autres. Me voilà aujourd'hui à leur place, avec pour seul compagnon, mes regrets au goût amer et tenace.
Elle m'avait pourtant supplié en joignant ses deux petites mains pour que je me taise.
_ "Hamed, s’il te plaît, maîtrise-toi ! Je souffre autant que toi. Et ce n’est pas dans l’avion en plein vol que nous allons déballer nos problèmes conjugaux. L’endroit n’est pas idéal, avait-elle plaidé mais indifférent à sa douleur et trop égoïste pour pouvoir entendre raison, j'enchaînais sans pitié.
- J’en ai marre de cette vie que je t’impose. Je ne t’en voudrais pas si tu décidais de me quitter."
Voilà! C'était dit! C'était sorti! Au lieu de pousser un ouf de soulagement, je ne ressentais qu'un vide sans fond. Pire, j'osais à peine lever les yeux sur elle après ce que je venais de lui asséner au visage avec force et conviction.
Plus qu'une proposition, c'était une demande sans appel.
Sa main qui venait chercher la mienne, resta suspendue en l'air, un moment. Finalement, elle la relâcha mollement sur sa cuisse, l'air hagard puis dans un sursaut de fureur, elle se leva et quitta son siège à mes côtés. J'avais oublié ce tempérament de lionne qui avait valu à Idrissa, son poste, un jour d'octobre.
_ Qu'avais-je fait?
La peur me retourna les entrailles sans que je ne puisse me dédire. Il n'y avait plus d'autres issues. Nous étions dans une impasse. Et encore, elle ne se doutait pas de toutes les bassesses auxquelles je m'étais livré pour la conquérir.
Malheureusement pour moi, le temps avait vite fait de me rattraper. C'était ça ou l'humiliation suprême, la prison.
Je pouvais sentir son regard me darder le dos mais je m'entêtais à garder mes yeux rivés devant moi. C'était un exercice ardu. Je l'aimais tant. Seulement, je n'étais plus le maître du jeu.
Je m'imposais alors une pose de statut jusqu'à notre arrivée à Dakar.
À notre sortie de l'aéroport, nous nous engouffrons, dans un silence de plomb, dans le taxi qui nous menait chez nous. Nos voitures avaient déjà fait l'objet d'une saisine. La maison le sera bientôt à son tour, mais ça, je le lui avais caché.
Elle le saura bien assez tôt.
Une fois à destination, Amina s'empressa de prendre l'allée qui serpentait jusqu'au portail de la maison en fer forgé. Je la regardais, une dernière fois, se dandiner avec grâce devant moi puis, me jeter un dernier long regard avant d'entrer, pensant me devancer.
Hélas! Je venais de jouer ma dernière carte. Comme convenu avec Idrissa qui détenait tous les documents compromettants attestant de mes malversations dans l'Entreprise où il était associé avec Amina avant d'en être expulsé par mes soins, je remontais dans le taxi avec les quelques petits billets qu'il me restait.
Fait surprenant, je me surpris en train de mouiller mes joues et ma veste.
Moi qui ne pleurais jamais.
C'est ainsi que mon cœur meurtri s'est vu adouci. Je sentais que je n'étais plus le même. Pourtant, personne n'y aurait cru même si je m'asséchais à cause du volume de larmes versées.
Trop tard! Une bien triste litanie.
Idrissa, mon ami d'enfance, de jeunesse, mon compagnon de toujours à qui j'avais tout pris, entendait bien me rendre la pareille. Sa confiance aveugle en moi l'avait mené à la déchéance.
À son service avant mon mariage avec Amina avec qui, il gérait une boîte très fructueuse de la place, je me servis de son amitié sans faille pour le mettre en mal avec celle qui m'aimait autant que j'aimais son argent. De la poudre aux yeux. Rien que cela.
Ensuite, ce fut facile de falsifier des documents prouvant à suffisance la trahison d'Idrissa pour faire couler la boîte. Je pouvais imiter sa signature les yeux fermés. C'était mon meilleur pote. On faisait tout ensemble. On tombait toujours pour les mêmes filles et Amina n'était pas une exception. Loin de là.
Je savais qu'avec Idrissa, à nos côtés, jamais je n'aurais pu mettre la main sur Amina, et par ricochet, sur l'entreprise. Le jeter en prison pour délit de malversation me donnait carte blanche pour accéder au sommet en me mariant avec celle qui était devenue la bosse par voie de fait, la belle Amina.
Le destin étant capricieux, je finis vite par m'amouracher d'elle. Sa beauté, sa tendresse, sa noblesse, ses traits, tout en elle m'obnubilait.
Cependant, n'étant pas capable d'enfanter, je vivais très mal ce supplice après quatre ans de mariage infertile et les bruits commençaient à courir dans l'Entreprise et au sein de la famille, comme cela se faisait en Afrique depuis la nuit des temps, que ma femme était incapable d'enfanter. Brave et discrète, elle gardait le silence pour me protéger.
Autant de sacrifices non mérités qui venaient s'ajouter à mes soucis avec Idrissa qui, intelligent qu'il était, avait découvert le pot aux roses avant de retourner le procès en cours contre nous ou plutôt contre l'auteur de tous ses malheurs, à savoir mon humble personne.
Fou d'amour pour ma femme, pour la première fois depuis belle lurette, je fis une bonne action. En échange de son silence, j'acceptais de disparaître en faisant croire à celle que j'avais fini d'aimer plus que moi-même, que je vivais mal cette situation humiliante d'homme impuissant. Idrissa y trouvait son compte puisque je lui laissais enfin la voie libre pour qu'il tente sa chance avec Amina, son amour secret, que nul à part celle qui était concernée, n'ignorait l'existence et la force.
Bien des années plus tard, je la vis sortir, le ventre arrondi, d'une belle voiture, Idrissa au volant. Elle était aussi belle que dans mes souvenirs. Pourtant, je crus déceler une pointe de tristesse dans ses yeux, vite refoulée.
Condamné à mendier, je me mettais toujours devant les grilles de l'aéroport. Là où tout avait pris fin. C'était une supplice que je m'infligeais après avoir tout perdu.
À même le sol, elle allait passer sans me voir quand comme poussée par une force impérieuse, elle baissa son beau regard sur moi. Elle prit un billet et me le donna en aumône en me demandant de prier pour elle.
Aveuglé par mon amour inassouvi, éprouvé par le sort, je lui saisissais la main, sans trop savoir ce que je faisais. À mon contact familier, des souvenirs heureux mêlés de tristesse remontèrent à la surface...
_ Hamed, s'écria t'elle en découvrant mon visage crasseux et osseux....
MERCIII😉
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