
Chapitre 26 : États d'âme
Après les derniers mots de MorMiller, une troupe de journalistes nous encerclèrent, relevant leur appareils photo et leur microphone près du visage de Priam.
— Monsieur Hidden, quelles sont devenues vos relations avec le boxeur MorMiller ?
— Pensez-vous être en mesure de le battre de nouveau lors de la WWC ?
— Votre mystérieuse cavalière a-t-elle un lien avec l'animosité que vous entretenez l'un envers l'autre ?
Priam affichait un sourire forcé tandis qu'on le bombardait de questions. Il n'avait sûrement aucune envie d'y répondre, ça, c'était certain. Le pire dans toute cette histoire, c'était que personne n'ignorait les tensions entre ces deux là. Ce n'était que pour retourner le couteau dans la plaie, ni plus ni moins.
— MorMiller et moi-même n'attendons que le début de la compétition pour mettre les points sur les "i", déclara Priam avec un regard vigilent.
Les journalistes ricanèrent à l'unisson.
— Le craignez-vous ? demanda une jeune femme au regard dur.
— Ce que je crains, c'est l'état de sa réputation après l'avoir battu.
Des rires et des sifflements plurent de nouveau.
Je notai que Gabriel n'était pas loin et assistait à l'interview en silence. Il arborait un visage fermé, craignant sûrement une bêtise de la part de son boxeur. J'ignorai d'ailleurs si jouer la carte de l'arrogance était la meilleure solution devant les attachés des magazines people, pourtant après plusieurs semaines à côtoyer Priam, je pouvais dire que son charisme et son audace étaient étroitement liés.
— Pouvez-vous nous dire comment vous envisagez ce nouveau défi, monsieur Hidden ? continua un autre journaliste.
— Plus confiant que jamais. Je m'entraîne durement chaque jour. Mon équipe et moi seront prêts le jour J, n'ayez aucune inquiétude.
Les questions se succédèrent pendant vingt minutes sans que Priam ne montre aucune faiblesse. Son sourire ne se ternissait pas malgré quelques questions des plus personnelles. Qui aurait envie d'étaler ses sentiments sur le papier ? Mais, les journalistes étaient là pour cela, ils saisissaient chaque cillement de paupières, chaque silence, chaque froncement de sourcils induisant le moindre trouble pour en tirer un renseignement à peine fonder. Néanmoins, le boxeur restait de marbre, comme une statue univoque et insondable.
Tandis que les paparazzis s'éloignaient, leur précieux interview en poche, un photographe se planta devant nous, un sourire attaché au visage.
— Me permettez-vous de prendre un cliché, monsieur ? Je suis le photographe attitré de la soirée.
Le jeune homme me jeta un coup d'œil appuyé.
— Ne soyez pas timide, mademoiselle ! Vous rendez déjà folle la toile entière. Les internautes deviendront fous avec cette photo, babillât-il avec un sourire confiant.
Sans me laisser le temps de rétorquer, Priam se rapprocha de moi et glissa son bras dans mon dos, prenant l'infime soin de faire glisser ses doigts brulants sur mes reins. Sa grande paume semblait m'avaler. Je me pelotonnai dans le creux de son bras, les joues couleur carmin et déjà fourmillantes.
— Un vrai couple, glana le photographe en réglant son appareil.
Un flash jaillit soudain avant que je ne puisse dire ouf. Priam ne me lâcha pas pour autant. Il avait le sourire d'un enfant qui venait de gagner un nouveau tour de manège à la fête foraine. Le photographe reprit une nouvelle photo prise sur le vif instant alors que je contemplais le boxeur.
— Qu'allez-vous faire de ces photos ? murmurai-je après une seconde d'hésitation.
Mais le curieux était déjà parti, aussi rapide et discret qu'il devait l'être.
Encore confuse, je levai les yeux vers Priam qui m'observait. Ses yeux brillaient, reflétant une fierté possessive et animale.
— Tout va bien ? Ça te plaît.
— Ce n'est pas si mal, déclarai-je. Dîtes, êtes-vous vraiment si confiant à l'idée de battre MorMiller ?
— Pourquoi ne le serais-je pas ?
Il repoussa une mèche de mes cheveux blonds derrière mon oreille qui recommençait à rougir.
— Il n'y aucune raison pour que je n'y arrive pas. Je ne mentais pas quand je disais m'entraîner chaque jour, tu le sais mieux que personne, chérie. MorMiller fait le malin mais il commence à se préoccuper plus de son image que de ses capacités.
J'émis un pouffement désabusé.
— Et vous ? Je trouve que vous vous préoccupez plus de moi que du reste. Regardez dans quel état vous mettez le pauvre Gabriel.
Un nouveau serveur nous proposa une nouvelle coupe, de rosé cette fois-ci.
Priam ne s'en soucia guère, prit simplement une coupe et rétorqua sans un regard pour le personnel :
— Nous avons déjà eu cette conversation, Belle. Si tu n'es pas satisfaite, je ne le suis pas non plus. Mon bonheur dépend du tien et ce, à la minute où je t'ai rencontré.
— Pourquoi ?
Il roula ses magnifiques yeux verts, agacé par le tournant de notre conversation. Une conversation que nous ne cessons d'avoir. Je savais que je n'arrêtais de lui poser cette question. Pourquoi moi ? Mais quand le monde n'a jamais voulu de vous, comment pouvez-vous simplement accepter l'idée d'être enfin quelqu'un pour un autre d'un unique claquement de doigt ? Malgré tout ce qu'il m'offrez, je peinais à m'accepter, à m'ouvrir à lui, à me défaire de mes tics machinaux, de tout.
— Écoute, grogna-t-il en attrapant mes doigts froids. Je sais que tu penses que tu n'es pas en mesure de me rendre ce que je t'offre mais premièrement, je n'en veux pas. Et deuxièmement, ta seule présence à mes côtés me comble plus que personne ne pourra le faire.
— Cela aurait pu être n'importe qui.
— Dis, est-ce que tu crois aux âmes-sœurs, chérie ?
J'exorbitai les yeux, surprise par cette question. Les âmes-sœurs, c'était un peu une illusion que les gens se faisaient en espérant trouver la personne faite pour eux, pour se conforter dans l'idée qu'ils finirons pas seul avec quatre chats et un perroquet . Mettre la main sur le mien ne m'avait jamais effleurer l'esprit. Enfin si, une fois pour être honnête.
— Tu es mon âme-sœur, Belle.
Le rouge me brula le visage en papillonnant des yeux.
— C'est fou comme vous avez le don de me rendre mal à l'aise.
Priam lâcha un rire sans me répondre. Il se contenta de passer sa main sur mon épaule pour me presser contre lui et me faire voyager dans la salle, adressant des clins d'œil à d'autres invités, discutant avec certains. J'osai à peine regarder la foule, me rappelant combien on m'avait conseillé de me faire petite lors les grands événements... ou de les éviter tout simplement. En venant ici, l'idée que j'enfreindrais les trois quarts des recommandations qu'on m'avait prodigué ne s'était même pas pointée. Désormais, je me sentais mal à l'aise malgré le corps courageux du boxeur près de moi. Je me sentais pas en danger.
— Tout va bien, ma Belle ? Tu as l'air épuisé.
La voix de Meg me réveilla de mes songes.
— Ça va, je suis juste un peu... (Les mots me manquèrent une demi-seconde ; parfois, le poids de mes secrets m'éreintait tant que je me sentais plus incapable de les supporter) ...perdue.
Priam balaya la salle d'un regard en serrant les mâchoires. Toujours silencieux, il se tourna vers Gabriel.
— On rentre, lâcha-t-il soudain.
L'équipe écarquilla les yeux en entrouvrant la bouche outrageusement.
— Quoi ? Mais, cela fait à peine une heure et demi que nous y sommes.
— Priam, tu n'as pas à faire ça pour moi, bafouillai-je en remuant les mains. Je vais très bien.
— Et le discours... rappela Gabriel d'une voix abasourdie.
— Je m'en fiche du discours. Tout ce qui compte, c'est les matchs.
L'agent se posta devant lui, comme pour lui couper la route. Son regard était déconfit. Il n'avait certainement pas prévu cela. Or, tout ce qui ne figurait pas dans son agenda était bon à jeter à la fenêtre. Et, comment dire ? Il n'avait jamais prévu que j'apparusse dans ce foutu agenda. J'avais quelque peu ruiner ses plans parfaitement élaborés.
— Les gens ont besoin de savoir que tu es dans la course, Priam, tenta-il en argumenter. Que tu ne prends pas ça à la légère.
— Ils me verront une fois sur le ring. J'ai fait un interview et d'ailleurs, tout le monde s'est déjà régalé avec la discussion que j'ai eu avec MorMiller. Qu'est-ce que tu veux de plus ?
Il en conclut que sa répartie n'avait pas besoin de réponse puisqu'il m'empoigna par le bras afin de me tirer à l'extérieur de la salle sans même écouter ce que son agent avait à riposter. Tout ce que je pus saisir avant de partir fut la mine défaitiste que tout le monde affichait. Pour ma part, je demeurai muette, m'estimant sensiblement responsable de cette situation. Je craignais que Gab nourrisse désormais assez de haine à mon égard pour préméditer le meurtre de ma personne ni vu ni connu.
Nous quittâmes finalement ce monde gorgé d'or et de préciosité et à la sortie, une bourrasque de d'oxygène m'accueillit. C'était tellement agréable que je dus fermer les yeux pour mieux apprécier la fraîcheur qui calmait ma peau en feu. J'avais l'impression de retrouver un tant soit peu de ce que je connaissais : un monde réel.
C'était réconfortant.
Priam pianota quelque chose sur son portable au moment même où notre limousine apparut près du trottoir d'en face. Andrew sortit du véhicule tout sourire alors que de nouvelles avalanches de flashs et de cris désespérés nous assaillaient tout autour.
Une fois que nous fussent plus au calme dans la voiture, Priam lova sa main dans la mienne et se tourna vers moi, un sourire espiègle épinglé au visage, la mine réjouit au plus au point.
— Tu pensais que je t'avais oublié, hein ? me demanda-t-il.
Je l'interrogeai du regard, déconcertée par cette question à laquelle je ne possédais aucune réponse puisque je ne comprenais strictement rien.
— De quoi vous parlez ?
— Prépare-toi, me susurra-t-il en s'approchant de mon oreille, alors que le moteur se mit à ronronner. Nous allons enfin fêter ton anniversaire comme il se doit, bébé.
***
**
*
— Où est-ce que l'on va, Priam ?
Mon sourire trahissait ma joie. J'avais formidablement hâte de découvrir ce qu'il me cachait.
Je n'avais jamais vraiment apprécié les surprises jusqu'à ce jour mais celle-ci promettait d'être grandiose. Je connaissais Priam et sa folie des grandeurs. Rien n'était jamais assez bien pour moi, selon lui. Alors je peinais à imaginer ce qu'il y avait derrière les mains qui masquaient mes yeux.
Le torse chaud de mon Adonis pulsait contre mon dos tandis qu'il me dirigeait à l'aveuglette. Son souffle frôlait ma nuque frissonnante. J'arrivais à sentir son sourire contre ma peau.
— On y est presque. Attention, doucement.
Mon pied buta contre une surélévation du sol. Un escalier. Maladroite, je me hissai sur la première marche, puis sur la seconde et ainsi de suite jusqu'à sommet. Mon impatience redoubla. Désormais, l'air s'était rafraîchi et Priam ne disait strictement rien, lui qui était tant bavard depuis Atlanta, c'était frustrant de voir qu'il tenait à me mettre à bout.
— Priam ? dis-je, hésitante. On est sur un toit ?
— Mmmh, peut-être.
— Où est-ce que vous m'emmenez à la fin ? gloussai-je.
— Un peu de patience, mademoiselle. Je vous trouve quelque peu impatiente... Tu es prête ?
Il s'arrêta enfin au milieu de je-ne-sais-quoi.
— Bien sûr !
Brusquement, il ôta ses doigts de mon visage. Mes yeux ne réussirent pas à s'accoutumer au paysage dans l'instant même, cependant, j'eus l'impression de sentir des étincelles pétiller dans mes oreilles lorsque des cris de concert retentirent :
— Joyeux anniversaire !
Ma bouche s'entrouvrit, béate de stupeur. Mes yeux papillonnèrent, semblant assister à l'une de mes projections nocturnes beaucoup trop idéalisées mais, je ne rêvais pas. Aria, Ben, Eden. Ils étaient tous réunis devant moi. Aria portait un espèce de chapeau festif en papier sur la tête, une bouteille de champagne à la main. Eden tenait entre ses mains un gâteau provenant directement de Suzie&Co, le café où elle travaillait. Et, Ben, quant à lui, même s'il ne portait rien, l'émotion transperçant ses prunelles suffit à me faire monter les larmes. Quelque chose se débloqua en moi à l'instant où je les vis, eux et ce petit rooftop entièrement aménagé pour l'événement, pour moi. Ils avaient fait le déplacement pour me voir. Priam, lui, avait dû tout préparer aujourd'hui simplement pour me faire plaisir. Tout cela allait au-delà de toutes mes espérance. Pas plus tôt qu'il y a une heure je n'aurais cru possible qu'une telle chose puisse se réaliser.
Tremblante, je me ruai dans leurs bras en échappant un sanglot. Aria se lova dans mes bras et me serra avec une telle force que j'en eus le tournis. Eden et Ben suivirent le mouvement et m'emprisonnèrent à leur tour.
— Ho, tu nous as manqué, chérie, si tu savais, étouffa Eden dans mon cou.
— L'appartement est bien vide sans toi, renchérit Ben.
Lorsque je pus m'extraire de leur câlin, si confortable fut-il, ma langue était toujours pâteuse et engourdie. Mon regard voyagea de mes amis à Priam qui était désormais rejoint par son équipe. Je surpris même Andrew me faire un clin d'œil.
— C-Comment avez-vous p-pu... bégayai-je en me retournant vers mes amis.
— Ton mec nous a appelé ce matin, lança Aria en tentant d'ouvrir sa bouteille. Il nous a demandé si ça nous intéressait un petit tour en jet privé et tu nous connais...
Elle et Eden se jetèrent un regard de connivence presque effrayant.
— On allait pas refuser quand même ! s'écrièrent-elles en réponse à la moue réprobatrice de Ben.
— Puis, tu en as bien profité de ce jet, je te rappelle Ben, grommela Eden. Le personnel doit encore s'en souvenir, vu tout ce que tu as mangé.
J'échappai un rire mutin.
— Si ce n'est que cela, Priam ne t'en tiendra pas rigueur, dis-je gentiment.
— Madame commence à se faire à la vie de bourge à ce que je vois, glapit exagérément Aria.
— C'est faux !
Du coin de l'œil, je remarquai que d'autres gens déambulaient dans le rooftop, des gens que je ne connaissais même pas. Ils étaient tous savamment coiffés et vêtus. À voir comment Priam, Gabriel et Andrew conversaient avec eux, il devait s'agir de connaissance.
— Une jeune femme un peu âgée... Comment s'appelait-elle déjà ? demanda Eden pour elle-même en chopant un canapé sur un plateau.
— Meg, souriai-je.
— Oui, elle ! Elle nous a appris que tu revenais d'une sorte de gala pour la WWC. C'était comment ?
— Et après, tu oses me dire que tu n'as pas une vie de bourge ! railla Aria jalousement.
Je lui lançai une œillade discrète qu'elle ignora. Défaitiste, elle avait donné sa bouteille de champagne à un serveur pour l'ouvrir ; on venait de lui ramener une coupe, ce qui me permit de ne plus recevoir de réflexions.
— J'ai rencontré MorMiller, dis-je.
— Le MorMiller ? lâchèrent Ben et Eden à l'unisson.
— Tu le connais ?
Il eut l'air offusqué.
— Évidemment. J'ai dû me renseigner. On allait pas te laisser te jeter dans la gueule du loup les yeux fermés !
— Le loup est censé être Priam ? pouffai-je.
— Laisse-le, lui et sa paranoïa, se moqua Eden.
— C'est un crime d'être protecteur ? marmonna Ben en plissant les yeux. MorMiller a un casier, vous le saviez, ça ? Ah ! Vous faîtes moins les malignes maintenant.
Eden haussa les sourcils, nonchalante.
— Ce n'est pas étonnant vu toutes les cicatrices qu'il a sur le corps.
Moi non plus je n'étais pas vraiment surprise. Il y avait chez cet homme quelque chose de malsain qui en émanait. Son regard... Un regard séducteur mais surtout dangereux, que les hommes craignaient sans doute allégrement et que les femmes ne désiraient qu'à percer.
— Traffic de drogue et d'armes à ce qu'on dit, baragouina Ben en me fixant, comme pour me faire peur. Il a de mauvaises fréquentations, celui-là.
— Et alors ? Tu penses que Priam est de la même trempe ?
Et voila qu'il recommençait ! Ça m'exaspérait à un point inimaginable lorsqu'il s'amusait à le juger sans même le connaître. Se baser sur les rumeurs et l'avis des médias, évidemment, c'était bien plus simple.
Ben ne me répondit rien mais je pouvais lire dans ses yeux un mélange de crainte et d'animosité. Depuis le temps, je pensais que son ressentiment envers Priam et ce milieu s'était estompé mais cette discussion était la preuve que rien n'avait changé. Il était si conservateur et protecteur envers moi que cela en devenait dérangeant. Ne pouvait-il pas être juste heureux pour moi ? Je l'étais pour lui et Eden et pourtant, je n'en faisais pas tout un plat.
Je me retournai discrètement vers le balcon pour calmer mes nerfs. Des nerfs qui semblaient se réveiller de plus en plus souvent. J'étais pourtant la jeune femme la plus réservée et pacifique de la Terre entière. Jamais au grand jamais je n'aurais pu penser me mettre en colère, contre Ben qui plus est.
Mes yeux naviguèrent d'un point à l'autre de Boston. Le paysage était féérique, presque irréel. Les immeubles s'imbriquaient les uns dans les autres, pourchassés par les milliers de panneaux publicitaires qui les éclairaient et les rendaient encore plus intimidants. Leur longueur était telle qu'ils semblaient pouvoir atteindre les nuages et la brume flottant autour de leur pointe. Le ciel était rempli d'étoiles ce soir et ces petites boules explosives gravitaient autour de la lune en croissant. Une lune qui avait l'air aussi survoltée que je l'étais cette nuit. Elle brillait jusqu'à me brûler les yeux, majestueuse et fantomatique. L'air, lui, était d'une fraîcheur revigorante et je me sentais presque flotter, me sentant comme une petite âme perdue devant cette immensité naturelle. Il était assurément tard, peut-être trop tard pour avoir une pensée pertinente et un état émotionnel complètement stable mais ce soudain vide en moi me fit presque oublier le bruit assourdissant de la musique qui venait de se mettre en marche dans mon dos, les bavardages entêtants des invités et les problèmes qui ne cessaient de ressurgir dans mon esprit. Tout semblait pouvoir s'effacer d'une clignement de paupières. Absolument tout.
Cependant, c'est à cet instant précis qu'Aria choisit de débarquer pour saccager ma bulle de plénitude.
— Salut, ma Belle ! s'écria-t-elle fortement en se trémoussant. Aller, bois ça. Tu vas voir, ça va te dé-coin-cer !
— Je n'ai pas besoin de me décoincer.
— Aller, chérie, c'est ton anniversaire ! 20 ans, tu te rends compte !
Aria fit la moue, déçue. Je jetai un coup d'œil autour de nous, vérifiant que personne ne laissait trainer des oreilles indiscrètes.
— Dis, Ari. Combien de verres as-tu pris avant de venir ici ?
— Mais, qu'est-ce qu'on s'en fout, sérieusement, bougonna-t-elle, laissant son regard dériver vers une silhouette à sa droite. Ho ! Est-ce que tu as vu à quel point Priam est sexy dans son costume, mon Dieu ! J'ai juste envie de le manger tout cru.
Je fronçai les sourcils.
— Tu ne devrais pas...
— Putain, Belle, laisse-moi vivre un peu. Ne gâche pas tout.
Et elle s'en fut d'un pas déterminé sans même me regarder. Je la vis se diriger tout droit vers le boxeur qui parlait avec le Coach et se mit à discuter avec eux comme si tout était normal. Le pli que formaient mes sourcils s'accentua automatiquement. Est-ce que j'étais si coincée qu'elle le prétendait ? Peut-être que oui, Aria avait raison. Je devrais certainement choisir de m'amuser et de me lâcher davantage au lieu de méditer toute seule comme une idiote. C'était ma soirée après tout. Cependant, à peine regardai-je les cocktails, les shots et les bières s'empiler sur le bar du rooftop que la nausée me gagna. Ma gorge se resserrait imperceptiblement alors qu'une insupportable brûlure se mit, quant à elle, à me tirailler l'arrière du crâne, comme si quelqu'un s'amuser à me perforer lentement une plaie déjà ouverte. La chair de poule semblait dérisoire face à cette sensation tenace et lancinante qui venait simplement d'une vieille cicatrice cachée sous ma tignasse.
— Belle ? Tu vas bien ?
Je me retournai, un peu surprise vers... Ben.
— Tu es toute pâle ? Tu veux que je t'apporte de l'eau ?
— Non, non, tout va bien, dis-je avec un sourire un peu forcé.
— Écoute, tu sais que je ne voulais pas te blesser tout à l'heure, hein ? J'agis toujours comme un abruti avec toi, ça devient une manie.
Il ajouta à son minuscule monologue un rire nerveux qui lui ressemblait atrocement. Ces petits détails que je retrouvais sans cesse chez lui depuis nos retrouvailles sur ce toit me rendit plus nostalgique que je ne l'étais déjà. Oui, c'était un abruti. Un abruti qui arrivait toujours à m'émouvoir.
— Et, puis... bafouilla-t-il. Maintenant que tu n'es plus là, l'appart est tellement vide sans toi. C'est un petit peu comme si tout avait changé pour nous aussi, tu sais.
Un sourire m'échappa, un sourire un peu triste tout de même.
Nous nous approchâmes une nouvelle fois du balcon alors que Eden se déchaînait sur une piste de danse improvisée et nous faisait signe à grands coups de bras en réclamant de la compagnie.
— Te revoir me rappelle juste ce que j'ai perdu, finit-il par avouer.
— Tu n'as rien perdu, dis-je. Parfois, je regrette ce que je possédais à Brooklyn. La vie me semblait sans interruption mais comparée à cela... (Je fis de grands mouvements, enveloppant l'air dans mes bras.) Ce n'est absolument rien.
— Tu veux dire que tu ne regrettes rien ?
— Voyager d'un bout à l'autre de l'Amérique est à la fois fabuleux mais aussi absolument éprouvant. Au début, j'avais l'impression de vivre en apnée, coincée entre les hôtels de luxe et les stades de boxe. Désormais, si je recouvrais un quotidien quelque peu... normal, je trouverais ça plutôt fade.
Il se mordit la lèvre en me regardant. Des émotions contradictoires traversèrent soudain ses orbes. Chagrin, soulagement, regret, fierté... Tout y passa et cela me désarma.
— Q-Quoi ? demandai-je.
— Je te trouve changée. Il t'a changée.
Je compris alors avec un peu de retard qu'il parlait de Priam, et inconsciemment, mes yeux le cherchèrent pour finalement le trouver dans un coin de la salle, pile au moment où son regard fouillait également le mien. Le sourire qu'il m'envoya juste après m'écrabouilla le cœur et je dus me forcer pour reprendre le fil de ma conversation.
— Il n'est pas vraiment comme je me l'imaginais. Il est tellement différent de quand il est sur le ring. Chaque jour, j'ai l'impression de découvrir quelqu'un d'autre, tu vois. Comme un feu d'artifices qui ne s'arrête jamais.
— Vas-tu le suivre pendant la WWC ?
Cette question avait l'air de le préoccuper, voir presque de le tourmenter. Et, pour ma part, je n'étais pas vraiment dans un meilleur état. J'essayais au mieux de ne pas penser à cette compétition car elle faisait naître en moi une inquiétude folle. Je m'inquiétais pour Priam à cause de ses problèmes de santé mais aussi de l'intérêt que ses concurrents semblaient lui porter. Il était leur ennemi numéro un. Autrement dit, il ne serait pas épargner. En aucun cas.
— Comment...
— On ne parle que de ça dans les journaux, Belle, me coupa-t-il rapidement. À la télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux... Pour un boxeur, Eden m'a raconté, qu'il pourrait s'agir de la plus grande compétition de sa vie. Ça n'arrive qu'une fois tous les dix ans. Tu t'en rends bien compte ?
Même si je le savais déjà, oui, je n'avais pas encore conscience d'avoir une pseudo relation avec un champion du monde de boxe sur le point de potentiellement devenir une légende vivante.
— Il a l'air fada de toi, ajouta-t-il en le regardant de loin.
Perplexe, je croisai mes bras sur ma poitrine, les sourcils froncés.
— Où veux-tu en venir ?
— Il a bien l'attention de t'emmener avec lui pour cette compétition.
— Peut-être, oui, soufflai-je d'exaspération. Je fais ce que je veux, Ben. Je suis grande. On est en pleines vacances d'été, cet événement n'a aucune incidence sur mes études !
Il se mordit la lèvre et eut un air énervé. Pas envers moi mais pour lui-même. Il était en colère contre lui-même.
— Excuse-moi, je suis juste trop protecteur. Je m'emporte dès que tu commences à t'éloigner de nous.
Bien que ses mots me touchèrent, j'en finis un peu gênée. À l'entendre parler, mon absence avait été couteuse et douloureuse pour eux... Alors que j'avais à peine eu le temps de leur passer quelques coups de fil.
Soudain, une bombe atomique surgit en face de nous. Eden se lova directement dans les bras de son petit ami, un sourire immense lui fendant la poire. Visiblement, elle était un peu pompette.
— Ça fait dix minutes que je vous appelle pour me rejoindre sur la piste ! Les gens sont à fond là-bas, venez ! Ho et on va bientôt souffler tes bougies, Belle !
La piste était plutôt bien remplie. Les gens se pressaient ardemment au rythme de la musique et clamaient des paroles incompréhensibles. Je n'avais pas remarqué que l'ambiance était devenue si frénétique. Même Andrew dansait, entouré de deux jolies filles que étaient en train de l'alpaguer comme des forcenés. C'était presque drôle à voir.
— Et, Belle ! s'écria Eden les yeux exorbités de joie. Tu ne vas pas y croire, j'ai réussi mes exams ! Nous partons dans la nuit avec Ben rendre visite à mes parents pour leur annoncer la nouvelle.
— C'est super ! dis-je en la prenant dans mes bras.
Depuis le temps qu'elle stressait pour ces examens et qu'elle bossait nuits et jours pour les avoir, je trouvais amplement méritée une telle réussite.
— Vous avez des nouvelles pour ceux d'Aria ? ne pus-je m'empêcher de demander.
Les deux tourtereaux haussèrent les épaules. Ben enserra la brune par la taille.
— Je crois qu'elle n'a pas encore eu les résultats.
Je surpris celles-ci de nouveau à parler avec Priam près du bar. Ils riaient de bon cœur et soudain, ma gorge se remit à se tordre dans tous les sens. Je l'enviais. Je me sentais incapable d'aligner deux phrases sans bégayer, je peinais même à trouver quoi lui répondre parfois ou même à simplement pouvoir le regarder dans les yeux tandis qu'Aria gloussait avec lui avec tant de facilité que cela en était désarmant. J'avais eu besoin des plusieurs rendez-vous avec cet homme pour pouvoir rire ainsi ; elle y parvenait d'un seul coup. Elle n'avait pas peur du ridicule, elle n'avait peur de rien en fait. Tout le contraire de moi.
Je me sentais absolument inutile.
Quand il était face à une telle femme, pensait-il encore à moi ? Pourquoi ne me voyait-il pas comme j'étais vraiment ?
Mes poings se serrèrent et je me fis violence pour ne pas perdre mes moyens.
Je n'étais qu'une pauvre fille obligée de fuir comme une lâche pour survivre. Lorsqu'il comprendra ce qui m'était arrivé, qui j'avais pu côtoyer dans le passé et la vie que j'étais désormais forcée de mener, il me quittera. Il pensait me connaître mais il ne connaissait même pas mon prénom. C'était pathétique.
Mes dents se serrèrent davantage à ces pensée alors que je peinais à respirer convenablement. J'étouffai. J'avais besoin de sortir.
Faisant faux bon à mes propres amis, je m'empressai de quitter le balcon, les larmes menaçant de couler. Tandis que Ben tentait de m'appeler, je dévalai les escaliers avec l'espoir de devenir invisible. Comme avant. Disparaître dans le néant, comme une simple particule d'oxygène libre et insouciante. Mais, en arrivant au pied du gigantesque building, la réalité me rattrapa. C'était un hôtel. Encore un. Toujours un hôtel. Une prison en or massif.
De là où je me situais, il paraissait si brillant, si somptueux que j'en eus mal aux yeux. J'avais connu la faim, l'état de santé précaire même auquel celle-ci conduisait. Si Priam savait réellement ce que c'était de crever de faim, accepterait-il toujours de vivre sous cet amas d'abondance suffocante ? Mais, au fond, ce n'était pas vraiment ça le problème. C'était bien plus profond.
Il le savait, toute l'équipe le savait : tout ce luxe n'était qu'un cache-misère. Priam se planquait dans ces hôtels pour cacher son déplorable état de santé au monde entier. Il se terrait dans ces chambres faites de soie et de marbre, et mourrait des heures durant à l'intérieur avant de repartir sur le ring faussement rétabli. Tout n'était que façade. Je n'étais moi aussi qu'une façade. Nous étions tous moisis de l'intérieur.
Et c'en fut trop. Trop de richesse. Trop d'argent à jeter par les fenêtres. Trop de problèmes et d'incertitudes. Ce soir, je me sentais incapable d'affronter tout cela. Et, Aria et Priam, c'était le pompon.
Le cœur battant, je me mis donc à courir. Les larmes finirent enfin par inonder mon visage et tremper mes lèvres, jusqu'à finir par dégouliner sur mon menton. Mais, la fraîcheur qu'elle laissèrent sur le sillage était comparable à une bénédiction. Je faisais de mon mieux pour ignorer le regard hébété des passants qui devaient sûrement se demander ce que faisait une jeune fille habillée ainsi en train de courir comme une furie. Mais, cette fichue robe était la preuve vivante de ma transformation : Je n'étais plus la gamine transparente de Brooklyn. Priam m'avait changée, oui. Je brillais désormais de mille feux avec tous ces sequins et ces diamants, déboulant la tête la première dans un univers qui ne m'appartenait pas. C'était le monde de Priam, pas le mien. Pourtant, je n'osai imaginer ma vie sans lui à présent ; je revivais à chaque fois qu'il me prenait ses bras.
Alors que faire, bon sang ?
Mais, soudain, une main m'attrapa et stoppa ma course effrénée dans les rues de la ville. Le cri que je m'apprêtais à expulser se désintégra dans le fond de ma gorge lorsqu'un regard ombrageux et redoutable se plante dans le mien. Il s'agissait d'un homme d'une quarantaine d'années tout de noir vêtu. Ses sourcils se haussèrent en voyant dans quel état je me trouvais.
— Je me disais bien que je vous trouverai par ici. Dieu merci, les journalistes sont rapides.
— Q-Qui êtes-vous ?
L'homme sortit un badge de sa poche et encra de nouveau ses yeux déstabilisants dans les miens, plus sérieux que jamais.
— Je m'appelle Carter Doggson, inspecteur du FBI. Ça fait longtemps que je vous recherche Mademoiselle Kriss Savanah.
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Voici le chapitre 26 !
Je sais que ça fait près d'un mois que je n'ai pas posté. Comme d'habitude, je tiens m'excuser de ces postes espacés et surtout très longs. Je suis bien consciente que ça ne facilite pas votre lecture mais plusieurs événements ont fait que je ne peux poster que maintenant.
Sinon, qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Beaucoup de choses se sont passées haha. Belle retrouve ses amis, et croyez-moi, ils auront leur importance au moment venu. Notre héroïne est d'ailleurs de plus en plus perdue et là aussi, ça s'explique ! La montée vers l'enfer approche. Entre désillusions, mensonges et déchirure... vous n'êtes pas au bout de vos surprises !
Doggson fait son entrée ! De nouvelles intrigues vont en découler héhé. Depuis le temps qu'on l'attend, celui-là. Je vous rappelle qu'au chapitre 1, Belle reçoit un appel anonyme... et c'était lui ! Il a du attendre 26 chapitres pour apparaître le pauvre...
N'hésitez pas à commenter et voter, ça me fait toujours plaisir de voir que vous restez actifs malgré tout, malgré mon retard... Merci de votre soutien sans faille.
À bientôt ♡
-LISE-
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